Le faux tweet de trop

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Cécile Dehesdin, journaliste à Slate.fr, diplômée du double diplôme Columbia/Ecole de journalisme de Sciences Po.

Fin août, un éditorialiste sportif du Washington Post tweete le nombre de matchs de suspension d’une star de football américain. Problème, ses informations sont non seulement fausses, mais il le sait: Mike Wise (dont le pseudo sur Twitter est @MikeWiseguy, jeu de mot sur son nom et l’expression «petit malin») a décidé d’écrire un faux tweet pour prouver que, dans ce détestable monde de l’Internet mondial et des réseaux sociaux, les médias sont prêts à écrire n’importe quoi sans vérifier leurs sources.

Crédit: DR

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Plusieurs publications spécialisées ont repris l’annonce des matchs de suspension, en l’attribuant au journaliste et en précisant que la NFL (National Football League) n’avait fait aucune annonce officielle, mais sans vérifier plus avant l’information. Dans l’heure et demie qui a suivi, toujours dans la journée du 30 août, Mike Wise ajoute «Je ne peux pas révéler mes sources», «Ok, ok, c’était une croupière du casino de Lake Tahoe», avant d’écrire deux autres tweets annonçant des transferts sportifs dans le même style que le premier. Cette vague tentative pour montrer que sa première déclaration était une blague n’a pas suffi: Mike Wise a été suspendu pendant un mois de ses fonctions au Washington Post.

C’est que les médias ne blaguent pas avec les médias sociaux. Aux Etats-Unis, plusieurs organisations ont installé une personne sur un poste spécialement dédié au sujet, comme le New York Times et sa «social media editor» par exemple. En outre, presque tous les médias américains ont des règles écrites sur l’utilisation de blogs, Facebook ou Twitter par les journalistes. Reuters aussi, et sa charte a été détaillée ici.

Au Washington Post, l’après-midi même après la publication du faux tweet, le chef de la rubrique sport a d’ailleurs renvoyé à tous ses employés une note formelle qui précise les règles d’utilisation des réseaux sociaux:

«[Les règles sur les médias sociaux] s’appliquent à tout le monde, y compris les reporters, les chefs de rubrique et les éditorialistes de la rubrique sport. Quand vous utilisez un média social, rappelez-vous que vous représentez le Washington Post, même si vous utilisez votre propre compte. Ceci n’est pas à prendre à la légère. Les standards que nous appliquons au journal, sur le site, sur la version mobile ou sur n’importe quelle autre plateforme s’appliquent au monde des médias sociaux. Plus fondamentalement, nous devons être exacts. Nous devons être transparents. Et nous devons être justes.»

Paradoxal? Cette histoire a eu lieu alors que le Washington Post est, à ma connaissance, le seul journal à avoir un «social media editor» entièrement dédié à sa rubrique sport! J’avais interviewé Cindy Boren, la «sports social media editor» du quotidien, avant de partir de New York.

Dans cet entretien, Cindy Boren disait avoir eu du mal à convaincre ses collègues de se mettre aux réseaux sociaux, et se rémémorait la période où elle passait de bureau en bureau, harcelant les journalistes pour qu’ils suivent son nouveau compte sur Twitter, cherchant à les convaincre de l’intérêt de l’outil: «Si vous vous faites un réseau et que vous suivez les sources clés dont vous avez besoin, vous avez moins de chance de vous faire voler un scoop», expliquait-elle, prenant comme exemple le récent tweet d’un follower alertant le service sport de la présence d’un joueur de football américain dans un avion. «Ça aurait pu être le signe d’un transfert. En fait il s’est avéré qu’il s’agissait juste des vacances, mais c’était bien de pouvoir faire vérifier cette info à notre journaliste».

Elle aussi appuyait sur l’importance de vérifier ses sources. Et insistait encore et encore, arguant que son staff laissait des dizaines de tweets de côté «parce que nos reporters nous disent qu’ils ne sont pas avérés».

Plus tard, dans un pseudo tweet d’excuse, effacé depuis, Mike Wise écrit: «Au final, ça a prouvé deux choses 1. J’avais raison en disant que personne ne vérifie les faits ou les sources et 2. Je suis un idiot. Mes excuses à tous ceux impliqués».

Mais pour les blogueurs, du Washington Post comme d’ailleurs, Mike Wise n’a rien prouvé sur les réseaux sociaux et le journalisme avec son faux tweet. Oui, dit l’un d’eux, dénommé Michael David Smith, quand un journaliste sort un scoop, les autres médias le relaient en le citant. «Mais il a tort: tout ceux qui ont diffusé son tweet l’ont correctement sourcé en l’attribuant à Mike Wise du Washington Post. Simplement, nous ignorions que cette source était si peu fiable».

Cécile Dehesdin

Un commentaire pour “Le faux tweet de trop”

  1. Donc, on ne peut pas faire n’importe quoi sur le réseau lorsque l’on est journaliste. CQFD

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