Illusion d’optique : les jolies filles deviennent monstrueuses

A la longue liste des découvertes par hasard, de la tarte Tatin à la pénicilline, il va falloir ajouter une petite entrée : l’illusion d’optique qui rend les visages monstrueux. Comme, dans ce domaine, les images parlent beaucoup mieux que les mots, voici la vidéo. Il vous suffit de fixer la croix située entre les deux portraits pendant la petite minute que dure le montage.

Si on joue le jeu et que l’on se concentre sur la croix centrale, on a vite l’impression que les visages qui défilent à vive allure à droite et à gauche de l’écran sont déformés par des effets de morphose (morphing pour les anglophones), comme si un facétieux retoucheur les avait transformés en la caricature d’eux-mêmes. En fait, il n’en est rien. Il suffit d’appuyer à plusieurs reprises sur le bouton “pause” pour s’apercevoir que les visages de femmes n’ont subi aucune transformation. Le retoucheur, c’est votre cerveau.

Comme le racontent les psychologues australiens qui publient un article sur cette illusion d’optique dans la revue Perception, cette découverte s’est faite par hasard. L’un d’eux, Sean Murphy, un étudiant, préparait une série de portraits, obtenus à partie d’une base d’images slovaque, pour une expérience sur l’identification. Dans ce but, il devait aligner tous les portraits sur les yeux. En les faisant défiler pour vérifier que tout était correct, il lui sembla au bout de quelques secondes que les visages prenaient des apparences grotesques. “Si une personne avait une grosse mâchoire, dit l’étude, celle-ci paraissait particulièrement grande, presque ogresque. Si une personne avait un nez fin, alors il semblait remarquablement effilé.” J’ajouterai que les femmes au nez retroussé semblent dotées d’un groin, que celles dont les oreilles sont pointues passent pour les cousines de Monsieur Spock et que celles dont le front proéminent est bien dégagé pourraient presque jouer sans postiche dans Coneheads. Cependant, poursuit l’article, “si nous stoppions la séquence et regardions de nouveau les visages pris séparément, ils redevenaient rapidement normaux. Nous avons entretenu l’idée que des visages slaves étaient bizarres par nature, mais nous avons reproduit le même effet avec des visages provenant d’autres bases de données.”

Pour le moment, les auteurs ne savent pas bien comment fonctionne l’illusion d’optique. Cela ne les a pas empêché de noter que plus un trait spécifique s’éloigne de la “normale”, plus l’indice de distorsion est élevé. Le fait d’avoir aligné tous les visages sur les pupilles, en facilitant la comparaison à grande vitesse, a un rôle important dans l’effet : c’est comme si les différences sautaient littéralement aux yeux. Autre point important : l’illusion s’affaiblit en deçà d’une certaine vitesse. Les chercheurs ont donc optimisé l’effet en faisant défiler entre quatre et cinq portraits par seconde. Par ailleurs, si un bref écran blanc est inséré entre les visages, l’illusion disparaît presque complètement. Enfin, je trouve pour ma part qu’elle fonctionne mieux avec la présentation de deux séries de portraits de part et d’autre d’une croix centrale, comme sur la vidéo ci-dessus, qu’avec la présentation initiale où les chercheurs se contentaient de faire défiler une série de visages. Comme si l’utilisation de la vision périphérique, moins précise, forçait notre cerveau à la caricature en l’obligeant à sélectionner les points les plus saillants.

Même s’ils ignorent par quel mécanisme exact nous nous abusons nous-mêmes, les chercheurs soupçonnent l’implication d’un effet mis en évidence dans un article publié en 1998 : quand on montre brièvement un trait horizontal puis un cercle, ce dernier s’allonge verticalement et prend une forme d’ellipse. Voir rapidement et consécutivement deux formes différentes a pour résultat d’amplifier le contraste existant entre les deux, comme si le couple œil-cerveau, en cherchant frénétiquement à cerner les différences, était incapable de s’arrêter à leurs limites exactes et les étirait au-delà de leur forme réelle.

On en aurait presque envie de tenter l’expérience inverse, de faire défiler les visages d’immondes laiderons et de voir si Miss Monde n’apparaît pas sur l’écran. Ou bien, étant donné qu’il ne semble pas y avoir de sexisme en la matière, d’empiler les photos de crapauds et d’attendre l’apparition du prince charmant…

Pierre Barthélémy

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Qui a découvert le clitoris ?

C’est en voyant l’intitulé de l’étude que je me suis arrêté. D’ordinaire, les articles des revues scientifiques ont des titres tout à fait appétissants comme“Protecting group and switchable pore-discriminating adsorption properties of a hydrophilic–hydrophobic metal–organic framework” ou “Reconciling the hemispherical structure of Earth’s inner core with its super-rotation”. Là, rien de tel. C’était court et clair : “Colombo and the clitoris”. Pendant un court instant, j’ai eu la vision grotesque du héros de série TV de mon enfance enquêtant dans un sex-shop de Los Angeles, se promenant avec son imperméable miteux et son cigare nauséabond entre des piles de magazines pornographiques et parlant de sa femme devant un étalage de godemichés. Jusqu’à ce que je me rende compte que le patronyme du lieutenant Columbo s’écrivait avec un “u” et non avec un “o”. Qui était donc ce Colombo-là et que diable avait-il à voir avec le clitoris ?

