Étonnant résultat de l’étude réalisée par une doctorante canadienne, Marie-France Marin du Centre d’études sur le stress humain de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine (CESH) de l’université de Montréal, et publiée dans la revue PLOS One, le 10 octobre 2012. Lorsque l’on donne à lire de mauvaises nouvelles publiées dans la presse, la sensibilité au stress des femmes augmente alors que ce n’est pas le cas chez les hommes. Cette découverte est d’autant plus intéressante qu’elle ne révèle pas une différence de réaction immédiate des participants à cette lecture mais postérieure. Après avoir lu de mauvaises nouvelles, les femmes et elles-seules, seraient plus vulnérables à des situations stressantes. La leçon, Mesdames, est claire : évitez les rubriques “catastrophes” ou faits divers, qui sont en général des faits criminels, des journaux. L’étude ne dit pas si ce type de nouvelles diffusées à la télévision ont le même effet. Mais, à la lire, on peut penser que c’est le cas.
Marie-France Marin et son équipe sont partis du constat que nous sommes de plus en plus bombardés par les mauvaises nouvelles transmises par les médias de masse. Mais mesurer l’impact sur le cerveau de ce matraquage négatif n’est pas simple, comme le démontre le protocole assez complexe de l’étude.
Les chercheurs ont rassemblé 60 participants divisés en 4 groupes qui ont tous lu des résumés de nouvelles récentes publiées dans la presse. Un groupe de femmes et un groupe d’hommes ont lu des informations neutres (ouverture d’un nouveau jardin public, première d’un film…). Un autre groupe d’hommes et un autre groupe de femmes ont lu des nouvelles négatives (accidents, meurtres…). A chaque étape de l’expérience, les chercheurs ont prélevé des échantillons de salive sur les participants. “Quand notre cerveau est confronté à une situation qui provoque de la peur, notre corps produit des hormones du stress qui pénètrent dans le cerveau et peuvent agir sur la mémorisation des événements effrayants ou stressant”, explique Sonia Lupien, directrice du CESH et professeur au département de psychiatrie de l’université de Montréal. “Cela nous a conduit à penser que la lecture de nouvelles négatives peut stimuler une réaction de stress”. C’est le taux de l’une des hormones du stress, le cortisol, qui est mesuré sur les prélèvements de salive des participants.
Après la lecture, l’exercice mental. Les participants ont dû effectuer différents tests mettant en jeu la mémoire et le calcul afin de mesurer et de comparer leurs réactions à des situations stressantes (les exercices sont réalisés devant une glace sans tain et commandés par la voix d’examinateurs invisibles). Nouveaux prélèvements de salive. Le lendemain de cette expérience, les participants ont tous été rappelés par téléphone afin qu’ils parlent des nouvelles négatives dont ils avaient gardé le souvenir. En dépouillant les résultats, les chercheurs ont eu une surprise. “Alors que la lecture des nouvelles négatives seule n’avait pas eu d’impact sur le niveau de stress, elle avait rendu les femmes plus réactives en affectant leurs réponses psychologiques à des situations stressantes ultérieures”, note Marie-France Marin.
En effet, le niveau de cortisol n’a pas augmenté après la lecture mais il s’est retrouvé nettement plus élevé chez les femmes ayant lu les mauvaises nouvelles après la partie stressante (exercices mentaux) du test. En revanche, cet effet n’était pas présent chez les femmes ayant lu des nouvelles neutres. “De plus, les femmes ont mémorisé plus de détails sur les mauvaises nouvelles”, indique Marie-France Marin. “Il est intéressant de noter que nous n’avons pas observé ce phénomène chez les hommes”. Intéressant, en effet, et intriguant. Les chercheurs n’ont pu percer le mystère. D’autres études seront nécessaires pour l’élucider. Néanmoins, ils ont émis certaines hypothèses.
L’une des plus intéressantes concerne l’évolution. Les femmes sont, depuis toujours, particulièrement attentives à la protection de leurs enfants. Le souci de leur survie aurait ainsi affecté l’évolution du système gérant le stress dans leur cerveau. Elles seraient ainsi devenues plus empathiques. La lecture de mauvaises nouvelles déclencherait alors une mise en éveil de la réaction de stress. Comme si le danger, révélé par le journal, pouvait les affecter directement, elles et leur progéniture. Ainsi, dans une situation stressante réelle postérieure à la lecture, leur réaction est plus forte en raison d’une sensibilité exacerbée par l’impact des mauvaises nouvelles.
Il reste à affiner cette analyse en incluant des variantes dans l’échantillon des participants. “D’autres études permettront de comprendre comment le sexe, les différences de génération et d’autres facteurs socio-culturels peuvent affecter la perception, par les participants, de l’information négative dans laquelle nous baignons en permanence”, conclue Marie-France Marin.
