Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait compter dans les rédactions en 2016. Au programme: l’impact des contenus journalistiques, la vitesse de chargement, le poids des pages, la multi-publication sur les diverses plates-formes américaines, la vague américaine des pure-players, la vidéo et… les doutes.
C’est le nouveau mot-clé dans l’écosystème numérique. “Nous ne construisons pas Buzzfeed pour obtenir le plus de clics, de partages, ou de temps passé possible. Nous construisons Buzzfeed pour avoir un impact positif sur la façon dont les gens vivent”, écrit son président Jonah Peretti à la fin de l’année 2015.
Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. C’est aussi vrai pour les contenus publicitaires, pour lesquels “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.
L’impact, c’est donc un mélange sophistiqué entre l’influence, la notion d’engagement des lecteurs, et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société. Pour l’instant, personne n’a encore trouvé comment le mesurer.
Vous pensiez le temps de la décélération arriver? Que nenni ! Qu’il s’agisse des AMP (accelerated mobile pages) de Google ou des “instant articles” de Facebook, le mot “vitesse” est partout.
“En tirant parti de notre technologie qui permet d’afficher très vite photos et vidéos dans l’application Facebook, les articles se chargent instantanément, 10 fois plus vite que sur le Web mobile”, vante Facebook à propos de ses “instant articles”, ces contenus produits par quelque 350 médias dans le monde, dont Le Parisien et Les Echos en France, identifiés par un petit éclair en haut à droite du titre, et intégrés directement sur le réseau social lorsqu’il est consulté depuis une application mobile.
Google est sur la même ligne: “à chaque fois qu’une page prend trop de temps à charger, on perd un lecteur”.
On estime à 5 secondes le temps maximum supporté pour le chargement d’une page avant que l’internaute perde patience et fuit. C’est peu. Autant dire que la vitesse à laquelle on accède à une information est plus que clé. C’est la condition sine qua non pour que les lecteurs s’informent en 2016.
Pour obtenir des pages en ligne qu’elles s’affichent vite, il faut qu’elles soient légères. Or le Web en général souffre d’une grave crise d’obésité.
Il y a trop d’éléments qui clignotent dans tous les sens, des lignes de code qui sont très gourmandes en bande passante, des photos qui pèsent des tonnes, sans oublier les publicités bien grassouillettes, dénonce Maciej Cegłowski, un ingénieur basé à San Francisco. “Vous avez bossé dur pour créer un beau site, optimisé pour être performant (…). Une fois cela fait, vos annonceurs vous mettent des merdes par dessus (…) dont l’objectif est de casser votre belle esthétique et d’accaparer l’attention du lecteur au détriment de ce pour quoi il était venu sur votre site”. Bientôt venu le temps du minimalisme numérique?
Fini le temps où l’on publiait ses contenus uniquement sur son site ou son application mobile. Désormais il faut “irradier” et s’incruster chez les autres.
Buzzfeed diffuse sur… 30 plates-formes extérieures à la sienne, martèle encore Jonah Peretti dans son mémo intitulé “a cross platform, global network”.
CNN produit des contenus exclusifs adaptés à des applications extérieures à la sienne, comme The List App, ou Snapchat, dont la partie informations, Snapchat Discover, a été lancée il y a un an. Promesse d’une “portée immense” auprès des jeunes, l’application mobile aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens suscite l’intérêt de multiples médias. En France, Le Monde a, a priori, remporté le pompon et est en ordre de bataille pour y publier des contenus toutes les 24h.
Sauf qu’à chaque plate-forme ses contenus, ses rythmes de publication, son écriture. Pas simple d’avoir des équipes compétentes pour chacune de ces plates-formes. Le Parisien, qui teste depuis quelques semaines les “instant articles” de Facebook, en revient. Pour l’instant, Guillaume Bournizien, directeur du marketing digital, s’est dit “déçu” lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 7 décembre 2015.
Dans la même optique, Libération a mis en place, lors des élections régionales de décembre 2015, un live d’un nouveau genre sur WhatsApp, l’une des applications de messagerie instantanée les plus populaires au monde avec 900 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Il s’agit d’informer sur téléphone des lecteurs “sans passer par notre application mobile ou par les réseaux sociaux traditionnels”, explique l’équipe après coup.
The Guardian s’est aussi essayé à WhatsApp en couvrant sur l’application le débat télévisuel des candidats républicains, avec l’inénarrable Donad Trump, aux Etats-Unis en décembre dernier.
Objectif: toucher des audiences qui ne sont pas dans les radars habituels des médias en allant les chercher là où elles se trouvent déjà.
Après le lancement en France de Le Huffington Post en 2012, puis Buzzfeed en 2013, d’autres médias nés aux Etats-Unis viennent s’implanter dans l’hexagone, avec des lancements prévus en 2016.
Une vraie vague américaine, dans un pays dont le nombre de pures players par habitant est plus élévé qu’ailleurs, et alors que l’un des premiers pure player français, Rue89, est englouti par sa maison mère, L’Obs. C’est le cas du Huffington Post, de Buzzfeed, de Mashable, de Business Insider et d’autres encore.
Tous, conscients du désavantage d’avoir des noms imprononçables par la majorité des Français, ont fait le choix de s’associer avec des médias déjà implantés dans l’hexagone : Le Huffington Post, avec Le Monde, Mashable, rattaché au pavillon de la chaîne internationale France 24, et Business Insider sous la houlette du groupe Prisma.
Marie-Catherine Beuth, ex-Le Figaro, va coordonner le lancement de ce pure player sur le marché français. “Business Insider, c’est un gros site aux Etats-Unis qui couvre l’actualité économique, les nouvelles technologies et la politique”, explique-t-elle au micro de l’émission L’Atelier des médias sur RFI. “ Titres malins, photos accrocheuses… L’idée, c’est d’informer de façon pertinente et efficace les nouveaux consommateurs d’informations”, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels, et que les annonceurs veulent à tout prix toucher.
Ce n’est pas vraiment nouveau mais, en 2016, les médias traditionnels comptent mettre le turbo sur la vidéo. Au Monde, à BFM TV, à l’AFP, tout le monde veut produire des vidéos, toujours plus de vidéos en ligne. Même pour ceux dont l’image n’est pas le premier métier.
“La radio filmée n’est pas l’avenir de la radio, mais la vidéo, oui”, glisse Fabien Namias, le directeur général d’Europe 1. A Buzzfeed, 1 milliard de vidéos vues par mois, ils produisent mêmes des séries, disponibles sur l’Itunes Store. Le format vidéo est plein de promesses: facilement monétisable – quoique parfois bloqué, il peut aussi être très partagé sur les réseaux sociaux.
Reste une équation pas si facile à résoudre sur la vidéo: quels formats définir? Qu’est-ce qui marche en ligne et sur mobile? Entre les partisans des vidéos sans le son, qui peuvent se regarder sans écouteur, ceux qui pronent le format vertical, et ceux qui veulent des vidéos animées pour Snapchat, une foule de possibilités s’offre aux médias, à la fois pour raconter l’actualité chaude, et pour proposer des rendez-vous décalés.
