L’oiseau karatéka

Oiseau-karatekaOn a un peu tendance à l’oublier, y compris lorsqu’on découpe un poulet, mais les oiseaux ont aussi des mains. Des mains certes réduites au strict minimum et très légères, avec seulement trois doigts la plupart du temps inclus dans l’aile, mais des mains quand même. Xenicibis xympithecus, un ibis aujourd’hui disparu qui vivait sur l’île de la Jamaïque il y a encore quelques millénaires, avait pour sa part de curieuses paluches. A l’instar de beaucoup d’insulaires emplumés, ce drôle d’oiseau avait perdu l’usage du vol pour exploiter un environnement pauvre en prédateurs. Mais, comme l’explique une étude américaine qui vient de paraître dans les Proceedings of the Royal Society B, la main de cet ibis ne ressemble à celle d’aucun oiseau, éteint ou vivant, volant ou pas.

Quand on a découvert la première aile fossilisée de la bestiole, on a cru qu’elle était victime d’une malformation pathologique inexplicable. Mais les fossiles qui ont suivi ont montré que tous les membres de l’espèce présentaient les mêmes caractéristiques : le principal métacarpe est hypertrophié, massif et fortement courbé, avec un diamètre supérieur au centimètre (voir ci-dessous), soit davantage que le fémur de l’oiseau. L’os est creux mais particulièrement épais.

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D’autres curiosités anatomiques complètent ce tableau très particulier : l’articulation du “poignet” est très faible et lâche, ce qui permet à la main d’être jetée vers l’avant ; le radius est lui aussi anormalement épais ; pour un oiseau qui a abandonné le vol, Xenicibis dispose d’une ceinture pectorale relativement bien développée avec des os larges et robustes. Tous ces indices ont conduit Nicholas Longrich et Storrs Olson, les deux auteurs de l’étude, à formuler l’hypothèse suivante : cet ibis jamaïcain se servait de ses ailes comme d’un gourdin ou, mieux, d’un fléau (ou d’un nunchaku, si l’on préfère les arts martiaux japonais aux batailles médiévales avec armures et chevaux caparaçonnés). “L’énergie cinétique est le produit de la masse et de la vitesse au carré, rappellent-ils ; par conséquent, des armes telles que les gourdins et les fléaux ont un long manche pour augmenter la vitesse angulaire, sont fortement alourdies pour augmenter la masse accélérée par le mouvement, et leur centre de gravité est proche de leur extrêmité, là où la vitesse angulaire est la plus élevée. C’est précisément ce “design” que l’on retrouve dans la main de Xenicibis, où le bout de l’aile est massif (…).Tout participe à la violence : la capacité à propulser la main librement vers l’avant ; le métacarpe creux et dur qui permet de cogner vite et fort, “comme une batte de baseball en aluminium” ; la conservation d’une aile longue quoique ne servant plus au vol et la possibilité de l’étendre complètement et rapidement.

Si Xenicibis était une sorte de karatéka à plumes, distribuant des mandales soit à ses congénères pour protéger son territoire, soit aux rares prédateurs du quartier qui lorgnaient ses œufs ou ses poussins (rapaces, singes voire serpents), cette aptitude au combat, ont supposé MM. Longrich et Olson, a dû laisser des traces, des fractures, comme on en retrouve chez les autres oiseaux bagarreurs. Les deux chercheurs sont donc retournés étudier les quelques spécimens fossilisés à leur disposition. Et bingo : deux d’entre eux présentaient des fractures de l’aile, dont une avait réussi à cicatriser complètement.

Dans la conclusion de leur article, Nicholas Longrich et Storrs Olson soulignent que si de nombreux oiseaux se servent de leurs ailes comme d’une arme (et notamment de leurs doigts en guise d’éperons ou de griffes), “dans le cas de Xenicibis, l’adaptation de l’aile en une arme puissante a produit un agencement qui est non seulement unique parmi les milliers d’espèces d’oiseaux existantes ou fossiles, mais aussi unique parmi les vertébrés. Bien que les appendices corporels se soient à plusieurs reprises spécialisés pour marcher, courir, nager, creuser et voler, Xenicibis est le seul à avoir transformé son appendice pectoral en un gourdin articulé capable d’être balancé pour augmenter la vitesse et l’énergie du coup.” Ce que l’étude ne dit pas, c’est que ses ailes de karatéka n’ont pas empêché l’oiseau de disparaître…

Pierre Barthélémy

3 commentaires pour “L’oiseau karatéka”

  1. “Ce que l’étude ne dit pas, c’est que ses ailes de karatéka n’ont pas empêché l’oiseau de disparaître…” comme quoi la technique de la violence n’est pas une preuve de réussite et de pérennité !

    Merci pour l’émission d’hier sur France Inter.

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