Avec la primaire d’Europe Ecologie – Les Verts et celle, dont on parle beaucoup moins, du Parti communiste, le temps des pré-scrutins pour l’élection présidentielle de 2012 est déjà venu. L’an prochain, dans la foulée de l’élection suprême, la France aura droit à des législatives. Alors, pour qui voterons-nous ? Pour reformuler la question d’une manière un peu plus scientifique, qu’est-ce qui décide de notre vote ? La vulgate des sciences politiques et de la psychologie dit qu’en démocratie le choix d’un candidat plutôt qu’un autre est le fruit d’un raisonnement. C’est sans doute vrai dans la majorité des cas mais pas toujours. Plusieurs études ont montré que différents facteurs pouvaient influencer les électeurs sans qu’ils en aient conscience et notamment, j’imagine, ceux qui se décident à la dernière minute, dans le secret de l’isoloir. Ainsi, une étude très remarquée publiée en 2005 dans la prestigieuse revue Science a-t-elle prouvé que la photographie des candidats, et l’impression de compétence que le visage dégage, permettait de déduire avec une certaine justesse le résultat de l’élection. Aux Etats-Unis, où les noms des candidats sont présentés sur une liste, figurer au début de cette liste procure un avantage non-négligeable, en particulier dans les comtés où les électeurs ont le moins de culture politique. Enfin, le lieu-même où est installé le bureau de vote peut avoir une influence sur le choix du bulletin. Ces effets sont marginaux mais quand on sait que de nombreuses élections se jouent aux alentours du 50-50, ils peuvent avoir leur importance.
Une étude à paraître dans la revue Psychological Science s’intéresse à l’impact que peut avoir un élément tellement banal de la vie publique qu’il peut en paraître anodin voire invisible : le drapeau national. Il s’agit d’un travail de grande ampleur, avec une cohorte de plusieurs centaines de personnes, qui s’est étalé sur deux années aux Etats-Unis, avant et après l’élection présidentielle de 2008 qui a vu la victoire du démocrate Barack Obama face au républicain John McCain. Je ne vais pas décrire ici tous les détails des différentes expériences menées et j’invite ceux que cela intéresse à lire l’étude complète. Ses auteurs sont partis de l’hypothèse selon laquelle, dans un pays comme les Etats-Unis où le bipartisme est quasiment une institution et où le drapeau national est clairement associé au Parti républicain, l’exposition des citoyens à la bannière étoilée dans un contexte de tests, où ils réfléchissent activement à leurs choix politiques, les pousse inconsciemment vers la droite de l’échiquier politique.
Lors d’une première session, qui s’est tenue pendant la campagne de 2008, les “cobayes”, qui ignoraient le but de l’expérience, étaient invités à remplir un questionnaire comportant notamment quelques questions sur leur “patriotisme”, leurs choix politiques et leur demandant pour quel “ticket” ils comptaient voter lors de l’Election Day. Quelques semaines plus tard, soit juste avant l’élection, une deuxième session a commencé avec un nouveau questionnaire. La moitié des sondés reçut un formulaire électronique (voir copie ci-dessous) dans lequel figurait une question avec un drapeau américain de petite taille tandis que l’autre moitié devait remplir le même formulaire mais sans image.
Alors que les deux groupes (très majoritairement favorables aux démocrates) étaient censés avoir la même représentativité, évaluée lors de la première session, les “cobayes” ayant été exposés au drapeau montrèrent une plus grande inclinaison à voter pour John McCain que ceux n’y ayant pas été exposés. La troisième session a eu lieu juste après l’élection et l’on a notamment demandé aux deux groupes pour qui ils avaient voté. Dans le groupe sans drapeau, Barack Obama avait été choisi par 84 % des participants et McCain par les 16 % restants. Dans le groupe exposé au drapeau lors du questionnaire, le pourcentage d’adhésion au candidat démocrate, tout en restant élevé, chutait significativement à 73% tandis que John McCain, avec 27%, réalisait un score nettement moins ridicule. Au début du mois de juillet 2009, lors d’une quatrième session, les “cobayes” étaient de nouveau testés sur leur évaluation de la politique du président Obama et les chercheurs constataient que la dichotomie initiale entre les deux groupes subsistait plus de huit mois après l’exposition à la bannière étoilée, comme si elle s’était cristallisée depuis.
