Vieux rêve dont se sont nourris les auteurs de contes pour enfants ou de livres et de films de science-fiction, La planète des singes en tête. Si les animaux pouvaient parler avec nous, la face de la société, si ce n’est celle du monde, en serait probablement changée. Même si le verbe ne suffit pas pour éradiquer la barbarie. Les hommes l’ont brillamment démontré. N’empêche… Nos relations avec des chevaux, les chiens les chats et autres rats de labo seraient sans doute différentes si ces animaux pouvaient s’exprimer par le langage. Or, jusqu’à présent, le rêve ne s’est guère réalisé qu’avec les perroquets… Avec un dialogue limité.
Bien sûr, c’est du coté du singe que l’on attend le plus d’aptitudes, anthropomorphisme oblige. Mais, malgré d’étonnantes démonstrations d’intelligence, nos frères simiens restent muets, comme le rapporte la primatologue Emmanuelle Grundmann dans un article publié par Science et Avenir en janvier 2012.
En août 2012, une autre publication, dans le revue Science sur les éléphants révélait leurs capacités à émettre des infrasons, inférieurs à 20 Hz, pour communiquer avec leurs congénères sur de longues distances. Le chercheur, Christian T. Herbst, et son équipe notaient alors que les mécanismes utilisés par les éléphants pour produire ces sons sont les mêmes que ceux dont disposent les hommes pour parler et chanter. Et puis, le 1e novembre, dans un article de la très sérieuse revue Current Biology, on apprenait qu’un éléphant d’Asie mâle nommé Koshik dispose d’un vocabulaire de 5 mots en Coréen: annyong (hello), anja (assis), aniya (non), nuo (allonger) et choah (bon). Les vidéos montrant Koshik imitant la voix humaine pour prononcer ces mots circulaient depuis quelques années sur Internet. Mais les chercheurs menés par Angela Stoeger-Horwath de l’université de Vienne (Autriche) viennent maintenant d’officialiser l’exploit. Une expertise indispensable tant la contrefaçon est aisée dans ce domaine… Voici comment s’exprime Koshik lorsqu’il imite son maître en prononçant, après lui, le mot “annyong” :
Le même son de meilleure qualité:
An elephant that speaks Korean by Michel Alberganti
Les scientifiques ont vérifié la prononciation de Koshik en faisant écouter 47 enregistrements à 16 Coréens de naissance. Ces derniers ne connaissaient pas les mots prononcés. Leur verdict a confirmé les dires des dresseurs de l’éléphant. Koshik a donc passé avec succès son examen de Coréen… sur 5 mots. Mais c’est un début et, surtout, cela suffit à démontrer les facultés de prononciations des éléphants. Une rareté chez les mammifères… à l’exception notable de certains cétacés comme NOC, un beluga qui s’est distingué avec une imitation assez sidérante de la voix de son dresseur.
Tout espoir n’est donc pas perdu. Certains mammifères disposent donc à la fois des capacités physiques nécessaires à la prononciation de mots du langage humain. Par ailleurs, ils sont dotés d’une intelligence indéniable. On ne peut donc plus dire qu’il ne leur manque que la parole. Mais il leur reste encore à acquérir le langage.
Michel Alberganti
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On n’a pas attendu George Lucas et son sentencieux androïde C-3PO pour savoir que les robots pouvaient parler aux humains. Le vieil Homère l’avait déjà imaginé lorsque, dans l’Iliade, il décrivait les deux curieuses assistantes qui aidaient Héphaïstos à forger une nouvelle armure pour le bouillant Achille : “Elles sont en or mais elles ont l’aspect de vierges vivantes. Dans leur cœur est une raison ; elles ont aussi voix et force ; par la grâce des Immortels, elles savent travailler.” On ignore cependant de quoi causent ces dames de métal lorsqu’elles n’attisent pas le feu de la forge…
De nombreuses machines se sont mises à discuter avec les humains au cours des dernières années, notamment par le biais d’Internet. Il y a beaucoup de charmantes jeunes femmes qui vous aident à faire vos démarches en ligne, que ce soit Léa sur le site de la SNCF, Anna chez Ikea, Clara à la FNAC (qui ne manque pas d’humour puisqu’à la question “Tu veux boire un verre après le boulot ?” elle répond du tac au tac “J’évite de boire, ça me fait rouiller…”), etc. Tous ces “chatbots” (mot-valise anglais que l’on pourrait traduire par “robavards”) ont cependant du mal à soutenir une véritable conversation. Depuis plusieurs lustres des programmes de discussion ont vu le jour et les plus performants d’entre eux tentent de réussir le test de Turing. Dans un célèbre article publié en 1950 dans la revue Mind, le mathématicien britannique Alan Turing, père de l’informatique, proposa un test baptisé “Jeu de l’imitation”, censé déterminer si une machine pouvait être considérée comme “intelligente” (ou “consciente”, sachant que beaucoup de définitions différentes peuvent se cacher derrière ces deux mots).
