Antimatière: au coeur du mystère

Le piège dans lequel se forme l'antihydrogène.

Il faut reconnaître aux chercheurs du CERN de Genève, fort nombreux il est vrai, qu’ils ne désarment pas. Alors que l’affaire des neutrinos plus rapides que la lumière (expérience OPERA) n’est pas officiellement élucidée et que le boson de Higgs n’est pas totalement démasqué, une autre équipe, celle de l’expérience ALPHA, publie dans la revue Nature du 7 mars 2012, un article relatant ses derniers progrès dans l’étude de l’un des phénomènes les plus mystérieux de la physique: l’antimatière. « Nous avons prouvé que nous pouvons sonder la structure interne de l’atome d’antihydrogène, a déclaré Jeffrey Hangst, porte-parole de la collaboration ALPHA. C’est pour nous extrêmement prometteur. Nous savons désormais qu’il est possible de concevoir des expériences permettant de mesurer avec précision des antiatomes. » Les chercheurs ont en effet réalisé, pour la première fois, une mesure du spectre de l’antihydrogène.

Quelque chose plutôt que rien

Il ne s’agit pas du bout du chemin mais bien d’un premier pas significatif vers la compréhension que ce qu’est vraiment l’antimatière. Les chercheurs estiment qu’ils sont sur la voie d’une comparaison entre des atomes de matière et des atomes d’antimatière.  Il doivent encore affiner leurs mesures permettant d’ausculter l’antimatière afin d’en percer enfin les secrets. A terme, l’expérience ALPHA nous permettra peut-être de répondre à une question ô combien fondamentale: “Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ?” En effet, dans l’état actuel de nos connaissances, il ne devrait rien y avoir. Après le Big Bang, il semblerait que matière et antimatière aient existé en quantités égales. Or, en présence l’un de l’autre ces deux entités s’annihilent, c’est à dire qu’il ne reste… rien. Pourtant, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé, loin s’en faut ! Malgré cette coexistence originelle nihiliste, d’une part l’antimatière a disparu et d’autre part la matière, elle, s’est retrouvée seule. C’est elle qui constitue l’Univers visible tout comme les cellules de notre corps. Tout le contraire, donc, de ce qui aurait dû arriver. Pourquoi la nature a-t-elle ainsi privilégié la matière ? Mystère.

Vers le spectre de l’antihydrogène

 

Le moment où les atomes d'antihydrogène sortent du piège et s’annihilent.

Pour le percer, les physiciens d’ALPHA se concentrent sur l’atome d’hydrogène, “l’élément le plus présent dans l’Univers “, comme le rappelle Jeffrey Hangst. “L’hydrogène et l’antihydrogène sont-ils différents ? Nous pouvons affirmer que nous le saurons un jour », s’avance le chercheur. Sa confiance s’appuie sur les dernières expériences réalisées qui sont parvenues à piéger des atomes d’antihydrogène dans des faisceaux de champs magnétiques. Soumis ensuite à un rayonnement micro-onde de fréquence très précise, ces antiatomes subissent une modification de leur orientation magnétique ce qui les libère du piège. Aussitôt, l’antihydrogène en contact avec l’hygrogène ambiant et disparaît non sans avoir laissé des traces caractéristiques de ses propriétés qui sont captées par les détecteurs situés autour du piège magnétique. En multipliant les expériences de ce type utilisant des micro-ondes mais aussi des lasers, les chercheurs d’ALPHA espèrent obtenir un spectre complet de l’antihydrogène qu’ils pourront comparer avec celui de l’hydrogène, très bien connu. Ils pourront alors peut-être comprendre pourquoi l’antimatière a disparu de l’Univers et pourquoi la matière, elle, a pris le pouvoir suprême. Celui d’exister.

Michel Alberganti

Ecoutez l’émission Science Publique sur France Culture au sujet de l’antimatière ( 7 janvier 2011):

Que peut nous apprendre l'antimatière ?

07.01.2011 – Science publique | 10-11

Que peut nous apprendre l’antimatière ?