Pour les auteurs de l’étude, on pourrait croire que le drapeau national, montré à un Américain non pas dans la vie de tous les jours mais dans le cadre d’une réflexion sur ses choix politiques personnels, l’incite inconsciemment à s’identifier au cliché du bon citoyen patriote, représenté dans l’imaginaire collectif par le républicain moyen. Une autre hypothèse consiste à penser que le drapeau a un rôle fédérateur et pousse les extrêmes vers le centre. Comme l’échantillon était très marqué démocrate, cela s’est traduit par un glissement vers le Parti républicain. Une précédente expérience, dans laquelle le drapeau avait été montré de manière subliminale, avait mis en évidence cet effet de recentrage en Israël notamment autour de la question de la colonisation de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie. Si cette hypothèse est correcte, le drapeau national jouerait bien son rôle de symbole unificateur.
Et la France dans tout cela ? Je n’ai pas trouvé d’étude analogue concernant l’effet du drapeau tricolore. Je note toutefois que l’article R27 du code électoral dit que “les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral qui comprennent une combinaison des trois couleurs : bleu, blanc et rouge à l’exception de la reproduction de l’emblème d’un parti ou groupement politique sont interdites”. Comme si l’appropriation par un candidat des trois couleurs nationales pouvait lui conférer un avantage électoral. Cette interdiction n’avait pas empêché Jacques Séguéla de concevoir, pour la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1981, une affiche sur laquelle le drapeau français, reproduit dans les couleurs du ciel, servait subtilement (d’aucuns diront subliminalement) de toile de fond (voir ci-dessous). A l’époque l’article R27, quoique rédigé dans une version différente, était pourtant déjà en vigueur…
J’attends avec intérêt vos analyses sur la manière dont cette exploitation du drapeau tricolore a joué un rôle “recentrant” et permis au candidat socialiste de siphonner les voix du Parti communiste tout en rassurant une partie de la droite… A moins que vous n’estimiez, comme Reiser, que les Français ne se font pas manipuler par ce genre de détails, étant donné qu’ils ont d’excellentes raisons de voter pour tel ou tel candidat…
Une chose est sûre, c’est qu’une majorité de français est pas futée car voter à droite quand on est pauvre…
ou alors Sarko est vraiment beau (ou c..)
Pauvre France…
“les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral qui comprennent une combinaison des trois couleurs : bleu, blanc et rouge à l’exception de la reproduction de l’emblème d’un parti ou groupement politique sont interdites”
Si je pouvais avoir une explication: La flamme du front national a bien ces 3 couleurs, non?
@grouf : il est bien spécifié “à l’exception de la reproduction de l’emblème d’un parti ou groupement politique”.
[…] https://blog.slate.fr/globule-et-telescope/2011/06/16/le-drapeau-national-fait-il-voter-a-droite/ […]
Bon, en effet, sachant qu’en plus je le cite dans mon commentaire, faudrait que j’apprenne à lire jusqu’au bout.
Ségolène Royal a elle aussi contourné le R27 en 2007. Ses deux modèles d’affiches étaient bleu et blanc ou rouge et blanc. Mises côte à côte sur les panneaux, elles permettaient de recréer le motif tricolore, sans enfreindre la loi…
@ will, Je reste convaincu, aussi bien à long terme qu’à court terme, que la droite profite plus au peuple que la gauche.
Vous écrivez: “La vulgate des sciences politiques et de la psychologie dit qu’en démocratie le choix d’un candidat plutôt qu’un autre est le fruit d’un raisonnement”.
Je n’ai pas poussé mes études de science politique très très loin (jusqu’en maîtrise, pour tout dire), mais je pense que vous vous avancez un peu. Difficile d’abord de discerner une “vulgate” en science politique, une discipline très éclatée, qui ne sait pas bien si elle englobe des sous-disciplines ou voit seulement cohabiter des disciplines qui sont distinctes d’elles (sociologie politique, politique comparée, philosophie politique, géopolitique…), sans courants clairs, qui a traversé certaines modes, et qui remet sans cesse en question son corpus de théories, d’outils et de contributeurs.
Par conséquent, si je devais dire quelle est “la vulgate” de la science politique sur le choix par un électeur plutôt qu’un autre, je dirais que pour politiste qui se respecte, il y a une part de raisonnement, et il y a une grosse part aussi d’affectivité, d’instinct, de détermination (sociologique, historique), d’influençabilité… Autrement, les candidats qui raisonnent le mieux l’emporteraient tout le temps. Et on sait bien qu’ils ne l’emportent jamais, en fait.
