Après le plantage de quelques médias américains, New York Times compris, au moment de donner le nom de l’auteur de la tuerie de Newtown – le nom de Ryan Lanza est d’abord apparu avant que la correction soit faite pour attribuer le meurtre à son frère Adam Lanza, les techniques de fact-checking ont été très débattues à South by South West 2013, le festival des nouvelles technologies qui se tient chaque année à Austin, aux Etats-Unis. Journalisme de niche, le fact-checking politique est devenu une vraie spécialité, estime Bill Adair, le fondateur de Politifact, un projet lancé en 2007, récompensé par un prix Pulitzer, qui veut disséquer les propos des responsables politiques du pays afin d’en distinguer le vrai du faux.
>> Lire aussi: à SXSW2013, leçon pour informer sur une tablette >>
Comment ça marche dans les cuisines de Politifact? Comme dans un fast-food, détaille Bill Adair lors d’une table ronde intitulée “Fast food and fact checking”, avec des procédures éditoriales pour garantir la “fraîcheur” du produit, des “mesures de sécurité”, et une “recette secrète” pour composer les contenus.
1. Le sujet de la déclaration qu’on s’apprête à vérifier peut-il intéresser quelqu’un?
Il faut une audience pour tout contenu.
2. La déclaration de tel ou tel homme politique est-elle vérifiable et mérite-t-elle de l’être?
Selon Bill Adair, “si on est sûr que c’est vrai, et que cela n’apporte rien que de procéder à un fact-checking, on laisse tomber”.
3. Est-elle vérifiable dans un temps “raisonnable”?
“On ne passe pas plusieurs semaines sur une phrase”, tranche Bill Adair.
4. La déclaration est-elle un jugement de valeur?
Si oui, passez votre chemin, car “les opinions ne se vérifient pas”, reprend le patron de Politifact.
Chaque contenu sur Politifact est composé de plusieurs ingrédients, comme les couches qui forment un hamburger.
* Le pain –> le titre.
* La moutarde –> le descriptif de la situation au cours de laquelle le responsable politique a prétendu telle ou telle chose.
* La salade –> la déclaration qui va être passée au crible.
Celle-ci est citée in extenso et est complétée par le “plus de contexte possible”, souligne Bill Adair.
* La tranche de tomate –> la transition.
Elle permet de passer de la déclaration aux paragraphes suivants, qui concernent les faits.
* Le steack –> l’exposé des faits et l’analyse qu’en tire le journaliste.
* Les grains de sésame sur le pain –> la conclusion.
Elle tient en deux lignes et indique au lecteur si la déclaration politique examinée est vraie ou fausse.
Pour Bill Adair, il importe aussi que chaque contenu soit correctement tagué: “il faut assigner à chaque fact-checking le nom d’un homme politique (celui qui a fait la déclaration), d’une campagne électorale (le contexte), d’un sujet (ce sur quoi porte la déclaration), d’un reporter (l’auteur du fact-checking) et un vote (son nombre de likes et de retweets)”, développe-t-il, pas peu fier d’avoir pensé à cette structure, car au moment de lancer l’application mobile de Politifact, le “rangement” était d’autant plus simple à mettre en place avec des catégories déjà installées.
Alice Antheaume
lire le billetAu rayon journalistico-numérique, les paris sont ouverts sur les mutations qui vont marquer l’année à venir. Outre le mot “moment”, en passe de devenir le terme-valise pour qualifier une actualité/un partage/une expérience médiatique, sur quoi miser?
#STRATEGIE
L’année dernière, à la même date, j’avais parié – bien sûr sans le souhaiter – sur des disparitions parmi les médias du Web. La faute à un nombre exceptionnel d’initiatives en ligne, lancées en France, qui se cannibalisent sans doute les unes et les autres et n’ont que le marché francophone comme terrain de jeu. On ne va pas faire semblant de vivre au pays des Bisounours alors que nombreux sont les médias qui, dans l’hexagone, serrent les dents. Citizenside, l’agence de photos communautaires, est en cessation de paiement. Le Monde prétend que le site Rue89 serait en «crise d’identité» un an après son rachat par Le Nouvel Observateur, en décembre 2011, alors que tout va bien, merci, rassurent les équipes. Bref, chacun attaque son concurrent, sa stratégie et ses ressources. Et cela n’est pas prêt de s’arrêter.
Ce serpent de mer n’a jamais vraiment disparu, mais en 2013, «on verra une grande quantité de producteurs de contenus passer d’un modèle économique basé sur la publicité à un modèle d’abonnements ou de paiement à la consultation», annonce le rapport «Digital and Media predictions 2013» publié par l’agence Millward Brown.
«Il ne s’agit pas tant de faire en sorte que les gens paient pour consulter des contenus. Il s’agit de faire en sorte que les plus actifs de ces gens paient», me précise Andrew Gruen, chercheur à l’Université de Cambridge, ancien journaliste pour CNet et la BBC. «Cela peut se traduire par des paywalls qui marcheraient comme des compteurs ou par des publications additionnelles calibrées pour une audience de niche comme Politico Pro».
Le Guardian a sa conférence, «The Changing Media Summit». Mashable a la sienne, intitulée «Mashable Media Summit». All Things Digital en a une série également. En France, Les Echos en organisent, et Libération, dont les ventes en kiosque ont baissé, annonce vouloir miser en 2013 sur le numérique et sur l’organisation de… 23 conférences.
A quoi cela sert-il, pour un média, d’organiser des événéments? A s’offrir, si le programme de la conférence s’avère bien conçu, une campagne d’image pour sa marque. A faire venir des interlocuteurs de renom et à avoir de quoi alimenter des articles en restant à demeure. Et à inviter d’éventuels annonceurs à l’événement.
#FORMAT
J’en ai déjà parlé beaucoup ici. La vidéo en live et/ou découpée en petite séquence pourrait devenir la nouvelle façon de raconter l’information pour l’année à venir. En témoigne la technologie Tout.com, qui permet de publier des vidéos de moins de 15 secondes de façon instantanée, et avec laquelle le Wall Street Journal s’est allié pour lancer sa plate-forme, WorldStream.
Le saut supersonique de Felix Baumgartner, le 14 octobre dernier, à 39 kilomètres de la Terre, a été vu en direct par des millions de personnes – avec un pic de 8 millions de personnes en simultané sur YouTube et une vague d’enthousiasme sur les réseaux sociaux. Derrière cet exploit, une marque de boissons énergisante, Red Bull, qui s’est offert une publicité à vie.
Quant au site américain Buzzfeed, il mélange publicité et rédactionnel – ce que les Américains surnomment «advertorial». Il s’agit de contenus créés par des marques, signalées par la mention «proposé par (nom de l’annonceur)», mais en réalité assez proches des autres productions de Buzzfeed, dont ces listes de Virgin Mobile. Des contenus qui bénéficient parfois du même taux de partage que des contenus journalistiquement “purs”.
C’est Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab, qui a insisté sur ce point lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po le 10 décembre. Fleurissent des applications qui permettent de calibrer les contenus en fonction du support depuis lesquels on les lit. Ainsi, l’application Circa pioche à droite et à gauche les informations les plus importantes du jour et les ré-édite afin qu’elles soient lisibles sur un petit écran de smartphones, avec les faits d’un côté, les photos de l’autre, les citations. Pour ne plus avoir besoin de zoomer, de dézoomer et de scroller sur son téléphone pour espérer lire une histoire. Summly, une autre application mobile, fait des résumés des sources que l’utilisateur sélectionne, en les formatant pour une lecture mobile.
