Scandales sexuels chez les manchots

Je suis un peu jaloux de mes confrères journalistes qui, sous prétexte que l’actualité est aux frasques des uns ou des autres, trempent leurs plumes dans une encre glauque, celle avec laquelle on écrit des canards au sexe, comme jadis on faisait des canards au sang en mettant les faits divers les plus horribles à la “une” : ça fait vendre. Voulant, tout comme eux, ma part d’audience, je vais me complaire dans le stupre et dénoncer les scandales sexuels qui entachent le continent blanc.

Il s’en passe de belles chez les manchots Adélie. Sous leurs dehors de petits couples fidèles, bien mis en livrée noire et blanche, deux enfants par foyer comme papa et maman, se cachent des mœurs pas très avouables, dévoilées dans une étude publiée en 1998 par The Auk, revue scientifique d’ornithologie. Monogames, ces oiseaux qui ne volent pas profitent du court été de l’Antarctique pour se reproduire. A cette fin, le mâle et la femelle commencent par construire un nid au sol, avec des petits cailloux. Cette plateforme permettra de tenir les deux futurs œufs au sec quand la glace fondra. Mais, que ce soit en Terre Adélie où j’ai pris la photo ci-dessus ou dans les autres colonies situées sur le pourtour du continent, ces cailloux sont rares et valent de l’or.

Que ne ferait-on pas pour en avoir plus ! Ceux qui osent en chiper dans le nid du voisin sont poursuivis, insultés copieusement et se prennent des roustes à grands coups de bec et d’ailerons. Certaines femelles ont donc mis au point une stratégie que d’aucuns qualifient de prostitution. Les belles commencent par repérer un mâle solitaire. En attendant de trouver sa dulcinée et aussi dans le but de l’attirer, celui-ci a bâti son nid d’amour. Arrive une femelle. Elle est déjà en couple mais comme les manchots ne portent pas d’alliance et n’ont ni livret de famille ni attestation de pacs, il est difficile de le savoir. Petite séance de drague, bonjour bonjour, vous êtes charmant, vous jouez en équipe de France de foot ? Et, ni une ni deux, la femelle s’allonge sur le ventre, sous le bec du mâle qui se dit que son jour de chance est venu. S’ensuit ce que vous imaginez, scène qui a été censurée dans Happy Feet.

Et là, la femelle se relève, prend un caillou pour sa peine et retourne compléter son nid où l’attend son cocu, son régulier ou son proxénète, cela dépend des points de vue. Il arrive d’ailleurs souvent que la belle revienne sur les lieux de son aventure extra-conjugale pour chercher une seconde pierre (mais sans repasser à la casserole), comme si le tarif était “un coup=deux cailloux, mon chou”… Les auteurs de l’étude ont même observé une femelle prélever son écot pas moins de dix fois : donne-moi ton portefeuille, je me sers, ça ira plus vite. A chaque fois, le mâle laisse faire sans râler, sans doute content de la chance qui lui a été donnée de perpétuer ses gènes sans avoir à élever les gosses ! Les auteurs de l’étude se demandent si tout le monde n’est pas gagnant dans l’histoire : le couple parce qu’il a récupéré des cailloux pour son nid, et donc augmenté les chances de survie de sa future couvée, le mâle solitaire parce que, même délesté de quelques galets, il va peut-être avoir une descendance à bas prix.

Mais il y a mieux. Certaines oiselles de petite vertu viennent se promener autour du “pigeon”, engagent la séance de flirt, bonjour, bonjour, on ne vous a jamais dit que vous devriez être président du conseil en Italie ? Cependant, au lieu de s’allonger, elles se contentent de prendre un caillou sous les yeux du gogo qui reste sans réaction, comme s’il était normal de payer pour avoir eu l’espoir de trouver chaussure à son pied. Les chercheurs ont observé ce comportement avec dix femelles différentes mais une d’entre elles a particulièrement attiré leur attention car elle a, en une heure de temps, piqué 62 pierres dans le nid de son naïf, sans que celui-ci lève le petit aileron, pour aller les mettre dans le sien qui devait forcément se trouver à proximité…

Cela dit, cette stratégie comporte quelques risques. On ne vient pas toujours impunément émoustiller le mâle, surtout quand il sort juste de l’océan glacial Antarctique. En de rares occasions, les ornithologues ont vu ce dernier sauter sur la femelle lorsque celle-ci s’est baissée pour prendre le caillou. A-t-il confondu la posture de dame manchot avec le salut qui précède la copulation ? A-t-il pris cette intrusion dans son territoire pour une invitation à l’acte sexuel ? Le fait est qu’à chaque fois, la femelle s’est débattue et n’a pas laissé le bougre venir à bout de son entreprise.

Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : rien à voir avec ce qui précède, mais j’informe ceux que cela intéresse que je parlerai du mystérieux manuscrit Voynich, jeudi 19 mai, dans l’émission de Jacques Pradel sur RTL intitulée L’heure du crime. C’est entre 14 et 15 heures.

