Sans surprise, la firme Syngenta a vivement réagi aux résultats des expériences menées par une équipe de chercheurs français publiés dans la revue Science du 29 mars 2012 et donc nous avons rendu compte ici. La société suisse conteste essentiellement les doses utilisées lors de ces travaux. Dans un communiqué daté du 29 mars 2012, elle déclare au sujet de l’étude française :
L’étude affirme que la solution de sirop administrée aux abeilles contient une dose très faible d’insecticide, présentée comme « comparable à celle que les abeilles peuvent rencontrer dans leur activité quotidienne ». Syngenta conteste fortement cette affirmation : la concentration en thiaméthoxam du sirop administré aux abeilles est au moins trente fois plus élevée que celle du nectar de colza protégé avec du Cruiser OSR. (cf avis ANSES du 15 octobre 2010). Pour atteindre la quantité de thiaméthoxam retenue dans l’étude, l’abeille devrait consommer quotidiennement jusqu’à sept fois son propre poids en nectar.
Syngenta s’appuie sur l’avis publié par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en 2010. L’Agence a réagi dès le 30 mars 2012 avec un communiqué indiquant qu’elle “examine les résultats de l’étude publiée dans Science”. Le gouvernement le lui a d’ailleurs explicitement demandé avant de prendre une décision au sujet de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Cruiser. La décision à venir fera suite à une série d’autorisations souvent invalidées par le Conseil d’Etat au cours des dernières années. De son coté, l’Union nationale de l’ apiculture française (UNAF) s’est exprimée par un communiqué daté du 30 mars 2012 dans lequel son président, Olivier Belval, déclare :
« Cette étude pose la question de la pertinence du processus d’homologation des pesticides, de la validité des tests abeille, de la compétence et de l’indépendance des groupes d’experts. L’UNAF demande instamment un rendez-vous avec le Ministre de l’Agriculture pour exiger le retrait immédiat de l’AMM du Cruiser OSR et de l’ensemble des pesticides néonïcotinoides tueurs d’abeilles ! Le temps n’est plus aux études mais à l’action politique courageuse ! »
Michel Alberganti
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L’affaire défraie la chronique depuis longtemps : comment expliquer les hécatombes subies par les ruches en France et dans de nombreux pays ? Bien entendu, les pesticides utilisés par l’agriculture se sont très vite trouvés dans le collimateur des apiculteurs et des écologistes. Pourtant, les doses retrouvées dans les abeilles se révélaient sublétales, c’est à dire inférieures à celles qui provoquent la mort de l’insecte. Et pourtant, la population des ruches diminuait. Que se passait-il ? Les soupçons se sont portés sur les effets neurologiques des insecticides lorsque les apiculteurs ont remarqué que certaines abeilles ne mourraient pas à l’intérieur de la ruche mais à l’extérieur. Comme si elles n’avaient pas pu revenir au bercail. On connaît pourtant l’extraordinaire sens de l’orientation de ces insectes. Que se passait-il ? Pour le savoir, il fallait suivre les abeilles ayant ingéré une dose sublétale de pesticide et observer leur comportement. Pas facile…
C’est pourtant exactement ce qu’a réussi à faire une équipe française composée de chercheurs de l’INRA et du CNRS et d’ingénieurs des filières agricoles et apicoles (ACTA, ITSAP-Institut de l’abeille, ADAPI) menée par Mickaël Henry (Inra) et Axel Decourtye (Acta). Les résultats de leur expérience sont publiés dans le revue Science du 29 mars 2012. Cette équipe a équipé le thorax de 650 abeilles avec des puces RFID de quelques millimètres. Il s’agit de la technologie utilisée dans les passes Navigo sans contact donnant accès au métro parisien. En passant à proximité de chaque puce, il est possible de recueillir par radio un signal à l’aide d ‘un lecteur. Ce qui permet de détecter les entrées et les sorties de la ruche de chaque abeille équipée. Une partie des insectes “pucés” reçoit une très faible dose, largement inférieure au seuil létal, d’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, un insecticide de la famille des « néonicotinoïdes », le thiaméthoxam, la molécule utilisée, entre autres, par le Cruiser, insecticide commercialisé par le groupe suisse Syngenta. La dose utilisée est, selon les chercheurs, comparable à celle qu’une abeille peut ingérer au cours de son activité de butinage du nectar des fleurs d’une culture traitée au Cruiser, comme le colza. Un autre groupe, témoin, ne reçoit pas de dose de thiaméthoxam.