Les contenus «évolutifs» ne sont pas qu’une question de supports. Il s’agit aussi des temps de lecture: si un lecteur vient pour la première fois sur un site, il ne verra pas la même chose que celui qui est déjà venu plusieurs fois, et qui veut donc repérer d’un coup d’œil ce qui est nouveau depuis sa dernière venue, ainsi que le théorise cette start-up appelée Aware.js «Et si on pouvait proposer différents éléments d’un même contenu en fonction de ce que le lecteur sait ou ne sait pas?».
Impossible d’y échapper. Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.
#UTILISATEURS
De plus en plus de monde sur les réseaux sociaux (25,6 millions de Français inscrits sur Facebook selon Social Bakers, et plus de 7 millions sur Twitter selon Semiocast), cela finit par faire beaucoup de bruit. Le rôle de filtre du journalisme, qui fait le ménage dans ce gigantesque flux, devient crucial. Problème: les erreurs commises lorsque se déroule un événement en temps réel, comme cela a été le cas avec la publication sur les réseaux sociaux de photomontages clownesques lors de l’ouragan Sandy sur la côte Est des Etats-Unis ou avec la désignation erronée du tueur de Sandy Hook, dans le Connecticut. Des erreurs qui entachent la crédibilité des réseaux sociaux, jugent leurs détracteurs, et soulèvent des questions d’éthique journalistique.
Qu’importe, c’est ainsi que se déroule l’actualité désormais, écrit Mathew Ingram, sur le site GigaOM. «Autrefois, la fabrication de la matière journalistique faisait déjà l’objet d’un processus chaotique mais il ne se déroulait pas sous les yeux du public. Au sein des rédactions, les journalistes et rédacteurs en chef se démenaient pourtant désespérément pour recueillir des informations auprès des agences de presse et d’autres sources, pour les vérifier tant bien que mal, avant de les raconter. L’avènement de l’information en continu, par exemple sur CNN, a levé une partie du voile sur ce processus, mais les médias sociaux ont retiré tout le voile – maintenant, la publication des nouvelles se passe en temps réel, au vu et au su de l’audience.»
Le problème numéro 1 des utilisateurs de smartphones – et surtout d’iPhones: recharger leur batterie de téléphone, à plat après quelques heures d’utilisation. Les prises d’électricité, promesses d’une recharge salutaire, n’ont jamais été aussi séduisantes et les chargeurs aussi sexys. «Bientôt, on posera nos smartphones sur une table et cela les rechargera sans que l’on ait besoin de les raccorder à une prise», espèrent les optimistes. Fourmillent déjà quelques bonnes idées d’accessoires pour accompagner l’utilisation du mobile en déplacement, comme cette coque ou cette trousse dans lesquelles il suffit de glisser son téléphone pour que celui-ci se recharge.
L’idée est évoquée dans le rapport «Digital and Media predictions 2013» de l’agence Millward Brown: le mobile, avec ses capacités de stockage exceptionnelles, «devient la télécommande qui contrôle nos vies (…). Imaginez que vous entriez dans une pièce et que l’ambiance s’adapte soudain à vos préférences personnelles – lumière tamisée, musique jazz qui s’enclenche, et photos de votre plage favorite qui s’affichent sur les murs».
Bref, tout est là, à portée de doigt. Et au fond, votre mobile sait mieux que vous ce qui vous convient puisqu’il connaît tout de vous: qui vous appelez, à qui vous écrivez, quels mots vous employez, quelle musique vous écoutez, à quelle heure vous vous réveillez, quelles photos vous regardez, quels sites vous consultez…
Sur quoi misez-vous pour 2013? Dites-le dans les commentaires et sur les réseaux sociaux. En attendant, très bonnes fêtes à tous !
Alice Antheaume
lire le billetA l’entrée de Buzzfeed, au 11ème étage d’un immeuble new-yorkais à la façade non ostentatoire, trône un immense badge jaune vif sur lequel est écrit en lettres noires «LOL». C’est ce même macaron qui orne le site, ainsi qu’une ribambelle d’autres, tels que OMG (Oh My God), geeky, cute, fail, etc. Ces badges au look très années 80 sont un moyen de classer les contenus en fonction des émotions de l’audience: alors que les lecteurs peuvent «badger» une vidéo, une liste, une image ou un lien avec l’une des catégories proposées, un algorithme répartit ensuite les contenus dans telle ou telle section.
Bienvenue dans les entrailles d’un drôle de site qui se considère moins comme une rédaction que comme une société de nouvelles technologies. A sa tête, Jonah Peretti, une star de la viralité et du mobile, et Scott Lamb, le directeur de la rédaction, à l’origine du compte Twitter moquant la jambe de grenouille d’Angelina Jolie lors des Oscars, et invité de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée lundi 10 décembre 2012 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1).
Tout est fait maison
Ni l’un ni l’autre ne prétendent faire du journalisme, mais du «contenu social», oui. Pour alimenter la machine, une cinquantaine de producteurs de contenus, les «buzzfeeders», appelés aussi des éditeurs – «même si on se déteste de ne pas avoir trouvé de meilleur qualificatif», confie Ben Smith, le rédacteur en chef – plus une trentaine de développeurs, la «plus grosse équipe de dév’ qui existe sur le marché» de l’information en ligne, et, enfin, une équipe intitulée «Growth» dédiée à la croissance de l’audience. Celle-ci, dirigée depuis un mois par Dao Nguyen, une ancienne du Monde.fr, veut travailler davantage sur des ressorts technologiques que sur du marketing ou du SEO (search engine optimization, ou référencement) pour analyser le trafic et le «booster».
Car, à Buzzfeed, tout est fait maison, rien n’échoie à des prestataires de services. Les serveurs leur appartiennent, le CMS est développé en interne, les formats et applications aussi, et même les pubs…
«Les rédactions traditionnelles sont un peu ennuyeuses», soupire Ben Smith, qui a pourtant travaillé pendant des années au New York Observer, au New York Daily News puis à Politico, et, à chaque fois, pour y couvrir la politique américaine. Depuis qu’il a rejoint Buzzfeed en janvier 2012, il semble ne pas avoir encore posé ses valises. Dans le bureau en verre qu’il occupe, attenant à la rédaction, rien n’est encore installé, à l’image du média qu’il dirige. Des cartons non déballés stagnent dans un coin, et les fauteuils ont encore leurs étiquettes.
Après son arrivée, il a monté la section politique du site, présidentielle américaine oblige. S’il n’y a pas (encore) de section économie ni finance sur Buzzfeed, la culture Web y règne en maître, avec des «verticaux» pour la cuisine, la technologie, lifestyle, la musique, les animaux, et des intitulés inédits, comme «rewind» (en gros, des agrégats de souvenirs) et LGBT, l’acronyme de « lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres».
Avec des bureaux à New York, Washington DC et Los Angeles, Buzzfeed s’attache les services de journalistes habitués à faire du terrain, dont Richard Rushfield et Kate Aurthur, venus du Los Angeles Times. De quoi étoffer les équipes centrées jusque-là sur l’agrégation de perles repérées sur le réseau, sur l’édition de listes, très prisées sur le Web, et la création de GIFS animés.
