Un télescope géant pour l’Europe… grâce au Brésil

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L’Observatoire européen austral (ESO, pour European Southern Observatory) a déjà un bijou de technologie avec son Very Large Telescope, perché à 2 635 mètres d’altitude sur le Cerro Paranal, dans le désert d’Atacama au Chili. Mais, dans la course aux découvertes scientifiques et à la technologie de pointe, il faut toujours prévoir la génération suivante. Depuis 2005, l’ESO planche sur un instrument dont les performances dépasseront largement celle des quatre grands télescopes du VLT : l’European Extremely Large Telescope (E-ELT, figuré sur la vue d’artiste ci-dessus). Autrement dit, un mastodonte de l’astronomie, avec un miroir géant de 42 mètres (ceux du VLT ne font “que” 8,2 m de diamètre et ceux du Keck américain 10 m).

Mais les très grands équipements coûtent cher et le budget nécessaire à la construction de l’E-ELT, sur le Cerro Armazones, à une vingtaine de kilomètres du VLT et à plus de 3 000 mètres d’altitude, s’élève à un milliard d’euros. Heureusement, l’ESO a reçu, peu après Noël, un magnifique cadeau : le Brésil a en effet signé, le 29 décembre 2010, son accord d’adhésion à l’ESO, qui fera de lui, s’il est ratifié par son Parlement, le quinzième pays de l’Observatoire et le premier non-européen (les 14 autres membres sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse). Ce que le communiqué de presse ne dit pas, c’est que Brasilia apporte un chèque de 300 millions d’euros (dont 130 millions d’euros de “ticket d’entrée”). Comme l’explique Nature, si l’on ajoute les 300 millions d’euros que les Européens ont déjà mis sur la table pour l’E-ELT, 60% du financement est déjà trouvé. Le directeur général de l’ESO, l’astronome néerlandais Tim de Zeeuw, a indiqué que, pour les 400 millions d’euros restants, une “contribution exceptionnelle” sera demandée aux Etats membres.

L’E-ELT sera un monstre de technologie, un instrument de quelque 5 000 tonnes et de 60 mètres de haut. Pour composer son immense miroir primaire, il faudra assembler pas moins de 984 miroirs hexagonaux de 1,45 m de diamètre, qui collecteront au total quinze fois plus de lumière que les meilleurs télescopes actuels. L’E-ELT aura une résolution quinze fois supérieure à celle du fameux télescope spatial Hubble. Son design unique compte au total cinq  miroirs. La lumière reçue par le miroir principal de 42 m est renvoyée vers un miroir secondaire de 6 mètres de diamètre qui à son tour la renvoie sur un miroir blotti dans le premier. Ce troisième larron transmet la lumière à un miroir dit adaptatif, capable d’ajuster sa forme un millier de fois par seconde afin de corriger les distorsions d’image dues à la turbulence atmosphérique. Le cinquième et dernier miroir stabilise l’image et envoie la lumière aux caméras et instruments. L’E-ELT s’installera sous un dôme ouvrant de 80 mètres de haut, analogue à ceux de certains stades. Le tout en fera un monument de science, presque comparable en taille aux pyramides égyptiennes, comme le montre la vue d’artiste ci-dessous, qui fait figurer le VLT à côté de l’E-ELT.

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Un géant, donc, mais pour quelle science ? Les astronomes attendent de l’E-ELT un important saut qualitatif lorsqu’il entrera en service en 2018 ou 2019. Travaillant dans les domaines optique et proche infra-rouge, ce télescope remplira des missions très diverses dont voici une liste non exhaustive : détecter des planètes extra-solaires de la taille de la Terre ; photographier les grosses exoplanètes (celle de la taille de Jupiter ou plus grandes) et analyser leur atmosphère ; étudier la formation des planètes en observant les disques proto-planétaires entourant les étoiles très jeunes ; analyser les populations stellaires d’un bon échantillon de galaxies (ce qui est impossible avec les instruments actuels car leur résolution est trop faible) afin de reconstituer leur histoire ; voir les objets les plus lointains et donc les plus anciens du cosmos, pour remonter aux origines des premières galaxies ; mesurer l’accélération de l’expansion de l’Univers et chercher à identifier la nature de la mystérieuse énergie noire qui en est la cause. Un programme aussi alléchant que copieux et on comprend mieux en le lisant à quel point les astronomes européens et, désormais, brésiliens sont impatients de voir le chantier de l’E-ELT commencer au Chili. D’autant que leurs concurrents américains sont moins bien partis qu’eux dans la course au gigantisme.

