Il est des découvertes que l’on fait par hasard. C’est un peu ce qui est arrivé à une équipe de généticiens du Baylor College of Medicine de Houston (Etats-Unis). Ces chercheurs utilisent des puces à ADN pour identifier des anomalies génétiques chez des enfants présentant des problèmes intellectuels et de développement. Mais, pour plusieurs de ces jeunes patients, la cause de leurs retards n’était pas à rechercher dans la disparition ou la duplication anormale de matériel génétique.
Comme ces généticiens l’expliquent dans une correspondance adressée au Lancet et publiée dans le dernier numéro de cette prestigieuse revue médicale, les biopuces utilisées pour ces analyses permettent aussi d’identifier des régions de l’ADN caractérisées par l’absence d’hétérozygotie. En clair, d’identifier des zones de l’ADN où la partie apportée par le père est semblable à la partie apportée par la mère. Ceci peut d’expliquer par un phénomène nommé disomie uniparentale (lorsqu’une personne reçoit d’un de ses deux parents une paire de chromosomes ou des fragments de chromosomes correspondants). Mais cela peut aussi expliquer plus simplement, par le fait qu’au départ les deux parents de l’enfant partagent déjà le même matériel génétique, qu’ils soient père et fille, mère et fils ou bien frère et sœur.
Dans tous les cas, cela s’appelle un inceste. Au cours de leurs recherches, les généticiens du Baylor College of Medicine ont identifié, chez plusieurs enfants atteints de problèmes de développement ou d’anomalies congénitales multiples, des absences d’hétérozygotie à grande échelle, sur plusieurs chromosomes. Dans certains cas, comme celui d’un petit garçon de trois ans victime de plusieurs problèmes de santé, ces régions représentent un quart du génome. Ce qui est cohérent avec l’idée d’un inceste puisque lorsque deux personnes ayant en commun 50% de leur patrimoine génétique ont un enfant, celui-ci présentera un taux d’homozygotie de 25%. Par ailleurs, tout ceci est à mettre en rapport avec le fait que handicaps et maladies génétiques sont plus fréquents dans les populations nés d’inceste ou à forte consanguinité.
Cette découverte “collatérale” à l’utilisation croissante des puces à ADN n’est pas, selon les auteurs de la correspondance au Lancet, sans conséquences éthiques et légales. “Dans les cas, écrivent-ils, où la mère est mineure, les praticiens qui découvrent la probabilité d’une relation incestueuse pourraient être tenus de le rapporter aux services de protection de l’enfance et, potentiellement, à la police puisque la grossesse pourrait avoir pour contexte un abus sexuel – peut-être par le père ou par un frère. L’obligation qu’aurait le médecin de le déclarer est moins claire dans des cas où la mère est une adulte et pourrait être liée au fait qu’elle ait été mineure ou majeure au moment où elle est devenue enceinte.” Face au vide déontologique existant en ce domaine, ces généticiens suggèrent aux comités d’éthique américains et européens de discuter des nouvelles problématiques qui surgissent avec les tests ADN. “Je suis absolument certain que ça va devenir un problème important”, a déclaré Ross Upshur, directeur du Centre de bioéthique à l’Université de Toronto, dans une dépêche AP. “La science avance tellement vite qu’on découvre souvent des informations que nous n’imaginions pas devenir un jour aussi sensibles.”
Pierre Barthélémy
lire le billetJ’avais remarqué l’info dans les Lu, Vu & Entendu de Slate.fr, sans y accorder plus d’importance que cela : on aurait découvert un gène de l’infidélité et du “petit coup d’un soir bonsoir”. Je me suis dit : “Encore une ânerie” et j’ai tourné une page dans mon cerveau. Puis l’info est revenue ailleurs, notamment sur des sites anglo-saxons, qui titraient sur le “slut gene”, littéralement “le gène de la salope” (là, là, là, là, là, etc). Cette fois-ci, au lieu de tourner une nouvelle fois la page, j’ai fait “pause”. Depuis que je fais ce métier, combien de fois ai-je vu ce genre d’information, le gène du comportement bidule, de l’habitude machin ? La réponse est : beaucoup. Au point que l’idée du “Tout est inscrit dans les gènes” s’est petit à petit gravée dans les esprits.