Est-ce un symptôme ou une conséquence des attentats qui ont touché la France en 2015? Alors que les journalistes ont travaillé parfois comme des automates pendant des semaines, ils ont fait face à une multiplication des théories du complot en ligne, des photos montées, ou, pire, de faux témoignages sincères. Des témoins, réellement paniqués, racontent n’importe quoi, dans les rues et sur les réseaux sociaux, croyant vraiment avoir entendu ci, vu ça. Il n’en est rien. Mais en ligne, climat de psychose oblige, la rumeur est comme la panique: irrationnelle.
Les journalistes français s’en souviendront: il leur faut aussi vérifier la véracité des paroles de tous ceux qui, ébranlés comme jamais, ont été traumatisés par ces drames.
Excellente année 2016 à tous !
Alice Antheaume
lire le billetAu beau milieu d’un campus en banlieue d’Helsinki s’est tenu pendant trois jours le Newsgeist, une réunion informelle avec 150 journalistes européens invités par Google.
Au programme: des sessions à bâtons rompus, des présentations dont les “slides” défilent toutes les 15 secondes, bousculant l’orateur qui, sur l’estrade, tente de suivre le rythme, du saumon à gogo et des jeux de rôle type le loup-garou jusqu’à la nuit tombée – elle tombe très tard en Finlande à cette période de l’année… Zoom sur les 4 questions les plus débattues au cours de ce séjour chez les Lapons.
NB: les citations ne sont pas attribuées, conformément à la “Chatham House Rule” qui prévaut dans cette conférence.
La question est sur toutes les lèvres, quelques jours après l’apparition des premiers “instant articles” du New York Times, du Guardian, de Bild, de Buzzfeed et de National Geographic sur Facebook.
Au Newsgeist, la moitié des journalistes présents applaudit l’initiative, considérant qu’il n’y a pas d’autre levier de croissance possible sur mobile que les réseaux sociaux, où l’audience se trouve déjà – Facebook compte 798 millions d’utilisateurs sur mobile.
Dans le camp adverse, on estime que publier des contenus directement sur Facebook, accusé de se prendre pour “le kiosque de l’humanité”, n’a aucun intérêt puisque cela ne donne même pas de prépondérance à ces articles dans le “newsfeed”.
L’un des participants ironise: “parler des articles publiés sur Facebook en étant journaliste me donne l’impression d’être sur le Titanic et de discuter de la décoration intérieure des bateaux”.
Du point de vue utilisateur, l’expérience, immersive, vaut le coup d’oeil – ces articles sont visibles uniquement depuis l’application Facebook sur iPhone. L’ensemble des contenus s’affichent à une rapidité remarquable. Un argument qui suscite à la fois l’admiration et les sarcasmes au Newsgeist: ”à quoi bon investir des forces dans le développement de notre CMS si Facebook devient notre plate-forme de publication, pour ne pas dire l’Internet en général?”, peste un professionnel.
Côté publicité, les médias récupèrent 100% des revenus publicitaires générés par les campagnes qu’ils ont insérées dans leurs “instant articles”, tandis que Facebook prend 30% des publicités commercialisées par ses soins – les 70% restant reviennent aux médias. Un “accord incroyablement généreux”, selon Will Oremus de Slate.com, et beaucoup plus avantageux pour les éditeurs que le modèle Discover de Snapchat.
Reste les données récoltées sur les lecteurs, le nerf de la guerre. Même si Facebook a prévu que les médias puissent embarquer des outils de suivi statistique sur leurs “instant articles”, le comportement des utilisateurs, avant et après avoir lu un tel contenu, et notamment sur les publicités auxquelles ils sont exposées, sont des indicateurs précieux qui demeurent a priori dans le giron de Facebook.
Selon les estimations, entre 25% et 30% des consommateurs d’information recourent à des bloqueurs de publicité (“Adblock”), ces petits logiciels disponibles gratuitement sur n’importe quel navigateur (Chrome, Firefox, etc.) qui empêchent les publicités (display, native adversiting) de s’afficher sur les sites d’informations. Parce que cette audience ne voit plus s’afficher de bannières et autres encarts publicitaires, elle n’est plus “monétisable” auprès des annonceurs. De quoi causer de sérieux maux de tête aux responsables des rédactions.
Au Newsgeist, ceux-ci fustigent ces Adblock, qui tuent le modèle économique des médias financés par la publicité.
“Amazon et Google ont fait un gros chèque pour que leurs publicités s’affichent toujours”, s’avance l’un, faisant allusion à l’accord passé entre quelques géants du Web et le logiciel Adblock Plus. Le montant du chèque? Secret défense. “C’est du racket!”, soupire un autre.
Et de poursuivre, faisant sien l’un des arguments de ces empêcheurs de publicités: “il faut dire que les bannières sont tellement pénibles et intrusives, à te sauter aux yeux dans tous les sens, au-dessus de ton article, dedans, en dessous de ta fenêtre… Même les commerciaux qui travaillent dans notre régie publicitaire ont des Adblocks, c’est dire!”.
Si les bloqueurs parviennent très bien à empêcher l’affichage du display et même de la publicité native, ils sont moins efficaces sur les pré-rolls des vidéos.
Résultat, les annonceurs s’arc-boutent et misent tout sur le scénario suivant: puisque le pré-roll est pour l’instant mieux préservé, il va compenser le manque-à-gagner des autres formats publicitaires dont l’affichage est empêché. Sur les vidéos éditées par les médias, éviter les premières secondes de publicité, via le bouton “vous pourrez voir votre vidéo dans 5 secondes”, relève du miracle. De même, quand l’utilisateur change d’onglet, le pré-roll de sa vidéo s’arrête, le forçant à rester sur l’onglet initial s’il veut voir la suite.
Le pire, c’est que personne, au Newsgeist, ne sait comment sortir de cette situation. Pour l’instant, les annonceurs multiplient les campagnes sur le mobile, où il n’y a pas encore d’Adblock très opérant – mais cela ne va pas durer. Quant aux éditeurs, ils voient avec circonspection émerger des start-up comme “Secret media” qui leur promettent de contourner le blocage en re-encodant leurs publicités dans un format indétectable. Sauf que ces start-up se rémunèrent bien sûr au passage. “Encore du racket”, siffle l’un des journalistes dans la salle.
“Nous passons trop de temps à toiletter les contenus vus sur les sites d’information pour qu’ils aillent sur nos applications”, déplore un participant. Une erreur qui n’est que la reproduction d’un mécanisme d’antan. Déjà, il y a vingt ans, les journalistes nettoyaient les articles issus du “print” pour qu’ils aillent sur le Web.