17 commentaires pour “Scandales sexuels chez les manchots”

  1. .

    Ça serait amusant, tiens, une étude complète des relations sexuelles chez les animaux du seul point de vue de la morale, humaine, donc.

    Y en a dont les agissements seraient sans doute réprouvés.

    Surtout chez les gros mâles à poil.

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  2. Dans le déluge répétitif d’informations sur DSK et Berlusconi, enfin une manière originale dde voir les choses. Amusant et plus fin qu’il n’y paraît. On attend la suite.

  3. Et le Sofitel ?

  4. “Je suis un peu jaloux…Voulant, tout comme eux, ma part d’audience…”
    Vous n’avez en aucun cas à être jaloux des navets frénétiques lancés par vos confrères qui sont au final exaspérant et ressemblent plus à des rumeurs de bas étage qu’à de l’information.
    J’attends tous les jours avec impatience un nouvel article qui sera, je le sais d’avance, rafraichissant et intéressant!
    Bonne continuation!

  5. @Lionel : merci pour votre fidélité ! Evidemment, je suis consterné par un certain nombre d’articles que je lis ces derniers jours et par les commentaires, souvent orduriers, qui les accompagnent.

  6. .

    L’irrationalité de l’humain, sa fascination pour le sensationnel, l’ignoble et l’ordurier, tout ça mériterait une bonne étude scientifique d’où émergerait peut-être une connaissance profonde des mécanismes utilisés par les marchands du temple.

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  7. J’adore ce genre d’histoires.

    L’homme est le résultat voulu d’un croisement entre le spirituel et le monde matériel (le monde animal)

    C’est ce qui rend sa position si difficile.

    Et c’est pourquoi il a été présenté par son Créateur comme son oeuvre la plus parfaite, car il a la faculté de s’améliorer dans le sens de son choix.

    Si on assimilait notre condition humainei à un travail de création dans le domaine de l’Intelligence Artificielle, cela représente une véritable prouesse technologique.

  8. 62 pierres! Elle ne rigole pas la mama!
    Ce manchot tient la place du pretendant-protecteur qui se fait depouiller. Il me fait penser a Muffat qui se fait ruiner et torturer par Nana dans le fameux roman eponyme….

  9. Des articles écrits à “l’encre glauque, celle avec laquelle on écrit des canards au sexe”
    Si seulement c’était du sperme, ça ferait une bonne encre invisible, et on en entendrait moins parler ! …

    Je serais intéressé de savoir s’il y a réellement possibilité pour le mâle célibataire de féconder la femelle adultère, ou si elle peut réguler sa fécondité, comme chez d’autres espèces.
    Ce qui me fait d’ailleurs penser à cette espèce d’oiseaux (je ne sais plus laquelle), où la femelle multiplie les partenaires sexuels : à chaque ponte, elle laisse le mâle s’occuper des œufs et part chercher un autre partenaire.
    Bel exemple.

  10. la devise du pingouin : “peu m’en chaut!”

  11. Désormais, je vais pouvoir varier mon vocabulaire.
    Au lieu de traiter un tiers de “pigeon”, je pourrai le traiter de “manchot adélie”.
    Bravo pour votre article…une respiration dans le contexte actuel

  12. .

    Le vocabulaire nous joue des tours :

    Dans une ruche, l’être soumis au pire esclavage, nous, humains, nous lui donnons le nom de « Reine ».

    (On peut se demander quel serait notre point de vue sur une collectivité dans laquelle une femme d’au moins 450 kg s’étant fait violer par des centaines de bonhommes serait enfermée puis forcée d’accoucher toute sa vie sans arrêt pendant que des milliers de femmes castrées iraient s’amuser dans les champs après avoir perpétré un crime de masse où tous les hommes auraient été mis à mort sans procès.)

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  13. Excellent !! 🙂 c’est toujours un plaisir de lire tes billets 🙂

  14. .

    Ça n’a peut-être rien à voir avec le sujet, mais après avoir écouté « l’Heure du crime » d’aujourd’hui sur RTL, on peut être tenté de demander à Pierre Barthélémy si « Le code Voynich » va être réédité un jour.

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  15. @Enpassant : si cela ne tenait qu’à moi, un nouveau tirage aurait déjà été fait depuis longtemps. Mais c’est à l’éditeur de décider…

  16. Bonjour. A quand un billet plein d’humour et de preuves concrètes pour démystifier la plus grosse supercherie de notre ère qui sévit depuis plus de 2000 ans … Vous l’avez compris, c’est de la Bible qu’il s’agit ; En commençant par exemple avec le déluge et Noé sauvant un couple de chacune des quelques millions d’espèces animales avec son beau bateau. J’ai hâte …
    Keep the road Pierre, rigueur et humour, toujours !

  17. Trop cute! Je préfère la version “animale”, plus authentique peut-être….Toujours soupçonné DSK d’être un peu manchot!

    Bises

    Christine

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