Aspirine : notre pilule quotidienne ?

La magazine Science et Vie du mois de décembre 2012 fait sa couverture avec une formule accrocheuse : “Le médicament qui protège de tout”. Il s’agit de l’aspirine, autrement dit l‘acide acétylsalicylique, le médicament le plus utilisé au monde. Et sans doute l’un des plus vieux. Son nom, Aspirin, a été déposé par Bayer en… 1899 après sa création par le chimiste allemand, Felix Hoffmann (1868 – 1946) en 1897. Aujourd’hui, la consommation mondiale d’aspirine est estimée à 40 000 tonnes par an.

Au cours des dernières années, de nombreuses études scientifiques publiées, par exemple, dans la très réputée revue The Lancet, ont fait état de l’effet bénéfique de la prise quotidienne d’aspirine pendant plusieurs années. Outre l’effet logique d’un médicament agissant sur la fluidité du sang en matière d’accident cardiovasculaires, l’aspirine se révélerait protectrice contre certains cancers (colon, prostate, poumon) et les maladies neurodégénératives.

La perspective d’une pilule miracle dont la prise quotidienne protégerait contre les trois principales maladies mortelles actuelles ne peut qu’être attirante. D’autant que la médecine nous a plutôt habitués, ces derniers temps, à des surprises inverses, comme avec le Mediator et tous les médicaments déremboursés pour cause d’efficacité insuffisante.

Hélas, bien entendu, les choses ne sont pas simples. En février 2012, une étude publiée dans la revue Archives of Internal Medecine par des chercheurs de l’université de Londres-Saint Georges de Londres réduit considérablement les espoirs d’effets décisifs de l’aspirine. Réalisée sur 100 000 patients suivis pendant 6 ans, l’étude montre une réduction de 10% du nombre d’accidents cardiovasculaires non mortels. Mais la prise d’aspirine n’a pas eu d’effets sur le nombre de décès dus à ces mêmes accidents. Ni sur le nombre de victimes de cancers. En revanche, les cas de saignements internes mettant en jeu la vie du patient auraient augmenté de 30%. Avec des ulcères mais aussi des saignements oculaires.

Bénéfices plus modestes que prévu

Pour le principal auteur de l’étude, Rao Sehasai, “l’effet bénéfique de l’aspirine dans la prévention des maladies cardiovasculaires pour des personnes ayant fait des attaques ou des AVC (accidents vasculaires cérébraux) est indiscutable” et il engage ces patients à poursuivre leur traitement. Il s’agit là de ce que l’on appelle le traitement secondaire, c’est à dire concernant des personnes ayant déjà eu des accidents cardiovasculaires ou des AVC. Mais la question du traitement primaire, c’est à dire de la prise d’aspirine de façon quotidienne avec un objectif préventif se trouve, elle, largement mise en cause. “Les bénéfices pour des personnes qui n’ont pas ces problèmes sont beaucoup plus modestes qu’on le croyait, et un traitement à l’aspirine peut entraîner potentiellement des dégâts majeurs consécutifs à des saignements”, indique Rao Sehasai.

Autres candidats : la metformine et les statines

L’espoir d’une pilule miracle ne concerne pas uniquement l’aspirine. Le dossier de Science et Vie analyse également la metformine et les statines. Le premier médicament est un antidiabétique commercialisé en 1953 et prescrit aujourd’hui pour plus de 120 millions de patients dans le monde. Comme l’aspirine, la metformine, parfois qualifiée de “véritable élixir de jouvence”, protégerait contre les maladies cardiovasculaires, les cancers et les maladies neurodégénératives. Les statines, elles, sont des anticholestérols commercialisés dans les années 1980. Et elles protégeraient aussi du cancer, de l’ostéoporose, des accidents cardiovasculaires, les rhumatismes inflammatoires, la sclérose en plaque…

Mode de vie et alimentation

Pour en avoir le coeur net, j’ai invité plusieurs médecins spécialistes et un chercheur à l’émission Science Publique que j’ai animée vendredi 7 décembre 2012 sur France Culture, dans le cadre d’un partenariat avec Science et Vie. La différence entre les traitements primaires et secondaires a été souvent mise en avant. Les invités n’ont pas nié certains effets positifs de l’aspirine et des deux autres médicaments. Mais, au final, le fameux rapport bénéfice-risque ne confirme guère l’intérêt de prendre tous les jours un ou plusieurs médicaments dans l’espoir d’éviter certaines maladies graves. Comme le conseille le simple bon sens, d’autres moyens sont au moins aussi efficaces, en matière de mode de vie et d’alimentation. Le jour où un médicament viendra tout corriger sans que nous n’ayons le moindre effort à faire n’est, semble-t-il, pas arrivé. Et l’on peut se demander s’il est souhaitable qu’il arrive…

Michel Alberganti

(Ré)écoutez l’émission Science Publique du 7 décembre 2012 sur France Culture, en partenariat avec Science et Vie.

