Il y a exactement quarante ans avait lieu une expérimentation psychologique aussi fascinante que controversée à la prestigieuse université californienne de Stanford, à Palo Alto. Conduite par le professeur Philip Zimbardo, elle est connue aujourd’hui sous le nom d’expérience de Stanford. L’objectif consistait à comprendre comment et pourquoi les situations arrivaient à se dégrader dans les prisons militaires. L’idée a donc germé de créer une prison dans les locaux de l’université. Une petite annonce a donc été publiée, qui invitait des étudiants masculins, contre une rémunération de 15 dollars par jour (environ 80 $ d’aujourd’hui), à participer à cette expérience qui devait durer une à deux semaines, pendant les grandes vacances de cette année 1971. Plus de 70 volontaires ont répondu à l’appel et 24 d’entre eux ont été sélectionnés sur des critères d’équilibre mental et de forme physique. En tirant à pile ou face, 9 ont été affectés au groupe des “prisonniers”, 9 à celui des “gardiens”, les 6 derniers servant de remplaçants.
Trois cellules contenant chacune trois détenus avaient été aménagées dans le sous-sol du bâtiment de psychologie, où les gardiens, divisés en équipes de trois, devaient se relayer toutes les huit heures. Pour ces derniers, les chercheurs avaient déniché des uniformes kaki dans un surplus de l’armée, ainsi que des lunettes de soleil à verres réfléchissants, destinées à éviter le contact visuel avec les étudiants-prisonniers. Pour ceux-ci, tout était fait afin qu’ils se sentent déshumanisés, démunis, humiliés, dépossédés d’eux-mêmes : tout d’abord, ils avaient été arrêtés chez eux par la véritable police de Palo Alto, qui avait accepté de participer à l’expérience. Chaque étudiant avait donc subi l’arrestation, la prise des empreintes digitales et des fameuses photos de face et de profil, avant d’être conduit “en prison”. Là il s’était retrouvé avec un bas nylon sur la tête, pour modifier son apparence (comme si on lui avait rasé le crâne, voir la photo ci-dessus), privé de tout vêtement à l’exception d’une longue chemise de nuit sur laquelle était cousu son numéro de matricule, des tongs inconfortables en guise de chaussures, un matelas à même le sol et, pour faire bonne mesure, une chaîne cadenassée à ses pieds non pour l’entraver mais juste pour lui rappeler à tout moment l’oppression que lui faisait subir le monde extérieur. Même si les pseudo-“matons” étaient équipés de matraques, ils n’étaient pas censés en faire usage. Les chercheurs commirent néanmoins l’erreur de s’impliquer eux-mêmes dans l’expérience en jouant le rôle des administrateurs de la prison. Ils n’avaient pas encore saisi à quel point tous les participants allaient finir par investir leurs rôles respectifs…
Pourtant, il ne se passa rien de spécial la première journée. De fait, Philip Zimbardo, interviewé à l’occasion d’un article qui vient de paraître dans la revue des anciens élèves de Stanford, explique que les “gardes”, comme beaucoup d’étudiants de l’époque, étaient imprégnés de la “mentalité antiautorité. Ils se sentaient gauches dans leurs uniformes. Ils ne sont pas entrés dans leur rôle de gardiens jusqu’à ce que les prisonniers se révoltent.” On est au matin du deuxième jour et tout va basculer. Au moment de la relève, les prisonniers retirent le bas qu’ils avaient sur la tête, arrachent leur numéro et se barricadent dans leurs cellules en mettant leurs matelas contre la porte. Les trois gardiens du matin appellent en renfort les trois gardiens de l’après-midi, qui viennent, tandis que les trois gardiens de nuit restent. A l’aide des extincteurs de sécurité dont ils se servent pour asperger les détenus de neige carbonique, les neuf hommes entrent dans les cellules, en extraient les matelas, obligent les prisonniers à se dévêtir, mettent le “chef” des rebelles à l’isolement. Bref, ils reprennent la situation en main. Bien conscients qu’ils ne peuvent rester de garde 24 heures sur 24 pour maintenir l’égalité numérique, ils se réunissent et décident d’utiliser leur pouvoir pour contraindre les prisonniers à l’obéissance.
