Chris Mooney est un journaliste américain qui, avec la chercheuse Sheril Kirshenbaum, tient le blog The Intersection sur le site Internet de Discover Magazine. Cette “intersection” est celle de la politique et de la science aux Etats-Unis et Chris Mooney s’intéresse particulièrement aux rapports compliqués voire conflictuels qu’entretiennent les Républicains américains avec la chose scientifique. Il a consacré trois livres au sujet : The Republican War on Science ; Storm World : Hurricanes, Politics, and the Battle over Global Warming ; et Unscientific America : How Scientific Illiteracy Threatens our Future, co-écrit avec Sheril Kirshenbaum. Grâce à la veille qu’il réalise sur ces sujets, Chris Mooney a détecté et signalé sur son blog un article publié par American Thinker, une publication en ligne qui se réclame ouvertement du camp conservateur.
Signé par Bruce Walker, cet article défend la thèse selon laquelle les valeurs morales familiales traditionnelles (mariage, femme au foyer, éducation à la maison, etc.) sont les meilleures pour dépenser moins d’énergie, réduire l’empreinte carbone et, partant, pour protéger l’environnement et la planète. Si l’on met de côté l’ironie qu’il y a à voir un journal en ligne qui, d’ordinaire, nie le rôle de l’homme dans le réchauffement climatique, vanter les vertus d’une vie moins productrice de CO2, il reste intéressant d’écouter ces arguments.
La vision du monde de Bruce Walker est évidemment américano-centrée mais de nombreux arguments peuvent parfaitement s’appliquer à d’autres pays riches. Le journaliste part de deux chiffres : en 2009, selon le Bureau du recensement des Etats-Unis, 96,6 millions d’Américains âgés de 18 ans et plus (soit 43% de cette catégorie de population) n’étaient pas mariés. Toujours d’après la même source, 31,7 millions d’Américains vivent seuls, ce qui représente 27% des foyers, contre 17% en 1970. Ces deux chiffres, et surtout les phénomènes qu’ils recouvrent, sont, pour Bruce Walker, le nœud du problème environnementalo-sociétal : “Cette tendance qu’ont les Américains à vivre seuls ou en dehors des liens du mariage s’accélère rapidement, et elle détruit l’environnement.”
Comment cela ? Voici le raisonnement qui mène à cette affirmation : “Un couple marié stable vit dans un seul foyer, n’est abonné qu’une seule fois à l’eau, au gaz et à l’électricité, éclaire sa demeure avec un seul système électrique et réalise des économies sur ses frais de bien d’autres manières. Les Américains adultes qui vivent seuls ou dans des relations instables font augmenter de façon spectaculaire le besoin de logements, d’électricité, de systèmes de chauffage et de climatisation, d’entretien des routes et des villes, et aussi de voitures roulant dans les rues de ces villes. De plus, dans les couples mariés traditionnels qui ont atteint un certain niveau d’aisance, il y a plus de chances qu’un seul membre de la famille ait besoin de travailler, ce qui réduit les embouteillages et toute la myriade de problèmes environnementaux associés à une grande population métropolitaine qui fait les trajets entre la maison et le travail.”
Le conservatisme résout d’autres problèmes environnementaux, si l’on en croit Bruce Walker : “Si un grand nombre d’Américains faisaient l’école à la maison, alors cela réduirait drastiquement, voire à néant, l’énergie que les écoles publiques consomment, les surfaces qu’elles occupent et le nombre de bus qui engorgent nos rues.” Autre cible de la révolution conservatrice verte : les loisirs. “Quand les familles construisent leur vie autour de leur église ou de leur synagogue, il y a alors moins de déplacements pour les loisirs et quand elles trouvent des activités sociales et de détente au sein de ces assemblées de croyants, le besoin pour des loisirs de substitution (comme ceux auxquels se livrent les personnes qui ne vont pas dans un lieu de culte) chute.”
On comprend mieux les dessous de ce raisonnement lorsque Bruce Walker, dans un élan de “c’était mieux avant”, nous parle un peu de ses racines : “Pendant mon enfance, j’avais des grands-parents, des tantes et des oncles qui étaient conservateurs, dans tous les sens du terme. Ils étaient heureux de vivre dans des demeures modestes. Presque tous avaient des jardins et faisaient des conserves de fruits et de légumes. Ils regardaient rarement la télévision (…) et, à l’air conditionné ils préféraient les fenêtres ouvertes ou s’asseoir à l’ombre des arbres. Ce mode de vie était naturel pour des gens qui se mariaient et restaient mariés, qui faisaient de la religion une partie centrale de leur vie et qui, s’ils vivaient aujourd’hui, auraient éteint la télévision au bout d’environ vingt secondes. Quand ils prenaient des vacances, c’était en général pour aller pêcher au lac ou peut-être pour rendre visite à la famille, sinon ils se divertissaient peu car leurs vies étaient principalement consacrées à leur travail (qu’ils faisaient dans l’allégresse). Leur empreinte carbone était incomparablement plus faible que celle d’une vedette d’Hollywood ou d’un politicien arrogant, mais elle était aussi beaucoup moins grande que celle d’une mère célibataire ou d’un bureaucrate fédéral de l’Agence pour la protection de l’environnement.”
On l’a compris : selon cette vision de la société, le bonheur est dans le pré, le mariage et la religion. Et la sauvegarde de l’environnement itou. Bien sûr, cela manque de chiffres et de science, mais il est amusant de constater que Bruce Walker se rapproche, par certains aspects, des prosélytes de la décroissance souvent situés de l’autre côté de l’échiquier politique, ces “écolos” de gauche qu’il vomit dans d’autres passages de son article. Et Chris Mooney, taquin, ne manque pas de lui faire remarquer qu’à tant défendre le mariage pour des raisons écologiques, les Républicains de son acabit feraient bien d’autoriser rapidement partout où ils le peuvent… le mariage gay.
Pierre Barthélémy
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