“Si vous voulez produire des informations adaptées au mobile, c’est simple: vous arrêtez de faire des contenus pour le site, d’autres pour Facebook, d’autres pour Twitter”, conseille un éditeur au Newsgeist. “Et vous ne produisez que pour le mobile, exclusivement”. OK, sauf que, dans la salle, il y a certes des rédactions qui sont “mobile first”, mais une seule seulement a fait le pari du “mobile only”. Et avec un succès relatif. “Les applications Circa ou Yahoo! News Digest sont belles, mais elles ne drainent pas des masses d’audience”, précise un informateur.
Un autre raconte les tests qu’il a effectués auprès des lecteurs sur les formats éditoriaux spécifiques au mobile: “Les gens se contrefichent d’avoir un article séquencé en divers éléments indépendants”, les fameux atomes de Circa, “ils cherchent juste à obtenir des informations… Et le texte, même très long, leur va très bien”.
A condition, comme dit plus haut à propos des “instant articles” de Facebook, que les contenus s’affichent vite sur l’écran du smartphone. C’est la condition sine qua non d’un bon contenu sur mobile: son accessibilité, fissa s’il vous plaît.
J’ai écrit à ce sujet un WIP la semaine dernière, à partir du nouvel outil de Buzzfeed, Pound, pour suivre l’itinéraire d’un contenu sur le Web.
Au Newsgeist, The Guardian n’est pas en reste et a développé son propre baromètre, baptisé Ophan. Un outil qui permet de visualiser, pour chaque contenu publié sur le site du Guardian, une série d’indicateurs s’affichés sous la forme de graphiques: où le contenu est-il lu? Comment est-il lu (depuis un navigateur? Sur Facebook?)? Comment les lecteurs ont-ils trouvé ce contenu (via moteur de recherche? Via les réseaux sociaux? Par l’entremise d’un blog?)? Combien de temps sont-ils restés sur ce contenu? Où sont-ils allés après?
Surtout, Ophan permet de mesurer l’attention des lecteurs. Pour les équipes, c’est l’indice le plus opérant aujourd’hui. Bien plus que les pages vues et les visiteurs uniques, même si ceux-ci restent pour l’instant le mètre étalon.
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Alice Antheaume
lire le billetL’année dernière, à South by South West, on ne jurait que par l’«ambient social networking», c’est-à-dire, en mauvais français, du réseautage «ambiant», lequel permettait d’être averti dès que ses amis (ou amis d’amis) étaient dans les parages. Cette année, au Woodstock des nouvelles technologies à Austin, au Texas, quelles sont les tendances 2013?
Avec l’iWatch d’Apple, une montre intelligente dont Bloomberg assure qu’elle pourrait être commercialisée dès cette année, et les lunettes «Glass» qui vous indiquent où vous êtes, envoient un message à qui vous voulez quand vous parlez, et prennent des photos quand vous le leur demandez, la mode est aux accessoires «connectés» à porter sur soi. A South by South West 2013, Google a ainsi présenté des chaussures parlantes, des baskets qui disent qu’elles s’ennuient lorsque vous êtes assis trop longtemps et vous félicitent après une bonne séance de sport. Elles sont même capables de publier des commentaires sur votre activité directement sur votre flux Google Plus.
On vient de le voir: on peut commander à un ordinateur avec sa seule main, on peut demander à des lunettes qu’elles enregistrent aussitôt la scène que l’on est en train de voir. Geste de la main, des doigts, voix, mots du quotidien: les façons dont l’homme interagit avec la machine sont désormais basées sur des gestes du quotidien, que l’on effectue des milliers de fois par jour, et non sur des manipulations qui devraient être apprises via un mode d’emploi. On remet ainsi du réel, pour ne pas dire du quotidien, dans l’environnement numérique pour donner davantage de repères aux utilisateurs. C’est ce que fait aussi Apple lorsqu’il conçoit son kiosque, où les versions numériques des revues et magazines sont rangées sur une représentation d’une étagère en bois. L’art d’insérer “un élément de design ou une structure qui ne sert aucun but dans l’objet formé mais qui était essentiel dans l’objet fait à partir du matériau original” porte même un nom en anglais: le skeuomorphisme.
Sous une tente, près de la rivière d’Austin, c’est l’effervescence. On peut y voir la technologie proposée LeapMotion, qui a fait sensation à South by South West. Sur l’écran des ordinateurs disposés ça et là, un tableau de bord d’un véhicule et une route pour faire la course comme dans un jeu vidéo. Devant l’écran, vous. Rien ne vous relie à l’écran: ni fil ni clavier ni manette ni souris. Pourtant, vous pouvez conduire la voiture, juste en tenant un volant imaginaire entre vos mains. “Ma main devient mon login et mon mot de passe”, détaille David Holz, le co-fondateur de LeapMotion, “je ne veux pas qu’on m’implante sous la peau du bras un clavier”. Autant dire que souris et clavier seront bientôt des animaux préhistoriques.
Cela va même plus loin, car “la meilleure interface, c’est pas d’interface du tout“, annonce Golden Krishna, designer chez Samsung. “On essaie de résoudre nos problèmes de la vie quotidienne avec des écrans, et résultat, nous sommes entourés d’écrans”, diagnostique-t-il, moquant notre amour des interfaces via des images de pierre tombale dotée d’une épitaphe écrite sur écran et de toilettes pour enfants pourvus d’une tablette. L’avenir serait donc à la disparition totale non seulement des souris et claviers mais aussi des écrans. “Pour ouvrir le coffre de la voiture quand vous avez les mains pleines, vous n’allez pas poser vos sacs pour ensuite pianoter un code sur un écran pour l’ouvrir”, reprend Golden Krishna, faisant l’éloge d’un système où l’on passerait son pied sous le pare-choc, signal pour dire “coffre, ouvre-toi”.
Bre Pettis, fondateur d’une start-up appelée Makerbot, quadra aux cheveux poivre et sel et lunettes foncées, est apparu comme le prophète de cette tendance, lors d’une keynote remplie à ras bord le vendredi 8 mars à Austin.”Photoshop a changé la façon de faire des images, Makerbot va changer la façon d’imprimer. La révolution sera l’impression en 3D”, s’exclame-t-il, enchanté à l’idée que, bientôt, n’importe qui pourrait dessiner une tasse ou une chaise à domicile et l’imprimer aussitôt. Et de rêver aux activités des enfants qui, dans le futur proche, joueront aux Lego autrement: “imaginez qu’ils aient une imprimante 3D au lieu d’avoir un Lego. Non seulement ils pourront fabriquer des logos mais aussi créer des objets de leur futur”. Car désormais, ce sont bien des choses qui peuvent être imprimées, alors que, jusqu’alors, seuls des fichiers pouvaient l’être. Problème: les armes peuvent elles aussi être imprimées en 3D.
On connaissait déjà Square, cet accessoire carré qui se branche sur la prise écouteurs de son smartphone ou sa tablette, et permet d’y glisser sa carte bancaire pour… payer. Aux Etats-Unis, nombreux sont les taxis qui sont équipés de la sorte pour permettre à leurs clients de régler leurs courses. A South by South West 2013, un autre système de paiement sur mobile a fait une percée remarquée: il s’agit de LevelUp, une application qui se télécharge sur son téléphone. Après avoir pris en photo sa carte bancaire, l’application fournit un “QR code” que l’on présente à la caisse, qui est scanné via un laser, et hop, c’est fini. Il en coûte 2% sur chaque transaction opérée par ce biais aux commerçants équipés de ce système.