Tullius Détritus, le méchant de l’album d’Astérix La Zizanie paru juste un an avant l’expérience de Stanford, n’aurait pas renié la stratégie adoptée par les gardes. Ceux-ci vont diviser les prisonniers en deux camps, les “bons”, choyés, bien nourris, et les “mauvais”, brimés, afin de créer des clans et de briser leur solidarité. Puis, ils vont mélanger de nouveau les détenus afin que les “privilégiés” passent pour des informateurs. Mais cela ne va pas s’arrêter là. Appels à toute heure du jour et de la nuit, privation de sommeil, interdiction d’utiliser les toilettes, remplacées par des seaux malodorants, corvées de chiottes à mains nues, séries de pompes à effectuer… Tout va très vite. Au bout de seulement 36 heures d’expérience, un des prisonniers craque moralement mais il n’est pas autorisé à partir tout de suite (il le sera un peu plus tard) et, renvoyé en cellule, va convaincre ses co-détenus qu’il s’agit d’une véritable prison. Les “parloirs” organisés avec les parents et amis donnent aussi des résultats surprenants car les visiteurs, étonnés de la rapide dégradation physique et morale des jeunes hommes, ne s’en offusquent pas plus que ça et, au lieu d’exiger la fin immédiate de l’expérience, jouent le rôle du “parent-qui-va-voir-son-fils-en-prison”… A maints égards, tout cela rappelle la très célèbre expérience de Milgram, réalisée exactement dix ans auparavant, qui a mis en lumière l’incroyable soumission à l’autorité que l’on peut obtenir d’individus lambda.
Les chercheurs organisent ensuite, pour tous les prisonniers, une audition pour une libération conditionnelle, présidée de manière impitoyable par le consultant de l’expérience, qui n’est autre… qu’un ancien véritable détenu. Quand on leur demande s’ils sont prêts à quitter la prison en renonçant à leur “salaire” de cobayes, la plupart disent oui, inconscients qu’il leur suffirait de demander à mettre fin à l’expérience pour que celle-ci s’arrête ! Toutes les libérations conditionnelles sont refusées et chacun retourne dans sa cellule sans rechigner, complètement soumis, désormais incapable de s’apercevoir qu’il a perdu pied avec la réalité.
L’expérience de Stanford a montré d’une manière spectaculaire et brutale que l’on pouvait en quelques jours transformer de jeunes hommes équilibrés et en bonne santé en loques ou en gardiens zélés, ouvertement sadiques pour certains. Cette expérimentation s’arrêta le 20 août 1971, au bout de seulement six jours sur les deux semaines prévues à l’origine. Sur son site, Philip Zimbardo explique qu’il y a eu deux causes à cette fin prématurée. Tout d’abord, les chercheurs se sont aperçus que les gardiens avaient tendance à être cruels la nuit, ne se croyant pas observés (alors qu’ils étaient secrètement filmés et enregistrés). Mais c’est sans doute grâce à Christina Maslach, la future Madame Zimbardo, que le calvaire des prisonniers et la dérive de leurs geôliers se sont achevés. Christina Maslach venait de soutenir sa thèse de doctorat et s’en fut visiter l'”expérience” un soir. Elle vit les détenus enchaînés, un sac en papier sur la tête, se faire hurler dessus par les gardes. Les larmes lui vinrent aux yeux, elle ne put supporter le spectacle et sortit du bâtiment, poursuivie par son petit ami. Philip Zimbardo raconte ainsi la scène : “Elle dit : ” C’est terrible ce que vous faites à ces garçons. Comment ne pas voir ce que j’ai vu et ne pas s’occuper de cette souffrance ?” Mais je n’avais pas vu ce qu’elle avait vu. Et j’ai soudain commencé à avoir honte. C’est alors que j’ai réalisé que l’étude m’avait transformé en administrateur de la prison. Je lui ai dit : “Tu as raison. Nous devons arrêter l’étude.”“
Deux mois après l’expérience, un des “détenus”, Clay, numéro de matricule 416, fit ce témoignage sur ce qu’il avait ressenti au cours de ces quelques jours : “J’ai commencé à sentir que je perdais mon identité, que la personne que j’appelais Clay, la personne qui m’avait mis à cet endroit, la personne qui s’était portée volontaire pour aller dans cette prison – parce que c’était une prison pour moi et c’en est toujours une, je ne considère pas cela comme une expérience ou une simulation parce que c’était une prison dirigée par des psychologues au lieu d’être dirigée par l’Etat –, j’ai commencé à sentir que cette identité, la personne que j’étais et qui avait décidé d’aller en prison s’éloignait de moi, était lointaine jusqu’à ce que, finalement, je ne sois plus elle, je sois 416. J’étais réellement mon numéro.”