Le principe du jeu, tel que le décrivit Turing, est le suivant. Un humain et un programme de conversation sont installés dans deux pièces séparés. Un juge, humain, pose des questions par écrit (par téléscripteur à l’époque de Turing, à l’aide d’un programme de “chat” aujourd’hui) aux deux candidats, sans savoir lequel est l’homme et lequel est la machine. Turing postulait que si, dans au moins 50 % des cas, le juge ne se montrait pas capable, au vu des réponses, de distinguer l’homme de l’ordinateur, alors ce dernier pouvait être considéré comme intelligent. Le test a été critiqué, notamment par le philosophe américain John Searle qui expliqua en 1980 que les programmes de conversation, pour astucieux qu’ils fussent, n’en étaient pas moins stupides puisqu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils disaient (tout comme on peut dire que les meilleurs programmes d’échecs actuels ont beau être plus forts que n’importe quel humain, ils ignorent qu’ils jouent aux échecs…).
Pour illustrer son argumentation, Searle s’imagina enfermé dans une pièce isolée du monde, ne contenant que des livres de questions et de réponses écrites en chinois, langue qu’il ne connaissait pas. De temps en temps, par une fente pratiquée dans un mur, il recevait une feuille de papier comportant des idéogrammes. Son travail consistait à retrouver ces signes dans les livres de questions et à recopier la réponse correspondante, toujours en chinois. Selon Searle, le monde extérieur pouvait ainsi penser que le « prisonnier » de la chambre parlait cette langue alors que ce n’était pas le cas. De même, les ordinateurs pouvaient donner l’illusion d’une conversation alors qu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils disaient. Cet exemple a suscité un immense débat dans le monde de l’intelligence artificielle. Les opposants à cette thèse affirmant que, si l’homme enfermé dans la pièce n’entend pas le chinois, le système dans sa globalité ” pièce + livres + homme” parle effectivement cette langue…
Quoi qu’il en soit, le test de Turing est toujours d’actualité, soixante ans après avoir été imaginé. Depuis 1991, se tient chaque année le prix Loebner qui évalue les meilleurs “robavards”. Il faut bien reconnaître qu’en général, les juges ne se font pas avoir. Mais, cette année, pour la vingtième édition du prix qui a eu lieu le 23 octobre, l’un d’entre eux, au bout de 25 minutes de discussion avec le candidat humain et le robot, s’est laissé abuser et a pris Suzette, le programme de Bruce Wilcox, pour ce qu’elle n’était pas ! Toutefois, duper un seul juge n’est pas suffisant, selon le règlement, pour réussir l’épreuve : il faut en berner au moins deux.
Au vu des productions de Suzette, laquelle élude assez maladroitement les questions qu’elle ne comprend pas et en pose elle-même pour détourner la conversation, on est en droit de se demander comment ce juge a pu se tromper. La réponse réside sans doute dans le fait que les candidats humains, des étudiants facétieux, ont tout fait pour passer, eux, pour des robots ! L’un d’eux y est visiblement parvenu. Comme quoi le test de Turing, censé évaluer l’intelligence des machines, peut aussi servir à mesurer la bêtise des humains !
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : Suzette ne parle qu’anglais et elle est un peu submergée de demandes ces jours-ci, ce qui explique qu’il est difficile de lui parler… La rançon de la gloire. Si vous ne parvenez pas à vous connecter avec cette nouvelle star, essayez Jabberwacky, de Rollo Carpenter (vainqueur du prix Loebner en 2005 et 2006), programme dont on peut ajuster le niveau de réaction et d’émotions…
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