Les restes de Richard III authentifiés


Le 4 février 2013, l’université de Leicester a confirmé par un communiqué que les restes humains découverts en août 2012 sous un parking de la ville sont bien ceux du roi Richard III d’Angleterre (1452 – 1485). L’histoire est assez extraordinaire et prolonge celle d’un monarque plus célèbre au théâtre, grâce à la pièce de Shakespeare, que dans l’histoire. Frère du roi Edouard IV, duc de Gloucester, Richard III n’a régné que deux ans de 1483 à 1485, année de sa mort, le 22 août, sur le champ de la bataille de Bosworth, dans des conditions assez dramatiques.

Disparus pendant 4 siècles

La dépouille du roi fut alors inhumée dans l’église Greyfriars à Leicester, ville proche du champ de bataille. Après la disparition de cette église, au XVIe siècle, les restes de Richard III disparurent pendant 4 siècles. Jusqu’à ce qu’une équipe d’archéologues de l’université de Leicester ne parte à leur recherche. Des fouilles sous un parking de la ville révélèrent un squelette que les chercheurs ont analysé sous toutes les “coutures”. Leur verdict vient donc de tomber : il s’agit bien du squelette de Richard III. La datation au carbone 14, les analyses génétiques de l’ADN, radiologiques, morphologiques et archéologiques le confirment. Il s’agit bien des restes du dernier roi Plantagenêt, également dernier des souverains d’Angleterre à mourir sur un champ de bataille.


Que nous apprend l’analyse des archéologues sur celui qui aurait crier, avant de mourir “Trahison !”, ou bien, de façon plus théâtrale et shakespearienne : “Un cheval, un cheval ! Mon royaume pour un cheval !” ? Plus de 500 ans après sa mort, les scientifiques ont pu constater que l’ADN du squelette correspond à celui de deux de ses parents dans la lignée maternelle. Un généalogiste est en train de vérifier auprès de descendants vivants de la famille de Richard III. L’individu auquel appartenait le squelette est mort à cause d’une ou deux blessures à la tête, l’une provenant sans doute d’une épée, l’autre d’une hallebarde. Dix blessures ont été identifiées sur le squelette, dont l’une mortelle à l’arrière de la tête. Une partie du crane a été découpée.

Une corpulence mince, presque féminine

La datation au carbone révèle que le roi avait un régime très riche en protéine, en partie provenant de poisson et fruits de mer, ce qui révèle son rang. Le squelette révèle une forte scoliose qui a pu se déclarer pendant la puberté. Richard III était connu pour être bossu. Malgré une taille de 1,72 m, le roi devait paraître sensiblement plus petit avec une épaule, celle de droite, plus haute que l’autre. Son cadavre a été victime de blessures humiliantes dont l’une provenant d’une épée ayant traversé la fesse droite. Plus étonnant pour un monarque, les chercheurs notent une corpulence mince, presque féminine, qui ne correspond guère aux canons des chevaliers de l’époque. Ils n’ont pas trouvé trace du bras atrophié dont parle Shakespeare.

Au final, le portrait post mortem de Richard III ne semble guère correspondre au personnage noir, brutal et meurtrier que Shakespeare met en scène quelque 110 ans après sa mort. Désormais, les acteurs qui interprètent le Richard III de Shakespeare auront une autre référence pour se glisser dans la peau du personnage. Certains y réfléchissent déjà.

Michel Alberganti

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Le plus mystérieux manuscrit du monde

A1-VoynichC’est le manuscrit le plus mystérieux du monde. On l’appelle le manuscrit Voynich, du nom du marchand de livres anciens qui, en 1912, l’acheta dans un collège de jésuites près de Rome. Il se trouve actuellement à la Beinecke Rare Book and Manuscript Library de l’université Yale, aux Etats-Unis, sous la cote MS 408. Pourquoi le plus mystérieux ? Tout simplement parce qu’on ignore qui l’a écrit, où il a été écrit et surtout ce qu’il raconte. Illustrée de plantes abracadabrantes dans sa plus grande partie, ce manuscrit contient aussi une partie “astrologico-astronomique”, avec notamment un zodiaque, une partie dite “anatomique” où, dans des bassins remplis d’un liquide vert et alimentés par une tuyauterie bizarroïde, se baignent des nymphes en costume d’Eve (voir ci-dessous), et une partie “pharmaceutique” dans laquelle les plantes semblent être classées auprès de récipients d’apothicaires.