Lorsque le scandale des tortures pratiquées par des militaires américains dans la prison irakienne d’Abou Ghraïb a éclaté en 2004, tous ceux qui avaient participé à l’expérience de Stanford se sont rappelé ce qu’ils avaient vécu, un été de 1971, sur le campus de l’université. L’étude avait à l’époque reçu l’aval du Comité sur la recherche sur des sujets humains.
Pierre Barthélémy
Déroutant…
Expérience pas dans les règles de l’art déontologiquement il me semble, mais c’est toujours comme ça qu’on fait les plus grandes découvertes…
Imaginez ce que l’on peut découvrir sur nous même si nous n’en avions pas. Brrr froid dans le dos !
Cette expérience a été adaptée au cinéma dans un film nommé “Das Experiment”, de Oliver Hirschbiegel.
merci Pierre pour cet article.
absolument incroyable la vitesse à laquelle les mentalités basculent est absolument incroyable.. je suis tout à fait stupéfaite.. cette étude, ( et votre article ) mériteraient d’être ” diffusés” largement…
J’ai franchement beaucoup de doute sur cette expérience … En effet elle met en lumière la nature humaine, foncièrement mauvaise je pense.
Mais comment pouvoir tirer des conclusions avec une expérience de 6 jours… Je pense que le processus de réflexion dans les prisons est bien différent.
Premièrement le fait d’être coupable ou innocent (surtout) à un impact psychologique énorme, ce n’est pas le cas de ces étudiants d’université …
Il est vrai néanmoins que les attitudes humaines sont intéressantes à étudier (la division du groupe de mauvais et de bons détenus).
Quelque chose me fait rire … « Révolte au bout d’un jour de détention » … Enfin, je ne connais pas les méandres de cette expériences mais il me semble que ces étudiants étaient légèrement à fleur de peau pour faire cela ou alors des cobayes qui pensaient avoir un rôle d’acteur à jouer…
Là je trouve cette étude pathétique …
juste une hypothèse: est-ce que les conditions matérielles pourraient expliquer cette rapide détérioration des comportements, plus que les autres facteurs (comme la séparation en deux groupes?
J’ai vu, sans le savoir à l’époque, un film qui reprend exactement ce scénario : The Experiment (http://www.imdb.com/title/tt0997152/) avec Forrest Whitaker. Il serait intéressant d’avoir l’opinion de l’auteur sur ce film, pour comprendre son degré de réalisme.
Lorsque j’ai vu ce film, j’ai pensé que les réactions des gardiens et détenus étaient un peu exagérés, mais à la lecture de cet article il semblerait que non !
@Maverick : Il y a l’époque qui joue aussi. Je pense qu’on peut tirer des conclusions après 6 jours, ce n’est pas ça le problème. Mais pour pouvoir en tirer une généralité, il aurait sûrement fallu faire plusieurs fois l’expérience, et selon les époques aussi.
Maintenant, au vu de ces résultats, peut-être que personne n’ose la réitérer…
Maverick,
J’ai fais suffisement de deplacement dans des pays a la con ou tu es pris en charge par les autorites des la sortie de l’avion, et j’ai systematiquement observe que n’importe qui pete les plombs tres rapidement, meme avec une privation de liberte “douce”.
Avec la repetition, tu restes plus zen, mais quelques semaines dans un pays ou tu as une liberte totale de mouvement, un retour dans un pays ou tu bouges pas comme tu veux, et des la premiere journee c’est dur a encaisser.
Bref, tu pourrais d’abstenir de qualifier l’experience de “pathetique” puisque tu n’as visiblement aucune approche de ce genre de situations.
@Tum0r : effectivement, l’expérience de Stanford serait impossible à mener aujourd’hui car les codes d’éthique scientifique ont beaucoup évolué.
@Maverick : l’expérience est controversée car elle ne prévoyait aucun observateur neutre. Certains ont aussi critiqué le fait que les conditions étaient bien plus rudes que celles présentes dans les prisons américaines (en oubliant que cela devait néanmoins être un standard pour d’autres pays…). Malgré cela, l’expérience de Stanford n’en est pas moins fascinante par la rapidité avec laquelle les “sujets” sont allés aux extrêmes de leurs “rôles”.
@Tintin :
J’ai délibérément utilisé l’expression pathétique car je trouve ça complètement ahurissant.
