A l’école, mieux vaut être inquiet et consciencieux qu’ouvert et curieux

La personnalité des élèves de 16 ans a-t-elle une influence sur leurs résultats scolaires à 19 ans ? Telle est l’une des questions auxquelles Pia Rosander a répondu, le 25 janvier 2013, lors de la soutenance de sa thèse à l’université de Lund, en Suède. Une question simple mais dont les implications sont multiples en matière de système éducatif. Elles sous-entend en effet que les traits de caractère ne sont pas indifférents en matière de capacité d’adaptation au cadre scolaire. Une porte ouverte ? En apparence… Car comment prendre véritablement en compte ces différences à une époque où l’on parle de plus en plus d’individualisation de l’enseignement ?

200 élèves suédois de 16 ans

Pia Rosender est partie des cinq grands traits (Big Five) définissant les caractéristiques essentielles de la personnalité : ouvert, consciencieux, extraverti, agréable et inquiet. Ces traits, s’ils sont assez grossiers, ont l’avantage de rester stables dans le temps. Pia Rosander a ainsi analysé 200 élèves âgés de 16 ans dans le sud de la Suède. Trois ans plus tard, elle a enregistré leurs résultats scolaires de sortie de l’enseignement secondaire. Elle a alors cherché des corrélations entre la réussite scolaire et certains traits de caractère. Et elle a en trouvé.

Le trait de personnalité le plus clairement associé au succès à l’école n’est guère surprenant. Les élèves consciencieux, qui arrivent à l’heure et font bien leurs devoirs, obtiennent les meilleurs résultats. Plus étonnant, le second trait de caractère qui conduit au diplôme est… l’inquiétude. Contrairement à ce qu’attendait la chercheuse, l’ouverture d’esprit et la curiosité intellectuelle, à l’inverse, ne sont pas des traits de caractère qui favorisent le succès scolaire. Au contraire, semble-t-il…

“Le système scolaire suédois favorise les élèves consciencieux et motivés par la peur”, conclue Pia Rosender. “Ce n’est pas bon pour le bien-être à long terme lorsque la peur agit comme force motrice. Cela bloque également l’approfondissement des apprentissages qui se produit plutôt chez les élèves dont la personnalité est plus ouverte et pour lesquels la curiosité est une forte motivation”, précise-t-elle.

Différences entre filles et garçons

Pia Rosender a également analysé les différences existant entre les garçons et les filles. Son étude montre que le système éducatif suédois favorise les filles qui ont envie de plaire. Les garçons, eux, ont plus tendance à être motivés par l’intérêt et la curiosité, ce qui ne favorise pas leur réussite scolaire. La chercheuse a établi un lien entre un QI élevé chez les filles et un caractère consciencieux. Autre surprise, chez les garçons, la relation est inverse. Un caractère consciencieux est souvent associé à un QI plus faible que celui de ceux qui le sont moins. Pia Rosender en déduit que “le fait d’être plus consciencieux pourrait être un moyen pour les garçons de compenser un QI plus faible”.

Introverti ou extraverti ?

Nouvelle surprise au sujet du caractère introverti ou extraverti. En effet, c’est le premier qui favorise la réussite scolaire. Pia Rosender commente cette découverte en estimant que les élèves extravertis s’intéressent à tant de choses différentes qu’ils ont du mal à consacrer le temps nécessaire au travail scolaire.

Globalement, la chercheuse considère que son étude plaide en faveur d’une plus grande individualisation de l’enseignement dans le secondaire. “Comment pourrions-nous, autrement, aider les élèves talentueux doté de la “mauvaise” personnalité, ceux qui sont en échec scolaire, ceux qui ont des capacités mais sont, par exemple, incapables d’organiser leur travail scolaire ?” Pour Pia Rosender, les enseignants doivent considérer que la personnalité ne peut être modifiée ni par eux-mêmes, ni par les parents, ni par les élèves. Gronder les élèves négligents ou leur demander de se reprendre en main ne les aide pas.  En revanche, il faut sans doute apporter à ces élèves des structures et des techniques différentes de travail.

La richesse de la diversité

Que le système scolaire, qu’il soit suédois ou français, peine à prendre en compte la diversité de personnalités des élèves n’est guère surprenant. L’école d’aujourd’hui est l’héritière de la fameuse période de massification de l’enseignement au 20e siècle. Nul doute que, pour progresser, elle va devoir introduire une forme d’individualisation à l’intérieur de cette massification. Le numérique, les TICE, sont là pour  faciliter cette mutation. Le travail de Pia Rosender apporte de précieuses clés pour passer d’un système de pure sélection à l’aide d’un petit nombre de critères à une école permettant à des personnalités différentes de s’épanouir au lieu d’être exclues mais également d’enrichir la communauté d’une classe.