A-VoynichQu’est-ce donc que ce manuscrit ? Le texte ne nous donne aucune réponse pour une simple et bonne raison : il est rédigé dans un alphabet et une langue totalement inconnus. Ecrit de la gauche vers la droite et de haut en bas, il habille les dessins. Certains signes ressemblent à des lettres de l’alphabet latin ou à des chiffres arabes, le reste tient de la rune ou de l’idéogramme. Wilfrid Voynich eut d’emblée la conviction qu’il s’agissait d’un code ou, pour reprendre son expression exacte, d’“un chiffre”. Jusqu’à sa mort en 1930, il pensa que l’auteur de ce manuscrit si mystérieux n’était autre que Roger Bacon, un franciscain anglais du XIIIe siècle, esprit libre, un des pères de l’expérimentation scientifique, détracteur de la scolastique à la mode à son époque et, pour toutes ces raisons, persécuté par l’Eglise et assigné à résidence pendant une bonne partie de sa vie. Bacon avait de bonnes raisons de vouloir “masquer” ses écrits… ainsi que la capacité de le faire. Et Voynich avait de bonnes raisons de soutenir cette thèse car un manuscrit de Bacon lui assurait la fortune.

En réalité, comme je l’ai écrit en 2005 dans Le Code Voynich, ouvrage qui, pour la première fois, présentait un fac-similé du manuscrit (Jean-Claude Gawsewitch Editeur), la thèse Bacon ne tient pas la route. De nombreux indices laissaient penser que l’ouvrage est largement postérieur à la mort, en 1294, du Doctor mirabilis, comme on surnommait Bacon : ainsi, la calligraphie se rapproche de l’écriture humanistique, assez ronde, qui remplace les caractères gothiques au début du XVe siècle. Autre indice : le style des illustrations, dont les experts s’accordent à dire qu’il correspond à celui que l’on trouve en Italie à la même époque. Et il y a la preuve scientifique par le carbone 14, longtemps attendue, qui vient d’être officiellement annoncée il y a quelques jours par l’université de l’Arizona : le parchemin du manuscrit est inscrit dans une fourchette temporelle allant de 1404 à 1438. Pour réaliser cette datation, Greg Hodgins a eu l’autorisation de prélever quatre fragments du MS 408, sur quatre feuillets différents. Quatre minuscules rectangles de 1 millimètre sur 6, qui ont suffi à la datation. En réalité, celle-ci était officieusement connue depuis 2009, date à laquelle un documentaire autrichien l’avait révélée.

Ceci dit, pour intéressante qu’elle soit, la datation au carbone 14 apporte peu d’informations. Elle invalide définitivement la piste Bacon qui avait déjà beaucoup de plomb dans l’aile, détruit l’idée que certains végétaux représentés ressemblaient à des plantes rapportées d’Amérique par Christophe Colomb et annihile l’hypothèse selon laquelle le manuscrit était un canular d’époque rédigé au tournant du XVIe et du XVIIe siècle pour être vendu à prix d’or à un courtisan de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg, féru d’ésotérisme et d’alchimie, voire à l’empereur lui-même. Autre thèse qui en prend un coup avec cette datation, celle du Britannique Gordon Rugg qui, en 2004, expliqua qu’on pouvait générer un faux texte ressemblant à celui du manuscrit Voynich à l’aide d’une grille de Cardan. Le hic, c’est que le mathématicien italien Girolamo Cardano vécut cent ans après la réalisation du manuscrit. Enfin, l’idée un peu saugrenue que Voynich lui-même ait pu créer ce livre, avancée par Rob Churchill et Gerry Kennedy dans leur par ailleurs excellent ouvrage, The Voynich Manuscript, semble morte et enterrée.

En revanche, la datation ne nous donne aucun indice sur ce que cache ce manuscrit. En rédigeant la longue préface du Code Voynich, j’ai été fasciné par le fait que tous ceux qui se sont attaqués au décryptage du livre et en ont proposé une solution se sont fourvoyés, victimes de ce que j’ai appelé la malédiction du manuscrit : tous y ont vu ce qu’ils ont eu envie d’y voir et se sont cramponnés à leur théorie contre toute logique. Le MS 408 se comporte, écrivais-je alors, “comme un démoniaque test de Rorschach, comme un miroir tendu vers le désir des déchiffreurs”. A l’heure qu’il est, seule la date de sa conception ne fait plus mystère. Pour le reste, on ignore toujours qui l’a écrit, pourquoi et comment on a codé son contenu (si jamais contenu réel il y a…) et ce qu’il raconte. On ne sait même pas si les illustrations et le texte ont un lien quelconque entre eux. Malgré l’évolution de la cryptographie, malgré la cohorte de passionnés, professionnels ou amateurs, qui s’y sont attaqués, malgré la puissance sans cesse croissante de l’informatique, l’objet résiste. Le manuscrit le plus mystérieux du monde le demeure.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : je présenterai le mystère du manuscrit Voynich, vendredi 4 mars à 14h05, dans l’émission de Mathieu Vidard, “La Tête au carré”, sur France Inter.

 

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