Les 650 abeilles sont ensuite relâchées à environ 1 km de leur ruche, une distance qu’elles atteignent couramment au cours de leur butinage. Les chercheurs attendent ensuite leur retour. Ils peuvent ainsi comparer la proportion des abeilles ayant reçu une dose d’insecticide qui ont retrouvé la ruche avec la même proportion chez celles qui n’en avaient pas reçu. Résultat: le Cruiser est bien responsable du non-retour d’un nombre important d’abeilles. D’après les calculs des chercheurs, l’insecticide induit une mortalité de 25% à 50% contre 15% pour les abeilles non intoxiquées. La très faible dose de thiaméthoxam multiplie donc par deux ou trois le taux de décès normal des abeilles.
Au cours d’une période de floraison, une simulation mathématique réalisée à partir des résultats de cette expérience montre que, si une majorité d’abeilles est intoxiquée par le Cruiser, la colonie entière peut chuter de 50% à 75%. Une telle hécatombe met la ruche entière en péril en la privant des réserves alimentaires nécessaires et en réduisant la production de miel. L’action du Cruiser semble donc enfin comprise. Elle ne tue pas les abeilles mais elles les désoriente au point de les rendre incapables de retrouver le chemin de la ruche. Ainsi égarées, elles ne peuvent survivre. La colonie toute entière se trouve désorganisée et les chercheurs pensent qu’elle se retrouve ainsi plus vulnérable aux agressions des virus et autres pathogènes (varroa, Nosema).
Face à un résultat aussi probant, le ministère de l’Agriculture a réagi dès le 29 mars au soir en indiquant qu’il envisageait l’interdiction de l’usage du pesticide Cruiser de Syngenta. Il a déclaré attendre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur cette étude d’ici fin mai, “avant la nouvelle campagne de semences en juillet”, selon un responsable interrogé par l’AFP. En cas de confirmation des résultats de l’équipe française, l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR, utilisé sur le colza, serait retirée. La France rejoindrait alors l’Allemagne et l’Italie qui ont déjà interdit le thiamethoxam.
Michel Alberganti
A (ré)écouter sur France Culture, l’émission Science Publique que j’ai animée sur ce sujet en novembre 2011:
04.11.2011 – Science publique
Un monde sans abeilles?
Tandis que les apiculteurs accusent les insecticides de l’agriculture, comme le Cruiser de Syngenta Agro, les scientifiques du CNRS et de l’INRA sont sur la piste d’un cocktail mortel constitué par l’association fatale d’un champignon parasite des abeilles et d’infimes doses d’insecticides…
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– Les causes du mystérieux déclin des abeilles seraient en cours d’identification, selon Le Monde. Le coupable : une synergie mortelle entre un pesticide et un parasite intestinal de l’insecte pollinisateur.
– La crise alimentaire relance la recherche sur le blé, nous dit Le Figaro. Et notamment celles sur un blé génétiquement modifié résistant à la sécheresse.
– En attendant, le génome de la pomme de terre a été séquencé, ce qui pourrait permettre la création de variétés améliorées.
– Certains membres républicains de la Chambre des représentants veulent supprimer le James Webb Telescope, qui devrait, dans quelques années, prendre la succession du célèbre télescope spatial Hubble. Certes le projet est pharaonique, coûteux et en retard, mais l’arrêter serait une catastrophe pour nombre d’astronomes qui ont déjà poussé Hubble à ses limites.
– L’Autorité de sûreté nucléaire a autorisé, sous conditions, l’exploitation de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) pour dix ans de plus. En attendant les résultats des “stress tests” commandés après la catastrophe de Fukushima. Autant dire, souligne Libération, que la poursuite de l’exploitation de la centrale n’est pas encore assuré. Et puisqu’on évoque Fukushima, voici le lien vers le blog de Laurent Horvath sur le site du Temps, qui suit au jour le jour l’actualité de la catastrophe nucléaire japonaise.
– Le New York Times propose une solution au problème des espèces invasives : mangeons-les !
– Nous tuons plus de 100 millions de requins chaque année soit pour leurs ailerons, soit pour rien. Time lance donc un adieu aux squales mal aimés.
– J’avais, il n’y a pas si longtemps, consacré un billet aux étonnantes capacités des corbeaux à reconnaître les visages humains. Au point que l’armée américaine avait envisagé de s’en servir pour retrouver Oussama ben Laden. On apprend aujourd’hui que les pigeons aussi sont physionomistes.
– Pour finir : une nouvelle hypothèse sur ce qui a causé la mort de Mozart. Composant la nuit et dormant le jour, le génie n’aurait pas assez vu la lumière du Soleil, ce qui aurait causé un déficit en vitamine D. Mais aucun élément concret n’est là pour confirmer cette hypothèse émise par deux médecins dans une lettre envoyée au journal Medical Problems of Performing Artists.
Pierre Barthélémy
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