De quoi souffrait Joseph Merrick (photo ci-dessus), qui a inspiré le célèbre film de David Lynch, Elephant Man
? Après avoir écarté l’hypothèse de l’éléphantiasis et celles de la neurofibromatose de type I, les chercheurs pensent aujourd’hui que l’homme qui, pendant des années, vécut l’existence dégradante de phénomène de foire, était atteint du syndrome de Protée. C’est une maladie très rare, qui ne touche que quelques centaines de personnes de par le monde et se caractérise par des excroissances, souvent asymétriques, de tissus de toutes sortes (os, peau, graisses, tissu conjonctif, etc.), des mégadactylies, des anomalies vertébrales ainsi que des malformations vasculaires.
Après une longue enquête, la cause de ce syndrome grave et invalidant vient d’être identifiée et révélée dans une étude internationale signée par une quarantaine de chercheurs et publiée le 27 juillet dans The New England Journal of Medicine. L’hypothèse d’un gène défectueux a été avancée depuis longtemps mais son identification a posé de nombreux problèmes. La rareté de la maladie et le fait qu’on ne la trouve pas dans les lignées familiales sont les plus évidents. On connaît par exemple le cas de deux vrais jumeaux dont un est victime du syndrome de Protée et l’autre pas. Autre difficulté, l’affection semble avoir une structure dite en mosaïque : certaines cellules des patients sont saines et d’autres porteuses de la mutation génétique. La raison tient probablement au fait que la mutation surgit in utero dans quelques cellules de l’embryon et ne touche par la suite que les parties du corps originaires de ces cellules mutantes.
Les chercheurs ont donc dû prélever, sur six patients, des cellules dans les zones visiblement touchées et d’autres dans les régions a priori dénuées de problèmes. Ils ont ensuite séquencé les parties de l’ADN qui codent pour les protéines et chercher les différences. Des comparaisons ont aussi eu lieu avec d’autres malades et des individus sains. A l’arrivée, ils se sont aperçus qu’une “faute de frappe” dans le gène AKT1 se retrouvait dans les cellules touchées et était absente des cellules saines. Cette unique mutation, dans un gène qui code pour une protéine participant au contrôle du cycle cellulaire et à la croissance, semblent suractiver ladite protéine. Le gène en question est connu des chercheurs car il est impliqué dans certains cancers et des médicaments ont été conçus pour cibler la protéine qu’il fait fabriquer. Toute la difficulté d’un éventuel traitement consistera à réguler cette protéine uniquement dans les cellules malades sans toucher à son expression dans les cellules saines.
Maintenant que la cause de la maladie est identifiée, il est enfin temps de s’intéresser de nouveau à Joseph Merrick, mort en 1890 à l’âge de 27 ans, probablement en raison de l’hypertrophie de sa tête. En effet, on n’a toujours pas l’assurance que ce patient célèbre souffrait bien du syndrome de Protée, dont il fait pourtant figure d’archétype. Pour résoudre une énigme scientifique vieille de plus d’un siècle, l’équipe de chercheurs a obtenu l’autorisation de travailler sur des échantillons provenant de son squelette qui a été conservé au Royal London Hospital. Toute la difficulté sera de trouver du matériel génétique non dégradé par le temps. Une première tentative a échoué, rapporte Science sur son site Internet, car l’ADN était trop fragmenté pour “parler”. Mais les scientifiques ne veulent pas s’arrêter si près du but et comptent bien renouveler rapidement l’expérience. Pour refermer définitivement un des dossiers médicaux les plus célèbres de l’histoire.
Pierre Barthélémy
lire le billetVoilà, les vacances sont là. Les enfants aussi, qu’il faut bien occuper et qui ont toujours des tonnes d’idées comme, par exemple, “Dis, Papa, toi qui parles toujours de science, tu ne veux pas nous dessiner un dinosaure ?” A priori, Papa veut plutôt bouquiner dans un coin tranquille et, en plus, il ne sait pas dessiner. Mais lui vient une idée machiavélique : “Les enfants, si, au lieu de dessiner un dinosaure, nous en fabriquions un, un vrai, un vivant ?” Succès assuré. Evidemment, Papa ne se prend pas pour Michael Crichton ni pour Steven Spielberg. Il sait qu’il ne va pas rejouer Jurassic Park
, qu’il ne va pas retrouver un moustique fossilisé dans de l’ambre, récupérer de l’ADN de dinosaure ingéré par le paléo-insecte ni recréer un vélociraptor ou un tyrannosaure. D’abord, ça lui prendrait au moins toutes les vacances et, en plus, il existe un moyen beaucoup plus simple d’assister à la naissance d’un dinosaure. Il suffit d’aller chaque jour… dans la ferme voisine observer la couvaison des poussins dans un poulailler.
Je sais. Cela sent un peu l’arnaque comme astuce, bien que les oiseaux soient, de l’avis quasi unanime des paléontologues et des ornithologues, des dinosaures. Les enfants risquent d’avoir du mal à gober l’histoire, même si on peut en profiter pour leur conter les origines de la gent aviaire. Comme l’explique, avec un humour certain, le célèbre paléontologue américain Jack Horner, dans la vidéo ci-dessous, les gamins vont regarder le poussin d’un air dubitatif, en se disant que c’est loin de ressembler aux dinosaures de leurs rêves ou plutôt de leurs cauchemars. Puis, c’est Papa qu’ils vont regarder froidement, en lui disant : “Arrange le poulet.” Sous-entendu : “Débrouille-toi pour transformer ce poulailler en parc jurassique.” La vidéo est en anglais mais j’ai activé les sous-titres français.