Michel Alberganti

 

5 commentaires pour “A l’école, mieux vaut être inquiet et consciencieux qu’ouvert et curieux”

  1. La fracture éducative
    Je ne suis pas sûr que les critères de Pia Rosander (ouvert, consciencieux, extraverti, agréable et inquiet) soient bien discriminés et notamment suffisamment indépendant. En particulier il me semble qu’il peut y avoir une forte corrélation entre ouvert et extraverti.
    On peut aussi constater qu’il s’agit d’une photographie c’est-à-dire d’un point sur la courbe de l’apprentissage à un âge c’est-à-dire probablement à un stade déterminé du cursus scolaire.
    Ceci étant et pour autant que des résultats sur un panel de 200 élèves soient significatifs d’une tendance générale, les résultats contrastés révélés par cette étude sont assez inquiétants.
    La compétitivité de nos pays du vieux continent – et donc la survie de l’emploi et de nos conditions de vie si durement obtenues par nos prédécesseurs – dépend énormément pour ne pas dire uniquement de la capacité de notre système éducatif à promouvoir ceux qui ont des réelles capacités d’innovation, un esprit d’entrepreneur, un gout de la prise de risque, qui accepte le changement permanent comme une chance et non comme un risque, ceux qui sauront s’adapter en permanence dans ce nouvel environnement qu’Hubert Vedrine appelle une compétition multipolaire instable qui n’a rien à voir avec une crise qui supposerait un retour une situation antérieure.
    Il est assez catastrophique de penser que le système éducatif ne favorise pas la curiosité, la créativité, une forme d'”anticonformisme“, bref les traits de caractères (quoique je tombe ainsi dans la critique que je fais plus haut 🙂 ) qui paraissent les mieux corrélés avec la capacité d’innovation et le gout du risque.
    Le système éducatif du 19ème siècle et du début du 20ème avait besoin de “délivrer” des citoyens dociles, consciencieux, peu friands du risque, cherchant un emploi stable avant tout pour fournir le “matériel” nécessaire pour faire tourner les “chaines standardisées” des usines toutes converties à la religion du taylorisme.
    La robotisation de l’industrie et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ont définitivement balayé ce paysage.
    La mondialisation de l’économie et du marché du travail a redistribué les rôles en laissant sur le carreau ces milliers d’emplois qu’il est impossible même par forte volonté politique de conserver dans nos pays.
    L’éducation est la clé de l’adaptation d’une société à son environnement socio-économique et notre société ne peut se satisfaire d’un statu quo dont le coût est exorbitant au regard des résultats obtenus.
    Comment ne pas prendre notamment la vraie mesure du fait que l’environnement de communication est totalement bouleversé par l’explosion d’internet et la généralisation des smartphones et bientôt des tablettes et assistants personnels en tout genre ?
    Ce nouveau paradigme de communication devient le mode «naturel» pour les nouvelles générations et le décalage avec les méthodes éducatives encore trop centrés sur l’accumulation massif de connaissance dans un mode standard et normalisé devient insupportable.
    Dans le même temps, le fait qu’un jeune de moins de dix-huit ans passe en moyenne sept heures et demie par jour devant des écrans ou smartphones, et seulement 15 à 25 minutes dans des jeux en extérieur, pose un véritable problème de la place de l’attention diffuse tellement nécessaire pour la consolidation des connaissances acquises selon la Théorie de la restauration de l’attention.
    On est tout de même atterré de voir que le grand débat aujourd’hui est celui de la semaine de 4 jours ½ à laquelle les enseignants ou du moins leurs syndicats s’opposent alors qu’ils avaient combattu avec la même énergie le passage à la semaine de 4 jours en 2008 !
    Quand sortira-t-on d’un système éducatif fossilisé alors que l’enjeu est la survie même de notre civilisation ?

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  4. Je dois témoigner ici que les cinq grands traits (Big Five) retenus par la psychologie ne sont qu’une vaste fumisterie et qu’ils sont à l’origine de nombre d’erreurs d’orientation en milieu scolaire. J’en ai été victime en fin de 3ème. A l’issue des tests j’ai été déclaré comme inapte aux études longues (dans le primaire, j’ai toujours été 1er du CP au CM2) et j’ai été orienté en seconde technique. Je ne suis pas manuel et je n’ai jamais réussi à avoir la moyenne dans une matière pratique technique (probablement parce que je suis un gaucher contrarié). En fait, maintenant je suis ambidextre et, de ce fait, je ne sais jamais de quelle main tenir un outil ce qui m’a définitivement découragé de bricoler. Bref, je suis revenu en première moderne en lycée, puis je suis passé, à l’époque, en “math élèm”. Au final, j’ai réussi une maîtrise d’informatique au début des années 70 et je suis devenu ingénieur informaticien et spécialiste des langages de programmation (j’en connais plus de 30). J’ai fait mesuré mon QI qui est de 137. J’ai brillamment réussi ma carrière professionnelle (et fait des tas de choses à côté).
    Pour moi, les traits primordiaux pour la réussite tout court (et pas seulement scolaire) sont : être consciencieux, la motivation à la réussite (je voulais toujours être premier), le pouvoir de concentration (à l’époque de mes études, je pouvais me concentrer 3 heures sur un sujet sans entendre ce qui se passait autour de moi, même si on m’appelait). Je n’étais pas extraverti ni “agréable”. Par contre j’étais curieux de tout mais isolé. Je n’ai jamais été inquiet et l’idée d’échouer à un examen ne m’a jamais effleuré.
    Ah, j’oubliais, un très grand facteur de réussite est aussi de posséder une excellente mémoire. Cela s’entretient mais ne s’acquière pas, il me semble.

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