60 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

En toute logique, c’est le rien qui aurait du surgir du Big Bang. Une rencontre entre la matière et l’antimatière produit une quantité inimaginable d’énergie. Et puis… plus rien. Or, il existe, bel et bien, quelque chose que nous appelons la matière… Pourquoi existe-t-elle ? Et pourquoi son double, l’antimatière, a-t-il disparu ? Avec Etienne Klein CEA), Niels Madsen (CERN), Michel …

Recherche, Physique, Astronomie 16 commentaires

 

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Le mystère des poussières d’ailleurs

Les sondes Voyager 1 et 2 vers les limites du système solaire

Imaginez une gigantesque bulle magnétique qui voyage à travers la Voie Lactée, notre galaxie. A l’intérieur de cette bulle, une énorme sphère: le système solaire. A l’extérieur, le reste de la Voie Lactée avec ses centaines de milliards d’étoiles et au moins autant de planètes. Partout, circulent des particules portées par les vents galactiques et attirés par les étoiles. Ces poussières qui voyagent ainsi à près de 100 000 km/h proviennent, lorsqu’elles sont composées d’éléments lourds comme l’oxygène et le néon, de supernovas, c’est à dire des restes de l’explosion d’une étoile. Leur composition donnent des informations sur l’évolution de notre galaxie au cours du temps. Mais pour les analyser, encore faut-il les capturer. Impossible lorsque ces particules restent en dehors du système solaire.
Là, l’homme n’est encore qu’un simple observateur à distance grâce à ses télescopes terrestres ou spatiaux. Mais il lui reste les sondes qui peuvent espérer franchir cette frontière ultime qui sépare notre système solaire du reste de la Voie Lactée.

Vue d'artiste de l'héliosphère - Adler Planetarium/IBEX team

C’est l’exploit que sont en passe de réaliser Voyager 1et Voyager 2, lancées en 1977, et dont la première, après avoir Saturne et Titan, a atteint l’héliogaine, la bulle magnétique qui sépare le système solaire du reste de la galaxie. C’est là que s’arrête le vent solaire. Mais ce bouclier magnétique nous protège aussi des incursions de la plupart des particules venant d’ailleurs. Lorsqu’elles sont chargées électriquement, les poussières rebondissent en effet sur l’héliopause, la peau externe de l’héliogaine. En revanche, si elles sont électriquement neutre, elles franchissent sans problème cette frontière et pénètrent dans le système solaire.

Le satellite IBEX

Une aubaine pour un chasseur de particules comme IBEX (Interstellar Boundary Explorer) ! Lancé en 2008 par la NASA, ce satellite chasse ainsi bien le vent solaire que les rayons intergalactiques. Posté non loin de la Terre (entre 1500 et 300 000 km), IBEX a réussi une belle prise: il a capturé des informations précieuses sur la composition de ces particules alien, ces témoins de la matière qui existe dans la Voie Lactée, au delà du système solaire… Le satellite les a interceptées pendant leur voyage de 30 ans pendant lesquels elles parcourent quelque 11 milliards de km qui les séparent du soleil dont la gravité les attirent irrésistiblement et qui finit par les engloutir.

 

Manque d’oxygène

La NASA vient ainsi d’annoncer les résultats de la première analyse de ces poussières interstellaires. Surprise: leur composition diffère de celle des particules qui se baladent à l’intérieur du système solaire: 20 atomes de néon pour 74 atomes d’oxygène dans les poussières provenant du cosmos contre 20 atomes de néon pour 111 atomes d’oxygène pour les nôtres ! Bon… A priori, ce n’est pas ébouriffant. Mais pour les astrophysiciens, cette petite différence est pleine d’enseignements. En effet, notre système solaire pourrait se révéler plus riche en oxygène que l’extérieur.
Cette vidéo du NASA/Goddard Space Flight Center explique la mission IBEX et l’analyse des particules:

Deux hypothèses

Pour David McComas, principal enquêteur pour IBEX à l’institut Southwest de San Antonio au Texas, constate que “notre système solaire est différent de l’espace qui l’entoure et cela suggère deux possibilités. Soit il a évolué dans une partie de la galaxie [Voie Lactée] distincte et plus riche en oxygène que celle où il se trouve aujourd’hui. Ou bien une grande quantité d’oxygène, à l’origine de la vie, reste enfermée dans des grains de poussière et de glace interstellaires incapables de se déplacer librement dans l’espace”. Autrement dit, IBEX la poignée d’atomes analysée par IBEX ne serait pas représentative de l’ensemble ce qui existe là bas, au delà des frontières du système solaire. Il sera probablement difficile de trancher entre ces deux hypothèses tant que les astrophysiciens ne pourront pas chasser les particules en dehors du système solaire.