Pour transformer notre poulet en poulétosaure, c’est-à-dire pour donner à notre volaille de basse-cour quelques traits physiques plus conformes à l’imagerie hollywoodienne du dinosaure (des dents, des membres antérieurs capables de saisir des proies et non de stupides ailes, une longue queue), Jack Horner et ses collègues ont eu l’idée de faire ressortir des caractères archaïques qui apparaissent puis disparaissent pendant l’embryogénèse. Cela revient d’une certaine manière à faire faire marche arrière à l’évolution. Il reste à ces chercheurs deux choses à réaliser : inactiver les gènes qui gomment les dents, les “mains” et la queue pendant que le poussin est dans son œuf, et trouver de bonnes raisons de le faire. En effet, si les enfants ont des chances de trouver ça “cool” (pensez, des poules qui ont des dents…), il y a un risque pour que cela plaise moins aux défenseurs des animaux.
Pierre Barthélémy
lire le billetJ’avais remarqué l’info dans les Lu, Vu & Entendu de Slate.fr, sans y accorder plus d’importance que cela : on aurait découvert un gène de l’infidélité et du “petit coup d’un soir bonsoir”. Je me suis dit : “Encore une ânerie” et j’ai tourné une page dans mon cerveau. Puis l’info est revenue ailleurs, notamment sur des sites anglo-saxons, qui titraient sur le “slut gene”, littéralement “le gène de la salope” (là, là, là, là, là, etc). Cette fois-ci, au lieu de tourner une nouvelle fois la page, j’ai fait “pause”. Depuis que je fais ce métier, combien de fois ai-je vu ce genre d’information, le gène du comportement bidule, de l’habitude machin ? La réponse est : beaucoup. Au point que l’idée du “Tout est inscrit dans les gènes” s’est petit à petit gravée dans les esprits.
Et c’est bien pratique. Donc, vous êtes une traînée (mais je rassure les femmes, ça marche aussi chez les hommes) ? C’est génétique. Vous êtes alcoolique ? C”est génétique. Vous êtes un délinquant violent ? C’est génétique. Vous êtes gay (désolé pour l’amalgame…) ? C’est génétique. Vous croyez en Dieu ? C’est génétique. Vous aimez prendre des risques financiers ? C’est génétique. Vous êtes de gauche ? C’est génétique. Vous êtes une grande danseuse ? C’est génétique. Vous êtes déprimé ? C’est génétique. Donc, si vous êtes un délinquant alcoolique homosexuel religieux de gauche dépressif infidéle et bon danseur, ça s’explique, c’est génétique. De la même manière, il y a des chances que vos gènes vous disent pourquoi vous êtes un honnête citoyen sobre athée hétérosexuel de droite fidèle joyeux qui écrase les pieds de tout le monde en dansant la rumba…
J’imagine qu’un jour prochain, on trouvera le gène qui explique pourquoi on croit au tout génétique. Et je parie que ce gène est présent chez bien des personnages importants. Qui, en effet, a dit, en 2007, juste avant de devenir président de la République (zut, la réponse est dans la question…) : “J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.” Dans un genre un peu différent mais tout aussi symbolique, il est revenu à ma mémoire ce procès en Italie, en 2009, au cours duquel un assassin a bénéficié de circonstances atténuantes en raison d’une “vulnérabilité génétique” pouvant le mener à la violence.
Loin de moi l’idée de vouloir jeter la pierre à la génétique, qui a permis de comprendre ce qui causait un certain nombre de graves maladies dont les plus connues sont la myopathie de Duchenne, l’hémophilie, la mucoviscidose ou les différentes formes de trisomie. Simplement, une chose est d’identifier un gène défaillant ou un chromosome surnuméraire et une autre est de mettre le doigt sur un gène corrélé avec tel ou tel comportement. La mécanique inexorable qui est à l’œuvre dans le premier cas ne se retrouve pas dans le second. Il n’y a pas d’automaticité, pas de fatalité, et il arrive aussi souvent que des personnes présentent un comportement particulier sans avoir le gène qui lui est soi-disant relié. Les chercheurs travaillant sur ces “liens” (qui ne sont pas forcément des liens de cause à effet) prennent en général beaucoup de pincettes pour expliquer que le gène qu’ils ont identifié augmente, sous certaines conditions environnementales ou socio-éducatives, la probabilité pour que la personne adopte le comportement en question…
Malheureusement, ces précautions de langage disparaissent souvent dans les comptes-rendus des médias ou dans l’assimilation des notions par le grand public. Alimentée par des articles sensationnalistes, la dictature du gène a finalement gagné bien des esprits, comme une version moderne de la phrénologie qui, au XIXe siècle, expliquait les “caractères” par le relief du crâne (la fameuse “bosse des maths”…) . Aujourd’hui, pour justifier ou comprendre les comportements, on met de côté le libre arbitre, l’éducation, les influences culturelles ou sociales, au profit d’un déterminisme génétique. Bienvenue à Gattaca, le monde où les “défauts” sont inscrits dans l’ADN, où l’homme ne peut transcender la somme de ses informations génétiques. Un monde où certains de mes confrères titrent sur le “gène de la salope”.
Je me souviens qu’un rédacteur en chef m’a un jour demandé d’écrire un article sur “le gène de Dieu”, qui aurait expliqué le sentiment religieux. Enervé, je lui ai un peu sèchement rétorqué que j’attendrais que l’on identifie d’abord le gène de la connerie. Quelques années plus tard, ce dernier échappe toujours aux chercheurs. Peut-être craignent-ils de le trouver chez tout le monde ?
Pierre Barthélémy
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