Le samedi 6 novembre 2010, la vérité va enfin être rétablie. Ce jour-là, à South Bend, ville américaine située dans le nord de l’Indiana, aura lieu un colloque dont le titre est : “Galilée avait tort. L’Eglise avait raison.” L’objectif de cette “première conférence catholique annuelle sur le géocentrisme” consiste à prouver que le Soleil tourne autour de la Terre (système géocentrique), alors que, depuis Copernic, Galilée, Kepler et Newton, la science prétend que la Terre et les autres planètes tournent autour du Soleil (système héliocentrique). Au cours de cette journée historique, qui démontera un des plus grands complots que l’histoire des sciences ait jamais connus, une dizaine d’orateurs vont se succéder à la tribune devant des spectateurs qui auront chacun déboursé 50 dollars. Voici les thèmes des premiers discours tels qu’on peut les lire sur le site Internet de cette manifestation : “Géocentrisme : ils le savent mais ils le cachent”, par Robert Sungenis, auteur d’un livre sur le sujet et organisateur de la conférence ; “Introduction à la mécanique du géocentrisme” ; “Expériences scientifiques montrant l’immobilité de la Terre dans l’espace” ; “Preuve scientifique : la Terre au centre de l’Univers”…
Ceci n’est pas un canular. Cette conférence aura bien lieu et ceux qui l’organisent sont convaincus de ce qu’ils disent. Dans la liste de questions/réponses qu’il a mise sur son site Internet, Robert Sungenis, en plus de citer les passages de la Bible où la position centrale de la Terre est clairement dite, compare sa démarche à celle des créationnistes qui, petit à petit, imposent une vision biblique de l’apparition de la vie et de l’homme sur Terre comme une alternative valable aux enseignements de la biologie et du darwinisme : “Oui, je crois vraiment que ce qui est arrivé avec le créationnisme arrivera avec le géocentrisme. Nous sommes là où Morris et Whitcomb (NDLR : les pères américains du néo-créationnisme) étaient dans les années 1960. Tôt ou tard, la preuve du géocentrisme sera très répandue, mais cela prend du temps. Je serai peut-être mort et parti avant que mon rêve se réalise. La cause du géocentrisme pourrait cependant avancer un petit peu plus vite que celle du créationnisme, car elle le géocentrisme est bien plus facile à démontrer que le créationnisme. Je peux expliquer les preuves scientifiques du géocentrisme en environ 20 minutes à un interlocuteur instruit, et une fois que j’aurai terminé, soit il s’en ira complètement stupéfait par la nouvelle vérité qu’il viendra de découvrir, soit il fera tout ce qui est en son pouvoir pour étouffer ou tourner en ridicule ce que je lui aurai dit et il me traitera de fou pour avoir abordé le sujet, puisqu’il réalisera, mais rejettera, les implications théologiques et globales de ce que je lui aurai dit.”
Il y a effectivement fort à parier que, d’ici à quelques années, cette conférence du 6 novembre 2010 sera citée comme une référence scientifique par ceux qui défendront le géocentrisme, tout comme aujourd’hui certains citent de soi-disant “colloques” et “études”, ou des livres écrits sans contrôle scientifique objectif, pour s’attaquer à la théorie de l’évolution ou, d’une manière plus anecdotique mais tout aussi révélatrice, à la datation au carbone 14 du suaire de Turin, laquelle a démontré qu’il s’agissait d’une création médiévale. S’en prendre à Galilée a un triple objectif : souiller l’image d’un des plus grands savants de l’histoire, considéré comme l’un des fondateurs de la science moderne ; s’attaquer à celui qui apporta une des premières preuves observationnelles de l’héliocentrisme de Copernic ; permettre à l’Eglise de laver l’offense qu’elle a dû subir lors de sa repentance de 1992 au sujet de la condamnation de Galilée.
Ceci dit, je vois arriver une question majeure : qu’est-ce qui nous prouve que le Soleil ne tourne pas autour de la Terre (ce que croit encore un cinquième environ des habitants des pays dits développés) ? Après tout, ne le voit-on pas se lever tous les jours et se coucher chaque soir après avoir traversé le ciel ? La révolution copernicienne porte bien son nom, qui tord le cou au témoignage le plus élémentaire de nos sens. Il est beaucoup plus simple de croire que le Soleil se promène autour de nous plutôt que d’imaginer que c’est la Terre qui, tournant sur elle-même en plus de faire le tour de son étoile en un an, donne à l’astre du jour son mouvement apparent. Quelles preuves en a-t-on ?
