C’est avec une régularité et un catastrophisme non feints que les médias s’emparent de la question des géocroiseurs, ces astres, astéroïdes ou comètes, qui présentent la particularité de passer non loin de notre Terre. Comme je l’ai déjà fait remarquer dans un précédent billet de ce blog, la course à l’apocalypse et au ciel qui va nous tomber sur la tête est un sport international, tant chez certains astronomes qui aiment bien faire parler d’eux que chez certains de mes confrères en mal de sensationnalisme. Pour une fois, cherchons les sensations fortes de fin du monde non pas dans un futur toujours hypothétique, mais dans un passe forcément révolu. En effet, il se pourrait bien que nous l’ayons échappé belle, au mois d’août 1883.
Août 1883, dans l’histoire de la science, c’est avant tout, les 26 et 27 de ce mois-là, l’éruption du volcan indonésien Krakatoa, probablement une des plus violentes que l’homme moderne ait jamais connues. Des dizaines de milliers de morts, des dégâts immenses et un panache de cendres qui ne le fut pas moins, au point que l’injection de ces particules dans l’atmosphère terrestre provoqua un abaissement de la température mondiale. Pourtant, ce cataclysme ne fut, passez-moi l’expression, que du pipi de chat, de la gnognotte, à côté de ce qui aurait pu arriver exactement deux semaines plus tôt, du moins si l’on en croit une étude mexicaine soumise pour publication à la revue Earth and Planetary Astrophysics.
Tout part d’un petit mystère de l’histoire de l’astronomie. Les 12 août 1883, José Bonilla, le directeur du tout nouvel observatoire mexicain de Zacatecas, était en train, comme tous les jours, de noter les détails de la surface du Soleil, qu’il projetait sur une feuille de papier. Comme il le rapporta plus de deux ans après dans un article publié par la revue française L’Astronomie, “à 8 heures du matin, je commençais à dessiner les taches solaires, lorsque j’aperçus tout à coup un petit corps lumineux qui pénétrait dans le champ de la lunette, se dessinait sur le papier me servant à reproduire les taches et parcourait le disque du Soleil en se projetant comme une ombre presque circulaire. Je n’étais pas revenu de ma surprise que le même phénomène se reproduisit de nouveau et cela avec une telle fréquence que, dans l’espace de deux heures, je pus compter jusqu’à 283 corps traversant le disque du Soleil.”
Pendant qu’un assistant tient le décompte des objets passant rapidement (en une seconde maximum, mais souvent moins) devant notre étoile, José Bonilla prend des photographies du phénomène, que certains ufologues assimilent aujourd’hui comme les premiers clichés de vaisseaux extraterrestres… L’astronome mexicain fait les remarques suivantes : ” Bien que, dans la projection et à simple vue, tous les corps parussent ronds ou sphériques, on remarque dans les diverses photographies que les corps ne sont pas sphériques, mais pour la plupart de formes irrégulières. J’ai dit que, dans la projection du champ de la lunette, ces corps paraissaient lumineux et dégageaient comme des traînées brillantes ; mais qu’en traversant le disque solaire, ils paraissaient opaques. En observant avec attention la photographie et le négatif, on note un corps entouré d’une nébulosité et de traînées obscures qui, dans le champ de la lunette et en dehors du disque, paraissaient brillantes.” Le lendemain, rebelote : pendant les trois quarts d’heure durant lesquels les nuages ne l’empêchent pas de voir le Soleil, l’astronome mexicain continue de repérer le passage rapide de petits objets. La veille, après ses premières observations, José Bonilla a eu la présence d’esprit de télégraphier à ses collègues de Mexico et de Puebla, villes situées à plusieurs centaines de kilomètres, mais ceux-ci n’ont rien remarqué.
Dans son article, l’astronome ne formule pas d’hypothèse quant à la nature de ces corps. Ses successeurs de 2011, eux, ont été surpris par la description qu’il a faite du phénomène. Ces “nébulosités” et ces “traînées” évoquent, selon eux, une comète qui se serait brisée en de multiples fragments, comme cela arrive parfois. En partant de cette idée et avec les éléments fournis par Bonilla dans son compte-rendu, les trois auteurs de l’étude soumise à Earth and Planetary Astrophysics ont calculé les différents paramètres de cette hypothétique comète. Si celle-ci a été vue à Zacatecas mais pas à Mexico ni à Puebla, c’est qu’elle est passée très près de la Terre. Mais à quelle distance exactement ? En s’appuyant sur le fait que les objets traversaient le disque solaire en une seconde maximum et en connaissant les vitesses “normales” des comètes, ils ont calculé une fourchette allant de 538 à 8 062 kilomètres d’altitude, ce qui, dans les deux cas, est vraiment très peu. S’il s’agit bien des fragments d’une comète, ils nous ont frôlés de près.
