Jusqu’où s’étaleront les villes ?

Tout a basculé en 2007. Cette année-là, la proportion de la population mondiale vivant dans des villes a dépassé les 50 %. Depuis, on ne cesse de voir fleurir les palmarès des plus grandes mégalopoles, avec des projections sur le nombre d’habitants qu’elles accueilleront au cours des décennies futures. Mais une ville n’est pas faite que de ses habitants et il est un critère qui n’apparaît pas assez souvent : la superficie de ces agglomérations grandissantes. Car plus une ville absorbe d’hommes, de femmes et d’enfants, plus elle doit bâtir de logements, de bureaux, d’écoles, d’hôpitaux, d’immeubles administratifs, d’infrastructures routières, etc. Des espaces en général conquis sur les terres agricoles ou les forêts, mais à quelle vitesse ?

Car si on sait assez bien, grâce aux recensements, évaluer les populations à l’échelle de pays voire de la planète, il est beaucoup plus compliqué d’obtenir des données à grande échelle sur la superficie qu’occupe le tissu urbain. C’est à cette question délicate que tente de répondre une méta-analyse publiée le mois dernier dans PLoS ONE, qui a compilé 181 études publiées dans la période 1988-2008. Tous ces travaux évaluaient, grâce aux données satellitaires, l’évolution des surfaces urbaines de 292 villes réparties dans 67 pays de tous les continents, à l’exception évidemment de l’Antarctique. Les auteurs de cette analyse ont également mis en relation l’accroissement géographique des villes pendant les décennies 1970,1980 et 1990 avec l’augmentation des populations et du PIB des pays où elles sont localisées. Ce faisant, ils se sont aperçus que la croissance de l’urbanisation n’était pas forcément fonction de la hausse de la population. Si c’est plutôt le cas en Afrique et, dans une moindre mesure, en Inde, dans d’autres régions de la planète, c’est l’augmentation du PIB, l’enrichissement, qui est le principal facteur de croissance des villes, y compris en Chine. Cet effet “argent” est encore plus marqué dans les pays où l’usage de l’automobile est généralisé (Etats-Unis, Europe, Australie). Cela dit, partout dans le monde, la superficie des villes a augmenté plus vite que leur population.

Autre enseignement de ce travail, les villes dont la croissance géographique est la plus importante sont situées en régions côtières, et souvent à une altitude inférieure à 10 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les auteurs soulignent qu’étant donné les impacts qu’aura le réchauffement climatique sur le niveau des océans et sur la fréquence des tempêtes, leurs “résultats montrent que l’humanité a sans le savoir augmenté la vulnérabilité de ses populations urbaines” au cours de la période 1970-2000. Par ailleurs, ils ont noté que le voisinage d’une zone naturelle protégée n’a en général absolument pas empêché les villes de s’agrandir. L’urbanisation étant le mode d’occupation du territoire le plus radical, elle s’accompagne de modifications souvent irréversibles de l’habitat naturel des espèces sauvages, réduit quand il n’est pas détruit, ce qui peut conduire certaines d’entre elles à l’extinction. A cela s’ajoutent des perturbations de l’hydrologie et du climat local avec le phénomène de l’îlot de chaleur urbain.

Dans la dernière partie de l’article, les auteurs ont dépassé le constat et ont tenté des projections à l’horizon 2030, en partant de plusieurs bases de données satellitaires et avec quatre scénarios faisant varier la démographie et la croissance économique. Ils obtiennent des résultats allant d’une croissance relativement modérée des zones urbaines dans le monde (+ 430 000 km2 tout de même, soit la superficie d’un pays comme l’Irak) à une explosion des mégapoles, qui se mettent à couvrir des pans entiers de continents (+ 12 568 000 km2 !). Il s’agit là d’un extrême très improbable. Le modèle le plus réaliste prévoit un gain de 1 527 000 km2, soit l’équivalent de la surface de la Mongolie ou, pour donner un ordre de grandeur plus parlant, près de trois fois la superficie de la France métropolitaine.

Selon les Nations unies, près d’un milliard et demi de Terriens supplémentaires vivront dans les villes en 2030. Le scénario qui se dessine est celui de la fusion de villes qui sont actuellement déjà des mégalopoles. Je ne sais pas si le néologisme de “gigapoles” existe déjà, mais il risque de décrire assez bien ces villes sans fin qui se préparent, une multiplication de Los Angeles tentaculaires.