Participer aux conversations
La ligne éditoriale de Buzzfeed? S’incruster dans les conversations sur les réseaux sociaux, voire créer de quoi y susciter le débat. Pour cela, cap sur des contenus qui valent la peine d’être partagés sur le Web. «On ne vient pas sur Buzzfeed pour lire, on y vient pour partager des contenus», martèle Ben Smith. Lorsque, dans des rédactions ordinaires, on surveille l’actualité avant de définir un angle, à Buzzfeed, on regarde 200 posts sur Tumblr chaque matin avant de trouver un sujet. «Le social est notre point de départ», reprend Ben Smith, qui estime que le contenu fonctionne d’autant mieux s’il est de la toute dernière fraîcheur.
«Créer un phénomène viral, ce n’est pas seulement faire en sorte que les gens cliquent sur des contenus. On veut les emmener plus loin et faire en sorte qu’ils partagent ces contenus sur les réseaux sociaux ou par email», explique Matt Stopera, l’un des éditeurs de Buzzfeed. Quant aux utilisateurs, ils sont encouragés à signaler tout élément intéressant à la rédaction via un formulaire assez strict. «Les lecteurs sont des auteurs et nous sommes l’agence de ces auteurs», dit encore Ben Smith.
Outre les histoires de chats et d’humour potache, Buzzfeed veut publier des longs formats, comme l’histoire du jeu vidéo Pong, créé en 1972, un format dont le site PaidContent se demande s’il ne devrait pas inspirer les magazines.
Pour l’instant, tout fonctionne comme sur des roulettes: le modèle Buzzfeed, avec ses 30 millions de visiteurs uniques par mois, fait l’objet de convoitises et embauche à tour de bras.
Autre spécificité notable: Buzzfeed n’a pas de scrupule à mettre les annonceurs en majesté et à mélanger publicité et rédactionnel – ce que les Américains surnomment «advertorial». Dans des rédactions ordinaires, la publicité est vue par la rédaction comme une quasi salissure. Chez Buzzfeed, parmi les informations mises en ligne, on trouve des contenus créés par des utilisateurs, par des éditeurs de Buzzfeed, et… par des marques, signalées par la mention «proposé par (nom de l’annonceur)», mais en réalité assez proches des autres productions de Buzzfeed, dont ces listes de Virgin Mobile. Alors que, sur d’autres sites, les espaces publicitaires sont bien définis, avec, par exemple, des bannières publiées en colonne de droite, Buzzfeed ne s’embarrasse pas de tant de cérémonie. Le site est allé jusqu’à altérer son nom et son logo (Buzzfaux) pour les besoins d’une campagne de publicité de Campbell Soup.
Alice Antheaume
(1) Je travaille à l’Ecole de journalisme de Sciences Po et, de ce fait, à l’organisation de la conférence du 10 décembre 2012.
lire le billetC’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.
Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.
Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.
Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.
D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.
Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.
“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.
Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.
Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.
A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.
“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.
Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.
Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.
Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”
(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.
Alice Antheaume
lire le billetD’habitude, lors des grands raouts sur les nouvelles technologies, il y a, à vue d’oeil, 90% d’hommes et 10% de femmes dans le public. A la conférence DLD (Digital-Life-Design) Women, qui s’est tenue à Munich, en Allemagne, les 11 et 12 juillet, c’était l’inverse – et pour cause, c’est une déclinaison spécifique pour la gente féminine. Quels changements le numérique apporte-t-il à nos conditions de travail, à notre façon de consommer et à nos relations sociales? Eléments de réponse, avec du féminin dedans.
Comment va-t-on travailler plus tard? A quoi ressemblera le lieu de travail du futur? A ces questions, Ursula Von Der Leyen, la ministre allemande du Travail et des Affaires sociales, répond qu’en 2020, c’est sûr, on travaillera surtout dans le cloud, c’est-à-dire dans un «nuage» informatique en ligne qui stocke des documents professionnels. «Les smartphones nous donnent une grande liberté. Avec eux, nous sommes libres de travailler de là où nous voulons, sans même dire où nous sommes, et sans personne pour regarder ce que nous faisons par dessus notre épaule». L’espace de travail du futur est donc en ligne, international, fait d’une armée d’experts que les sociétés peuvent solliciter dès qu’elles ont une question à résoudre et… qui ne savent pas toujours qu’ils sont des experts.
Fini le temps où la distinction entre travailleurs permanent et temporaire avait du sens. Fini le temps où les salariés étaient plus avantagés que les prestataires de service. «Les travailleurs du cloud passeront leur vie professionnelle en compétition les uns contre les autres, à postuler pour une mission ici, un travail là», reprend Ursula Von Der Leyen.
Fini aussi le temps où l’on travaillait dans un lieu défini. «La majorité des Allemands préfèrent travailler depuis chez eux avec leurs propres outils, et les trois quarts des Allemandes aimeraient travailler quelques heures voire la journée entière depuis chez elle», poursuit René Schuster, le président de Téléfonica en Allemagne, lequel rappelle la règle de chez Google, qui prévoit qu’un jour par semaine soit dévolu aux projets personnels des salariés – après validation par leur supérieur.
Autre exemple cité: le cas du moteur de recherche Ask.com qui ne donnerait pas de seuil limité pour les vacances de ses salariés. Ceux-ci prendraient leurs congés quand ils le souhaitent et quand ils le jugent nécessaires.
Selon René Schuster, la nouvelle mode n’est donc plus aux fêtes BYOB (bring your own beer, apportez votre bière, en français) mais aux réunions BYOD (bring your own devices, apportez vos outils de travail, donc).
Qui ne le sait pas? Les smartphones sont à la fois nos journaux, nos supermarchés, nos jeux, et la télécommande de notre vie sociale. Le chiffre du jour, entendu à DLD Women, c’est que 4.2 milliards de personnes dans le monde possèdent une brosse à dents quand 4.8 milliards ont un téléphone, d’après les chiffres du cabinet Deloitte datant de mai 2012.
Aucun doute pour René Schuster: la carte bancaire sera morte dans cinq ans, remplacée par le paiement sur mobile. Il assure aussi qu’«un couple marié sur six s’est rencontré en ligne et… 48% des 13-34 ans se connectent à Facebook avant de dire bonjour le matin» via leur téléphone portable.
Dans ce monde ultra connecté, il n’y a pas que les humains qui se parlent en ligne. A terme, les objets aussi, comme le montre l’exemple de Botanicalls, cette société qui veut créer «un canal de communication entre les plantes et les hommes». En clair, on met un kit électronique sur la feuille de la plante, et lorsque celle-ci se dessèche, le kit envoie un tweet disant «j’ai soif» pour demander, par le biais de Twitter, que son propriétaire daigne l’arroser.
72h de vidéos mises en ligne chaque minute sur YouTube. 12.233 tweets par seconde cette année au moment du Superbowl, quand, en 2008, cela tournait autour de 27 tweets par seconde en cas d’actualité, d’après les chiffres donnés par Karen Wickre, de Twitter. Chaque jour sur Facebook sont publiés 300 millions de photos en moyenne et 3.2 milliard de likes et commentaires. Je ne parle pas du nombre d’emails dans les messageries qui s’agglutinent.
Comment gérer ce flux? A DLD, les intervenants interrogés ont une technique peu orthodoxe, mais qui semble partagée: ils suppriment tous leurs emails de temps à un autre, sans même les avoir lus. «Si c’est vraiment important, les gens vont réécrire leurs emails donc nous les aurons au final». Une position qui ressemble à celle que l’on applique sur Twitter: si le tweet est vraiment important, il sera retweeté par les autres, donc nul besoin de remonter sa timeline pendant des heures.
