Ce si glacial mois de décembre… 1879

L’hiver s’est enfin affiché sur la page du calendrier en ce mercredi 22 décembre, mais il y a déjà quelques jours qu’il s’est invité sur nos routes, au point que toutes les conversations tournent autour de ce sujet météorologique qui met en lumière la fragilité de nos infrastructures modernes (aviation, transports routiers, production d’électricité)… et l’incapacité de certains dirigeants. Et pourtant, pourtant, ces vagues de froid et de neige ne sont que de la gnognotte, oui, de la roupie de sansonnet frileux, si on les compare à un autre mois de décembre autrement plus rigoureux, celui de 1879.

quais-de-Seine-1879Comme vous pouvez le constater sur la gravure ci-dessus, cette année-là, on traverse la Seine à pied sec (et gelé). Comme le raconte très bien Reynald Artaud sur le site MétéoPassion, décembre 1879 est exceptionnel. La deuxième quinzaine de novembre a été bien froide et, pendant 30 heures, les 4 et 5 décembre, il neige sans discontinuer au point que Paris est recouvert de 25 cm de neige, auxquels 10 cm supplémentaires viennent s’ajouter les jours suivants. On imagine à peine ce qu’aurait pu dire Brice Hortefeux s’il avait vécu à cette époque… Juste après ces précipitations neigeuses, un anticyclone à l’air glacial s’assied sur la France et y reste bloqué. A la station météo de Paris-Montsouris, ouverte en 1873, on enregistre un sibérien -23,9°C le 10 décembre !

Neige-Paris

Pour dégager les rues de Paris, tombereaux, charrettes, brouettes sont réquisitionnés afin de transporter la neige et la glace sur les ponts, où elles sont déversées dans la Seine. Sur le site meteo-paris.com, Guillaume Séchet raconte que “l’activité économique de la capitale s’en trouve ralentie à tel point que certains jours, la Bourse n’enregistre quasiment pas de transactions ; la neige retarde ou suspend l’arrivée des dépêches et du courrier. Pour aider les miséreux, des souscriptions, des fêtes et des loteries sont organisées.”

Les marchands de fourrure sont heureux ainsi qu’un certain Claude Monet, qui se prend de passion pour les jeux de lumière sur la Seine prise par les glaces. Il écrit plus tard : “Je peignis […] sur la glace […]. La Seine était complètement gelée et je m’installai sur le fleuve, m’efforçant de plier mon chevalet d’une manière quelconque. De temps en temps, on m’apportait une bouillote. Mais pas pour les pieds : je n’avais pas froid, c’était pour mes doigts gourds qui menaçaient de laisser échapper le pinceau.” Le peintre réalise une série de toiles parmi lesquelles on trouve ce Coucher de soleil sur la Seine, l’hiver.

Coucher-Monet

On s’adapte. Les traîneaux remplacent les fiacres, on ouvre des chauffoirs, on sale pour la première fois les rues de Paris et… on se met au patin à glace. Comme le rapporte un chroniqueur de l’époque, cité par Reynald Artaud, “on patine un peu partout : sur les lacs du bois de Boulogne, sur les pièces d’eau de nos jardins publics, sur la Seine et jusque dans certaines rues… L’aspect du fleuve vu du haut des ponts est des plus pittoresques. On peut évaluer à 25 000 le nombre de personnes qui ont traversé la Seine le jour de Noël… Le soir venu, une quarantaine d’individus muni de lanternes se sont formés en bande et ont remonté le fleuve du pont de la Concorde au Pont-Neuf.” Une retraite aux flambeaux que la police interdit dès le lendemain.

A la fin du mois de décembre 1879, une masse d’air plus chaud arrive enfin du sud-ouest et les températures redeviennent positives. Début janvier, c’est la débâcle de la Seine, une débâcle spectaculaire qui ira jusqu’à couler de nombreux bateaux et détruire le pont des Invalides. Quand on vous disait que ce mois de décembre 2010 n’était que de la gnognotte…

Pierre Barthélémy


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Neige en décembre, gouvernement en vacance

FRANCE/

Il n’y a plus de saisons : voilà qu’il se met à neiger en décembre maintenant! Bon sang de bois, dans les 10 centimètres de poudreuse mercredi 8 décembre, quasiment l’équivalent de tout ce qui tombe durant un hiver russe ou canadien. On se croirait revenu au temps des grandes glaciations et si cela continue, dans trois jours, les ours polaires débarqueront à Paris. Heureusement, braves gens, dormez tranquilles, la France a un gouvernement. Un gouvernement lucide, intelligent, responsable.