Pierre Barthélémy

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Les Français doivent tous déménager au Pérou

Carte

C’est sur un amusant exercice de cartographie-fiction que je suis tombé au hasard de mes pérégrinations sur Internet. Quelqu’un s’est demandé comment les nations se redistribueraient à la surface de la planète si au pays le plus peuplé on attribuait le territoire le plus grand, et ainsi de suite jusqu’au pays le moins peuplé qui prendrait le territoire national le plus petit. La carte qui en résulte (consultable ici en grand) est rigolote et bien souvent involontairement ironique. Elle a été réalisée avec les données Wikipedia. Le but premier de l’exercice consiste à harmoniser, autant que faire se peut, les énormes disparités de densité de population à travers le monde. Entre Monaco et ses plus de 16 000 habitants au kilomètre carré et la Mongolie qui en compte moins de 2, certains se marchent plus sur les pieds que d’autres.

Quels sont les principaux changements qui en résultent (je vais oublier le conditionnel…) ? Commençons par les poids lourds. Le pays le plus peuplé de la planète, la Chine, s’installe donc dans le plus grand appartement, celui de son voisin russe, et récupère au passage des territoires dont elle a été dépouillée au XIXe siècle… Les Chinois réalisent un rêve : conquérir la Sibérie, rester un géant asiatique tout en posant un gros pied en Europe. Quant aux Russes, dont la démographie part en capilotade depuis de nombreuses années, ils se retrouvent en pays de connaissance, dans un de leurs anciens fiefs, le Kazakhstan. Ils se consolent en se disant qu’ils pourront toujours tirer leurs fusées à Baïkonour…

Le deuxième pays le plus peuplé de la Terre, l’Inde, change de continent en s’emparant du territoire canadien et devient un nouveau géant américain. Si Christophe Colomb était toujours de ce monde, il pourrait enfin réaliser son rêve de rejoindre les Indes en traversant l’Atlantique. Dans ce grand jeu de chaises musicales, le Canada fait quasiment le chemin inverse puisqu’il prend la place du Pakistan, tandis que l’ex-territoire indien est attribué, non sans une certaine ironie, à son voisin actuel, le Bangladesh, pays issu de la partition des Indes…

Nous arrivons enfin aux Etats-Unis, troisième nation la plus peuplée de la planète. Et ce n’est pas sans un certain sadisme que nous nous frottons les mains pour savoir dans quel coin ils vont atterrir. En Irak ? Au Soudan ? En Chine ? Eh bien non, rien de tout cela. Il se trouve que l’oncle Sam fait bien les choses car les Américains, dotés du troisième plus grand territoire, restent chez eux et s’économisent un colossal déménagement. Trois autres peuples ne goûtent pas non plus aux joies de l’émigration : les Irlandais (qui ont pourtant une longue tradition en la matière…), les Brésiliens et les Yéménites.

Bon. Et la France dans tout cela ? Nous sommes à l’étroit dans l’Hexagone et comme notre population croît à un rythme plutôt soutenu, nous avons besoin de nous agrandir… Nous continuons à aller à la montagne et à la mer, mais la Riviera se transporte sur les bords du Pacifique puisque nous atterrissons au Pérou. Ce qui ravit les fans d’archéologie, de Tintin au Temple du Soleil et de Serge Lama… Mais qui récupère nos vignes, notre tour Eiffel et notre douceur angevine ? La Malaisie, dont la population jeune et en expansion aspire aussi à plus d’espace. Les Belges qui se demandent s’ils ne doivent pas couper leur pays en deux se retrouvent dans un territoire actuellement occupé par un peuple ayant des préoccupations du même ordre, le Sahara occidental… Ce sont les Mongols qui débarquent au plat pays, passant d’un ranch immense à une coquette studette. Pour ce qui concerne les Helvètes, ils récupèrent la place laissée vacante par les Bangladais. La Suisse se retrouve battant pavillon panaméen…

Parmi les nombreuses coquetteries de cette grande redistribution, j’ai noté que les deux Corées ne pouvaient pas se quitter et continuent donc à se quereller, la Corée du Nord au Botswana et celle du Sud en Afrique du Sud ; les Britanniques ne sont plus un peuple d’insulaires puisque les sujets de sa Majesté Elisabeth II se retrouvent au Niger, sans accès à la mer ; enfin, le choc thermique risque d’être rude pour certains, comme les Vietnamiens transportés au Groenland, les Nicaraguayens en Islande ou les Libanais au Spitzberg… Je n’ai évidemment pas cherché à tout dire et les commentaires sont ouverts à ceux qui auront noté d’autres curiosités amusantes.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : une autre manière, plus sérieuse, de représenter les choses consiste à gonfler ou amaigrir les territoires des nations en fonction de leur population. Cette technique a été exploitée avec brio dans l’Atlas du monde réel, publié en 2008 aux Editions de la Martinière.

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