Et c’est bien pratique. Donc, vous êtes une traînée (mais je rassure les femmes, ça marche aussi chez les hommes) ? C’est génétique. Vous êtes alcoolique ? C”est génétique. Vous êtes un délinquant violent ? C’est génétique. Vous êtes gay (désolé pour l’amalgame…) ? C’est génétique. Vous croyez en Dieu ? C’est génétique. Vous aimez prendre des risques financiers ? C’est génétique. Vous êtes de gauche ? C’est génétique. Vous êtes une grande danseuse ? C’est génétique. Vous êtes déprimé ? C’est génétique. Donc, si vous êtes un délinquant alcoolique homosexuel religieux de gauche dépressif infidéle et bon danseur, ça s’explique, c’est génétique. De la même manière, il y a des chances que vos gènes vous disent pourquoi vous êtes un honnête citoyen sobre athée hétérosexuel de droite fidèle joyeux qui écrase les pieds de tout le monde en dansant la rumba…
J’imagine qu’un jour prochain, on trouvera le gène qui explique pourquoi on croit au tout génétique. Et je parie que ce gène est présent chez bien des personnages importants. Qui, en effet, a dit, en 2007, juste avant de devenir président de la République (zut, la réponse est dans la question…) : “J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable.” Dans un genre un peu différent mais tout aussi symbolique, il est revenu à ma mémoire ce procès en Italie, en 2009, au cours duquel un assassin a bénéficié de circonstances atténuantes en raison d’une “vulnérabilité génétique” pouvant le mener à la violence.
Loin de moi l’idée de vouloir jeter la pierre à la génétique, qui a permis de comprendre ce qui causait un certain nombre de graves maladies dont les plus connues sont la myopathie de Duchenne, l’hémophilie, la mucoviscidose ou les différentes formes de trisomie. Simplement, une chose est d’identifier un gène défaillant ou un chromosome surnuméraire et une autre est de mettre le doigt sur un gène corrélé avec tel ou tel comportement. La mécanique inexorable qui est à l’œuvre dans le premier cas ne se retrouve pas dans le second. Il n’y a pas d’automaticité, pas de fatalité, et il arrive aussi souvent que des personnes présentent un comportement particulier sans avoir le gène qui lui est soi-disant relié. Les chercheurs travaillant sur ces “liens” (qui ne sont pas forcément des liens de cause à effet) prennent en général beaucoup de pincettes pour expliquer que le gène qu’ils ont identifié augmente, sous certaines conditions environnementales ou socio-éducatives, la probabilité pour que la personne adopte le comportement en question…
Malheureusement, ces précautions de langage disparaissent souvent dans les comptes-rendus des médias ou dans l’assimilation des notions par le grand public. Alimentée par des articles sensationnalistes, la dictature du gène a finalement gagné bien des esprits, comme une version moderne de la phrénologie qui, au XIXe siècle, expliquait les “caractères” par le relief du crâne (la fameuse “bosse des maths”…) . Aujourd’hui, pour justifier ou comprendre les comportements, on met de côté le libre arbitre, l’éducation, les influences culturelles ou sociales, au profit d’un déterminisme génétique. Bienvenue à Gattaca, le monde où les “défauts” sont inscrits dans l’ADN, où l’homme ne peut transcender la somme de ses informations génétiques. Un monde où certains de mes confrères titrent sur le “gène de la salope”.
Je me souviens qu’un rédacteur en chef m’a un jour demandé d’écrire un article sur “le gène de Dieu”, qui aurait expliqué le sentiment religieux. Enervé, je lui ai un peu sèchement rétorqué que j’attendrais que l’on identifie d’abord le gène de la connerie. Quelques années plus tard, ce dernier échappe toujours aux chercheurs. Peut-être craignent-ils de le trouver chez tout le monde ?
Pierre Barthélémy
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