Prenons, par exemple, Brice Hortefeux. Ainsi, alors même que la neige tombait depuis quelques heures et commençait à faire ses premiers «naufragés» de la route, qu’on allait compter jusqu’à 400 km de bouchons cumulés (soit la distance Paris-Clermont-Ferrand, ce qui est un ordre de grandeur compréhensible pour un Auvergnat), que plusieurs milliers de personnes allaient passer la nuit dans leur voiture ou dans des gymnases, le ministre de l’intérieur déclarait-il qu’il n’y avait «pas de pagaille». Un sang-froid churchillien, un flegme à toute épreuve. De deux choses l’une : ou bien Brice Hortefeux n’avait pas regardé dehors ou bien il a confondu la définition du mot «pagaille» avec celle du mot «pagaie» qui le précède dans le dictionnaire. Le fait est qu’il a dû bien ramer pour essayer de rattraper sa petite phrase. C’était pour la lucidité.

Autre membre du gouvernem… euh, non, finalement, on va rester sur M. Hortefeux qui, pour expliquer les petits soucis (puisqu’il n’y avait pas de pagaille) que rencontraient les automobilistes, a déclaré au JT de France 2 : “Ce qui pose problème, dans ces épisodes neigeux qui sont extrêmement forts comme vous avez pu le vivre vous-même j’imagine, ce sont les routes lorsqu’elles sont inclinées.” Ah, si Galilée avait eu une automobile et une route enneigée, nul doute que ses expériences sur le mouvement de la chute des corps le long d’un plan incliné eussent été simplifiées ! Quant au Belge de Coluche qui cherchait un lac en pente pour faire du ski nautique, on imagine qu’il a compris son erreur en écoutant Brice “Science” Hortefeux. Neige plus pente égalent glisse, le Prix Nobel de physique est en vue. C’était pour l’intelligence.

Un autre qui ne manque pas d’intelligence au gouvernement, c’est le premier des ministres. Arrivé à Moscou avec du retard en raison des intempéries ce fameux mercredi 8 décembre, François Fillon a rejeté la faute des petits problèmes routiers français (toujours pas de pagaille à l’horizon) sur MétéoFrance qui, comme on le sait, est l’organisme chargé du déneigement des routes dans notre pays : “Météo France n’avait pas prévu cet épisode neigeux, en tout cas pas son intensité”, a déclaré M. Fillon. On comprend bien que le locataire de Matignon a autre chose à faire que de lire les prévisions de MétéoFrance. Voici donc, pour son information, ce que disait le bulletin du mardi 7 décembre : “Les chutes de neige se renforceront demain matin sur les Pays de Loire et gagneront progressivement le Bassin parisien puis la Champagne. (…) Sur les départements en vigilance orange, la couche de neige atteindra 3 à 7 cm en moyenne, jusqu’à localement une dizaine de cm. (…) Les conditions de circulation peuvent devenir rapidement difficiles sur l’ensemble du réseau.” Un second bulletin fut émis le lendemain révisant à la hausse l’épaisseur de la couche de neige attendue.

Mais peu importe, quand la France est prise dans les congères (non, congère n’est pas un synonyme de ministre), on accuse le thermomètre. Cela évite d’avoir à expliquer pourquoi les services de l’Etat n’ont pas pu traiter ou dégager les routes. Cela évite aussi de justifier pourquoi, dans le projet de loi de finances pour 2011, les crédits de l’action “Entretien et exploitation du réseau routier national” perdent 27% en autorisations d’engagement et près de 20% en crédits de paiement. Selon la CGT Equipement, le gouvernement prévoit “une baisse de 10% des crédits de fonctionnement des routes nationales, qui sont consacrés principalement à l’exploitation et au traitement des chaussées pendant la période hivernale”. En tentant de reporter la faute sur MétéoFrance, Fillon a sans doute voulu se dispenser d’expliquer aux Français qu’on n’allait pas dépenser des millions d’euros pour deux jours de neige par an…  C’était pour le sens des responsabilités du gouvernement.

Pendant ce temps, à Montréal, il tombait 32 cm de neige. Et il devrait en tomber à peu près autant pendant le week-end. Les opérations de déneigement s’effectuent normalement. Sans doute nos amis canadiens ont-ils mieux compris que nous ce qu’Emile de Girardin voulait dire avec son célèbre “Gouverner, c’est prévoir.” Mais, soyons-en assurés, le gouvernement français va tirer toutes les conclusions de cette non-pagaille et, la prochaine fois, il ne se laissera pas avoir. Qu’il se méfie cependant, parce que si le temps continue de se détraquer, nous aurons du soleil en juillet.

Pierre Barthélémy

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