Comme l’explique l’article de Nature, deux projets ont été présentés outre-Atlantique, avec des collaborations internationales, mais le Thirty Meter Telescope et le Giant Magellan Telescope sont tous les deux plus petits que le “bébé” de l’ESO et seulement l’un d’entre eux recevra des subsides de la National Science Foundation (NSF) américaine. Surtout, la NSF a donné sa priorité à la construction d’un autre télescope, moins grand, le Large Synoptic Survey Telescope, qui aura des objectifs scientifiques bien différents : capable d’observer de larges portions de l’espace, il couvrira tout le ciel visible deux fois par semaine, ce qui permettra de réaliser un film du cosmos, d’observer les changements de luminosité et de position des astres, et par conséquent de détecter les astéroïdes potentiellement dangereux pour la Terre. Si jamais un des deux projets américains devait rester sur le carreau, seuls deux télescopes géants, à la pointe de la technologie, verraient le jour à la fin de la décennie. Autant dire que les places seront encore plus chères qu’aujourd’hui pour les astronomes, dont certains seront inéluctablement rétrogradés dans la deuxième division de la science…

Pierre Barthélémy

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Prélude

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Longtemps je me suis levé de bonne heure (5h30 tout de même) pour aller, dans mon journal préféré, prêcher la bonne parole de la science, de la médecine puis de l’environnement, défendre mes bouts de colonnes, quelque globule ou quelque télescope. Remonter tous les matins le tas de sable pour faire comprendre que la science, tout comme la politique, l’économie, la diplomatie, etc., a son actualité, ses belles histoires et doit faire partie de la culture de l’honnête homme. Mettre, comme un représentant de commerce, le pied dans la porte éditoriale avant qu’on ne me la claque au nez (que j’ai grand), afin de vendre ma sauce, à laquelle je croyais, à laquelle je crois toujours. Expliquer que « mes » chercheurs aident au décryptage du monde dans lequel nous vivons. Commencer ma journée en râlant.

La science, dans les journaux généralistes, c’est cette rubrique bizarre, vous savez, tenue par des gens un peu étranges, capables de faire une division de tête ou de s’intéresser au mécanisme abscons par lequel la matière s’annihile en énergie, oui, la fameuse formule d’Einstein, la seule qu’on connaisse… La science, dans les journaux généralistes, ce sont souvent des articles qui peuvent attendre demain parce que l’actualité, la « vraie », le énième attentat ici, l’élection législative partielle là, la petite phrase ailleurs, n’attendent pas. La science, c’est beau en théorie mais pas en imprimé, même si toutes les études montrent que les lecteurs en raffolent… Même si on sait que la croissante désaffection des étudiants français pour les sciences s’alimente aussi dans les médias, dont les dirigeants, formés à d’autres écoles, renâclent à donner la place qu’il faut (y compris sur Internet ou l’espace ne se compte pourtant pas en rouleaux de papier) à ce qui constitue une autre vision du monde, une autre grille de lecture de l’histoire qui s’écrit au jour le jour.

Je me suis donc fait longtemps l’impression d’un Cyrano (mon nez n’a pas raccourci depuis tout à l’heure) à qui un vicomte de l’info disait : « Tes sujets sont très… euh… bien, mais j’ai plus urgent… » Je me suis souvent battu en répondant : « Ah ! Non ! Laiss’-moi ma pag’ bonhomme ! Je vais y dire… Oh ! Dieu !… Bien des choses en somme. » Je n’ai pas toujours gagné, on m’en a piqué des colonnes, plus qu’à tous les temples grecs réunis. Alors que oui, chaque jour, j’aurais pu délecter le lecteur d’histoires plus incroyables les unes que les autres. Tenez, prenons le 28 juin 2010. Qu’avons-nous ? Des chercheurs texans qui reconstruisent des poumons. La découverte d’une structure musicale secrète dans la République de Platon. Ces généticiens qui veulent en savoir plus sur l’homme… en examinant l’ADN du chimpanzé. L’art de la diplomatie chez les dauphins. Etc.

Et puis la rédaction de Slate.fr m’a invité à bloguer au lieu de râler. Gentiment, presque affectueusement. Viens parler de tes globules, viens nous raconter ce qu’on voit dans tes télescopes. Ce blog ne comblera pas le manque, je le sais. C’est un petit grain du tas de sable dont je parlais au début. Un petit grain plusieurs fois par semaine, que je pousserai avec mon grand nez. Rendez-vous le 1er juillet.

Pierre Barthélémy

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