Mieux connaître l’héliosphère

Pour cela, ils devront faire des mesures au delà de l’héliosphère, comme pourrait réussir à le faire Voyager 1 d’ici quelques années,  et analyser les particules chargées électriquement  qui s’y trouvent afin d’ajouter ces résultats à ceux d’IBEX. Retrouveront-ils l’oxygène manquant et, donc, une composition des particules aliens identique à celle des particules du système solaire ?  Ou bien confirmeront-ils que le système solaire est en train de traverser, au cours de son orbite de 225 millions d’années autour du centre de notre galaxie, une région différente ? Peut-être ne faudra-t-il patienter que quelques années pour connaître la réponse. En attendant, les chercheurs apprennent à mieux connaître l’héliosphère, ce véritable cocon protecteur de notre système solaire, point microscopique perdu dans l’immensité de la Voix Lactée, l’une des centaines de milliards de galaxies de l’univers. Ou peut-être plus…

Michel Alberganti

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Etoiles et planètes à égalité dans la Voie Lactée

Les dernières analyses statistiques réalisées par les astronomes de l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP) révèlent que le nombre de planètes présentes dans notre galaxie, la Voie Lactée, serait au moins égal au nombre d’étoiles qu’elle contient. Soit entre 200 et 400 milliards… Ce résultat, publié dans la revue Nature du 12 janvier 2012 relance le fol espoir de découvrir une autre Terre en dehors du système solaire. La chasse à ces exoplanètes dure depuis 16 ans et elle a permis de détecter 720 de ces astres candidats au titre envié de “soeur de la Terre”. S’il existe quelque 300 milliards de planètes dans la Voie Lactée, leur découverte au rythme actuel devrait prendre plus de 6 milliards d’années… Cela devrait donc tout juste permettre aux astronomes de les identifier toutes avant que notre soleil n’explose et ne grille la Terre en se transformant en géante rouge.

Une portion de la Voie Lactée vue depuis l'observatoire du Cerro Paran. Image: ESO/Stéphane Guisard

Bien sûr, on peut espérer que le rythme des découvertes s’accélère considérablement. Ce sera fortement nécessaire car, si nous découvrons une planète-soeur, il nous faudra un certain temps pour y déménager. Pour l’instant, parmi les plus sérieuses candidates, c’est à dire celles qui présentent les caractéristiques les plus proches de celles qui pourraient héberger la vie, on trouve Gliese 581 g, découverte le 29 septembre 2010. Elle se situe à environ 20 années lumière de la Terre, ce qui signifie que le voyage vers elle durerait 20 ans si l’on pouvait se déplacer à la vitesse de la lumière. A titre de comparaison, le voyage vers Mars dure environ 180 jours, soit 6 mois, lorsque la planète rouge se trouve à une distance minimale de 56 millions de km. Etant donné qu’une année lumière représente une distance de 9400 milliards de km, notre exoplanète Gliese 581 g se trouve donc, elle, à 188 000 milliards de km, soit une distance 3,3 millions de fois supérieure à celle qui nous sépare de Mars. A la vitesse à laquelle on pense voyager vers la planète rouge, il ne faudrait donc pas moins de 1,6 million d’années pour l’atteindre. Ce qui, sauf grossière erreur de calcul que vous ne manquerez pas de me signaler, rend assez délicate la perspective d’un exode massif de l’humanité vers une telle destination salvatrice…

Il reste deux solutions: trouver une exoplanète habitable beaucoup plus proche de la Terre ou augmenter considérablement notre vitesse de déplacement dans le cosmos, un peu dans le genre de l’hyperespace des films de science-fiction.
Ou alors, faute de déménagement, nous pouvons rêver de communiquer avec les extraterrestres ayant pu se développer sur une exoplanète. Là encore, la distance rendra le dialogue difficile. Un message envoyé vers Gliese 581 g mettra environ 20 ans pour lui parvenir et la réponse tout autant. A raison d’un aller-retour de sms tous les 40 ans, faire plus ample connaissance prendra un certain nombre de générations humaines…

Michel Alberganti

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Les trois plus grandes erreurs d’Einstein

Puisque l’heure médiatique est à la curée envers ce pauvre Albert Einstein, hurlons avec les loups. Il n’est pas un mystère pour les spécialistes de la vulgarisation scientifique que dénoncer les erreurs du savant a longtemps fait – ou fait toujours ? – vendre du papier. Donc, nous qui avons soif d’audience, crions-le en caractères gras :

Bébert s’est gouré !

