«Old», le nouveau tacle des journalistes en temps réel

Crédit: Flickr/CC/chrisinplymouth

Un jour comme un autre dans une rédaction en ligne. Un journaliste envoie à ses collègues, par messagerie instantanée, le lien vers une information qu’il juge intéressante. A la réception de son lien, ses collègues lui assènent: «old!». Old comme… vieux.

Façon de disqualifier cette information qui «tourne depuis au moins 2 heures sur les réseaux sociaux», justifient les intéressés. Et qui, en somme, serait donc (déjà) trop datée pour être publiée sur un site d’infos en temps réel.

Sous ses airs de jeu potache, l’emploi du véto «old» dans les rédactions dénote une exigence de tempo et de vérification qui s’exacerbe.

Question de tempo

«C’est pénible de voir sur Twitter des informations qui ont plus de 48h, lues déjà des dizaines de fois», lâchent ces producteurs de contenus numériques. Inutile, selon eux, de publier des redites de l’actualité sans plus value.

Avec l’accélération du temps réel de l’information, accru par les «lives», ils prônent le «tempo» de l’information. Le tempo, c’est publier LA bonne information au bon moment. Le cœur de la guerre sur le terrain du journalisme numérique.

«Il y a une question d’adéquation entre le moment où tu donnes l’information et la qualité de l’information», explique Emmanuelle Defaud, chef des informations à France TV Info. «Dans le temps T, tu peux donner une information qui vient de sortir, en restant sur des faits bruts. 24h ou 48h plus tard, il te faut un angle sur cette même information: tu ne peux pas donner juste le fait, tu dois le décrypter.»

Le temps du factuel précède le temps des explications, du décryptage, de l’analyse. Ce n’est pas spécifique au numérique mais, à l’ère du temps réel sur le Web, tout retard à l’allumage sur le premier temps, celui de l’information factuelle, risque de paraître anachronique.

Pardon si c’est «old»

Désormais, des utilisateurs de Twitter en viennent à (presque) s’excuser de mentionner une information dont ils pressentent qu’elle a déjà été relayée, en ajoutant le terme «old» à leurs tweets, ou en précisant «j’avais raté cela»… Tant et si bien que le mot «old», qui devrait figurer dans la novlangue des journalistes en ligne, est devenu un hashtag sur Twitter et n’est pas utilisé que par des journalistes.

«Old» est donc le nouveau tacle entre journalistes et utilisateurs connectés. L’apparition du mot «old» dans les rédactions montre que le  journalisme, tel qu’il se pratique en ligne, s’inscrit dans une culture du partage. Les journalistes partagent des informations, s’envoient des photos, des liens vers vidéos, des gifs animés, commentent des messages repérés sur les réseaux sociaux, publient des liens, en guise de statut, depuis leur messagerie instantanée. Bref, ils vivent, comme leurs lecteurs, dans une omniprésence de liens.

Premier

Dans cette culture du partage, un bon journaliste est le premier à donner un lien. Sa mission consiste à découvrir la «bonne histoire» avant les autres, qu’il s’agisse d’une histoire produite ailleurs (sur un site concurrent ou sur les réseaux sociaux) et dont le journaliste se ferait le «détecteur», ou d’une histoire dont il serait témoin sur le terrain – un usage que veut maintenant récompenser le prix Pulitzer avec sa catégorie breaking news, dont les critères ont été modifiés afin de rendre compte «aussi vite que possible, des événements qui se passent en temps réel et au fur et à mesure».

L’enjeu, c’est donc d’être à l’origine de la chaîne.

MISE A JOUR (15h25): Signalé par des commentateurs de WIP (merci à eux), l’existence d’un outil intitulé Is it old? (est-ce que c’est vieux?) qui permet de savoir si le lien que l’on s’apprête à envoyer à ses collègues a déjà été twitté ou pas.

Remonter l’histoire d’un lien

Pas de miracle, mieux vaut être accro au réseau. Outre la connaissance des faits, la capacité à enquêter et à raconter une histoire, le journaliste en ligne doit savoir établir l’historique d’un lien. Où a-t-il été publié pour la première fois? Par qui? Quand? Qui est la première source? La réponse à ces questions suppose de savoir remonter le temps, à la minute près, sur le Web et les réseaux sociaux, à la recherche de la première source.

