Voici l’histoire de Mandy Wilson, telle qu’elle est remarquablement racontée par Jenny Kleeman, du Guardian. Australienne, Mandy Wilson donnait de ses nouvelles au monde anglophone sur un site de mamans appelé Connected Moms. En lisant ses billets, on pouvait s’apercevoir qu’elle traversait une sale période, écrit Jenny Kleeman : “On lui avait diagnostiqué une leucémie à 37 ans, peu après que son mari l’eut abandonnée en la laissant seule pour élever leur fille de cinq ans et leur garçon qui était encore un bébé. La chimiothérapie avait tellement endommagé son système immunitaire, son foie et son cœur qu’elle finit par avoir un accident vasculaire cérébral et tomber dans le coma. Pour s’en remettre, elle passa des semaines dans un service de soins intensifs ou les infirmières la maltraitaient, la laissant couverte de bleus.”
Quand elle n’était pas en état d’envoyer des billets sur Internet, ses amis, Gemma, Sophie, Pete et Janet s’en chargeaient afin de continuer à donner de ses nouvelles à toutes les mamans qui suivaient en ligne ce chemin de croix. Et elles étaient nombreuses aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, au Canada, à lire ses textes et à la soutenir du mieux qu’elles le pouvaient. Ainsi, dans son article, Jenny Kleeman a-t-elle fait témoigner une Canadienne, Dawn Mitchell, qui, en découvrant la maladie de Mandy en 2007, fut bouleversée par son histoire : “Quand vous avez vous-même de jeunes enfants, entendre parler d’une maman qui pourrait laisser ses enfants sans mère vous émeut davantage.” Dawn commença à passer beaucoup de temps, jusqu’à plusieurs heures par jour, à converser avec Mandy, soit par messagerie, soit par Skype. Le calvaire de Mandy devint un véritable film d’horreur : elle fut victime d’une péritonite et d’une fasciite nécrosante qui nécessita une intervention chirurgicale pour lui retirer des morceaux de chair morte, ses amis Pete et Sophie décédèrent et elle eut même un malaise lors d’une session webcam avec Dawn.
Laquelle finit par soupçonner quelque chose. Suivre cette histoire, c’était comme regarder une saison de Dr House dans laquelle l’héritier médical de Sherlock Holmes n’avait qu’une seule et unique patiente : Mandy. “Il y avait trop de drames, explique Dawn, et trop rapprochés les uns des autres.” Mais Dawn ne pouvait divulguer ce soupçon sans être sûre que sa correspondante australienne ne soit pas réellement malade. Elle se mit donc à enquêter à distance. Elle chercha en vain sur les sites australiens les notices nécrologiques de Pete et Sophie, eut des doutes supplémentaires en voyant le crâne chauve de Mandy, qui lui sembla rasé, sur une photo soi-disant prise en cours de chimiothérapie… Mais cela ne prouvait rien. La preuve arriva grâce à la page Facebook de Mandy, qui montrait que celle-ci s’adonnait à des jeux en ligne ou laissait des commentaires sur des photos d’amis… alors qu’elle était censée être ou dans le coma ou anesthésiée. Lors d’une dernière session Skype avec Mandy, Dawn lui dit qu’elle avait découvert la supercherie et, plus tard, l’annonça aux autres mamans qui suivaient le “supplice” à épisodes de l’Australienne.
Ce cas de “webmalade imaginaire” n’est pas isolé. Avec le développement d’Internet, ils sont de plus en plus nombreux à s’inventer des pathologies graves, voire incurable, à écrire leur journal d’hôpital sur un blog, voire à se faire mourir en ligne, pour assister, derrière leurs écrans, au concert des pleurs. Cela porte un nom : le syndrome de Münchhausen par Internet. Identifié dès 1998 par le psychiatre américain Marc Feldman, c’est une variante moderne du syndrome de Münchhausen, trouble mental qui se traduit par un besoin de simuler une maladie afin d’obtenir l’attention du corps médical. Dans la variante classique, les personnes atteintes par ce syndrome sont capables de prendre des médicaments pour provoquer des symptômes alarmants et se faire hospitaliser, au risque de se rendre réellement malades.
Le syndrome de Münchhauser par Internet (MPI) est différent en ce sens que la personne qui en souffre ne s’adresse pas particulièrement au monde médical. En revanche, elle met au point des scénarios tout aussi élaborés pour que l’on croie à son histoire. Cela passe évidemment par une bonne documentation, ce qui n’est pas trop compliqué aujourd’hui grâce au web. Mais il faut surtout soigner les détails de la mise en scène. Dans le cas de Mandy, celle-ci s’est notamment adjoint les services d’amis virtuels qui avaient chacun son propre style d’écriture. Elle poussait le vice jusqu’à multiplier les fautes de frappe lorsqu’elle était soi-disant très mal. Comme l’a expliqué Marc Feldman dans une interview donnée en 2009 à Wired, derrière ce nouveau syndrome, “il y a plus que la simple recherche d’attention, même s’il s’agit réellement d’une motivation puissante dans de nombreux cas. Dans d’autres situations, les fausses histoires sont tellement attachantes et déchirantes que je crois qu’il y a là une indéniable part de sadisme ; dans ces cas-là, quand leurs auteurs finissent par présenter des excuses, celles-ci sont faciles et peu convaincantes. Je pense aussi que le MPI est une façon pour les gens de se sentir “en contrôle” de leurs vies, en contrôlant les pensées et les réactions des autres.”
L’incroyable caisse de résonance qu’est Internet a démocratisé et démultiplié l’audience de ces pseudo-malades (qui, ironie suprême, sont réellement malades mais pas comme ils veulent le faire croire), lesquels tirent probablement du plaisir à mesurer leur succès au nombre de connexions sur leurs blogs, aux commentaires laissés ou aux messages de soutien reçus. Et quand ils sont démasqués, ils n’ont qu’à se créer un autre avatar malade sur un autre forum ou une autre plateforme de blogs… Dans le même temps, le nombre croissant de ces cas de MPI risque de nous faire regarder d’un œil soupçonneux ces blogueurs gravement malades qui racontent, pour de vrai, leur combat pour la vie.
Pierre Barthélémy
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