La bactérie Mycoplasma genitalium restera dans l’histoire de la biologie comme le premier organisme vivant pour lequel un modèle informatique complet a été réalisé. La nouvelle a été annoncée le 19 juillet 2012 par l’université de Stanford et publiée le 20 juillet dans le revue Cell. Cette première mondiale résulte d’un effort qualifié de “mammouth” par Stanford… Markus Covert, professeur de bioingénierie dans cette université, a utilisé les données provenant de 900 publications scientifiques pour prendre en compte chaque interaction moléculaire se produisant dans le cycle de vie de cette bactérie, la plus petite connue à ce jour.
La démarche révèle également un tournant dans la recherche en biologie. Les expériences in vivo ou in vitro ne suffisent plus pour étudier les mécanismes à l’oeuvre dans le vivant et il faut désormais passer au travail in silico. “Cette réussite démontre la transformation de l’approche visant à répondre aux questions sur les processus biologiques fondamentaux“, confirme James M. Anderson, directeur de la division de la coordination des programmes, du planning et des initiatives stratégiques des National Institutes for Health (NIH). “Des modèles informatiques de cellules entières peuvent faire progresser notre compréhension de la fonction cellulaire et, au final, fournir de nouvelles approches pour le diagnostic et le traitement des maladies“, précise-t-il.
Les travaux des biologistes, au cours des 20 dernières années, ont permis d’amasser un véritable trésor d’informations sur ce fonctionnement cellulaire. Ce ne sont donc pas les données expérimentales qui manquent. Tout se passe comme si l’on était parvenu à rassembler tous les éléments d’un puzzle très complexe mais sans avoir réussi à percer tous les secrets de l’assemblage et du fonctionnement de l’ensemble. Ce constat marque les limites de l’approche réductionniste qui domine la recherche en biologie depuis que les moyens expérimentaux permettent d’observer et d’analyser les mécanismes du vivant à l’échelle de ses composants élémentaires. Il reste à recomposer l’ensemble. C’est ce à quoi le nouveau modèle informatique doit aider.
D’abord avec un organisme très simple comme cette bactérie Mycoplasma genitalium. Un tel choix ne doit, bien entendu, rien au hasard. Cette bactérie, responsable d’urétrites et de maladies sexuellement transmissibles découverte en 1980, possède le plus petit génome connu nécessaire pour constituer une cellule vivante : 521 gènes, dont 482 codent pour une protéine, sur un chromosome circulaire de 582 970 paires de bases. A titre de comparaison, la véritable bête de labo qu’est la bactérie Escherichia coli dispose de près de 4300 gènes.
Un autre atout de Mycoplasma genitalium est d’avoir été également choisie dès 2008, pour les mêmes raisons de simplicité relative de son génome, par l’institut de Craig Venter pour réaliser la synthèse complète de son génome. Si la bactérie est la plus frustre connue à ce jour, la création de son modèle informatique n’a pas été facile pour autant. La quantité d’information introduite dans ce clone numérique est énorme et le résultat intègre pas moins de 1900 paramètres déterminés expérimentalement.
Le programme est subdivisé en 28 modules distincts possédant chacun son propre algorithme et communiquant entre eux pour reproduire aussi fidèlement que possible le fonctionnement réel de la bactérie.
En fait, la création de ce premier modèle informatique du vivant ouvre une nouvelle ère pour la recherche en biologie. Ce nouvel outil devrait, comme la conception assistée par ordinateur (CAO) l’a fait dans l’industrie, considérablement accélérer le rythme des découvertes. En effet, les chercheurs vont pouvoir utiliser ce modèle pour simuler des mécanismes ce qui va permettre à la fois de vérifier certains résultats expérimentaux mais également d’ouvrir des pistes pour de nouvelles expériences. Ainsi, les biologistes pourront sortir de la phase d’accumulation des données pour tenter d’en découvrir le sens, la mécanique intime qui relie les gènes, l’ADN ou les protéines pour produire la vie. Parallèlement, la biologie synthétique, qui vise la création de nouveaux organismes vivants, pourra certainement tirer profit de ce nouvel instrument. De quoi renforcer les craintes de ceux qui craignent le pire de cette nouvelle génération d’apprentis-sorciers. D’autres mettent en avant la perspective de création de bactéries artificielles capables de fabriquer en masse des médicaments, dans la lignée de l’insuline produite depuis 1978 par une bactérie E. Coli transgénique.
Mycoplasma genitalium et son modèle informatique marque donc la première étape d’un long chemin qui n’est pas sans rappeler celui du séquençage du génome humain achevé en 2004. Mais la réalisation d’un modèle informatique de l’organisme humain sera encore plus difficile et prendra sans doute des décennies, voire plus. Ce que les chercheurs qualifient déjà de bio-CAO devrait conduire à des avancées médicales en particulier dans les thérapies personnalisées. Le nouveau modèle informatique ouvre la voie, “potentiellement à un nouveau “projet génome humain”, déclare Jonathan Karr, coauteur de la publication, qui précise toutefois que “cela demandera un très grand effort de la communauté scientifique pour se rapprocher d’un modèle humain”.
Michel Alberganti
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