Il n’a pas su prévoir que les neutrinos pourraient aller plus vite que la lumière. En me faisant l’avocat du diable et avec toute la mauvaise foi qui me caractérise, je dirai tout de même que la théorie de la relativité restreinte date de 1905, que le neutrino a été postulé en 1930 et découvert en 1956, soit un an après la mort d’Einstein. J’ajouterai, toujours fielleux, qu’il faudrait peut-être attendre de vérifier les résultats annoncés vendredi avant de remiser la relativité à la poubelle. D’une part parce que la vérification est un principe cardinal de la science et d’autre part parce que, depuis les années 1960, des théories plus ou moins exotiques (tachyons, dimensions cachées) peuvent permettre d’expliquer un tel phénomène dans le cadre de la relativité restreinte. Enfin, nous savons tous que la science avance en détricotant ce que les prédécesseurs ont patiemment monté, Einstein n’ayant pas fait autre chose avec Newton. D’ailleurs, pour ce que nous en savons, la relativité ne marche quand même pas trop mal puisque grâce à elle, l’homme a converti la matière en énergie (vive E=mc2 !), envoyé des sondes aux confins du système solaire, des Américains sur la Lune, des satellites un peu partout et fait du GPS avec une précision incroyable. Donc, prudence sur ce coup-là. Mettons entre parenthèses, jusqu’à plus ample informé, l’histoire, juteuse médiatiquement, du neutrino (en nous demandant tout de même pourquoi, si leur vitesse est de 0,002 % plus élevée que celle des photons, ceux qui ont été émis lors de la supernova de 1987, située à 168 000 années-lumière, ne sont pas arrivés avec des années d’avance sur la lumière). Mais que cela ne nous empêche pas de tartiner sur les trois vraies plus grandes âneries d’Einstein qui, je le regrette à l’avance, risque de passer pour un crétin à la fin de ce billet.

Médaille de bronze : avoir été un époux et un père déplorable. Einstein s’est marié deux fois, la première avec Mileva Maric en 1903,  après lui avoir fait, en dehors des liens sacrés du mariage, une petite fille née en 1902, Lieserl, dont on n’a jamais connu le sort : abandon ou mort précoce… Cela commence bien. Avec Mileva, Albert a deux autres enfants, Hans Albert et Eduard, dont il s’occupera au bout du compte très peu car le couple divorce en 1919, après cinq années de séparation. Il faut dire que le savant moustachu a, depuis 1912, une relation avec sa cousine Elsa (qu’il épousera en secondes noces) et qu’il traite Mileva d’une manière que décrit bien ce “contrat” qu’il lui impose par écrit en 1914 :

« A. Vous veillerez à ce que : 1) mon linge et mes draps soient tenus en ordre ; 2) il me soit servi trois repas par jour dans mon bureau ; 3) ma chambre et mon bureau soient toujours bien tenus et ma table de travail ne soit touchée par nul autre que moi.

B. Vous renoncerez à toute relation personnelle avec moi, exceptées celles nécessaires à l’apparence sociale. En particulier, vous ne réclamerez pas : 1) que je m’assoie avec vous à la maison ; 2) que je sorte ou voyage en votre compagnie.

C. Vous promettrez explicitement d’observer les points suivants : 1) vous n’attendrez de moi aucune affection ; et vous ne me le reprocherez pas ; 2) vous me répondrez immédiatement lorsque je vous adresserai la parole ; 3) vous quitterez ma chambre ou mon bureau immédiatement et sans protester lorsque je vous le demanderai ; 4) vous promettrez de ne pas me dénigrer aux yeux de mes enfants, ni par des mots, ni par des actes. » Et là je pose une question : que faisaient les Chiennes de garde ? Il ne traitera pas Elsa beaucoup mieux. Pour compléter le tableau, ajoutons que, de 1933 à sa mort en 1955, Einstein ne verra plus jamais son fils Eduard, atteint de schizophrénie.

