Une base scientifique pour le délit de faciès ?

C’est une étude qui dérange, qui met mal à l’aise parce qu’elle ramène à la surface du débat scientifique des idées qu’on croyait définitivement coulées et à notre mémoire les images d’une période honteuse. Mais c’est précisément pour cette raison qu’il faut en parler. Publié le 6 juillet dans les Proceedings of the Royal Society B (qui traitent de biologie), cet article signe d’une certaine manière le retour de la physiognomonie, pseudo-science connue depuis l’Antiquité, qui visait à établir le caractère de quelqu’un en fonction des traits de son visage. L’un des plus fervents et célèbres défenseurs de cette théorie, aussi appelée “morphopsychologie”, fut le théologien suisse Johann Kaspar Lavater (1741-1801) qui rédigea La physiognomonie ou l’art de connaître les hommes. Dans ce livre, Lavater, que Balzac cita beaucoup au fil de la Comédie humaine, écrivait : “La physionomie humaine est pour moi, dans l’acception la plus large du mot, l’extérieur, la surface de l’homme en repos ou en mouvement, soit qu’on l’observe lui-même, soit qu’on n’ait devant les yeux que son image. La physiognomonie est la science, la connaissance du rapport qui lie l’extérieur à l’intérieur, la surface visible à ce qu’elle couvre d’invisible. Dans une acception étroite, on entend par physionomie l’air, les traits du visage, et par physiognomonie la connaissance des traits du visage et de leur signification.” La physiognomonie et son avatar, la phrénologie (l’étude du caractère par le relief du crâne), ont connu leur heure de gloire au XIXe siècle mais le début du XXe siècle en a aussi été bien imprégné, puisque cette théorie a été récupérée par les nazis (et Vichy) dans leur propagande raciste et antisémite.

Signé par Michael Haselhuhn et Elaine Wong, de l’université du Wisconsin (Milwaukee), l’article en question montre que, dans une certaine mesure, le rapport largeur/hauteur du visage prédit la tendance à agir de manière malhonnête, uniquement chez les hommes (cela ne marche pas avec les femmes) : plus le visage est large par rapport à sa hauteur, plus la personne aura un comportement contraire à la morale. Parfaitement conscients que leurs conclusions vont à rebrousse-poil du consensus actuel disant qu’aucun trait physique ne signale de manière fiable la moralité de quelqu’un, les auteurs s’appuient sur plusieurs éléments. Tout d’abord, quelques études récentes (ici, et ) montrant que ce rapport largeur/hauteur est lié à l’agressivité chez les mâles de l’espèce Homo sapiens.

L’hypothèse des deux chercheurs est que ce caractère agressif, trahi par la forme du visage, a pour corollaire un sentiment de pouvoir, d’assurance, lequel se traduit par un comportement moins honnête. D’où l’idée d’effectuer deux tests. Le premier a consisté à faire jouer un jeu de rôle à près de deux cents étudiants en MBA. La moitié d’entre eux se mettaient dans la peau d’un vendeur d’une propriété immobilière tandis que les autres faisaient les acheteurs. Chaque vendeur avait pour consigne de n’accepter de céder son bien qu’à la condition d’avoir l’assurance que le futur propriétaire ne le transformerait pas en activité commerciale. Les acheteurs avaient, eux, la ferme intention d’en faire un hôtel et devaient donc la cacher… Pour ne pas que le visage de l’acheteur potentiel influe sur la décision du vendeur, et aussi pour garder une trace écrite des échanges et juger de la moralité dudit acheteur, toute la transaction se faisait par messagerie électronique. Au bout du compte, assez peu de candidats à l’achat se sont révélés des truands, mais ceux qui ont menti avaient effectivement tendance à avoir un visage plus large.

Pour la seconde expérience, les chercheurs ont imaginé un scénario différent. Les “cobayes” devaient répondre à une série de tests de personnalité, parmi lesquels était glissé un questionnaire sur le sentiment de pouvoir. En récompense du temps passé, chacun avait le droit de participer à une tombola pour gagner un bon d’achat. Le cobaye devait aller sur un site Internet pour faire rouler deux dés virtuels, additionner les résultats, ce qui donnait un nombre de 2 à 12 correspondant au nombre de fois où il pourrait participer à la tombola. Comme il n’y avait, pour les chercheurs, aucun moyen de connaître les résultats des jets de dés, chacun pouvait en réalité indiquer le nombre qu’il voulait. Mais les probabilités existent aussi pour dire qui triche… Les chercheurs se sont aperçus que les hommes au visage large trichaient davantage que les autres et que ce comportement n’était pas sans lien avec les résultats au questionnaire sur le sentiment de pouvoir…

Michael Haselhuhn et Elaine Wong ne vont pas jusqu’à réhabiliter le délit de faciès, plus connu sous le nom de délit de sale gueule. Au contraire. La prudence les incite à se méfier de leurs propres résultats, tout simplement, disent-ils, parce que certains visages peuvent se comporter comme des prophéties auto-réalisatrices. Exemple : une personne au visage carré pourra être perçue comme agressive. En réponse, les observateurs (l’environnement de cette personne) adopteront pour se protéger un comportement d’esquive, de méfiance ou d’exclusion, qui, par réaction, engendrera un comportement agressif chez l’individu en question. Malgré toutes ces précautions et tous ces bémols, je suis prêt à parier que ce type d’études va se développer dans les années qui viennent, pas seulement parce que l’idée de contrôler ou d’anticiper les comportements gagne du terrain, chez les hommes politiques, les DRH ou les spécialistes du marketing. Mais aussi parce que beaucoup de chercheurs pensent que les visages parlent vraiment. Des études ont ainsi montré que l’on pouvait deviner, avec des résultats meilleurs que ceux dus au hasard, l’orientation sexuelle d’un homme ou son affiliation politique

A la lumière de tout ceci, je vous invite donc à retourner sur un de mes précédents billets, celui qui parlait de la taille du pénis déduite du rapport entre l’index et l’annulaire de la main droite. A la fin de ce billet, je proposais un petit quizz avec trois personnages. A vous de me dire si, parmi eux, se cache un hétérosexuel de droite, menteur et à petit pénis.

Pierre Barthélémy

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