Une compétence fondamentale dans l’univers numérique, et dont s’enorgueillissent volontiers les journalistes en ligne, habitués à traquer les dates, les heures, les minutes, de publication et/ou de mise à jour et à retrouver la trace de personnes réelles derrière des pseudonymes.

Journalistes fact-checkés

Vigilance obligatoire. Car il n’y a pas que les politiques qui soient soumis au fact checking. Les journalistes en ligne aussi, et ce, le plus souvent par leurs pairs. Ces «old» qui ponctuent la vie des rédactions, c’est une forme de vérification de la pertinence du sujet. Et voir son sujet taxé de «old» n’arrive pas qu’aux autres.

«On peut se faire happer par quelque chose qui est viral, mais vieux, donc il faut faire attention à bien connaître l’histoire dont on parle», reprend Emmanuelle Defaud, en citant l’exemple d’une photo ayant beaucoup circulé sur Facebook au mois d’octobre 2011. Celle-ci, signée Reuters, montrait des araignées, chassées par les eaux, venues tisser leurs toiles sur un arbre. «Vue et partagée au moment des inondations en Inde, on a d’abord cru qu’il s’agissait d’une très forte photo de cette actualité avant de…. comprendre que cette photo datait en fait de 2010 lors des inondations au Pakistan».

S’écrier «old», c’est donc faire rempart (collectif) contre la tentation de la viralité. Histoire de ne pas «être suiviste, mais informé».

Si vous aimez cet article (et que vous ne le trouvez pas déjà «old»), merci de le partager sur Twitter et Facebook.

Alice Antheaume

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La formule de l’info “twittable”

Crédit: Flickr/CC/Pete Prodoehl

“Lady Gaga estomaquée par la biographie sur Steve Jobs, à lire sur Mashable”. Ce (faux) message ferait sans doute un carton sur Twitter. C’est ce que j’ai appris en lisant une étude menée par Bernardo Huberman, du laboratoire Hewlett Packard de Palo Alto, en Californie. Une étude sur… la possibilité de prédire la popularité des informations publiées sur Twitter.

Après avoir analysé l’actualité et la façon dont elle s’est répandue sur Twitter, pendant une semaine au mois d’août dernier, Huberman et deux autres chercheurs ont trouvé la formule pour prévoir – à 84% – si une information sera très diffusée (ou pas) sur le réseau social avant même qu’elle ne soit tweetée. La formule tiendrait à quatre facteurs:

1. Le sujet

Comme ailleurs, les informations concernant les scandales, le sexe, les réseaux sociaux ou la technologie, bénéficient d’une plus forte viralité sur Twitter.

2. Les personnes dont il est question dans le sujet

Sans surprise, les sujets les plus “twittables” sont ceux qui mentionnent des personnalités connues.

3. La source du sujet

Parce que les utilisateurs de Twitter sont plutôt connectés, un média de référence sur les nouvelles technologies a plus de poids qu’une autre source.

4. La subjectivité du sujet

Que le sujet soit écrit de façon “neutre” ou “engagée” n’aurait pas d’influence sur sa “tweetabilité”.

Algorithme

Il y aurait là de quoi créer un programme à installer sur les ordinateurs des journalistes, avance Huberman, interrogé sur MSNBC. Ce programme, basé sur la formule des quatre facteurs, permettrait de “scanner chacun des articles écrits par les journalistes afin de leur dire, à l’avance, comment leur article va prendre sur Twitter”, et comment, donc, ils peuvent le changer pour améliorer sa popularité sur le réseau social.

Inquiétant? Oui, répond Huberman. Plus que la liste des facteurs pour rendre un contenu journalistique “facebookable” ou visible sur Google, la formule de l’information “twittable” est catégorique. Si tout le monde utilise cette formule, “toutes les informations se ressembleront” afin d’être compatibles avec Twitter, craint le chercheur, toujours sur MSNBC. En outre, cela laissera sur le carreau d’autres informations. “Celles qui ne contiennent pas les caractéristiques (décrites ci-dessus, ndlr) seront noyées. Personne ne les remarquera. C’est triste.”