Médaille d’argent : avoir pesé de tout son poids pour la fabrication de la bombe atomique. Einstein doit, en 1933, se décider à ne plus vivre dans son pays natal, l’Allemagne, après l’arrivée au pouvoir de Hitler. Etant juif et pacifiste, il risque plus que gros. Il émigre aux Etats-Unis et, le 2 août 1939, sous la pression d’amis physiciens, il signe une lettre adressée au président Franklin D. Roosevelt, l’avertissant que Berlin travaille sur la fission de l’uranium et le pressant (très poliment), d’“accélérer le travail expérimental” réalisé sur le sol américain dans ce domaine. Roosevelt entendra le savant et mettra en route le projet Manhattan, qui conduira, six ans plus tard, aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Si je range cette lettre dans la catégorie des erreurs d’Einstein, c’est parce qu’il l’a fait lui-même. En 1954, un an avant sa mort, il confiait à son ami, le chimiste et physicien Linus Pauling, son regret d’avoir tourné casaque, d’être passé, si l’on schématise, de pacifiste à pro-nucléaire : “J’ai commis une grande erreur dans ma vie, quand j’ai signé la lettre au président Roosevelt recommandant la fabrication de bombes atomiques ; mais il y avait des raisons, le risque que les Allemands les fassent…” Après la guerre, Einstein se rangera, sans jamais varier, dans le camp de ceux qui exigeaient la fin des essais nucléaires et le démantèlement des arsenaux atomiques.

Médaille d’or : avoir pensé que l’Univers était statique. Une fois mise la dernière main à sa théorie de la relativité générale, qui n’est rien d’autre qu’une théorie de la gravitation, Einstein s’aperçoit assez vite que l’Univers qui en résulte ne peut être statique. Ce qui est contraire à ce qu’il croit profondément, sans doute par fidélité culturelle au vieux modèle d’Aristote d’un Univers immuable et aussi, plus pragmatiquement, parce qu’aucune observation à l’époque n’autorise à penser vraiment autrement. Or ses équations conduisent à un cosmos instable, qui est soit en expansion, soit en contraction. Pour stabiliser son modèle, il va donc, en 1917, introduire une constante ad hoc, censée cadenasser l’Univers sous une forme statique. Tout cela était aussi vain que d’essayer empêcher des enfants jouant dans un bac à sable de mettre du sable partout à côté et d’en emporter dans leurs chaussettes. Quelques années après l’invention de cette “constante cosmologique”, l’astrophysicien américain Edwin Hubble montre que les galaxies s’écartent les unes des autres et que l’Univers est en expansion. Einstein est obligé de reconnaître que cette constante était une rustine pourrie à sa théorie et “la plus grosse gaffe” de sa carrière. L’ironie de l’histoire, c’est que la constante cosmologique a, depuis quelques années, fait son retour en astrophysique par la grande porte, non pas pour justifier un Univers statique mais pour expliquer pourquoi le cosmos est en expansion accélérée ! Erreur d’hier, vérité de demain, tout est relatif…

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : j’aurais pu aussi citer la très grande réticence qu’Einstein a manifestée vis-à-vis de la mécanique quantique mais je trouve que la barque est assez chargée comme ça, pour ce pauvre Albert et pour ce deux centième billet de Globule et télescope…

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Un télescope géant pour l’Europe… grâce au Brésil

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L’Observatoire européen austral (ESO, pour European Southern Observatory) a déjà un bijou de technologie avec son Very Large Telescope, perché à 2 635 mètres d’altitude sur le Cerro Paranal, dans le désert d’Atacama au Chili. Mais, dans la course aux découvertes scientifiques et à la technologie de pointe, il faut toujours prévoir la génération suivante. Depuis 2005, l’ESO planche sur un instrument dont les performances dépasseront largement celle des quatre grands télescopes du VLT : l’European Extremely Large Telescope (E-ELT, figuré sur la vue d’artiste ci-dessus). Autrement dit, un mastodonte de l’astronomie, avec un miroir géant de 42 mètres (ceux du VLT ne font “que” 8,2 m de diamètre et ceux du Keck américain 10 m).

Mais les très grands équipements coûtent cher et le budget nécessaire à la construction de l’E-ELT, sur le Cerro Armazones, à une vingtaine de kilomètres du VLT et à plus de 3 000 mètres d’altitude, s’élève à un milliard d’euros. Heureusement, l’ESO a reçu, peu après Noël, un magnifique cadeau : le Brésil a en effet signé, le 29 décembre 2010, son accord d’adhésion à l’ESO, qui fera de lui, s’il est ratifié par son Parlement, le quinzième pays de l’Observatoire et le premier non-européen (les 14 autres membres sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse). Ce que le communiqué de presse ne dit pas, c’est que Brasilia apporte un chèque de 300 millions d’euros (dont 130 millions d’euros de “ticket d’entrée”). Comme l’explique Nature, si l’on ajoute les 300 millions d’euros que les Européens ont déjà mis sur la table pour l’E-ELT, 60% du financement est déjà trouvé. Le directeur général de l’ESO, l’astronome néerlandais Tim de Zeeuw, a indiqué que, pour les 400 millions d’euros restants, une “contribution exceptionnelle” sera demandée aux Etats membres.

