OGM : de l’impossible débat à un embryon de consensus

Même sans illusion, il fallait essayer… Après l’embrasement médiatique provoqué par la publication de l’expérience de Gilles-Eric Séralini, le 19 septembre 2012, les avis donnés par les agences de sécurité sanitaire et les prises de position des académies, comme celles de multiples pétitionnaires, comment ne pas tenter une confrontation ? Rassembler les protagonistes sur un même plateau pour un débat sur France Culture, ce n’était que la suite logique de deux mois d’affrontements indirects.

Le résultat, vendredi 16 novembre entre 14 et 15 heures dans Science Publique, n’a pas dérogé à la règle qui prédomine, en France, depuis la conférence de citoyens sur “l’utilisation des OGM dans l’agriculture et l’alimentation”, précédée par le rapport de Jean-Yves Le Déaut, qui date de… juin 1998. Ni le “débat public sur les OGM” de l’an 2000, ni le débat public sur “les OGM et les essais en champ” de 2002, n’ont changé la donne. Un dialogue dépassionné reste impossible. Pourtant, et l’émission d’aujourd’hui le confirme, une porte de sortie par le haut existe. Mais aucun des deux camps n’est prêt à faire les concessions nécessaires pour la franchir sereinement. Pour cela, il faudrait réunir trois conditions.

1°/ Tirer des leçons positives de l’expérience Séralini

Rationnellement, il est difficile d’admettre que les tumeurs révélées par l’expérience sur des rats pendant 2 ans menée par Gilles-Eric Séralini soient une preuve scientifiquement indiscutable de la dangerosité pour la santé humaine de l’OGM NK603 et du Roundup de Monsanto. Néanmoins, l’opération médiatique réalisée par le biologiste, malgré le regrettable dérapage du Nouvel Observateur titrant “Oui, les OGM sont des poisons”, est une réussite. Incontestable elle. Avec le CRIIGEN et un budget de 3,2 millions d’euros, Gilles-Eric Séralini a atteint ce qui, à l’évidence, était son principal objectif : révéler les failles des procédures actuelles d’évaluation des OGM. Celles-ci sont, au moins, au nombre de trois :
–  Pas d’essais à long terme (2 ans, soit la vie entière des rats)
–  Pas d’indépendance des laboratoires réalisant les essais limités à 90 jours
–  Pas de transparence dans la publication des résultats de ces essais

2°/ Admettre les erreurs du passé

Qu’il s’agisse de la Commission du génie biomoléculaire CGB), créée en 1986, de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), créée en 1999, de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) créée en 2002 ou de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement du travail (Anses), créée en 2010 par la fusion de l’AFSSA et de l’AFSSET, aucun de ces multiples organismes n’est parvenu à imposer des règles palliant ces trois défauts.

Les acteurs d’aujourd’hui, Gilles-Eric Séralini ou de Gérard Pascal, ancien directeur scientifique de l’INRA, ont contribué aux travaux de ces plusieurs de ces institutions. Des débats houleux s’y sont déroulés. Mais ils n’ont jamais abouti à l’établissement de normes d’essais satisfaisantes. D’un coté, parfois, leurs avis ont été balayés pour des raisons politiques. L’influence des partis écologistes a conduit à des interdictions d’OGM en France contre l’avis de la CGB, par exemple. De l’autre, l’influence des industriels, Monsanto en tête, même si elle est beaucoup moins apparente, n’en est pas moins certaine.

D’où un blocage total qui a conduit à la situation actuelle. Les scientifiques luttent contre le rejet irrationnel des écologistes qui les poussent à avoir tendance à minimiser les risques. Les opposants aux OGM exploitent cette tendance pour démontrer que les experts ne sont pas indépendants et qu’ils agissent pour le compte des industriels. Chacun s’enferme dans une position caricaturale. Les attaques personnelles fusent et bloquent la possibilité d’un débat serein et rationnel. Toute remise en cause des procédures se traduit par une accusation ad hominem.

3°/ Établir de nouvelles procédures d’évaluation des OGM

Dès le 19 septembre, dans la précipitation qui a suivi la publication de l’expérience Séralini, trois ministères (écologie, santé, agriculture) ont fait la déclaration suivante : “ Le Gouvernement demande aux autorités européennes de renforcer dans les meilleurs délais et de façon significative l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux”. Si elle a pu sembler bien prématurée ce jour là et si l’avis de l’ANSES a invalidé, ensuite, l’expérience Séralini, cette réaction apparaît aujourd’hui comme, paradoxalement,  judicieuse mais insuffisante.