Autre conséquence de ce trop plein: l’envie, parfois, de fermer le robinet. «Nous sommes toujours présents, toujours joignables. Impossible de mettre des limites aux nouvelles technologies», constate Ursula Von Der Leyen.
«C’est l’âge d’or de l’engagement en ligne», reprend Arianna Huffington, la fondatrice du Huffington Post, dans une vidéo diffusée à DLD Women. Et c’est très vrai de la France, dont l’enquête du Reuters Institute vient de montrer que les Français sont les Européens les plus actifs dans la construction de l’information en ligne.
Dans ce contexte, il devient exceptionnel – et le luxe suprême – d’avoir des moments hors du réseau. «Défendez votre droit à être déconnecté», conseillent en choeur Ursula Von der Leyen et Arianna Huffington.
Il aura fallu moins d’une journée à DLD pour entendre les mots «émotion» et «émotionnel» revenir une bonne centaine de fois dans la bouche des intervenants. L’émotion serait en fait, selon eux, une réponse au trop plein d’informations qui nous submerge à chaque instant. Et la question reste la même pour les médias comme les annonceurs: comment se distinguer dans ce flot interrompu? Et comment faire valoir ses contenus?
Si, pour Shamim Sharif, romancière et scénariste, c’est la façon de raconter les histoires qui fait la différence, d’autres entrepreneuses ont un avis moins romantique: «les marques doivent parler à l’audience en provoquant une émotion, sinon, c’est fichu», déclare Sarah Wood, d’Unruly, une société capable de prédire le potentiel viral d’une campagne de pub en vidéo avant sa diffusion.
Sauf que l’échantillon des émotions dites efficaces est restreint. Pour que le contenu sorte du lot, il faut qu’il fasse rire, qu’il rende heureux – ou triste – ou bien qu’il «scotche» le public. Exemple de vidéo qui reste? La publicité pour la chaîne TNT qui met en scène, dans une petite ville de Belgique, une ambulance, une fusillade avec des méchants, une fille qui passe en lingerie sur une moto, sous les yeux des badauds qui ne savent plus où ils habitent.
Toujours dans le registre de l’émotion, autre tendance observée à Munich: l’émergence de sites d’e-commerce nouvelle génération, reposant sur du «emotional commerce» (commerce émotionnel, en VF), comme Fab.com et AHAlife.com. Sur ce dernier figurent des produits plutôt luxe chinés dans le monde, de la montre en bois pour hommes à des chargeurs pour téléphone en édition limitée. Ces objets sont choisis par des «sélectionneurs» – célèbres ou pas – et l’utilisateur peut lire l’histoire de chaque produit, comme si un vendeur haut de gamme lui en faisait l’article.
Que vient faire l’émotion là-dedans? C’est le concept marketing de Shauna Mei, la fondatrice de AHAlife.com, qui dit que, trempée par la pluie lors d’un voyage à Tokyo, elle cherchait en catastrophe un parapluie. En rentrant dans la première boutique, elle est tombée sur des boucles d’oreille, qu’elle a achetées. Depuis, à chaque fois qu’elle porte ces boucles d’oreille, elle repense à ce moment tokyoïte. Et elle a voulu reproduire cette «connexion» entre les acheteurs et les produits sur son site, en comptant sur le fait que les premiers allaient «chérir» les seconds.
«Il faut repenser les méthodes habituelles», dit Angela Zäh, responsable des nouveaux marchés de Facebook, et adopter la culture des hackers. Impossible, sinon, d’avancer. Et de rappeler que le réseau social, aujourd’hui doté de plus de 860 millions d’inscrits, a commencé comme simple site estudiantin. Dès son lancement, en 2004, il avait néanmoins deux objectifs: «s’étendre à l’international et connecter le monde». En toute simplicité.
«Comme il n’y avait ni équipe chargée de l’international ni équipe marketing, il a bien fallu faire autrement…». Et Angela Zäh d’énoncer trois règles pour s’efforcer de «faire autrement»:
1. Que feriez-vous si vous n’aviez peur de rien, ni du ridicule, ni de poser les mauvaises questions?
2. Bougez vite et changez les règles.
3. Le mieux est l’ennemi du bien.
Bref, mieux vaut quelque chose de fait plutôt qu’une idée de la perfection qui ne sera jamais réalisée. «Essayons et remettons en question les principes établis»… des principes en vogue dans la Silicon Valley, estime Karen Wickre, directrice éditoriale de Twitter, passée par Google.
Une philosophie que connaît bien Keren Elazari, «hackeuse professionnelle», qui travaille sur les systèmes de sécurité en Israël et a collaboré à la conférence internationale organisée par l’OTAN sur les cyber-conflits en 2011. «Il ne faut pas se mettre de barrière», argue-t-elle, fidèle à la culture du hack.
Le déclencheur de sa vocation? Angelina Jolie dans le film Hackers. Et, plus récemment, Lisbeth Salander, l’héroïne de la trilogie Millenium, une hackeuse invétérée qui accède aux données présentes dans les ordinateurs de n’importe qui. Devant une audience à très grande majorité féminine, Keren Elazari lance un appel: «Il faut qu’il y ait plus de femmes qui codent et deviennent des hackeuses, c’est très fun, je vous le garantis! Le but du jeu, c’est de manipuler le système pour qu’il fasse ce que vous voulez».
Une nouvelle forme de pouvoir, donc, et la langue vivante de demain. La conférence DLD Women de cette édition avait bien pour sous-titre «nouvelles règles, nouvelles valeurs».
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Alice Antheaume
lire le billetSi les articles des journalistes se sont ouverts aux commentaires, il y a des années, c’était pour que des réactions pertinentes de l’audience nourrissent la matière journalistique. Pure rhétorique, dénonce Nick Denton, le directeur de publication de Gawker, invité à tenir à tenir une conférence, «l’échec des commentaires», au festival South by South West (SXSW), à Austin.
«Les trolls et les spammeurs ne sont pas le problème, on peut les gérer avec force brutalité», annonce l’introduction. «La vraie tragédie, c’est le triomphe de la médiocrité».
Capter l’intelligence des foules? Raté!
«A la fin des années 90, on pensait que l’on pourrait capturer l’intelligence de l’audience. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé», commence Nick Denton. Quant au ratio commentaires utile/inutile, il s’avère désolant. «Si deux commentaires pertinents émergent, c’est qu’il y en a huit hors sujets ou toxiques», comptabilise le patron de Gawker.
Mary O’Hara, journaliste au Guardian, se dit elle aussi déçue par le niveau des commentaires. Lors d’une autre conférence de South by South West, elle a fustigé les préjugés qu’ont ceux qui commentent ses articles. «Mon nom de famille rappelle celui de vieilles familles catholiques irlandaises. Sans même avoir lu mes papiers, des lecteurs prétendent que mon travail est biaisé, juste parce qu’ils ont des croyances sur mon patronyme.»
Et cela n’arrive pas que dans la partie dédiée aux commentaires des sites de contenus. Sur Facebook aussi, et Twitter également.