Parmi les autres tendances observées à South by South West, figurent le “multi-éditionning” prôné pour l’information sur tablette, la suprématie des réseaux sociaux sur les blogs d’antan – j’y reviendra dans un prochain WIP -, les statistiques pour tout, tout le temps – on mesure ses pas, ses kilomètres parcourus, ses calories ingurgitées, le nombre de “likes” recueillis par ses photos postées en ligne, son nombre de retweets, etc. – et par un narcissisme grandissant en ligne.
Etiez-vous à South by South West 2013 ou avez-vous lu des articles sur le sujet? Avez-vous repéré d’autres tendances? Merci de les partager sur Twitter ou Facebook.
Alice Antheaume
lire le billetC’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.
Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.
Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.
Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.
D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.
Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.
“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.
Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.
Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.
A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.
“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.
Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.
Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.
Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”
(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.
Alice Antheaume
lire le billetW.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Julien Pain, responsable du site et de l’émission Les Observateurs, à France 24.
Le journalisme est en mutation, on ne cesse de le répéter. Les usages de nos audiences évoluent au rythme, effréné, des progrès technologiques. Dans un monde où plusieurs milliards de photos sont postées sur Facebook chaque mois, où YouTube ouvre ses propres chaînes de télévision, les médias traditionnels ont en effet fort à faire s’ils veulent garder un rôle dans cet univers de l’information en constante expansion.
Pourtant, contrairement au cliché rebattu à longueur de conférences sur la crise du journalisme, les médias innovent à l’heure actuelle comme jamais auparavant. Chaque jour apparaissent de nouvelles versions de sites Web, de nouvelles applis pour mobiles et tablettes, pour s’adapter toujours mieux aux usages des consommateurs d’information. Les journalistes ne sont plus, contrairement aux idées reçues, enfermés dans une tour d’ivoire d’où ils ne veulent pas bouger. Ils sont ô combien conscients que le monde bouge, que leur métier est en péril et qu’ils doivent évoluer ou disparaître – eux aussi lisent la presse. Le constat est mille fois vrai et mille fois ressassé. Mais cette course à l’innovation est-elle la seule façon de donner du sens au journalisme? Confrontés au déluge de contenus amateurs, d’images, de témoignages, voire d’analyses d’internautes, l’unique salut des journalistes se trouve-t-il dans la “nouveauté”, dans l’absolue nécessité de réinventer son métier au quotidien?
Appuyer sur stop
Arrêtons un instant la course perdue d’avance dans laquelle nous sommes engagés, cessons de courir comme des canards sans tête à la poursuite du Grand Google et posons nous cette question toute simple: à quoi sert, encore, le journaliste? À inventer des applis Androïd, Iphone et Windows 8 capables de lire des dépêches en 76 langues? Ou à faire sens de cette surabondance de contenus, à vérifier ces images que tout le monde se transmet sans en connaître la source, à enquêter pour faire émerger des informations neuves?
Le journalisme professionnel est nécessaire non pas parce qu’il est capable de s’adapter aux usages de ses clients – il s’agit là d’une obligation économique, mais parce qu’il est intrinsèquement lié au bon fonctionnement de la démocratie. Car sans vérification de l’information, il n’y a pas d’information. Et sans information fiable, l’internaute reste un client, mais il ne peut pas être un citoyen et électeur responsable, c’est à dire capable d’appréhender le monde qui l’entoure.
Cela ne veut pas dire que les journalistes peuvent continuer à travailler comme ils le faisaient il y a encore 5 ans. Il est inconcevable notamment de négliger les contenus produits par les internautes. Pour ne prendre que les exemples les plus récents, comment traiter du conflit en Syrie ou de manifestations au Tibet sans les informations et les images sorties sous le manteau par des activistes? Les télévisions, en particulier, savent désormais que les images amateur leur apportent deux types de témoignages dont elle ne peuvent plus se passer. Ce sont aujourd’hui des téléphones portables qui filment souvent le très chaud, l’événement imprévisible, comme par exemple un tsunami ou un attentat. Le journaliste n’arrive dans ces cas là qu’après l’incident. Ses images sont certes plus nettes, mais elles ne montrent pas l’instant où la vague a frappé la côte. Ensuite, les amateurs nous donnent à voir ce qu’un État, ou même parfois les entreprises, voudraient cacher. Pour reprendre le cas de la Syrie, c’est parce que les journalistes y sont non grata que des activistes locaux se sont organisés pour raconter la guerre.
Etre considérés comme les Cro-Magnons de l’Internet…
Mais le cas syrien est également un exemple criant de la nécessité d’un travail journalistique sur les contenus produits par des amateurs. Non pas parce que les vidéos des activistes de Homs ou de Damas sont de piètre qualité. La télévision s’accommode tout à fait de ce genre d’images lorsqu’elles sont fortes. En revanche, les médias traditionnels ont le devoir de vérifier les informations qui leurs sont envoyées avant de les transmettre à leurs audiences. Donner une information juste n’est pas seulement un problème de crédibilité de nos médias. C’est l’ADN même de notre profession et la justification de son existence au sein de notre société.
Or les activistes syriens, comme la plupart des amateurs qui filment des événements d’actualité, ont un agenda politique. Leur objectif premier n’est pas de fournir une information vraie, mais de faire avancer une cause. Il ne s’agit pas de dénigrer le travail et le courage de ces vidéastes amateur qui risquent parfois leur vie pour tourner quelques minutes d’images. Et il est par ailleurs certain que, du côté de la propagande et du mensonge, leur ennemi, le régime syrien, n’a rien à leur envier. Les journalistes ont toutefois l’obligation de faire passer les informations fournies par les rebelles, comme celles de Bachar al-Assad, par un filtre critique.
Vérifier l’authenticité des images et des allégations circulant sur la Toile est en travail ardu, qui prend du temps et qui nécessite parfois des compétences journalistiques spécifiques. Retrouver la première personne qui a posté une vidéo, identifier le lieu et la date de la séquence, repérer les altérations ou les incohérences d’une image nécessite une expérience et parfois même des technologies particulières. Ce travail a d’ailleurs un coût pour les médias. Monter la cellule spécialisée des Observateurs a par exemple été un investissement pour France 24. Un investissement qui peut sembler à première vue moins directement rémunérateur qu’une appli Iphone. Et pourtant gageons qu’à plus long terme le fait d’investir sur la fiabilité de son antenne est un pari au moins aussi gagnant que celui de l’innovation technologique. Donner une information équilibrée et vérifiée n’empêchera pas les dirigeants de Google de nous considérer comme les Cro-Magnons d’Internet, mais rappelons-nous toujours que c’est le credo qui justifie notre profession.