Ensuite, grâce aux photographies, ces chercheurs ont pu mesurer la taille apparente de ces morceaux. S’ils étaient à 538 km, ils faisaient 46 mètres de large sur 68 et s’ils passaient à 8 062 km, leurs dimensions étaient forcément plus imposantes : 682 sur 1 022 mètres. Si l’on considère que cette comète était essentiellement faite de glace, on aboutit à des masses de 558 000 tonnes par morceau dans l’hypothèse basse et à 2,5 milliards de tonnes dans l’hypothèse haute. Toujours grâce au récit de Bonilla, il a été possible d’estimer le nombre total de fragments, sur les deux jours, à un peu plus de 3 000. Si l’on multiplie ce nombre avec la masse estimée de chaque fragment, on arrive à reconstituer la masse de la comète avant sa dislocation : celle-ci aurait été comprise entre 1,8 et 8 200 milliards de tonnes, une fourchette cohérente pour une comète. Evidemment, si un tel corps avait percuté la Terre, il s’en serait suivi un cataclysme comparable à celui qui a conduit les dinosaures à leur fin, il y a 65 millions d’années.
On peut se demander pourquoi José Bonilla fut le seul astronome à voir le phénomène au cours de ces deux jours. Si l’hypothèse de la comète rasant la Terre est juste, seuls les observatoires situés à la même latitude que celui de Zacatecas avaient une chance de capturer l’astre errant. Or, il faut bien reconnaître, en regardant une carte, que cette latitude n’est pas le paradis des observatoires : les océans Atlantique et Pacifique l’occupent en grande partie, ainsi que les déserts du Sahara et d’Arabie. Restent l’Inde et une partie de l’Asie du Sud-Est, qui n’étaient pas forcément passionnés d’astronomie à l’époque… Mais il existe peut-être une autre explication à cette observation unique, avancée par la rédaction de la revue L’Astronomie en réponse à l’article de José Bonilla : “Nous serions portés à croire qu’il s’agit là d’oiseaux, d’insectes, ou de poussières supérieures, en tout cas de corpuscules appartenant à notre atmosphère.” Ce ne serait pas la première fois que l’on prendrait des oiseaux pour des étoiles filantes ou des ovnis… C’est à ce genre d’histoire que l’expression “tirer des plans sur la comète” prend une nouvelle saveur.
Pierre Barthélémy
lire le billetC’est un “marronnier” journalistique qui revient régulièrement hanter certaines “unes” : l’astéroïde tueur qui nous a frôlé sans qu’on le voie ou qui, selon des calculs très savants, viendra nous heurter dans dix, vingt, trente ou deux cents ans, parce que si la fin du monde n’est pas pour 2012 comme d’aucuns le redoutent, elle sera forcément pour plus tard… Dans la grande course médiatique à l’apocalypse, les cailloux errant dans le système solaire se sont transformés en vedettes, au fur et à mesure que les instruments automatiques de surveillance installés pour les détecter, les identifier et les cataloguer aidaient les astronomes à calculer précisément les orbites de ces “géocroiseurs” (un mot savant pour désigner les corps passant à proximité de la Terre). D’où des articles récurrents sur d’hypothétiques chocs avec notre planète, aux saveurs de fin du monde et fleurant bon la disparition des dinosaures.
Ainsi nous a-t-on récemment reparlé de l’astéroïde Apophis (du nom d’un dieu égyptien personnifiant le chaos, rien que ça), un objet de 270 mètres de diamètre qui, selon les récents calculs d’astronomes russes, risquerait de se fracasser sur notre bouboule bleue le 13 avril 2036. Si l’on met de côté le fait qu’Apophis pourrait choisir une autre date parce que, si tout va bien, ce sera le 93e anniversaire de ma maman ce jour-là, l’auteur de la dépêche en question a un peu oublié de préciser ce que recouvre l’emploi du conditionnel dans la phrase précédente (“risquerait de se fracasser”). C’est souvent là que le bât blesse le journaliste en quête de sensationnalisme. En fait, la NASA a précisé quelques jours plus tard qu’il y avait une “chance” sur 250 000 pour qu’Apophis nous croise sur son chemin. Encore faut-il pour cela que, lors de son passage en 2029 (qui devait déjà donner lieu à un cataclysme si on se rappelle les prévisions établies lors de la découverte d’Apophis en 2004…), l’astéroïde pénètre dans ce que les chercheurs appellent un “trou de serrure”, une minuscule région de l’espace où l’attraction terrestre “corrigera” l’orbite d’Apophis de telle sorte que ce dernier ne pourra plus nous rater en 2036.