>> Lire aussi ce WIP, écrit en 2010, sur les communautés des sites d’infos qui ont migré sur les réseaux sociaux >>
Inhibition face à l’innovation
L’heure serait donc grave. Pour Nick Denton, les journalistes, anticipant les railleries qu’ils pourraient provoquer, en viendraient à «avoir peur d’écrire certains articles». Bref, la crainte de recueillir des commentaires négatifs provoquerait même, dans les rédactions, de «l’inhibition», les journalistes se censurant pour éviter les tacles. Telle serait la véritable tragédie des commentaires.
Impossible, pour autant, de laisser en rade ceux qui ont pris l’habitude de commenter, souvent plus dans l’optique de passer le temps que pour vraiment débattre.
Surtout qu’ils sont nombreux. Entre 1.100 et 1.300 commentaires quotidiens sont écrits en moyenne sur lemonde.fr; 15.000 pour Le Figaro, sans compter les réactions sur les réseaux sociaux. 250 millions de messages sont désormais postés chaque jour sur Twitter.
Parmi ces millions de messages, une partie (non quantifiée) réagit à des contenus produits par des journalistes, et une partie (plus rare) peut même servir d’alerte sur l’actualité, comme l’a prouvé Sohaib Atha, également présent à South by South West, ce Pakistanais qui a, le premier, entendu un hélicoptère tourner, lors du raid ayant provoqué la mort de Ben Laden, il y a un an, et l’a tweeté.
Explosion de commentaires
«Un commentaire est posté toutes les 6 secondes sur notre site», m’explique Thomas Doduik, directeur des opérations au Figaro. «Bien entendu avec de tels volumes, tout n’est pas du même niveau. Mais je n’imagine pas un site d’infos qui ne donnerait pas la parole à son audience. Cela fait partie intégrante de l’expérience de consommation de l’information, qui depuis plusieurs années, n’est plus du haut vers le bas mais se construit avec cette audience».
Le problème, c’est que, plus l’audience des sites augmente, plus il devient difficile d’organiser les discussions autour des contenus, de façon à ce que le «meilleur» arrive en haut du panier, sans que cela ne prenne un temps démesuré.
Le nouveau système de Gawker
Gawker, après avoir tenté de taguer ses commentaires (cf ce précédent WIP), va donc lancer un nouveau système de gestion de commentaires dans six semaines.
Comment cela va-t-il fonctionner? Le premier lecteur qui commente un contenu détiendra la responsabilité du fil de discussion qui s’en suivra. Et aura le droit de modérer les autres, d’inviter des experts à participer, et de maintenir la discussion autour d’une seule idée – ce que Denton appelle le «commentaire fractionné». De quoi augmenter le nombre de pages vues. Car cela veut dire plusieurs fils de discussions sous un même article, donc plusieurs modérateurs, et des URL dédiées.
«L’idée principale de ce nouveau système, c’est de sentir propriétaire de la discussion», car, résume Denton, «sans la contrainte de la responsabilité», cela part dans tous les sens.
Le rêve de Denton derrière cette refonte? Que des personnalités citées dans les articles de Gawker, comme Dov Charney, le fondateur d’American Apparel, viennent eux-mêmes se défendre dans les commentaires. Il réfléchirait également à la possibilité d’avoir des «commentateurs invités», comme il y a des blogueurs invités ailleurs.
Leçons du passé
Au final, Nick Denton semble tirer deux leçons des systèmes de commentaires existants:
La médiocrité des commentaires, juste retour de bâton?
Et si la médiocrité des commentaires était le fruit du ton quelque peu cavalier employé par Gawker?, demande l’un des participants. Réponse de l’intéressé: «C’est vrai que de gentils sites tenus par de gentilles personnes encouragent un bon comportement. Mais ce n’est pas comme si l’auteur d’un article donnait le ton à tous les commentaires. Parfois, ce sont les commentaires qui donnent le ton à l’auteur.»
Trop facile? Evidemment que «les lecteurs ne rédigent pas de dissertations bien argumentées dans la section commentaires», écrit Dave Thier, qui collabore à Forbes. Pour ce dernier, gérer les commentaires sur des sites populaires est une tâche «difficile, mais pas impossible».
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Alice Antheaume
lire le billetInnovation, audience, gestion des contenus créés par des utilisateurs, vérification en temps réel, télévision connectée aux réseaux sociaux… Tels ont été les sujets abordés lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le vendredi 2 décembre par l’École de journalisme de Sciences Po, où je travaille, en partenariat avec la Graduate School of Journalism de Columbia. Résumé des interventions.
>> Revivre le live réalisé lors de cette journée marathon (merci à tous les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes et tweets. Cet article a été rédigé en s’appuyant notamment sur leur live!) >>
Emily Bell, directrice du centre de journalisme numérique à Columbia, ex-The Guardian
«L’audience n’est plus l’apanage du service marketing, elle est dans les mains des journalistes. En cours, à la Columbia, je pose la question à mes étudiants: “pour qui écrivez-vous?”. C’est une question nouvelle – avant, on ne le leur demandait pas car il y a encore ce syndrome, très ancré dans la culture journalistique traditionnelle, selon lequel il ne faudrait pas trop faire attention à ce que dit le public, car cela risquerait de contaminer la pensée des journalistes, et de leur faire croire que le public préfère lire des sujets sur Britney Spears plutôt que sur la crise de la Grèce.
Il faut donc connaître son public: qui est-il? D’où vient-il? Comment interagit-il avec les articles? On ne peut pas ignorer ce que dit l’audience, ni ce qu’elle pense, sinon on met en péril son activité journalistique. Il faut utiliser la connaissance et la mesure de l’audience pour faire du bon journalisme.»
>> Lire Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? sur WIP >>
Dawn Williamson, de Chart Beat
«Le journalisme d’aujourd’hui ressemble à l’industrie sidérurgique d’il y a 50 ans. Avant les années 60, la sidérurgie était exploitée dans d’immenses et coûteuses usines. Jusqu’à ce qu’apparaissent d’autres exploitations, plus rapides, plus petites et moins coûteuses. Au début, les grosses usines d’acierie refusaient de travailler avec ces nouvelles petites usines, de peur qu’elles produisent de la moins bonne qualité. On peut dire qu’aujourd’hui, des sites comme le Huffington Post sont comme les mini-aciéries des années 60. Ils produisent du contenu journalistique pour moins cher que les rédactions comme le New York Times.
Au départ, pour se lancer, le Huffington Post (mais aussi Gawker et Business Insider) ne s’est pas intéressé à la qualité mais à sa plate-forme. Le Huffington Post s’est d’abord créé une place, en révolutionnant le marché, puis est monté dans la chaîne de valeur, au point d’embaucher parfois des journalistes du… New York Times.
Pour prendre des décisions éditoriales, ces nouveaux sites donnent accès, pour leurs journalistes, aux données de mesure de l’audience. Et ce, via des outils, dans le backoffice, comme ChartBeat, et NewsBeat, afin qu’ils puissent voir, en temps réel, ce qui intéresse l’audience. Exemple aux Etats-Unis, concernant la députée américaine démocrate Gabrielle Giffords, qui a reçu une balle dans la tête lors d’un meeting, en janvier 2011. Fox News a pu voir, via l’analyse des termes de recherche liés à cette fusillade sur ChartBeat, que le public cherchait à en savoir plus sur le mari de Gabrielle Giffords. Surveiller les intérêts de l’audience, ce n’est pas une course vers le bas de gamme, ni un fichier Excel à lire, c’est un environnement dans lequel les journalistes doivent vivre.»