Julien Pain
lire le billet
La campagne américaine de 2008 a été un moment charnière pour les réseaux sociaux. Celle de 2012 devrait être celle de la vidéo, a annoncé Emily Bell, de l’Ecole de journalisme de Columbia, à New York, le 4 septembre (1). 13 jours plus tard, l’actualité lui donne raison. Lundi 17 septembre est ainsi publiée la vidéo pirate montrant Mitt Romney, candidat républicain à la présidentielle des Etats-Unis, s’en prendre aux 47% d’Américains qui “voteront pour Obama quoiqu’il arrive” parce qu’ils “dépendent du gouvernement” et “pensent qu’ils sont des victimes”…
La vidéo, dont les rushs originaux ont été filmés en mai dernier en Floride lors d’un dîner de levée de fonds privé, a été récupérée par le site Mother Jones, qui l’a contextualisée, sous-titrée et éditée. Résultat, la vidéo figure parmi les plus vues de la semaine dernière, selon Viral Video Chart, avec plus de 3 millions de clics en 7 jours, et un taux de partage exceptionnel sur les réseaux sociaux.
“Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”
Si cette vidéo a ainsi explosé, c’est parce qu’elle est l’illustration parfaite du postulat suivant: les contenus vidéos produits par les éditeurs en ligne ne sont pas de la télévision, et doivent s’en distinguer en tout point.
“La vidéo pour le Web n’est pas celle que l’on fait pour la télévision. Il faut tout désapprendre. Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”, considère Vivian Schiller, ex du New York Times, aujourd’hui directrice des activités numériques de NBC News.
Comment expliquer que la vidéo pirate sur Mitt Romney soit le paradigme de la bonne vidéo sur le Web? En quoi se distingue-t-elle des règles télévisuelles?
Outre le document en vidéo, les autres formats vidéo pertinents sur le Web sont :
Exemple: HuffPost Live, Ustream, Livestream
Exemple: “Patriot game”, cette vidéo qui montre l’affrontement de Mitt Romney et Barack Obama sous la forme d’un jeu vidéo (New York Times)
Exemple: Compilation des vidéos d’amateurs s’exerçant au Moonwalk (Slate V)
Exemple: la crise de l’Euro expliquée en 1 minute de vidéo
“Le but du jeu est d’aider les gens”
“Sur le Web, on ne peut pas dupliquer ce qui existe déjà sur un autre média”, reprend Josh Tyrangiel, éditeur de Bloomberg Business Week, ex de Time.com. “Le but du jeu est d’aider les gens et de leur faire gagner du temps.”
Pour “leur faire gagner du temps”, donc, un bon format vidéo doit être efficace et donner l’information tout de suite, dès les premières secondes de la séquence. Mieux, et Mother Jones y a songé: la vidéo doit être compréhensible sans le son, grâce à des synthés et des sous-titres, afin que les utilisateurs puissent la visionner depuis leur bureau en open space sans casque ni haut parleur branché, un cas plus fréquent qu’on ne croit.
La vidéo constitue bien plus qu’une tendance journalistique en 2012, c’est un environnement dans lequel les consommateurs d’informations baignent. La preuve, 72h de vidéos sont téléchargées chaque minute sur YouTube. Et même le GIF animé revient dans la course, cette fois comme outil de storytelling pour le journalisme numérique.
“Parler de vidéo est devenu l’équivalent de parler de l’Internet”, glisse Amy Webb, la présidente de Webbmedia Group, évoquant les nouvelles tendances à venir à la conférence ONA12, à San Francisco.
La vidéo est le nouveau tweet
Facebook avec Facebook Stories, Tumblr avec StoryBoard, Twitter avec Twitter Stories, Google avec sa vidéo “Parisian Love”… Les mastodontes américains de la technologie se sont tous lancés dans la production de vidéos, pour mettre en scène les histoires de leurs utilisateurs et “montrer qu’il y a quelque chose de romantique à leur algorithme”, écrit The Altlantic.
Pour les journalistes, la vidéo est en train de devenir le nouveau tweet. En témoigne la technologie Tout.com, qui permet de publier des vidéos de moins de 15 secondes de façon instantanée, et avec laquelle le Wall Street Journal vient de s’allier pour lancer sa plate-forme, WorldStream.
Quelles sont les meilleures vidéos sur le Web que vous ayez vues? Partagez-les dans les commentaires ou sur Facebook et Twitter.
Alice Antheaume
(1) L’Ecole de journalisme de Sciences Po, pour laquelle je travaille, et celle de Columbia sont partenaires avec un double diplôme en journalisme.
lire le billetComment, en 2012, s’informe-t-on? C’est sur cette question que s’est penché le Reuters Institute Study of Journalism, en analysant la façon dont les Américains, les Anglais, les Allemands, les Danois et les Français sont en contact avec l’actualité.
Cette étude (en PDF), publiée le 9 juillet 2012, montre que Facebook joue désormais un rôle clé dans le partage d’informations, supplantant les emails et Twitter, que les plus jeunes (16-24 ans) s’informent sur les réseaux sociaux plutôt qu’en cherchant dans des moteurs de recherche et que les smartphones sont de plus en plus utilisés pour accéder à l’actualité – 28% des Anglais et des Américains et 32% des Danois disent utiliser leur mobile chaque semaine pour ce faire. La France s’y révèle très active: elle est en effet prolixe en matière de participation aux sondages en ligne et de production de commentaires, pas tant dans l’impasse que cela.
En reprenant les questions posées par cette enquête, voici le portrait, en creux, des consommateurs d’informations français.
Les Français répondent en majorité la télévision et le Web, comme les Danois, quand les Allemands restent attachés aux journaux imprimés – qu’ils regardent à 68% au moins une fois par semaine, et les Américains et les Anglais privilégient le Web.
Et si l’on regarde de plus près les sources d’informations uniquement en ligne, les Français se connectent avant tout sur les sites des journaux, les Anglais sur les sites des chaînes de télévision, et les Américains sur d’autres sources d’informations en ligne, comme les pure-players et les portails d’informations tels Yahoo! et Google News, ainsi que sur les blogs et les réseaux sociaux.
Les Français préfèrent les sujets de politique intérieure, juste devant la politique tout court ; la politique intérieure remporte aussi les suffrages aux Etats-Unis, suivie des informations locales ; quant aux Allemands, ils sont davantage portés vers les informations internationales régionales.
La catégorie d’informations qui marche le moins bien, à contrario? Les informations économiques et financières pour la France, tandis qu’en Angleterre et aux Etats-Unis, ce sont les arts et la culture qui font chou blanc – alors que ce type d’actualités est prisé en France.
En France, et dans tous les autres pays analysés dans cette étude, c’est l’ordinateur qui domine, et de très loin, suivi du mobile et de la tablette, dans de plus faibles proportions. Le Danemark est le pays où le mobile fait la percée la plus forte, derrière l’ordinateur néanmoins.