Lorsque tu te fais arrêter dans un pays comme tu le dis, tu te sais innocent. Tu n’es pas un étudiant qui joue un jeu de rôle. (Venir ce faire chercher par les policier chez soit … je trouve que c’est une mise en scène comique …)
De plus le fait de ne risquer aucune réelle sanction (les étudiants de l’expérience) ça donne tout les droit.
Pour information, je suis jeune étudiant et je fais souvent ce genre de voyage. Dans des « pays à la con » et pour avoir vécu ça, je peux vous assurer que ce qui ce passe là bas ne ressemble pas du tout à ce qui est montré dans l’article.
Un film retrace réellement, pour moi, la vie de détention, c’est Midnight Express.
Une objection à mon commentaire est que, il est vrai, les matons sont étrangement ressemblant à ceux décrient dans l’article.
@Pierre Barthélémy :
Oui c’est vrai que je trouve ça aussi fascinant de voir la rapidité de la métamorphose.
Je trouve simplement cette étude très intéressante d’un point de vue humain. (Comment des gens peuvent prendre un rôle autant au sérieux)
Un parallèle peut être fait dans les entreprises, nomination de nouveaux chefs qui n’avaient pas cette expérience avant et qui deviennent de vrais tirants.
Si certes l’étude de Zimbardo est inimaginable à reproduire pour des raison éthique, les conclusion – encore acceptées ajourd’hui – de l’études sont loin de reposer uniquement sur ces 6 jours d’observation.
En effet, si cet article mentionne à juste titre l’experience de Milgram sur la soumission à l’autorité, d’autre étude de psychologie sociale appuient que le context dans lequel se trouve un individu influence tant sa perception que son comportement (ce qui est, par ailleurs l’object de recherche de la psy soc …).
Pour ceux que cela interesse, vous pouvez vous orienter sur Sherif, qui a conduit une série d’expérience dans les colonies de vacances (“camp”) americaines, ou encore Tajfel qui a démontrer que le simple fait de dire à un individu qu’il appartien à un groupe (groupe A ou B, sans même connaître les autres membres de sont groupe) est suffisant pour faire apparaitre un comportement de discrimination (Il a aussi été démontré que le simple fait de catégoriser des lignes sur un tableau, rend la perception de leur diff;erence plus grande lorsqu’elle n’appartiennent pas à la même catégorie).
Enfin, dans la droite ligné des travaux de Zimbardo, vous pouvez visionner ceux de
Jane Elliot qui a répliqué l’étude sur des enfants, simplement en divisant les “divisant”
(enregistrement de l’expérence http://www.youtube.com/watch?v=JCjDxAwfXV0, en Anglais)
en fonction de la couleur de leurs yeux (Il me semble que cette même étude fut réalisée plus tard sur des adultes en les distingant en fonction de ceux qui avaient des lunettes, cravates …).
A lire pour en savoir plus sur cette expérience, celle de Milgram et d’autres…
“Un si fragile vernis d’humanité : Banalité du mal, banalité du bien” / Michel Terestchenko
http://www.amazon.fr/dp/2707153265/ref=cm_sw_r_tw_dp_2m6vob1XC0ZHV
Pourquoi les psys ne s’attellent plutôt pas à étudier les cas de réels prisonniers, en tenant compte des spécificités culturelles et de la perception qu’ils ont vis-à-vis du “délit” commis?
Votre article me fait penser à ce documentaire passé sur France2 il y a quelques temps:”http://www.france-info.com/culture-medias-2010-03-17-tele-realite-le-faux-jeu-qui-fait-fremir-418347-36-41.html”. La suggestion et le don du pouvoir à des êtres humains et les conséquences que cela peut avoir surtout si les actes sont légitimés par une autorité “respectée voir crainte” (soit pour votre article les scientifiques, pour le reportage le jeux et l’animatrice qui pousse à aller au delà de ses propres “convictions”), la notion de bien et de mal semble être ébranlée avec
une facilité déconcertante chez l’être humain. Cela me laisse pensive et dubitative quant à la nature de l’être humain à pouvoir rester fidèle à son “éthique personnelle”.
finalement, le probleme qui se pose dans cette experience (et dans celle de Milgram), c’est l’application avec zèle de règles absurdes.