>> Lire Accro aux statistiques sur WIP >>
Gabriel Dance, éditeur interactif pour The Guardian US, ex-directeur artistique pour The Daily, l’application iPad de Rupert Murdoch, et ex-producteur multimédia au New York Times
«Les clés pour innover? D’abord être “fan” de quelqu’un qui vous inspire, un génie que vous ne perdrez jamais de vue. Le génie que je suis de près? Adrian Holovaty, fondateur du site EveryBlock. Ensuite il s’agit de surveiller ce que font les autres rédactions. Il ne suffit pas de copier les innovations des autres, car votre audience le saura et aura l’impression d’être trompée, il faut améliorer la copie en allant plus loin, en essayent d’imaginer ce que pourrait être l’étape suivante. Etre dans la compétition, ce n’est pas négatif, ce n’est pas mettre quelqu’un à terre, c’est faire monter son propre niveau.
Pour trouver l’inspiration, il faut regarder ce qu’il se passe en dehors du journalisme, comprendre ce qui excitent les gens et pourquoi. L’interface des jeux vidéos peut être une bonne source d’inspiration. Qu’est-ce qui fait que cela marche? Et comment pourrais-je adapter cette interface pour raconter une histoire journalistique? Telles sont les questions auxquelles il faut répondre pour réussir à inventer d’autres formats.
Autre clé pour innover: connaître ses limites (taille de l’équipe, temps, technologie, concurrence). Car oui, des contraintes peuvent sortir de la créativité. Et puis, l’innovation ne vient pas en une fois. Pour ma part, je fais des dizaines et des dizaines de brouillons avant de publier quoique ce soit.»
Mike Proulx, co-auteur du livre Social TV
«Nombreux sont ceux qui ont prédit la mort de la télévision, mais en fait, on ne l’a jamais autant regardée. Aux Etats-Unis, on la regarde en moyenne moyenne 35h par semaine, selon Nielsen. En outre, la convergence entre Web et télévision a une très grande influence sur la façon dont on regarde la télévision. C’est ce que j’appelle la télévision sociale, c’est-à-dire la convergence entre réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, et télévision. On regarde un même programme sur deux écrans, le premier (l’écran télé) pour voir le programme, le deuxième (ordinateur, tablette, mobile) pour commenter et réagir au programme.
C’est la force de Twitter. Au moment où Beyoncé a montré son ventre rond lors des MTV Video Music Awards à Los Angeles en août, il y a eu un pic sur Twitter avec 8.868 tweets par seconde, tweets liés à l’annonce de sa grossesse. Un record. Twitter, qui compte 100 millions de comptes actifs, a de l’impact sur la production des informations. Et ce, sur quatre tableaux:
1. Les “breaking news” de toute sorte arrivent d’abord – et de plus en plus – sur Twitter, de l’amerrissage en catastrophe de l’avion sur l’Hudson, au tremblement de terre au Japon, en passant par la mort de Ben Laden – au point que Twitter en a fait sa publicité avec ce slogan, “Twitter plus rapide que les tremblements de terre”.
2. Pour trouver des sources. Twitter est un outil très utile pour les journalistes qui cherchent à contacter des gens qui pourraient leur raconter des histoires, comme l’a fait Jake Tapper d’ABC.
3. Pour rester connecté en permanence, et faire du journalisme tout le temps.
4. Pour intégrer des tweets à l’intérieur des programmes télévisuels, comme l’a fait l’émission 106 & Park, dans laquelle les questions venant de Twitter sont posées aux invitées pendant le show. Twitter peut vraiment être considéré comme une réponse directe de l’audience à ce que s’il se passe à la télévision. Exemple avec le débat du candidat républicain Rick Perry qui a eu un trou de mémoire au moment de citer le nom de l’agence gouvernementale que son programme prévoit de supprimer. C’est “l’effet Oups”, aussitôt répercuté sur Twitter. Jusqu’à présent, on était habitués à regarder la télévision avec votre famille et vos amis, désormais, on la regarde avec le monde entier.»
>> Lire le mariage royal de la télévision et de Twitter sur WIP >>
Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, ex-lefigaro.fr
«Le fact checking doit se faire de plus en plus rapidement, c’est une réponse à la communication politique. Le fact checking publié une semaine après n’aura pas le même impact que s’il est réalisé très vite. Au Monde.fr, notamment via le blog Les Décodeurs, nous faisons du fact checking participatif. Non seulement les lecteurs peuvent nous poser des questions, mais nous faisons aussi appel à eux pour leur demander de nous aider à trouver des chiffres, ou au moins, des pistes.
Autre moyen de faire du fact checking en temps réel: le live. Pour Fukushima ou pour des débats politiques, comme lors de la primaire socialiste. Le but est de vérifier la véracité de ce que disent les politiques sur le plateau télé. Par exemple, au deuxième débat de la primaire socialiste, 65.000 personnes étaient connectées à notre live. A la rédaction, nous étions quatre journalistes à animer ce live, dont deux uniquement sur le fact checking. Il faut vraiment se préparer en amont, avoir des fiches, des bons liens sur les sujets qui vont être abordés, et se nourrir de sites avec des chiffres comme vie-publique.fr par exemple. Le fact checking en temps réel est un vrai plus, et le sera encore davantage lorsque la télévision connectée sera installée dans les foyers.
Après, dire que l’on fait du fact checking en live, tout le temps, serait prétentieux. Parfois, cela nécessite un travail de fond que l’on ne peut pas réaliser en 3 minutes. Faire un vrai décryptage c’est ne pas se contenter de la parole politique. Mais en vrai, c’est un exercice sans filet, où le fact checking est parfois sujet à interprétation. Ce ne sont pas des maths, il y a parfois des zones grises (cf les “plutôt vrais”, “plutôt faux” du blog Les Décodeurs). Néanmoins, Nicolas Sarkozy a pu dire pendant deux ans qu’un bouclier fiscal existait en Allemagne avant que l’on vérifie et qu’on écrive que ce n’était pas le cas».
>> Lire le fact checking politique sur WIP >>
Nicola Bruno, journaliste, auteur pour le Reuters Institute Study of Journalism d’un travail de recherche intitulé “tweet first, verify later”
«Maximilian Schäfer, du journal allemand Spiegel, l’a dit: le fact checking ne concerne pas la vérification des faits, mais la fiabilité des sources. Or il est de plus en plus difficile de s’assurer de la fiabilité de ses sources, parce que l’on a moins de temps pour cela, parce que les sources sont multiples et disséminées sur les réseaux sociaux, et aussi, parce que, sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien. Enfin, si, selon Paul Bradshaw, du Guardian, qui assure qu’on laisse tant de traces sur le Net que, même si l’on ne connaît pas la source, on peut déterminer son sérieux en fonction de son empreinte numérique.
Et dans les rédactions comme la BBC, le Guardian ou CNN, les approches sont différentes. Au Guardian, ils privilégient la vitesse, donc ils publient d’abord, ils vérifient après. A CNN, qui s’appuie sur iReport, une partie du site où des amateurs peuvent partager leurs infos (environ 10.000 iReports/mois), le contenu n’est pas vérifié tant qu’il n’a pas été sélectionné par la rédaction. Côté BBC, qui reçoit environ 10.000 contributions par jour de la part des utilisateurs, la vérification des contenus venus des réseaux sociaux est beaucoup plus stricte. Une équipe surveille les réseaux sociaux 24h/24, cherche et appelle des sources éventuelles. Leur principe? Vérifier d’abord, publier après. Twitter s’est révélé une très bonne source pour la couverture du tremblement de terre à Haïti. Ça, on peut le dire aujourd’hui, mais à l’instant T, comment en être sûr?