Là encore, le Danemark a une longueur d’avance, ses habitants étant les plus nombreux à être passés à l’acte de paiement en ligne pour de l’info. De l’autre côté de l’échelle, les Anglais sont les plus réticents à cette idée – seuls 4% d’entre eux disent l’avoir déjà fait, quand les Français et les Américains le font un peu, mais dans de faibles proportions.
Discussion par messagerie instantanée sur l’actualité, partage d’informations sur les réseaux sociaux, publications de commentaires sous un article, etc.: les Américains sont une majorité à participer à la production et au partage d’informations en ligne. Et, surprise, la France est le “pays européen le plus engagé” sur ce créneau, devant l’Allemagne, l’Angleterre et le Danemark.
40% des Français sondés déclarent participer à un sondage en ligne chaque semaine et 21% commentent des informations sur les réseaux sociaux. “L’élection présidentielle française était en cours lorsque notre étude a été menée”, précise le Reuters Institute, “ce qui peut expliquer ces chiffres légèrement plus élevés” en France.
Conclusion? La rapide mutation du papier vers le numérique telle que l’ont connue les Etats-Unis ne trouve pas vraiment “sa réplique dans les pays européens”, constate l’étude du Reuters Institute, qui veut pour preuve l’exemple de l’Allemagne, très attachée au papier et dont “les habitudes de lecture montrent une faible utilisation d’Internet”.
Alice Antheaume
lire le billetOn croyait la pop-up condamnée à rester un format publicitaire de la fin des années 90 sur le Web. Voici qu’elle revient, en 2012, sur des sites d’informations tels que Rue89, lemonde.fr, Business Insider ou le New York Times. Et, cette fois, elle a des ambitions journalistiques.
«La pop-up, c’est le sparadrap du capitaine Haddock. On croit qu’elle a disparu, mais non!», s’amuse Julien Laroche-Joubert, rédacteur en chef adjoint au Monde.fr, qui a oeuvré à la refonte de la maquette du site, sortie en mars 2012, où figure désormais, en bas à droite de l’écran, une pop-up à contenus éditoriaux appelée en interne le «toaster».
De la pub à l’info
Si la pop-up s’offre une autre vie dans l’univers de l’information en ligne, c’est parce qu’elle a gagné ses galons dans l’univers de la messagerie instantanée. Sur Gtalk et sur Facebook, lorsque des utilisateurs conversent en temps réel, leurs échanges s’affichent par défaut dans… une fenêtre en bas et à droite de l’écran. Un usage installé par des années de pratiques et devenu un code de lecture, et même d’interaction.
«Personne n’aime les modes d’emploi», estime Julien Laroche-Joubert. L’intérêt de reprendre un code existant, c’est que «les gens comprennent tout de suite que la pop-up en question sera un lieu de dialogue avec la rédaction.»
De fait, en se connectant sur la page d’accueil du Monde.fr, ce dimanche 10 juin 2012, jour de premier tour des élections législatives, apparaît dans la pop-up la question d’un lecteur à la rédaction – question sélectionnée par celle-ci avant publication: «Avez-vous les résultats pour Mme Rosso Debord (membre de la cellule riposte pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et candidate UMP dans la 2e circonspection de Nancy, ndlr)?». La réponse tombe aussitôt, visible également dans la pop-up: «@Reno : Avec 33,57 % des voix, Valérie Rosso-Debord (UMP) arrive en seconde position derrière le socialiste Hervé Feron (39,51 %)».
La vitrine du «live»
En réalité, plus qu’un espace d’interaction, cette pop-up sert un autre objectif pour lemonde.fr: montrer les «lives», ces formats qui permettent de raconter en direct un événement via mots, photos, vidéos et interactions avec l’audience, que les éditeurs français ont multiplié depuis les révolutions arabes, puis Fukushima, et a fortiori pendant la campagne présidentielle.
Or la réalisation d’un live nécessite des ressources journalistiques lourdes, comme expliqué dans un précédent WIP, «tous scotchés au live». Dans ces conditions, mieux vaut le mettre en majesté. Ce qui passe, sur lemonde.fr, par l’affichage dès la page d’accueil d’un aperçu du live dans une fenêtre ad hoc. Y remonte – c’est programmé par défaut – le message le plus récent posté dans le live qui se déroule au moment où l’utilisateur se connecte. «S’il n’y a pas de live en cours, il n’y a pas de pop-up. Et s’il y a deux lives en même temps, cela devient compliqué», reprend Julien Laroche-Joubert.
Clics et allergies
Un choix qui ne fait pas que des heureux. Certains utilisateurs râlent, estimant que les lives «ne sont que du bruit, et qu’ils n’ont rien à faire sur la page d’accueil du Monde.fr», une page qui, aujourd’hui encore sur ce site, concentre l’essentiel du trafic. D’autres s’énervent contre cette fenêtre jugée intrusive: «Moi qui suis vos lives avec grand intérêt, cette petite fenêtre persistante m’agace au plus haut point pendant la lecture et le choix des articles», peste une lectrice. En effet, cette pop-up, en bonne héritière de son ancêtre publicitaire, peut au mieux se réduire, mais pas se fermer, même lorsque l’on clique sur la croix.
Malgré les doléances, 70% des lecteurs qui rentrent sur un live le font par la pop-up de la page d’accueil, annoncent les équipes du Monde.fr. Le chiffre est d’autant plus signifiant que cette «pop-up éditoriale» n’est visible que depuis un ordinateur. Elle n’apparaît ni sur mobile ni sur les réseaux sociaux, lesquels devraient bientôt être les meilleurs pourvoyeurs d’affluence sur les sites d’informations.
Questions d’ergonomie
Entre tentative d’innovation et résistance au changement, le curseur est difficile à placer pour les éditeurs. Surtout quand il s’agit de s’attaquer à l’ergonomie des sacro-saintes pages d’accueil, symboles de la hiérarchie journalistique choisie par une rédaction.
Au festival South by South West 2012, à Austin, les professionnels ont rendu un diagnostic pessimiste: selon eux, non seulement l’interface de la majorité des sites d’informations n’a pas évolué depuis presque vingt ans, mais en plus les conventions journalistiques (titre, chapeau, etc.) freinent la création de nouvelles expériences.
Quant à la pop-up journalistique, elle a le mérite de bousculer un peu la façon de «rentrer» dans des contenus, mais cela reste une surcouche, posée par dessus le «rubriquage» traditionnel des informations.
Et… autres lectures recommandées
D’autres éditeurs ont aussi recyclé, dans un but éditorial, le format de la pop-up. Sur les sites du New York Times et Rue89, celle-ci vise à recommander des compléments de lectures, et ce, uniquement dans les pages articles – pas sur les pages d’accueil. Lorsque le lecteur arrive à la fin d’un contenu, surgit ainsi une fenêtre, toujours en bas à droite de l’écran, pour «rebondir» sur d’autres contenus de la même thématique que celle qui vient d’être consultée.
