Enfants empoisonnés au pays des samouraïs

utamaro

"Yama-uba et Kintarō", estampe d'Utamaro (1753-1806)

Le saturnisme est souvent décrit comme une maladie d’enfants défavorisés car il est fréquemment causé par l’ingestion d’écailles de peintures au plomb dans de vieux logements non-réhabilités. Dans le Japon impérial de l’époque d’Edo (1603-1868), ce pourrait bien être le contraire : une maladie d’enfants favorisés, ainsi que le révèle une récente étude publiée par le Journal of Archaeological Science.

Tamiji Nakashima (University of Occupational and Environmental Health, Kitakyushu) et trois de ses collègues ont analysé les ossements très bien préservés découverts sur le site d’un ancien temple bouddhiste zen à Kitakyushu. Seuls les restes des samouraîs et de leur famille y étaient conservés. Au total, les os de 11 hommes, 12 femmes et 38 enfants ont été étudiés. Et voici les concentrations en plomb retrouvées en moyenne : 14,3 microgrammes de plomb par gramme (μg/g) d’os sec chez les hommes, 23,6 μg/g d’os sec chez les femmes, 313 μg/g d’os sec chez les enfants de plus de 6 ans, 462,5 μg/g d’os sec chez les enfants de 3 à 6 ans et, enfin, 1 241 μg/g d’os sec chez les enfants de moins de 3 ans. Ce dernier chiffre est incroyablement élevé, surtout si on le compare à celui des adultes. D’où vient tout ce plomb ?

Les chercheurs avaient déjà constaté, au cours de précédents travaux portant sur les adultes, une différence significative entre hommes et femmes, ce qui les a conduits à soupçonner… les cosmétiques. Ceux-ci sont devenus très à la mode dans les franges aisées de la société japonaise pendant l’époque d’Edo, notamment sous l’influence des acteurs de kabuki. Et, en bonne place parmi les cosmétiques, figurait la céruse. A la même époque, ce cosmétique à base de carbonate de plomb faisait fureur à la cour des rois de France et d’Europe pour le teint blanc qu’il conférait, jusqu’à ce que ses effets nocifs le fassent, à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, disparaître de l’arsenal des fards.

Cette prise de conscience fut visiblement plus tardive au pays des samouraïs où les mères maquillées ont, pendant longtemps et sans le vouloir, empoisonné leurs enfants par simple contact, en concluent les auteurs de l’étude. Ces derniers poussent d’ailleurs leur réflexion plus loin et formulent l’hypothèse que, le saturnisme se traduisant notamment par des troubles mentaux et des retards cognitifs, les élites japonaises n’étaient pas, en raison de ces intoxications, les mieux armées pour bien réagir en période de crise. Ces chercheurs mettent notamment en avant le cas du 13e shogun, Tokugawa Iesada, décrit comme souvent malade et incapable de s’opposer aux pressions américaines qui contraignirent le Japon à rompre son isolationnisme en 1854. N’y aurait-il qu’un pas du maquillage à l’insécurité politique ?

Pierre Barthélémy

Post-scriptum du 6 octobre : le saturnisme est loin d’avoir disparu partout. En témoigne cette dépêche de l’AFP, reprise sur le site Internet du Soir, qui raconte qu’au moins 400 enfants empoisonnés au plomb sont décédés au Nigeria, en raison d’activités minières illégales.

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La sélection du Globule #14

Gliese

On a beaucoup parlé de la planète Gliese 581-G (en vue d’artiste ci-dessus), et surtout de la possibilité qu’elle soit “habitable”. Sylvestre Huet, de Libération, fait le point de cette histoire sur son blog. Lire aussi le blog d’Andrew Revkin, du New York Times.

Les nappes phréatiques mondiales sont surexploitées, relate Le Monde, sous la plume de Stéphane Foucart.

Les trous noirs sont-ils réellement noirs ? Réponse sur le site de The Independent.

Le programme SETI qui écoute le ciel à la recherche de civilisations extra-terrestres, dont j’ai déjà parlé ici, analyse essentiellement la partie radio du spectre électromagnétique. Le problème, c’est que les petits hommes verts, s’ils existent, n’ont peut-être pas utilisé très longtemps les ondes radio pour communiquer

Après les terribles inondations de cet été, le Pakistan s’attend à une importante vague de paludisme en raison des eaux stagnantes qui subsistent.

Tous les ans, les IgNobel nous offre, avant les très sérieux prix Nobel, un palmarès de la recherche scientifique décalée, que certains médisants prennent comme l’illustration de l’inutilité de certains chercheurs… Au programme cette année, la fellation chez des chauves-souris, des mini-hélicoptères pour étudier les maladies respiratoires des baleines, et bien d’autres choses. A lire sur lefigaro.fr.

Les troupeaux de caribous déclinent. Un reportage au Canada d’Ed Struzik.

Pour finir, un joli portfolio sur les petits animaux marins de l’océan glacial antarctique, sur le site du Guardian.

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