Concernant les outils, pour vérifier les contenus générés par les utilisateurs, il y a TinEye pour les images, et Exif pour savoir avec quel appareil celles-ci ont pu être prises, mais aussi Google Maps et Street View pour les lieux. Et pour savoir si une photo a été retouchée? Le site Errorlevelanalysis.com. Il n’y a pas de secret, on utilise toujours les mêmes principes de vérification, issus du journalisme traditionnel, le tout boosté par les nouveaux outils et les réseaux sociaux.»
>> Lire la présentation sur Storify de Nicola Bruno >>
>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>
Julien Pain, journaliste à France 24, responsable du site et de l’émission les Observateurs
«Notre force, à France 24, c’est d’avoir une base de données de 20.000 personnes dans le monde, dont 3.000 sont labelisées “observateurs” parce qu’on les a jugées fiables. Tous les contenus des utilisateurs sont vérifiés avant publication, mais le plus difficile à vérifier pour nous, depuis Paris, ce sont les vidéos. Dès qu’il se passe quelque chose dans l’actualité, la rédaction à Paris passe en revue les observateurs présents dans la région concernée et les appelle.
Que peut-on demander à des amateurs? Nous “alerter” sur des choses qui se passent, “capter” des bribes d’actu et “vérifier” des éléments. Que ne peut-on pas leur demander? Fournir des papiers clés en main avec le titre le chapeau et l’information présentée de façon concise, ou de se déplacer sur commande (et gratuitement). Mon travail est d’autant plus intéressant lorsqu’il concerne des pays où il n’y a pas de journalistes, surtout lorsque les amateurs nous montrent des images que les autorités ne veulent pas que l’on voit. Le problème, c’est que les bons contenus n’arrivent pas tout seuls sur le site de France 24, il faut aller les chercher.
Quant à la vérification, elle n’est seulement le fait des journalistes. Les amateurs peuvent nous aider à vérifier des images, et leur connaissance culturelle du pays est inestimable dans cette tâche. Les contenus amateurs explosent dans les lives, et s’entremêlent aux contenus professionnels. On l’a vu à France 24, et même à Reuters qui le fait dans ses lives. L’avenir? L’image amateur diffusée en live… Et le risque de commettre des boulettes.»
>> Lire Le type du Web répond au grand reporter, la tribune de Julien Pain sur WIP >>
>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>
NB: Cette conférence a aussi été l’occasion de remettre le prix de l’innovation en journalisme Google/Sciences Po et des bourses de mérite aux étudiants. Félicitations aux lauréats!
Alice Antheaume
lire le billetVendredi 2 décembre 2011. Rendez-vous pour la troisième conférence internationale sur “les nouvelles pratiques du journalisme”, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po, à Paris, et la Graduate School of Journalism de Columbia, à New York.
Prix
A cette occasion, le premier prix de l’innovation en journalisme, organisé par Google et l’Ecole de journalisme de Sciences Po, sera remis aux lauréats.
Programme
Au programme de cette journée, des professionnels des contenus éditoriaux, venus de part et d’autre de l’Atlantique, pour évoquer la difficile gestion des statistiques en temps réel, l’innovation (ou pas) dans les rédactions, la télévision “sociale”, la vérification des contenus venus du Web, le fact checking en temps réel, etc. Des sujets chers à W.I.P.
Live
Pour suivre les discussions, poser des questions (avec le hashtag #npdj11 sur Twitter), mieux comprendre les évolutions du journalisme, les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po mettent en place un “live” accessible en cliquant ici.
lire le billetThe death of Mohammar Qadaffi. The G20 Summit in Cannes. Soccer matches. Political debates. How to keep on top of the latest information? Today, these breaking news stories are all being reported instantaneously via liveblogging. This cutting-edge digital publication format enables real-time reporting of an event, by mixing text, photos, videos, social media content, and audience interaction. And it is an incredible lure for readers.
According to estimates, it accounts for at least 30% of the traffic to a general news web site, a percentage which is increasing rapidly. Moreover, since web-users remain significantly longer on news sites using this format, liveblogging has also become an important factor in audience engagement.
>> Read this article in French >>
UPDATE. On Monday, November 14, France Televisions launched its continuous news platform, available on the Web and on mobile devices. (1) This project advances the concept of liveblogging to the extreme – for now. Effectively, it is based on a continuous live blog which disseminates, from 6 am to midnight (stories such as the strike at the Employment Department, the nomination of Mario Monti, the latest on DSK, the hostages liberated in Yemen, etc.), via video, photos, and written content. All this is created by livebloggers, a new breed of journalists who have become specialists in digital blogging, and who answer the audience’s questions and comments about the news in real time.
In terms of the editorial slots for importance of news, liveblogging follows this structure: if the news is of lesser importance, three written lines will suffice. If it’s a major news story, it will be the object of several entries, with various angles of development of the story, either included in that day’s live blog on the topic or covered in a different thread.
For Nico Pitney, executive editor of the Huffington Post, in an interview by the Nieman Lab, two out of three web users are attracted to liveblogging. “We basically imagined three types of readers,” Pitney said. “One who just wanted the key facts from the story, a solid overview that’s basically a traditional news story. This person is not interested in the minute details and the live-blog coverage. Then there’s another type of user who already knows the overview and does want the key facts and live-blog coverage. And finally there’s a third kind of user — and we count this as a large percentage of our users — who wanted the overview, but then once they saw the live blog, it got them in deeper, and it made them more engaged in the story.”
And, of course, readers remain glued to their screens, caught in the spell of the live blog, a and the promise of instant updates on a big story as it unfolds.
Liveblogging: the new TV
Why are live blogs so endlessly appealing? This was the key question at a workshop organized last week at a Journalism Conference in Poitiers, France. (2)
“Readers feel as though they are creating the news,” explained Karine Broyer, Editor-in-Chief for Internet and New Medias at France 24. “During the events in Egypt, some people were asking questions on the live blog for our special correspondent, who was on location at Place Tahir in Cairo. They addressed him by his first name, Karim. And if the question was relevant, Karim Hakiki answered on the spot, perhaps giving readers the impression that their comments had played a part in the creation of the news.”
“During the televised debates of for the French Socialist Party Primary, we chose not to have a live blog on the site – too France-centric for an international media source like France 24. Perhaps we made a mistake; I don’t know. Our viewers ranted on Twitter, ‘Are you asleep or what? You have to liveblog this…’”
Types of comments on live blogs
“Internet users are participants,” notes Jonathan Parienté, a journalist covering the presidential elections at LeMonde.fr. He cites three basic forms of comments on live blogs:
1. Basic comments such as “I like, I don’t like/ It’s good, it’s not good”
2. Comments that are questions
3. Comments that add information to the story.
Whereas by default on lemonde.fr, no comment is published in a live blog until screened and approved by the editorial team, in general the rules are simple: a type 1 comment is kept if the reader expands a bit on his or her opinion; but to be honest, it doesn’t have much journalistic interest. Type 2 forms the bulk of the comments that are published in live blogs and are useful in articulating the editorial position, giving a visual sense of a dialogue between readers and editors, the latter remaining in an ultimate position of arbiters. Type 3, quite rare, is very useful from a journalistic point of view, and naturally requires verification and fact-checking before it can be published. But it can sometimes change the course of the story, since the information is coming from outside of the editorial department.