Si par exemple je parviens à la chute de l’article «Comment les députés gèrent leurs frais de représentation» sur Rue89, la pop-up me préconise ceci:
Si je lis un article sur le New York Times concernant Mitt Romney, ou Barack Obama, on me suggère de poursuivre en cliquant sur un autre article de la rubrique politique:
Les éditeurs en conviennent volontiers: copier le voisin pour récupérer ce qui marche constitue une recette éprouvée. Et reprendre, dans un but journalistique, un format installé par les géants de la technologie encore plus…
Alice Antheaume
lire le billetLe futur du journalisme passera par les mastodontes de la technologie. C’est l’une des conclusions que tire le rapport annuel du Pew Project for Excellence in Journalism, The State of the News Media 2012.
Session de rattrapage pour ceux qui n’auraient pas encore eu le temps de parcourir cet état des lieux sur les médias aux Etats-Unis.
1. Relations unilatérales entre éditeurs et entreprises de nouvelles technologies
Ceux qui mènent la danse s’appellent Amazon, Apple, Facebook et Google. Les rédactions, elles, cavalent derrière pour suivre le rythme.
Pour attirer de l’audience et pour diffuser des contenus, les médias (se) sont soumis aux règles des géants de la technologie. Une dépendance déjà annoncée dans le rapport de l’année dernière.
En 2012, la tendance se confirme. Certes, le Financial Times et le Boston Globe ont créé des applications en HTML 5 pour pouvoir les changer à leur guise sans devoir soumettre les mises à jour à la validation d’Apple. Mais ce type d’émancipation reste limité, estiment les auteurs du rapport, Amy Mitchell et Tom Rosenstiel.
Alors que Apple, Google, Amazon et Facebook tentent d’accompagner chaque seconde de nos vies numériques (terminaux, moteurs de recherche, navigateurs, réseaux sociaux, messageries, plates-formes de jeu et de commerce en ligne), vont-ils finir par s’offrir des médias? Possible, mais à condition qu’ils y “trouvent un intérêt”, reprennent les auteurs. Et qu’ils considèrent que ces médias puissent constituer l’un des ingrédients du “tout numérique” qu’ils entendent proposer aux utilisateurs…
2. La montée du mobile et une lecture plus “immersive”
“Plus de 4 adultes américains sur 10 possèdent aujourd’hui un smartphone, et 1 sur 5 une tablette. Les nouvelles voitures que l’on fabrique intègrent de l’Internet à bord.” En tout, plus d’un quart de la population américaine, soit 27%, s’informe maintenant via mobile.
Et c’est une bonne nouvelle pour les médias. Car la consommation d’informations en mobilité s’ajoute à celle via des supports plus “traditionnels”. “8 Américains sur 10 consomment des informations depuis leur mobile et s’informent aussi sur leurs ordinateurs”, en se tournant davantage vers des marques de presse historiques et en témoignant d’une immersion plus intense, précise le rapport.
Conséquence: l’émergence de nouveaux usages avec une lecture de l’information qui permet de faire une pause, de lire en différé, de surligner des idées importantes sur l’actualité. D’où la demande pour de longs formats journalistiques, ce que les intervenants du festival South by South West, à Austin, avaient aussi martelé.
Enfin – et c’est un phénomène nouveau – la montée du mobile a fait venir au numérique – et au journalisme numérique – une catégorie de la population américaine, plutôt rurale, qui avait raté l’étape de l’ordinateur.
3. L’impact relatif des réseaux sociaux sur la consommation d’infos
La population américaine, de plus en plus présente sur les réseaux sociaux (133 millions d’Américains sont inscrits sur Facebook, 25 millions sur Twitter), y passe en moyenne 7 heures par mois. Pourtant, cela n’a pas (“encore”, tempère le rapport) l’effet escompté sur l’apport d’audience pour les médias.
En effet, moins de 10% de internautes lisent “très souvent” des informations repérées grâce à la recommandation sociale de leur communauté sur Facebook ou Twitter, quand 36% vont “très souvent” consulter les actualités directement sur une application ou un site Web, 32% passent par une recherche avant de tomber sur une information et 29% se tournent vers des agrégateurs de contenus.
Pour Amy Mitchell et Tom Rosenstiel, ce n’est qu’une question de temps, les réseaux sociaux étant appelés à générer de plus en plus de trafic sur les éditeurs de contenus.
4. Le “modèle” de l’abonnement en ligne
Et si, d’ici 5 ans, les journaux n’imprimaient plus qu’un ou deux exemplaires par semaine, l’un porté à domicile le dimanche, et le deuxième un autre jour de la semaine, plutôt propice aux revenus publicitaires sur l’imprimé? Ce scénario n’est pas si fictif, écrit ce rapport, au vu de la crise continuelle subie par les journaux imprimés.
Engluées dans la crise de la presse imprimée, un très grand nombre de publications pourraient ainsi se tourner vers le modèle par abonnement en ligne, sans doute influencées par le système payant du New York Times qui a récolté quelques 390.000 abonnés.
“Les journaux ont perdu tellement de leurs revenus publicitaires – plus de la moitié de leurs revenus depuis 2006, que, sans perfusion de revenus par abonnement en ligne, certains ne pourront pas survivre.”
5. Le retour de la télévision?
Même si la plus forte croissance se fait avant tout sur les sites d’informations, l’audience sur les chaînes de télévision qui font de l’information aurait augmenté de 4.5% en un an. Une “première depuis 10 ans” aux Etats-Unis, salue le rapport. Inattendue, cette percée profite à CNN, MSNBC, au détriment de Fox News, qui décline.
Difficile de savoir à quoi cette croissance est vraiment due. Est-ce la résultante de la Social TV, qui peut pousser à regarder des programmes télévisuels très commentés sur les réseaux sociaux? Ou le fait d’une riche actualité, faite des révolutions arabes notamment? Selon le rapport, “cette croissance peut être de courte durée et fonction d’actualités très visuelles plutôt qu’à un vrai changement d’habitudes”.
AA
lire le billetSi la technologie avait été au point lorsque Facebook est né, «Facebook aurait été une application mobile», et non un site pensé pour l’ordinateur, lâche Bret Taylor, directeur de la technologie de Facebook, lors du Mobile World Congress, l’immense raout annuel de la téléphonie organisé à Barcelone. Pendant quatre jours, plus de 60.000 personnes venues du monde entier se réunissent pour parler téléphones, tablettes, processeurs, écrans, applications, Web et usages.
De Facebook à Google, en passant par les opérateurs de télécoms et les producteurs d’informations, les avis sont unanimes: le mobile, considéré comme le nouvel eldorado de la consommation de contenus, serait sur le point de reléguer l’ordinateur au rang de brontosaure.
Revue des signaux, entendus pendant le Mobile World Congress, qui veulent faire du mobile (smartphone ou tablette) une extension du futur.