Dans le système géocentrique du début du XVIIe siècle, tout tourne autour de la Terre. La Lune d’abord, puis, dans l’ordre, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne (Uranus et Neptune n’ont pas encore été découvertes). Lorsque, à partir de 1609, Galilée pointe la lunette de sa fabrication vers les cieux, il ne va pas tarder à lui trouver des défauts. En janvier 1610, il découvre quatre petits astres tournant autour de Jupiter, qui seront par la suite nommés les satellites galiléens. Cela n’a l’air de rien mais cette trouvaille compromet le géocentrisme car, désormais, tout ne tourne plus autour de la Terre. Quelques mois plus tard, en septembre, il découvre que Vénus, comme la Lune, a des phases. Ce qui, en soi, peut s’expliquer avec le géocentrisme. Ce que celui-ci a, en revanche, beaucoup de mal à justifier, c’est la raison pour laquelle Vénus est de plus en plus petite au fur et à mesure qu’elle devient pleine (voir ci-dessous). Théorisé au siècle précédent par le chanoine polonais Nicolas Copernic, l’héliocentrisme, lui, explique sans peine le phénomène : si Vénus rapetisse au fur et à mesure qu’elle s’illumine, c’est parce que, vue depuis la Terre, elle passe de l’autre côté du Soleil. Ce qu’elle ne peut évidemment pas faire dans le système géocentrique hérité d’Aristote.
Bien sûr, il existe d’autres preuves de l’héliocentrisme. Je citerai rapidement : l’aberration de la lumière, découverte en 1725 par l’astronome britannique James Bradley, phénomène confirmant que la Terre n’est pas immobile dans l’espace comme le prétend le modèle géocentrique ; la première mesure de la parallaxe d’une étoile, effectuée en 1838 par l’Allemand Friedrich Wilhelm Bessel, qui prouve la révolution terrestre ; la célèbre expérience du pendule de Foucault, en 1851, qui montre que la Terre tourne bien sur elle-même ; l’orbite des comètes ; plus récemment, la découverte des systèmes extra-solaires.
En 1633, Galilée n’avait, malheureusement pour lui, aucune de ces preuves à sa disposition lorsque, vieux, malade et menacé de la torture, il fut jugé et condamné à la prison à vie (peine commuée par le pape à une assignation à résidence, toujours à vie) pour avoir défendu ouvertement l’héliocentrisme, ce qui était assimilé à de l’hérésie. Pour éviter le bûcher, le savant italien dut abjurer, rejeter l’idée “que le Soleil était le centre du monde et immobile, et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait”. C’est un peu facile de jouer avec la peau des autres mais je dirai que si Galilée a un jour eu tort, ce n’est pas en défendant l’héliocentrisme, comme le prétend Robert Sungenis, mais en le reniant…
Pierre Barthélémy
Il y a quatre siècles, le 25 juillet 1610, Galilée pointait pour la première fois la lunette astronomique de sa fabrication vers la planète Saturne et lui découvrait… deux oreilles. La résolution de son instrument était insuffisante pour que le savant italien comprenne de quoi il s’agissait. Il fallut attendre quelques décennies et le regard du Néerlandais Christian Huygens pour qu’on s’aperçoive qu’autour de Saturne se trouvaient des anneaux, comme le rappelle l’astronome Mark Showalter pour fêter cet anniversaire. Aujourd’hui, c’est la sonde Cassini qui explore lesdits anneaux. Cet engin, parti le 15 octobre 1997 de Cap Canaveral, a réalisé une moisson de données et d’images extraordinaire. Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer la photo que je préfère (et que Mark Showalter a aussi sélectionnée). Il s’agit en réalité d’une mosaïque de 165 clichés pris par Cassini le 15 septembre 2006. Je me suis permis de la recadrer afin de vous poser une petite devinette : il y a un tout petit point clair en haut à gauche des anneaux. De quoi s’agit-il ?
Réponse : si vous avez lu mon précédent papier, vous avez dû comprendre que j’aimais bien retourner les télescopes vers ceux qui les utilisent. Ce minuscule point bleuté, c’est bien entendu notre Terre vue de Saturne…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : j’apprends dans les colonnes numériques du New York Times que de nouvelles “reliques” de Galilée (trois doigts et une molaire…) sont présentés au public dans le musée qui porte son nom. Je trouve qu’il y a une certaine ironie à traiter celui qui fut condamné à la prison à vie pour hérésie en 1633 comme un petit saint de l’Eglise catholique.
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