What are the successful elements of a great live blog?
It is first and foremost a question of the interest level of the story, according to Karine Broyer. “98% of the live blogs that we launch are based on breaking news.”
In addition to the compelling aspect of the news item, there are several factors key to the success of a live blog:
On a tool like “Cover It Live“, used by the majority of news sites in France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), the live blog has only one unique URL. Other sites developed internally, such as the Huffington Post, attribute one URL per blog post and thus increases the rate of sharing on social networks, allowing any user to cite the content of the live blog, a photo, an explanation or a quotation, as opposed to linking to a general title such at “live coverage of such-and-such event.”
At the Sciences Po Journalism School, learning to build liveblogging format has been a part of the curriculum since September 2010, on the same level as training for television reporting or a radio news flash. The ability to report happenings instantaneously, to give context to the news, put events into perspective, respond to readers’ questions, and to fact check, requires professional acumen and ability. And stamina, especially when the liveblogging on a particular topic goes on for days or weeks, as witnessed by Reuters sur Fukushima, from March 11 -26, which lasted 15 days and covered 298 pages.
Do too many live blogs kill the live blog?
Let’s think about it: in the end, if all media liveblog the same topics at the same time, will it lose interest? “I’m not going to stop liveblogging simply because everyone else is doing it,” says Karine Broyer. Especially since — depending on the subject at hand, the sources, the links that are included, the tone and the tempo — no two live blogs are the same, according to Jonathan Parienté. So, not to worry: there’s room for all in this growing new medium. It is, after all, is still in the experimental phase. Florence Panoussian, who oversees Web and Mobile Editorial for AFP, looks at it this way: “Having multiple live blogs is like having multiple traditional media.”
(1) Bruno Patino, Director of Digital Strategy at France Télévisions, is also the Director of the School of Journalism at Sciences Po, where I work.
(2) Workshop which in which I was a presenter. Thanks to Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, and Florence Panoussian, for these pour ces échanges.
Alice Antheaume (translated by Polly Lyman)
lire le billetCrédit: AA
Peut-on faire payer les contenus des sites d’informations? Vrai serpent de mer, cette question a été posée des milliards des fois. Et pour cause: elle n’a pas reçu de réponse claire. Ou alors une réponse – oui, tout doit être gratuit en ligne, sauf les informations très spécialisées à destination de professionnels – qui ne satisfait pas les éditeurs. Résultat, aucune conférence sur les médias ne se tient sans échapper à cette discussion. Et le Changing Media Summit, le colloque organisé par le Guardian, les 23 et 24 mars à Londres, ne déroge pas à la règle. Plusieurs interventions et tables rondes y étaient consacrées.
>> Lire aussi: Pourquoi le journalisme continue à muter en 2011? >>
Alors que le New York Times vient de lancer un mur payant «incroyablement complexe», selon les mots d’un journaliste de la BBC, que le rapport annuel du Pew Research annonce qu’aux Etats Unis, seul 1% des utilisateurs paient pour accéder des informations en ligne, et qu’Associated Press serait en train de regarder de près le système de paiement «One Pass» de Google, qu’en pensent les intervenants de la conférence londonienne? Eléments de réflexion.
Rob Grimshaw, Financial Times
«Avoir un mur payant ou pas, ce n’est plus un débat pour le Financial Times. Car la discussion a été tranchée: notre paywall marche. Il marche même très bien. Nous avons 210.000 inscrits payants en ligne, ce qui représente la moitié de notre circulation payante. De plus, près de 15% de nos utilisateurs souscrivent leur abonnement au FT.com via leur mobile. Alors pourquoi aurions-nous encore un débat sur les paywalls? Non, en revanche, ce qui nous occupe au Financial Times, c’est le mobile. Comment faire grandir notre audience sur ce support? D’après les chiffres dont nous disposons, 90% des internautes britanniques accèdent déjà au Web par le mobile et 45% de nos lecteurs accèdent à des contenus du FT via leur téléphone.»
Alan Rusbridger, The Guardian
«Le modèle du Financial Times ne peut pas marcher pour le Telegraph ou le Guardian. Quel type de journalisme peut susciter l’achat? Je ne sais pas. Pour l’instant, je ne suis pas sûr d’avoir vu des preuves que l’on peut faire payer pour des informations généralistes. Si le New York Times réussit son expérience de mur payant, je regarderais de plus près. Mais encore faudrait-il que les médias soient transparents sur leurs chiffres, afin que l’on puisse tirer les leçons de leurs expériences. Actuellement, sur le site du Guardian, 4 millions de personnes viennent chaque jour cliquer sur des contenus… gratuits.»
Arianna Huffington, Huffington Post
«Y aura-t-il un jour un mur payant sur le Huffington Post? A priori non, même si nous sommes tous dans une phase d’expérimentation. Je vois que le New York Times a finalement lancé son mur payant avec une très grande hésitation, en le testant d’abord au… Canada, c’est dire. Au fond, ils ne misent pas vraiment sur ce mur payant, ce que je comprends, car il paraît très difficile de le faire sur les informations générales et les opinions.»
Christian Hernandez, Facebook
«Pour les contenus, il faut distinguer les denrées de base, les informations généralistes, et celles qui ont de la valeur, le journalisme. Les murs payants n’ont de sens que pour les contenus qui ont du sens. De la valeur, si vous préférez.»
Paul Bascobert, Bloomberg Business Week
«Il n’y a pas de modèle valable à part celui qui permet de découvrir ce qui a de la valeur pour l’éditeur et le client. Oui, nous ferons un jour payer nos contenus en ligne. Quand? Dans le futur…»
Stevie Spring, Future
«Je déplore la naïveté des éditeurs qui assènent que ce contenu coûte tant, donc maintenant, chers lecteurs, il faut payer. Entre la “capacité” à payer, et l’acte de payer, il y a une grosse différence. La plupart du temps, les gens estiment qu’une fois qu’ils ont payé leur fournisseur d’accès à Internet, c’est bon, ils peuvent naviguer tranquillement sur leur navigateur et sur leur mobile, et consommer ce qui leur plaît.»
Paul Hayes, News International
«Le plus intéressant, en ce moment, c’est de voir comment les éditeurs évaluent la valeur de leur contenu. Par exemple, sur l’application iPhone du Guardian, on peut estimer qu’un contenu vaut un penny (10 centimes d’euros, ndlr). En réalité, cela coûte beaucoup plus cher que cela à produire. Les éditeurs ont passé trop de temps à se plaindre. Ils ont d’abord dit que Google leur volait leurs contenus, et maintenant, ils regrettent qu’Apple leur pique leurs revenus. Pendant ce temps, Facebook, Google, et Apple construisent la suite.»
Au final, lors de ces deux jours au Changing Media Summit, le mot «valeur» était sur toutes les lèvres. Mais de quelle valeur parle-t-on? La prix que coûte la production d’un article? Sa valeur journalistique aux yeux d’un directeur de la rédaction? La valeur que lui donne les internautes? Nul ne le sait tout à fait. Une chose est sûre, et c’est ce qu’annonçait l’état des lieux annuel sur les médias américains, Apple, Google et Facebook se sont assis autour de la table, et ont d’ores et déjà installé leurs péages. En un clic.
Alice Antheaume
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