A la main

Pas si vite. Il semble, d’après les tests menés de façon empirique sur Twitter – certes non homologués par une étude, que le journaliste a aussi d’autres cordes à son arc pour améliorer la diffusion des informations sur ce réseau social:

  • le “timing” de publication (jour et heure) du tweet renvoyant vers une information, sachant que certaines plages sont déjà sur-saturées, rendant plus difficile sa visibilité
  • l’art de “titrer” le tweet pour attirer l’attention sur le contenu

Qu’est-ce qui, selon vous, constitue une information “twittable” ou pas? Merci pour vos commentaires et vos partages sur Facebook et Twitter!

AA

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Bref. Canal+ a une stratégie sur Facebook.

Crédit: DR

Départ de Facebook, destination Canalplus.fr. C’est le parcours qu’emprunte presque un tiers de ceux qui se connectent au site de Canal+. «25% de leur trafic provient de Facebook», a vanté en décembre Julien Codorniou lors de la conférence Médias 2011 des Echos.

De fait, la communauté de Canal+ – sur le réseau social – toutes pages confondues – a doublé, passant de 5 millions de fans début 2011 à plus de 11 millions en 2012. Une montée en puissance qui tient certes au succès de la page de la série Bref, qui compte plus de 1,8 millions de fans, mais aussi à une équipe, au sein de Canal+, dédiée aux nouveaux contenus, qui veille. Et se prépare en ce moment-même à l’intégration de la nouvelle plate-forme sociale de Facebook, intitulée l’Open Graph 2.0, dans ses contenus.

Quelle est leur recette? Explications avec Fabienne Fourquet, directrice des nouveaux contenus pour Canal+, et Lama Serhan, éditrice de nouveaux contenus.

1. Apprendre à connaître sa communauté «facebookienne»

Première étape: se plonger dans les statistiques de Facebook pour savoir qui sont vraiment les «fans» de Canal+ sur le réseau social et quels sont leurs usages. Coup de chance pour la chaîne: sa communauté possède plus d’amis que la moyenne – 130 amis par inscrit selon Facebook, 229 amis selon Mashable – et qu’elle partage davantage de contenus.

«C’est vertueux pour nous», m’explique Fabienne Fourquet, car cela conduit à un taux de transformation «exceptionnel». Un seul contenu de Canal+ «liké» via Facebook de Canal+ génère de l’activité sur le réseau social et environ 25 clics en retour sur le site Canalplus.fr. Et ce, même si les vidéos sont lisibles directement sur Facebook en un clic – un double clic ramène vers le site originel.

Autre particularité observée sur ces utilisateurs: ils partagent volontiers des contenus de Canal+ sur leur mur. Comme si cet affichage revêtait une fonction quasi statutaire.

2. Monter une stratégie de diffusion

Septembre 2011, Canal+ décide de rendre son lecteur de vidéos exportable. Cette chaîne, basée sur un modèle payant, et donc fermé, s’ouvre enfin aux possibilités du Web – et notamment au fait que les autres sites puissent «embedder» ses vidéos. Cela n’a l’air de rien mais c’est une petite révolution. Qui s’étend vite aux réseaux sociaux.

«Nous sommes passés à une vraie logique de distribution des contenus», décrypte Fabienne Fourquet. «Plutôt que de limiter la diffusion des vidéos au site de Canal+, nous avons permis aux utilisateurs de voir la vidéo là où ils sont». Facebook y compris, donc, qui compte 23 millions de Français. C’est presque du «service», estiment les équipes nouveaux contenus, qui en appellent à la théorie selon laquelle, désormais, les «infos» nous trouvent, et non l’inverse.

3. Créer un pôle d’éditeurs

Une quinzaine de personnes travaillent, au sein de la maison mère, à la présence de Canal+ sur le Web en général, et sur les réseaux sociaux en particulier. Cette équipe est répartie en fonction des domaines-clés de Canal: 5 personnes s’occupent des documentaires, de l’information et du divertissement, 4 personnes éditent le sport, 2 le cinéma, et 2 les séries.

Pour modérer les commentaires qui affluent sur les pages Facebook de Canal+, un prestataire extérieur s’en charge, 7 jours/7, 24h/24, selon les règles en vigueur: pas de diffamation ni d’insulte, pas d’atteinte à la vie privée ni d’appel au meurtre, et, bien sûr, pas de spams.