«La révolution du smartphone va être universelle», prédit Eric Schmidt, de Google, lors de son discours le mardi 28 février. Et elle ne ferait que commencer. Seul 1 milliard d’happy few possède un téléphone. Sur les 7,3 milliards d’habitants que compte le monde, cela fait beaucoup qui n’ont en pas. «Des milliards de gens n’ont jamais téléchargé d’application, jamais joué à Angry Birds, jamais utilisé le GPS depuis leur mobile pour rentrer chez eux», énumère Eric Schmidt.
Pourtant, «si Google voit juste, il y a aura bientôt un téléphone Android dans toutes les poches», poursuit-il, citant 300 millions d’Android déjà en circulation, dont 850.000 téléphones seraient activés chaque jour. D’après une étude Cisco, le nombre de terminaux mobiles devrait atteindre 10 milliards en 2012, dépassant ainsi le nombre d’habitants de la planète (1). A ce rythme, Google va bientôt «fabriquer des gens» pour faire face à la croissance des mobiles, blague le dirigeant de Google.
Dans le futur, «la technologie doit disparaître», théorise Eric Schmidt. C’est-à-dire ne pas se voir, se fondre dans des outils de plus en plus petits, de plus en plus intégrés à nos vies. «Fini le temps où l’on devait chercher quel câble va avec quel ordinateur, le temps où l’on devait trouver pourquoi votre PC bugue. Désormais, la technologie doit juste être là. Le Web sera à la fois tout, et rien. Comme l’électricité. Toujours là.»
J’ai déjà parlé ici du volume de données auquel on est soumis, en ligne. J’ai moins parlé du déluge d’applications mobiles. Sur ce plan, il y a de quoi dresser un tableau vertigineux: 500.000 applications disponibles sur l’App Store, 400.000 sur l’Android Market. Plus de 19.000 nouvelles applications viennent s’y ajouter chaque semaine, d’après les chiffres de la société d’analyse Distimo.
Ingérable!, fustige Scott Jenson, directeur artistique de Frog, lors d’une conférence au Mobile World Forum sur l’évolution des applications mobile. Celui-ci note que, à cause de ce débordement d’applications, nous «jardinons dans nos téléphones». Métaphore pour montrer que nous y plantons des graines (télécharger des applications), nous arrosons (mettre à jour ces applications), faisons pousser des plantes (lancer ces applications), et désherbons (supprimer celles qui ne conviennent plus).
Pour Scott Jenson, si Google a su installer la recherche sur des pages Web, à l’aide d’un «page rank», le futur sera au classement des applications sur le même principe.
En attendant, et d’après Médiamétrie, les applications mobiles les plus consultées en France sont Google (10,4 millions de visiteurs uniques au cours du mois de janvier 2012), YouTube (8 millions de VU), iTunes (7 millions de VU), Google Center (3,8 millions de VU) et… Facebook (3,2 millions de VU).
Quelles informations sont calibrées pour le mobile? Celles qui sont faites pour être lues à l’instant T, en situation de mobilité, celles qui sont urgentes, celles qui sont produites tôt le matin et tard le soir, celles qui sont visibles sur de petits écrans, celles qui pensent social et référencement. Telle était la liste des critères définis dans un précédent WIP.
En 2012, il faut ajouter à cette liste un nouveau format: la vidéo. C’est ce qui a été répété, à maintes reprises, lors de cette édition 2012 du Mobile World Congress.
Et les chiffres l’attestent: en 2011, le trafic lié à la vidéo a représenté 52% du trafic Internet sur mobile, constate Cisco. «La vidéo, c’est la nouvelle façon des utilisateurs de communiquer», pense John Chambers, le président de Cisco. Et de rassurer ses homologues: à l’avenir, «nos revenus proviendront de ces vidéos».
Côté médias, même tendance à considérer la vidéo comme le nouveau parangon du contenu mobile. Safdar Mustafa, le directeur des activités mobiles d’Al-Jazeera, atteste que la vidéo, oui, ça marche, mais surtout la vidéo en live. «Le live stream de vidéos est un format primordial pour Al-Jazeera, sur mobile et sur d’autres plates-formes».
Les spécificités de ce live stream en vidéo? Image de haute qualité et flux disponible gratuitement, détaille-t-il. Et si, pour Al-Jazeera, le mobile compte tant, c’est que cette plate-forme correspond aux usages de tous ces particuliers qui ont, pendant les révolutions arabes, envoyé des informations, notamment vidéos, par ce biais. «Dans un contexte où il est très difficile, en ce moment, d’obtenir des informations, notamment en Egypte et en Syrie, les contenus que l’on reçoit d’amateurs sont envoyés par mobile. A nous d’intégrer ces usages dans nos applications mobiles».
Au Mobile World Congress, le mot «cloud» est sur toutes les lèvres. Le «cloud», ce nuage qui flotterait en permanence au-dessus des têtes et garderait à disposition toutes les données dont on pourrait avoir besoin, est «le nouveau paradigme», estime René Obermann, le président de Deutsche Telekom. Un état de fait, et non un privilège. «C’est perçu comme une commodité, qui doit être accessible tout le temps, sans faille», reprend René Obermann.
«On a vendu de la voix (au sens d’appels téléphoniques, pas au sens de contrôle vocal, ndlr) pendant des années, et maintenant, on vend de l’accès à Internet, en mobilité», résume Jo Lunder, de VimpelCom. Le smartphone, cordon ombilical, relie son propriétaire au Web et donc au monde. Tel est l’axiome sur lequel capitalise déjà toute une industrie. Un axiome qui offre aux producteurs d’informations une nouvelle lucarne.
Toujours selon Cisco, le volume de données échangées sur les réseaux mobiles mondiaux devrait être multiplié par 18 d’ici 2016. Difficile de renoncer, une fois que l’on y a goûté, à cette connexion permanente. Même l’eau n’est plus supposée être un obstacle à l’utilisation du mobile, à en voir ces tablettes et téléphones étanches, plongés dans un aquarium, sur le stand de Fujitsu. Le démonstrateur fait voir aux curieux que, même dans l’eau, le téléphone reçoit des appels – il n’a pas montré comment on pouvait parler à son interlocuteur, dans cette configuration.
Attention à ne pas transformer le téléphone en Frankenstein de nous-mêmes, éclate Andrew Keen, l’auteur du «Culte de l’Amateur», qui s’apprête à sortir «Vertige numérique». «Avec notre addiction croissante à nos téléphones portables, nous risquons de créer un monstre que nous serons de moins en moins capables de contrôler», écrit-il. «J’exagère? A quel point vous sentez-vous nu sans votre téléphone?».
Cette angoisse a désormais un nom: la «nomophobie», qui désigne la peur de perdre son téléphone ou d’être sans téléphone. Selon une étude réalisée au Royaume Uni, 66% des personnes interrogées souffriraient de ce nouveau mal.
(1) En France, selon le rapport Comscore intitulé Mobile Future in Focus, le taux de pénétration des smartphones, ces téléphones dotés de connexions à Internet, serait de 40% en décembre 2011 – moins que pour l’Angleterre (51,3%) et l’Espagne (51%).
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Alice Antheaume
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