Quand on sait pourquoi on fait une chose et qu’on cherche à la faire on recherche avant tout le resultat qui correspondra le plus au but de départ, quitte à s’arranger avec les règles établies. Si au contraire la règle est acceptée en l’état, et que le but recherché est occulté, pour faire bonne figure on a tendance à appliquer encore plus strictement la règle.
D’où les excès de zèle… Et si la situation est considérée absurde par la victime, cela entraîne quasi-systématiquement (sauf à avoir des nerfs en acier trempé) un enervement du sujet, prise comme une aggression personnelle (ben oui, il met du coeur a l’ouvrage et on n’est pas content de son travail) par celui chargé d’appliquer la règle, ce à quoi il répond par encore plus de zèle…
Un vrai cercle vicieux qui dégénère extrêmement vite.
sinon, une expérience similaire approuvée par le gouvernement français 😉
http://www.lyoncapitale.fr/journal/univers/Actualite/Securite/Rillieux-tensions-depuis-l-arrivee-des-policiers
La lecture des commentaires, notamment sur Das experiment, m’ont rappelé le film allemand La Vague (Die Welle, http://www.imdb.com/title/tt1063669/). C’est une fiction, toutefois certains comportements sont semblables à ceux observés dans l’étude.
Votre article tend à me faire croire que les véritables drames que vivent certains employés dans les entreprises sont liés à un tel phénomène de l’expérience de Stanford. Est-ce la raison qui pousse le travailleur quelquefois au suicide, comme relaté dans les journaux?
J’ai essayé d’écrire moi-même à ce sujet de fiction sur mon Blog ( traitant souvent du licenciement ou du chômage après démission), une page que j’ai intitulée “Tsunami” http://www.ovni2fois.com/article-79529726.html
Une autre de mes pages s’intitule “Le dernier dinosaure”, où l’animal est dans une prison.
Il n’est pas aisé de rompre avec une situation, quand celle-ci peut-être possède un caractère entièrement imaginaire. La réalité l’est-elle moins?
Le film allemand “la vague” est quelque peu caricatural à mon goût, quand à “the experiment”, je ne m’en souvient pas très bien, mais il m’a laissé une meilleur impression globale.
cette expérience aide aussi à comprendre, à mon avis, du moins en partie, ce qui se passe dans des pays comme la syrie.
Même si c’est manifestement un complot ( interne-externe ), il est apparemment impossible d’éviter que ça dégénère, dès lors qu’une logique de dominant-rebelle s’est installé, une logique dont le pouvoir se retrouve tout aussi prisonnier que le citoyen révolté.
A quelques détails près, cette expérience a longtemps été pratiquée en France (jusqu’en 2002). Cela s’appelait: faire ses classes et l’armée française profitait du service national obligatoire pour faire encadrer des appelés par d’autres appelés (les caporaux) heureux de pouvoir brimer les nouveaux venus. Cela commençait par une tonte en règle et en quelques jours nous étions des numéros. Et dire que certains en garde un bon souvenir.
@ Appelé du contingent : je me suis fait exactement la même réflexion. Pour ma part, je me suis rebellé dès le lendemain de mon arrivée en caserne, avant même la tonte. J’ai eu le droit à deux semaines d’hôpital militaire en service de psychiatrie, qui s’approchait pas mal de Vol au-dessus d’un nid de coucous, et où l’on voyait arriver tous les mecs que l’armée avait bousillés avec son “expérience”. Et puis je suis rentré chez moi.
Sur le site de Yes Magazine, il y a une rubrique concernant les prisonniers dont voici le dernier article :
http://www.yesmagazine.org/issues/beyond-prisons/what-the-outside-can-do-for-the-inside
Trop facile de tirer des conclusions générales de cette expérience. Je me réfère au témoignage d’un ancien priosonnier de guerre, en 1940. Il avait 18 ans à l’époque. Les allemands avaient regroupé les soldats et officiers dans le même camp. Il s’est aussitôt produit une sélection interne. Les bolchéviques Français ont mis en oeuvre leur organisation aussi perfectionnée que celle des Nazis, et ont fait régner la tyerreur dans le camp. Les officiers étaient brimés , humiliés en permanence, le pouvoir était entre les mains du Parti qui établit sa propre gestion du camp.
Ce n’est que bien plus tard que les Allemands séparèrent dans des camps distincts les gradès des non gradés. Et aujourd’hui e,core, les ministres escrocs bénéficient toujours de privilèges spéciaux alors qu’ils devraient être enfermés dans des cellules communes.