L’E-ELT sera un monstre de technologie, un instrument de quelque 5 000 tonnes et de 60 mètres de haut. Pour composer son immense miroir primaire, il faudra assembler pas moins de 984 miroirs hexagonaux de 1,45 m de diamètre, qui collecteront au total quinze fois plus de lumière que les meilleurs télescopes actuels. L’E-ELT aura une résolution quinze fois supérieure à celle du fameux télescope spatial Hubble. Son design unique compte au total cinq  miroirs. La lumière reçue par le miroir principal de 42 m est renvoyée vers un miroir secondaire de 6 mètres de diamètre qui à son tour la renvoie sur un miroir blotti dans le premier. Ce troisième larron transmet la lumière à un miroir dit adaptatif, capable d’ajuster sa forme un millier de fois par seconde afin de corriger les distorsions d’image dues à la turbulence atmosphérique. Le cinquième et dernier miroir stabilise l’image et envoie la lumière aux caméras et instruments. L’E-ELT s’installera sous un dôme ouvrant de 80 mètres de haut, analogue à ceux de certains stades. Le tout en fera un monument de science, presque comparable en taille aux pyramides égyptiennes, comme le montre la vue d’artiste ci-dessous, qui fait figurer le VLT à côté de l’E-ELT.

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Un géant, donc, mais pour quelle science ? Les astronomes attendent de l’E-ELT un important saut qualitatif lorsqu’il entrera en service en 2018 ou 2019. Travaillant dans les domaines optique et proche infra-rouge, ce télescope remplira des missions très diverses dont voici une liste non exhaustive : détecter des planètes extra-solaires de la taille de la Terre ; photographier les grosses exoplanètes (celle de la taille de Jupiter ou plus grandes) et analyser leur atmosphère ; étudier la formation des planètes en observant les disques proto-planétaires entourant les étoiles très jeunes ; analyser les populations stellaires d’un bon échantillon de galaxies (ce qui est impossible avec les instruments actuels car leur résolution est trop faible) afin de reconstituer leur histoire ; voir les objets les plus lointains et donc les plus anciens du cosmos, pour remonter aux origines des premières galaxies ; mesurer l’accélération de l’expansion de l’Univers et chercher à identifier la nature de la mystérieuse énergie noire qui en est la cause. Un programme aussi alléchant que copieux et on comprend mieux en le lisant à quel point les astronomes européens et, désormais, brésiliens sont impatients de voir le chantier de l’E-ELT commencer au Chili. D’autant que leurs concurrents américains sont moins bien partis qu’eux dans la course au gigantisme.

Comme l’explique l’article de Nature, deux projets ont été présentés outre-Atlantique, avec des collaborations internationales, mais le Thirty Meter Telescope et le Giant Magellan Telescope sont tous les deux plus petits que le “bébé” de l’ESO et seulement l’un d’entre eux recevra des subsides de la National Science Foundation (NSF) américaine. Surtout, la NSF a donné sa priorité à la construction d’un autre télescope, moins grand, le Large Synoptic Survey Telescope, qui aura des objectifs scientifiques bien différents : capable d’observer de larges portions de l’espace, il couvrira tout le ciel visible deux fois par semaine, ce qui permettra de réaliser un film du cosmos, d’observer les changements de luminosité et de position des astres, et par conséquent de détecter les astéroïdes potentiellement dangereux pour la Terre. Si jamais un des deux projets américains devait rester sur le carreau, seuls deux télescopes géants, à la pointe de la technologie, verraient le jour à la fin de la décennie. Autant dire que les places seront encore plus chères qu’aujourd’hui pour les astronomes, dont certains seront inéluctablement rétrogradés dans la deuxième division de la science…

Pierre Barthélémy

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Benoît XVI voit Dieu derrière le Big Bang…