Table ronde

Faut-il prendre de l'aspirine tous les jours ?

07.12.2012 – Science publique
Faut-il prendre de l’aspirine tous les jours ? 57 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

L’aspirine, la metformine et les statines auraient des vertus protectrices contre les accidents cardio-vasculaires, les cancers et les maladies neuro-dégénératives. Sous réserve d’en prendre tous les jours pendant des années. S’agit-il d’une préconisation sérieuse ? Le diagnostic des invités de Science Publique…

 

 

2 commentaires pour “Aspirine : notre pilule quotidienne ?”

  1. Merci pour ce débat utile qui change des pugilats auxquels on assiste parfois lorsqu’il s’agit de comparer les risques et les mérites de telle ou telle pratique (cf. l’allusion rapide aux OGM durant le débat)
    Il met bien en évidence le risque principal qu’est l’automédication à priori valable uniquement pour l’aspirine, les statines et la metformine n’étant prescrites que sur ordonnance.
    Certes la pression des patients sur les médecins peut conduire à des usages «préventifs» excessifs mais on peut tout de même faire globalement confiance au professionnalisme des praticiens.
    Les intervenants insistent aussi sur l’obésité et le tabagisme et le risque indirect de considérer ces molécules comme des panacées, ce rêve un peu facile que la chimie pourrait nous mettre à l’abri des maladies. Je note la réflexion «entre des statines et l’arrêt du tabacs, le choix est clairement l’arrêt du tabac»
    On remarquera aussi l’utile digression sur la notion de risque absolu et de risque relatif et l’effet exagéré dans l’esprit du grand public d’une réduction de 50% d’un risque de 0,1%…
    L’automédication n’est pas le seul danger de cette recherche du zéro risque.
    On voit encore beaucoup de publicités vantant le mérite d’alicaments censés nous protéger notamment des risques cardiovasculaires en mettant en avant des études scientifiques dont on se demande ce qu’elles ont vraiment de scientifiques.
    Inutile d’insister non plus sur l’usage compulsif par certains de compléments alimentaires et autres plantes censées être bonnes pour la santé parce que naturelles. l’amanite phalloïde est un superbe champignon tout ce qui a de plus naturel !
    Je ne parle pas non plus de l’explosion du marché du «digital brain health» qui montre à quel point nous sommes en train d’élever le “digital” au rang de juge de paix de nos capacités mais plus encore comme un remède miracle au vieillissement.
    Pour preuve le succès de l'”entrainement cérébral” du célèbre docteur Kawashima ou encore la multiplication des sites qui vous proposent de tester et améliorer votre QI, votre attention, votre mémoire, vos connaissances etc…
    La santé, comme la beauté éternelle, étant un marché juteux on verra toujours des marketeurs par définition mercantiles promettre le graal d’une jeunesse éternelle et d’une santé garantie.
    Les intervenants du débat sont unanimes pour dire que la réduction du risque vient d’abord (à 60%) d’une hygiène de vie.
    L’ennui c’est que le message attendu dans notre société surassistée est celui de remèdes et de recettes miracles.
    Il faut dire aussi que les fantastiques avancées de la science et de la technologie font rêver à un monde où la maladie et pourquoi pas la mort (utopie des transhumanistes) seraient des vestiges archaïques d’une humanité qui ne maîtriserait pas son avatar originel biologique.

  2. […] Aspirine : notre pilule quotidienne ? Est il possible qu'une méduse détienne la clé de l'immortalité humaine? C’est en 1988 qu’un biologiste allemand, Christian Sommer, a découvert Turritopsis dohrnii à Rapallo en Italie, alors qu’il menait des recherches sur les hydrozoaires. <b>Turritopsis dohrnii, plus communément appelée ‘la méduse immortelle » est une minuscule espèce de ces hydrozoaires, des invertébrés marins </b> qui ressemblent à des méduses ou à des coraux mous, en fonction de leur stade de développement. Sommer avait conservé son spécimen dans une boite de Piétri pour étudier ses habitudes de reproduction. Téléphonie cellulaire : catastrophe sanitaire à l’horizon ? […]

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