Tiens DSK a aussi eu droit à des égards à Ricker Island !
Rien de nouveau sur le penchant humain à la violence et au pouvoir. Pour moi c’est plus comment les humains ont créé l’enfer sur terre. Je pense au roman “Lord of the flies” de Golding (“Le seigneur des mouches”), “Dogville” de Lars von Trier.
Ce qui est intéressant dans cette expérience, c’est la notion de catégories. Dans “Trumann Show” (orthographe?) il y le cobaye, le public, le metteur en scène. Dans cette expérience, il y a les prisonniers, les gardiens, puis les visiteurs (le public).
Sauf que dans la vraie vie, les prisonniers sont des criminels mélangés à des innocents. Or la plupart des criminels ont fait subir leur pouvoir de vie et de mort sur leurs victimes.
Il y a une vraie énergie négative très palpable (j’ai été agressée et j’en suis encore marquée), qui vous entoure depuis l’agression jusqu’à la plainte au commissariat, où la police réagit aussi très bizarrement quelquefois. Donc il faut savoir que la prison est un endroit maudit par cette énergie négative. La cruauté des matons est comme l’arme de négation de l’existence des prisonniers. C’est une punition monstrueuse qui est indéniablement cruelle pour les innocents. Qu’est-ce qui motive cette cruauté des matons, hormis le sentiment d’impunité puisqu’ils sont les agents de cette punition.
L’expérience est donc un peu tronquée parce que les prisonniers ne sont pas des vrais criminels (parce que la cruauté entre criminels en prison c’est pas mal non plus). Elle a le mérite de montrer qu’il y a une structure latente de notre mode de fonctionnement où il suffit d’ouvrir la vanne pour être bourreau.
Il faut être un saint pour être toujours du bon côté de la frontière, une certaine dimension boudhique et christique.
Les humains ont une énergie mélangée de positif et de négatif. Il est bon que les gens se rappellent qu’ils peuvent basculer à tout moment s’ils ne prennent pas garde.
Rien que pour cela, merci à l’auteur de cet article de nous le rappeler.
Des centaines (sinon des milliers) d’ouvrage sont été écrits par des professionnels de la psychologie comportementale et de la psychopathologie. Cet article, pour intéressant qu’il soit, et pour intéressants que soient les commentaires qu’il suscite, enfonce des portes ouvertes. La captivité déclenche un stress majeur plus ou moins bien vécu par les “forts” et par les “faibles” érode et détruit la personnalité (faut-il rappeler les jeunes qui se suicident dans leur cellule dès leurs premiers jours de détention ?) et met en évidence les rapports domination/soumission, sadisme/masochisme entre les uns et les autres (dans les camps de concentration, les “Kapos” n’étaient pas moins cruels que les Allemands !).
Cet article ne fait que démontrer une évidence.
Chacun sait que lorsqu’on confère une petite portion d’autorité à un individu lambda, il ne laissera pas sa part aux chiens (vigiles de grandes surfaces, “petits chefs”, et dans le passé” “petits blancs” dans l’Afrique coloniale etc.).
Et ne pas oublier le “syndrome de Stockholm” des “enlevés” pour leurs ravisseurs.
Je citerai en conclusion une réplique que Marcel Pagnol met dans la bouche de Raimu dans “César” :
“Tu prends un brave homme, tu lui donnes un uniforme et t’en fais un con”.
Tout est dit.
Si,malgre la nature artificielle et experimentale de la situation presentee dans l’article ci-dessus,2 jours ont suffi pour que de simples etudiants se transforment en tortionnaires,dans les vraies prisons,ou l’on executait des condamnations a vie,sans pour autant etre coupables d’autre chose que l’opposition a un regime politique, certains des prisonniers sont devenus(ont revele leur cote secret )de vrais monstres,des tortionnaires qui fesaient pire que des crimes.Puis,on les a laisses sortir de prison,eux et celles de leurs victimes qui ont survecu .Une fois remis en liberte,que deviennent ces gens?Est-ce qu’ils continuent a torturer?
Je me demande,en fin de compte,a quoi servent ces experiments?Une fois que l’on devient conscient combien il est facile et rapide de transformer des gens communs en monstres,que fait-on avec ces connaissances?
N’est-ce pas frappant comment l’introduction d’un seul élément féminin, fut-il fortuite, a totalement changé la donne, et en termes de perception et du déroulement de l’expérience ? Il est question de comportements typiquement ‘humains’, mais à mon avis ils se trouvent à leurs plus exacerbés quand l’univers est exclusivement mâle.