Michel Alberganti
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C’est une histoire instructive qui est passée inaperçue en France. Elle en dit long sur la dissémination des informations sur Internet et les craintes conspirationnistes qu’inspirent de plus en plus les scientifiques. Tout a commencé avec un long article de Jonah Lehrer sur le stress, publié par le site du magazine américain Wired. L’auteur y décrit notamment les travaux de Robert Sapolsky, professeur à l’université Stanford et spécialiste de neuro-endocrinologie, qui a consacré l’essentiel de sa carrière aux liens unissant hormones du stress et mauvaise santé. La dernière partie de l’article évoque d’audacieux essais de thérapie génique mené sur des rats, qui ont consisté à endiguer le flux de glucocorticoïdes émis lors d’un stress, ce qui a amélioré la santé des rongeurs. Ajoutons que, dans le papier de Jonah Lehrer, Robert Sapolsky précise bien que ses expériences sur un vaccin anti-stress ne vont “aider personne à court terme, la recherche étant encore à des années d’essais cliniques, mais nous avons prouvé que c’était possible. Nous pouvons réduire les dégâts neuraux causés par le stress“. Ce papier fouillé de 35.000 signes est publié en ligne le 28 juillet.
Le 2 août, sous la plume de Rachel Quigley, le Daily Mail, journal populaire britannique, reprend la thématique de l’article de Wired en le citant à peine et en insistant sur l’éventuel vaccin anti-stress, capable de calmer sans pour autant avoir l’effet abrutissant des anxiolytiques. Le papier sensationnaliste de Rachel Quigley, qui n’est qu’une resucée approximative de celui de Jonah Lehrer, fait 3.000 signes.
Le 3 août, Prison Planet, le site conspirationniste du très conservateur animateur de radio texan Alex Jones reprend l'”info” du Daily Mail, l’accommode à sa sauce “théorie du complot”. Cela commence ainsi : “Les médias de l’establishment et la dictature scientifique promeuvent des vaccins mangeurs de cerveau qui lobotomisent virtuellement les gens et mettent leurs esprits dans un état de conformité servile, de telle sorte que leur instinct naturel à se mettre en colère et à se rebeller contre la tyrannie qui leur est imposée est châtré et stérilisé.” Je vous passe la logorrhée qui suit, laquelle redoute la transformation chimique de la population en une sous-espèce d’esclaves. Etant donné le peu d’influence qu’a d’ordinaire ce genre de médias, tout cela n’aurait eu qu’une importance limitée si l’article ne s’était pas terminé par un subtil appel technologique au petit peuple conspirationniste : pour “attirer l’attention nécessaire sur ce grave problème“, le site d’Alex Jones demande à ses lecteurs de taper “brain eating vaccines” (vaccins mangeurs de cerveau) sur le moteur de recherche Google, ce qui aura pour effet de faire grimper la requête dans le Top de Google Trends, l’outil de Google qui analyse en temps réel les tendances du Net…
Et cela marche ! Comme on peut le voir ici, le 3 août aux Etats-Unis, les recherches “brain eating vaccines” (au pluriel) et “brain eating vaccine” arrivent respectivement en première et troisième places sur Google Trends. Ce qui a amplifié et alimenté le buzz car on imagine aisément à quel point l’évocation de vaccins mangeurs de cerveau a pu inquiéter ou intriguer les internautes.
La recherche de "brain eating vaccine" sur Google Trends le 3 août
On peut se demander comment un site aussi confidentiel que Prison Planet a ainsi pu mettre l’Internet américain en émoi. Il suffisait en réalité de peu de monde pour faire grimper la recherche au top des “Hot Searches” : celles-ci ne prennent en effet pas en compte le nombre de requêtes car, si c’était le cas, les Google, Yahoo et autres Wikipedia monopoliseraient sans arrêt le podium et les effets de mode n’apparaîtraient pas, noyés dans la masse. Google Trends ne fonctionne pas ainsi et Alex Jones le sait : c’est un outil qui insiste sur les tendances, un capteur qui enregistre les déviations par rapport à la moyenne. Par conséquent, si une requête très particulière est soudain saisie simultanément par quelques centaines de personnes, elle montera très vite dans le Top 10. L’instrument parfait pour qui veut disséminer une info.
En voyant ce qui s’est passé, Jonah Lehrer a été consterné. Il a dénoncé sur son blog la façon dont son papier avait été détourné et a traité Alex Jones de menteur, tout en sachant parfaitement qu’on ne rattrape pas une rumeur, surtout à l’ère d’Internet. De manière plus générale, la Toile a facilité l’essaimage des théories conspirationnistes, notamment dans le domaine scientifique. On peut citer rapidement, en plus des idées d’Alex Jones sur l'”empoisonnement” de l’eau potable au lithium ou au fluor, la rumeur persistante selon laquelle les missions Apollo ne se sont jamais posées sur la Lune, celles toujours d’actualité sur les extraterrestres, les grandes craintes concernant les nanotechnologies et, dans un registre guère différent, la facilité avec laquelle les climato-sceptiques ont fait leur trou depuis un an et le soi-disant Climategate. La figure du scientifique n’est plus aujourd’hui celle du professeur Nimbus ou de son héritier Tryphon Tournesol, ni celle d’un Pasteur triomphant, mais s’apparente de plus en plus à celle d’un apprenti sorcier moderne. Autant de raisons pour lesquelles, dans une période où le chercheur est pris entre une demande toujours plus avide de progrès et un soupçon croissant sur la “toxicité” de ce même progrès, la vulgarisation scientifique doit se renforcer et ne plus se cantonner à quelques niches médiatiques.
Pierre Barthélémy
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