Comme le montre la recherche que vous citez, plus on s’intéresse finement à l’élaboration du choix dans l’isoloir, et plus on a de surprise sur la prétendue rationalité de l’électeur. Toutes les sciences humaines l’ont bien compris: impossible de chercher à mettre nos comportements en équation, il manquera toujours des milliards de variables.
[…] Le drapeau national fait-il voter à droite ? […]
@Hugo : la formule était sans doute maladroite. Mais c’est quand même le présupposé de plusieurs études de psychologie politique. Le raisonnement dont je parle est celui de l’électeur, pas celui du candidat. Vous pouvez très bien avoir un candidat brillant, avec des idées d’une logique imparable mais qui laissera les électeurs de marbre et, d’un autre côté, un candidat populiste, dont les solutions et les projets ne tiennent pas debout, mais qui plaira parce qu’il semblera proche des préoccupations. C’est pour cette raison que, comme vous le dites, les candidats qui raisonnent le mieux ne sont pas toujours élus. Mais tous ces éléments feront partie du cheminement intellectuel ou émotionnel de l’électeur, que je n’aurais peut-être pas dû qualifier de “raisonnement”. Les études que j’ai citées s’intéressent aux éléments matériels extérieurs au scrutin mais qui peuvent avoir une influence inconsciente sur le choix des citoyens.
Non, je vote PS ou Verts (mais plutôt PS en général).
Pourquoi cela serait-il différent aux Etats-Unis. Je crois que l’on peut plutôt dire : “il existe un certain nombre d’électeurs indécis -ou indépendants aux Etats-Unis qui peuvent voter pour les démocrates ou les républicains”.
Je suis obligé de vous croire si vous avez constaté que la rationalité est un point de départ fréquent en psychologie politique. J’étais plutôt focalisé sur la sociologie politique. Or les sociologues sont enclins à ne pas partir du principe qu’ils étudient des sujets rationnels. Plutôt des sujets tiraillés entre des tendances rationnelles (parfois honnêtes, parfois fallacieuses) et irrationnelles (plus ou moins conscientes et objectivées). Il me semblerait, intuitivement, que ce devrait aussi être le postulat de départ de tout psychologue…
@Hugo : encore une fois, je pense que les mots de “raisonnement” et de “rationalité” sont trop durs, même si je les ai vus employés dans des études. C’est pour cela que j’ai parlé dans mon précédent commentaire de cheminement intellectuel et émotionnel.
Je viens de terminer mon cursus de sciences politiques (à la fac). Votre petite conversation avec Hugo semble me confirmer que les sciences politiques ne sont qu’une façon d’amener dans la reflexion des outils conceptuels.
Les différentes écoles de pensées, les différents paradigmes, ceux de l’electeur rationnel (mais sommes nous rationnels quand nous votons pour une personne que l’on ne connait que via les médias?) ou d’une forme de déterminisme politique lié aux “variables lourdes” (et il y en a encore d’autres!), ne sont que des manières d’envisager les résultats d’une élection avec des yeux de scientifiques.
Mais pour moi, il est clair désormais que les sciences humaines de société ne peuvent pas répondre à la question du choix personnel, choix qui résulte comme vous l’avez dit d’une réflexion, mais où il existe aussi une part d’irrationalité, une dimension affective.
Je milite pour le “décompartimentage” de certaines sciences : les sciences politiques et les sciences cognitives par exemple dans ce cas. A mon avis, la réponse sur l’influence d’un drapeau sur notre vote est quelque part entre les théories des uns et des autres.
Les sciences politiques n’apportent pas beaucoup de réponses sur ces questions de la décision et du choix. Il est à mon avis très intéressant de s’intéresser en plus au contexte de l’expérience, éventuellement à l’importance du symbolisme dans le choix d’un candidat, et à d’autres paramètres dont je n’ai pas encore idée (je vous en dirais plus dans quelques années!).
Bonne journée à vous!
Il semblerait que le subliminal était un des passe-temps favori de M Mitterrand avec l’incrustation de son visage dans le logo d’A2 lors des élections présidentielles en 1988 et cette affiche judicieusement colorée.
Les images subliminales sur votre télévision sont un sujet d’actualité:
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