Publiée dans l’European Journal of Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology, l’étude de Mark Stringer et Ines Becker, qui travaillent à l’université d’Otago à Dunedin (Nouvelle-Zélande), évoque la figure de l’anatomiste italien du XVIe siècle Realdo Colombo, qui affirma avoir découvert et la circulation pulmonaire et le clitoris. Evidemment, il est toujours présomptueux de déclarer ce genre de choses (comme si les femmes ne connaissaient pas leur corps…) et cela m’a fait penser à Christophe Colomb qui avait découvert l’Amérique alors même que les “Indiens” y vivaient depuis plus de dix millénaires.

Realdo Colombo enseigna l’anatomie à Padoue, Pise et Rome, où il fut également l’un des chirurgiens du pape Jules III. Il pratiqua de très nombreuses autopsies (dont celle du fondateur de la Compagnie de Jésus, Ignace de Loyola), ce qui lui donna une véritable familiarité avec le corps humain. Dans l’unique ouvrage qu’il a laissé à la postérité, sobrement intitulé De re anatomica et qu’il a rédigé de 1542 jusqu’à sa mort en 1559, Realdo Colombo explique à son lecteur (lequel est forcément un homme) où est situé le clitoris et que cet organe “est le siège principal du plaisir des femmes pendant les rapports sexuels”. Tel un conquistador plantant son drapeau sur une terre nouvelle, Colombo ajoute que “s’il est permis de donner un nom aux choses découvertes par moi, cela devrait être appelé l’amour ou la douceur de Vénus. On ne peut dire à quel point je suis surpris par le fait que de si nombreux remarquables anatomistes ne l’aient pas détecté (…)”.

A une époque où l’anatomie fait sa révolution et où les médecins se jalousent et rivalisent d’annonces fracassantes, cette forfanterie est presque normale. Il n’empêche. En se déclarant le découvreur du “bouton d’amour”, Colombo va déclencher une véritable bataille du clitoris ! En effet, un de ses rivaux italiens, Gabriele Falloppio, lui aussi connaisseur de l’appareil génital féminin puisqu’il a découvert les trompes qui, chez nous, portent son nom francisé, Fallope, explique dans ses Observationes anatomicae, parues deux ans après la mort de Colombo mais qu’il a écrites aux alentours de 1550, que le clitoris “est si caché qu’[il a] été le premier à le découvrir… et que si d’autres en ont parlé, sachez qu’ils l’ont pris de moi ou de mes étudiants.”

En réalité, ni Colombo ni Falloppio n’a raison. Tout comme Christophe Colomb n’était pas le premier Européen à fouler le sol américain puisqu’il avait été devancé par les Vikings cinq siècles plus tôt, les deux médecins italiens, n’en déplaise à leur ego, avaient été précédés sur le terrain clitoridien. Ainsi que le rappellent Mark Stringer et Ines Becker dans leur étude, “le clitoris était connu des auteurs grecs, persans et arabes qui écrivaient sur la médecine et la chirurgie, même s’il y avait de nombreuses idées fausses sur sa fonction”. On le trouve chez Hippocrate, Avicenne et Aboulcassis, un chirurgien arabe qui vivait en Andalousie au tournant de l’an mil. Mais le clitoris, très discret par nature puisque sa plus grande partie est enfouie dans les chairs, a eu, pendant des siècles et des siècles, l’incroyable capacité à se faire oublier et redécouvrir par la médecine. Même au XXe siècle, il disparut de nombreux ouvrages d’anatomie, non pas par oubli scientifique mais pour des raisons d’idéologie, de tabou et de conventions culturelles, avant de retrouver petit à petit sa place dans les planches consacrées aux pudenda.

Au bout de l’enquête, on ignore toujours quel savant “découvrit” cet organe si mal connu. Mais il y a du comique à voir ces anatomistes de la Renaissance se disputer et emboucher les trompettes de leur propre renommée à son sujet. Tout comme il y a du comique à lire, un siècle après Colombo et Falloppio (le duo du “clito”), l’anatomiste néerlandais Reinier de Graaf décrire avec un tantinet d’exagération l’importance et le rôle de ce qu’en argot on nomme – entre autres – le berlingot : “Si cette partie des organes génitaux n’avait pas été doté d’une sensibilité si vive au plaisir et à la passion, aucune femme ne voudrait assumer la fastidieuse affaire de gestation longue de neuf mois, le douloureux et souvent fatal processus d’expulsion du foetus et l’angoissante tâche d’élever des enfants.” Sic.

Pierre Barthélémy

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