4. Miser sur les vidéos, rien que des vidéos

«Nous ne créons pas de contenus exclusifs pour les réseaux sociaux», détaille Fabienne Fourquet. «Nous puisons dans les 500 vidéos publiées par semaine, dont 150 sont, elles, uniquement diffusées sur le site de Canal+ (pas à l’antenne, donc, ndlr).» Au besoin, des monteurs et des réalisateurs créent des contenus dédiés aux nouveaux écrans.

Une limite de durée sur les vidéos? «Il n’y a pas forcément de rapport entre audience et longueur de la vidéo», constate Lama Serhan, en donnant l’exemple des zappings, qui durent 5 minutes et sont parmi les vidéos les plus vues. Autre levier d’importance: le sous-titrage des vidéos, comme les Pépites sur le Web, sorte de zapping Internet, est un «gage de réussite» pour le public francophone.

Alors certes, il y a, sur Facebook, des contenus Canal+ autres que les vidéos, mais la stratégie de Canal, c’est de rester concentrer sur les vidéos. «Lorsque la nouvelle marionnette de Jean Dujardin a été créée pour Les Guignols de l’Info, nous avons publié la photo sur Facebook», se souvient Lama Serhan. Idem lorsque Groland a fêté ses 20 ans, en novembre dernier, et qu’un live-tweet a été organisé lors de la journée-anniversaire.

5. Rester dans le ton Canal

Quel ton est utilisé pour écrire, au nom de Canal+, sur les réseaux sociaux? «Nous n’avons pas de charte, et c’est cela qui marche», estime Fabienne Fourquet.

Sur la page Bref, tout de même, le système paraît rodé. Le titre est toujours «Bref. Titre de l’épisode.» Et bien sûr, une capture d’écran choisie avec soin qui représente l’épisode. Et appelle au clic.

Plutôt qu’une charte, «nous avons surtout déterminé de ce qu’il ne faut pas faire». A savoir bannir les phrases du style «regardez ce soir tel ou tel programme» postées sur Facebook en amont de la diffusion, car, dit encore Fabienne Fourquet, «nous ne faisons pas de “push” sur les programmes en amont, nous ne publions une news que lorsqu’elle est liée à du contenu, qu’il s’agisse de vidéos ou d’infos». Interdiction aussi de publier une information qui concerne le groupe Canal, par exemple l’acquisition par le groupe Canal+ des chaînes Bolloré, avant qu’elle n’ait été annoncée en interne. Enfin, pas de lien vers l’extérieur – on reste dans l’univers Canal+, un point c’est tout.

6. Réfléchir aux heures de publication

Il y a deux bonnes fenêtres de tir pour Canal+: entre midi et deux, et le soir. Dans l’interstice, pas d’affolement. «Nous ne publions pas plus de 3 ou 4 contenus par jour sur chaque page, pour ne pas prendre le risque de spammer nos fans». Et de les pousser à se désabonner. Résultat, le pôle d’éditeurs s’est réparti afin de couvrir les soirées, jusqu’à 22h et les week-ends.

«Nous publions en fonction des rythmes de l’antenne», ajoute Lama Serhan. Pas question de faire attendre les «fans» de Facebook lorsqu’est diffusé Le Grand Journal, de Michel Denisot, et Bref. Exemple repéré ce mardi 31 janvier 2012: moins de 10 minutes après que l’épisode de «Bref. Je suis allé aux urgences» est passé à l’antenne, le voici sur la page Facebook de la série … 15 minutes plus tard, on dénombre déjà plus de 19.000 likes et 592 commentaires.

Succès rarissime? Oui, tendent à penser les équipes de Canal+, Bref étant vu comme l’exemple d’une «alchimie incroyable» d’un format télé «qui résonne sur le Web», analysent Fabienne Fourquet et Lama Serhan. «Un format court et marrant, l’histoire d’un homme comme tout le monde (Kyan Khojandi, ndlr) donc qui parle à tout le monde, dont la qualité de production est incomparable par rapport à la durée de la séquence et qui bénéficie d’une visibilité mass média dans Le Grand Journal, doublée d’une viralisation inédite, avec une mise en ligne immédiate des épisodes et le lecteur exportable.»

Une somme d’ingrédients difficiles à réunir… et à copier.

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Alice Antheaume

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