Une chance sur 250 000, c’est à la fois peu et beaucoup si l’on considère que le choc d’un tel corps contre notre planète serait assez destructeur puisqu’il relâcherait une énergie équivalente à 510 mégatonnes de TNT, soit 34 000 fois celle de la bombe atomique d’Hiroshima. Encore faut-il que les calculs soient exacts. Ce qu’ils ne peuvent être complètement, étant donné qu’on ignore beaucoup de choses sur les propriétés d’Apophis et que les chercheurs en calculent l’orbite dans un modèle de système solaire forcément simplifié. Ainsi, des facteurs tels que la rotation de l’astéroïde sur lui-même, sa masse, la manière dont il absorbe la lumière du Soleil et irradie la chaleur, les irrégularités du champ gravitationnel terrestre, l’influence d’autres astéroïdes inconnus et même la masse des planètes et du Soleil, tous ces paramètres ne sont pas connus avec une précision suffisante pour que l’on puisse faire des prédictions ultra-fines. Si l’on se projette dans un quart de siècle, cela peut amener une incertitude de plusieurs milliers voire de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres dans la position d’Apophis… D’où la nécessité de surveiller toujours davantage les géocroiseurs et notamment les prochains rendez-vous d’Apophis, qui repassera en 2013, 2014, 2016, 2020, etc.
D’où la nécessité, aussi, de communiquer avec mesure sur les dangers que courent la Terre et ses habitants, afin d’échapper aux accusations de sensationnalisme et de ne pas effrayer inutilement le public. C’est pour cette raison que les astronomes ont mis au point en 1999 une sorte d’échelle de Richter du risque d’impact avec un astéroïde. Baptisée échelle de Turin, en l’honneur de la ville où cet outil a été présenté, elle est graduée de zéro à dix et change de couleur en fonction du risque, allant du blanc au rouge en passant par le vert, le jaune et l’orange (voir ci-dessous).
Le degré zéro, qui correspond à la zone blanche, signifie que l’objet n’a aucune chance de toucher notre planète ou bien que sa taille est si faible qu’il se consumerait dans l’atmosphère avant de toucher le sol, à la manière des étoiles filantes. Plus les degrés augmentent, plus la probabilité de collision est importante. On passe ainsi en zone verte (degré un), en zone jaune (de deux à quatre), en zone orange (de cinq à sept, où la probabilité est importante mais pas égale à 100 %), pour atteindre enfin la zone rouge. Lorsqu’un astéroïde parvient à se hisser au niveau huit, cela signifie qu’il frappera la planète, causant des dégâts « locaux » équivalant à ceux produits par un gros tremblement de terre. A neuf, les dégâts deviennent régionaux (au sens planétaire…) et, à dix, la collision se traduit par une « catastrophe climatique globale » analogue à celle qui marque la disparition des dinosaures. Il faudrait pour cela un astéroïde d’une dizaine de kilomètres de diamètre.
A l’heure qu’il est, Apophis est classé au degré zéro de l’échelle de Turin. Parmi les quelque 7700 objets passant dans les parages de la Terre et répertoriés aujourd’hui (dont 823 à ce jour font au moins un kilomètre de diamètre), seuls deux sont classés au niveau un (et aucun à un niveau supérieur). Il s’agit de l’astéroïde 2011 AG5 (140 m de diamètre), dont la probabilité de collision avec notre planète, le 5 février 2052 est pour le moment estimée à un sur 9 000, et de l’astéroïde 2007 VK184 (130 m de diamètre), qui a une chance sur 3 000 de nous rentrer dedans le 3 juin 2048. Pour présenter les chiffres autrement, ils ont respectivement 99,989 et 99,967 % de chances de passer à côté de notre maison bleue. Cela relativise un peu les dangers. Comme quoi, la présentation des chiffres, ça compte.
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : pour rester dans l’actualité “astéroïde”, je signale qu’un rocher d’un mètre de diamètre a battu, vendredi 4 février, le record du “caillou” détecté le plus près de la Terre, puisque 2011 CQ1 est passé à seulement 5 480 km du plancher des vaches. S’il était entré dans l’atmosphère, il se serait très probablement disloqué et consumé en un beau météore, sans atteindre le sol.
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