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La scène s’est passée jeudi 6 janvier en la basilique Saint-Pierre de Rome. Comme le rapporte une dépêche de l’agence Reuters, dans son homélie de la fête de l’Epiphanie, Benoît XVI a déclaré devant 10 000 fidèles que “l’Univers n’est pas le résultat du hasard, comme certains voudraient le faire croire”. “En le contemplant, nous sommes invités à y lire quelque chose de profond: la sagesse du Créateur, la créativité illimitée de Dieu, son amour infini pour nous”, a ajouté le pape. Celui-ci a évoqué le côté “limité” de certaines théories scientifiques qui “ne parviennent qu’à un certain point (…) et ne peuvent expliquer le sens ultime de la réalité”, faisant directement allusion (mais sans la citer) à la théorie du Big Bang, qui décrit les début de l’Univers sans pouvoir toutefois remonter à un point zéro. En effet, en-deçà de 0,0000000000000000000000000000000000000000001 seconde, les équations de la physique actuelle n’ont plus de sens. De la même manière, l’origine de la vie sur Terre reste pour le moment un mystère scientifique. Face à ces questions sans réponse, Benoît XVI a expliqué que “dans la beauté du monde, dans son mystère, dans sa grandeur et dans sa rationalité (…), nous ne pouvons que nous laisser guider vers le Dieu unique, créateur du Ciel et de la Terre”.

Voilà pour les faits. Evidemment, pour étayer ses assertions, le souverain pontife n’apporte aucune preuve, pas d’étude publiée dans une revue scientifique, pas de chiffres… Il serait d’ailleurs malséant d’en exiger de sa part. Tout comme il est malséant que Benoît XVI vienne interférer avec la cosmologie, l’astrophysique et la biologie. On pourrait attendre d’un penseur tel que lui de ne pas mélanger les genres, car science et religion n’appartiennent pas aux mêmes dimensions intellectuelles, ne sont pas miscibles et l’une ne peut servir à justifier l’autre. A chacune ses affaires, serait-on tenté de dire. Pourtant, le souverain pontife ne se prive pas et cette déclaration est un énième retour du créationnisme sous une forme atténuée, teintée d’une dose de principe anthropique fort, lequel affirme que si le cosmos est ce qu’il est, c’est pour accueillir la vie et l’homme.

Ce n’est pas la première fois que Benoît XVI intervient dans le champ de la science et de l’évolution de l’Univers puisqu’en 2005, il avait affirmé que celui-ci était soutenu par un “projet intelligent“, une référence à peine masquée à l’“intelligent design”, une version chrétienne du créationnisme née aux Etats-Unis. A l’époque, le directeur de l’Observatoire du Vatican, George Coyne, avait eu le courage de s’élever contre la tentation évidente de l’Eglise catholique de céder aux thèses de l'”intelligent design”. Benoît XVI persiste donc à mêler carottes et bananes, ce qui n’est de toute évidence pas fortuit.

Puisque le credo de ce début d’année est à l’indignation, avec la parution du petit livre de Stéphane Hessel Indignez-vous !, je dirai que deux choses me dérangent profondément dans cette histoire : la première, c’est que personne n’a l’air de trouver cela grave ; la seconde, c’est cette volonté de caser Dieu à la place la plus confortable qui soit pour lui, celle de l’ignorance des hommes, c’est-à-dire la place que les croyants se sont toujours complu à lui attribuer. On ne sait ce qu’il y a à l’origine de l’Univers, DONC c’est Dieu. C’est si pratique ! Peut-être faudrait-il admettre un jour qu’on ne sait pas et puis c’est tout. Ce serait le début de l’humilité et de la sagesse. On ne sait pas comment s’est créé l’Univers, et certains disent qu’il n’y a pas de début réel et que tout est un éternel recommencement (théorie de l’Univers cyclique). Ce qu’on sait très bien en revanche, c’est que l’homme a inventé les dieux pour répondre à ses ignorances et se rassurer sur son destin ultime, se dire qu’il y a quelque chose après la mort. C’est curieux cette façon de toujours fourrer Dieu là où on sait que la science ne pourra pas le débusquer… Comme le dit très bien Didier Bénureau dans sa Chanson du croyant : “Quand on voit pas, c’est qu’on voit, c’est comme ça la foi ! Quand on sait rien, c’est qu’on sait, faut qu’t’y croies ! Tralonlère la la itou !”

A regarder sans modération…

Pierre Barthélémy

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