@Makata King : tous les articles démontrent des évidences… pour ceux qui les voient.
[…] Tout est expliqué ici : Prisonniers pour la science. […]
Des moutons obeissants qui veulent plaire à leur maitres…
Tu peux leur faire -tout- ce que tu veux, meme les pires tortures, si tu leur dis que ce n’est qu’ un jeu, televisuel …
Bonjour. J’ai trouvé votre article très intéressant. L’expérience de Stanford, toute “artificielle” soit-elle, représente assez bien ce que j’ai pu vivre “dans la vraie vie”. Pas en prison, mais en milieu “psychiatrique” (désintox).
Mr Pfilfer, je ne crois pas que la présence de femmes change fondamentalement la donne. Dans le cas de Stanford, Mme Maslach n’était pas seulement une “femme”. Elle était aussi extérieure à l’expérience, ce qui fait que toute l’absurdité et la cruauté de la situation l’a frappée. Mais en prison, les surveillantes ne sont pas moins imbues de leur pouvoir que leurs collègues masculins, et de mon expérience psychiatrique, j’ai retenu que les “coordinatrices” (patientes investie d’une part de l’autorité des soignants) ne jouaient pas moins les tyrans de pacotille que les coordinateurs. Par contre, il est fort possible que les réactions soient exacerbées dans un milieu unisexe.
Mic11,
La prison, c’est quand même un milieu un peu plus complexe que d’un côté des “criminels ayant exercé leur droit de vie et de mort” et de l’autre des “innocents”. Des gens enfermés pour avoir commis des délits mineurs, qui n’ont jamais agressé personne, vous en trouvez à la pelle derrière les murs, et la prison les change, et pas vraiment en bien.
Et je crois que le fait d’être coupable ou innocent n’a pas autant d’implication psychologique que ça une fis qu’on est derrière les murs, parce que les valeurs qui y règnent, la hiérarchie qui s’y crée n’a plus rien à voir avec celles de l’extérieur. Ce n’est pas au sens strict on monde sans règles, mais c’est un monde avec ses règles propres, et l’innocence n’y compte que pour du beurre. Le détenu doit s’adapter u mourir, même s’il a “sa conscience” pour lui.
Ça me pose question, je suis fils de déporté (politique) dans les camps de la mort nazis. Dans ces camps, bien pires que ce qui est décrit là, à aucun moment les anciens déportés avec lesquels j’ai pu discuter, n’ont perdu leur humanité, au contraire même une certaine solidarité s’est manifestée, alors ?…
Un véritable document. J’ai travaillé près de vingt ans en milieu carcéral; tout n’y était pas rose, mais dans l’ensemble, comme le personnel pénitentiaire était (et doit être encore aujourd’hui) plutôt bien formé et bien encadré, les dérives étaient rares. Mais, si “on” avait laissé faire certains auraient à coup sûr laissé éclater leurs pulsions …
Ce document démontre clairement que les lois et règlements sont nécessaires pour que les hommes puissent vivre à peu près correctement ensemble.
L’homme est un loup pour l’homme parce qu’il est un singe comme les autres.
Mr. Schneider,
Je n’ai pas fréquenté pendant vingt ans le milieu carcéral. Juste pendant quelques mois, en salle de visites. Et, moi qui n’ai aucun sens de l’observation, j’ai pu y constater des dérives grosses comme un baobab. Déjà là…
Alors, peut-être que la majorité des surveillants sont bien formés, oui…
Ivan,
Je n’ai pas dit que tous les prisonniers perdaient leur humanité. Seulement qu’ils changeaient, et pas vraiment en bien.
Sinon, tous les anciens déportés avec lesquels j’ai eu des contacts (et qui parlaient de “ça”) m’ont dit que les gardiens jouaient sur le “diviser pour régner”. Ca n’empêche pas la solidarité, mais…
Pour ceux que le sujet intéresse et qui lisent en anglais, je vous conseille le livre que Zimbardo lui-même a écrit sur le sujet : “The Lucifer Effect. How good People turn evil” (Rider Books).
[…] cet extrait du film ”I comme Icare”. (2)Elle reste néanmoins très intéressante. Prisonniers pour la science (3)Tout cela rappelle ce qu’a écrit Hannah Arendt dans son livre Eichmann à Jérusalem. […]