Judicieuse parce que les différentes conclusions de l’affaire, dans les deux camps, convergent effectivement vers une remise en cause de l’évaluation des OGM. Insuffisante parce que l’amélioration qui apparaît indispensable doit être nettement plus que significative. Radicale serait un terme plus juste. De plus, les autorités européennes ne sont pas seules concernées. La France l’est aussi. Et elle pourrait même jouer un rôle moteur dans cette révision en profondeur de l’évaluation des OGM.

Un consensus apparaît

Ce n’est pas le moindre des résultats de l”affaire Séralini que de faire poindre un consensus entre les deux camps. Qu’il s’agisse de l’Anses dans son avis sur l’expérience, du HCB ou d’une personnalité comme Gérard Pascal, tout le monde admet que l’absence d’études à long terme probante n’est pas acceptable. Les hommes consomment des OGM pendant toute leur vie. Pourquoi les expériences sur les rats se limiteraient à trois mois, soit le huitième de leur durée de vie ?

Si un accord existe sur ce point,  il reste à établir des procédures permettant d’apporter une réponse à la question, tout en garantissant l’indépendance des études. L’Anses semble l’organisme le mieux placé pour prendre en charge ces études. Il dispose des laboratoires nécessaires. Il ne lui manque que le financement. Or, la règle actuelle veut que ce soient les industriels qui financent ces études. Aujourd’hui, ce sont eux qui pilotent les expériences et choisissent soit de les réaliser dans leurs propres laboratoires, soit de les confier à des laboratoires privés. Il suffit donc que les industriels donnent ce même argent à l’Anses… Cela paraît presque trop simple. En fait, une difficulté subsiste.

Combien d’évaluations sont nécessaires ?

L’étude de Gilles-Eric Séralini a coûté 3,2 millions d’euros. Pour qu’elle soit scientifiquement recevable, il aurait fallu multiplier le nombre de rats par 5, voire par 7 ou 8. Cela porterait le coût de l’étude à environ 10 millions d’euros. Le résultat permettrait d’évaluer l’impact d’une variété de mais transgénique, le NK603, et d’un insecticide, le Roundup. Mais il existe des dizaines de variétés de plantes génétiquement modifiées. Faut-il les évaluer toutes de la même façon ? Certaines études sur une variété donnent-elles des informations valables sur les autres ? Comment réduire le coût de ces études à des sommes acceptables ? C’est la question que posent certains scientifiques plutôt pro-OGM. Et ce sont aux scientifiques d’apporter une réponse.

Cette interrogation sur la viabilité économique des études d’évaluation des OGM ne concerne néanmoins pas la société elle-même. Ce n’est un problème que pour ceux qui devront financer les études, c’est à dire les industriels… Si le financement des études déclarées nécessaires par les scientifiques s’avère trop élevé pour que les OGM restent économiquement rentables, cela signifiera simplement que ces produits sont inadaptés à la commercialisation.

Avons-nous vraiment besoin des OGM ?

Dans les coulisses de Science Publique, après l’émission, l’un des invités admettait que l’intérêt des OGM pour la société n’est pas clairement établi. Les perspectives affichées par les semenciers telles que la culture sous des climats difficiles, avec des quantités d’eau réduite ou de mauvaise qualité (saumâtres) sont restées à l’état de… perspectives et de promesses pour le futur. Idem pour le discours sur le fait de pouvoir nourrir 9 milliards d’habitants. Pour l’instant, les OGM rapportent… de l’argent aux industriels. C’est la seule certitude. Les gains sur les rendements et sur l’économie des exploitations agricoles sont largement contestés.

Ainsi, aujourd’hui, la réponse à la question simple : Avons-nous vraiment besoin des OGM ? est clairement : Non, pas vraiment.  Pour les accepter, le moins que l’on puisse attendre est d’obtenir une raisonnable certitude de leur absence d’effets néfastes sur la santé humaine. Si l’établissement de cette preuve revient trop cher, tant pis. Nous nous passerons des OGM. Et le débat sera, enfin, clôt.

Michel Alberganti

(Ré)écoutez l’émission Science Publique que j’ai animée le 16 novembre 2012 sur France Culture :

Faut-il considérer les OGM comme des poisons ?16.11.2012 – Science publique
Faut-il considérer les OGM comme des poisons ?
57 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lectureRecevoir l'émission sur mon mobilevideo

Après la publication par le Nouvel Observateur d’un titre alarmiste le 19 septembre, l’étude réalisée par Gilles Eric Séralini  sur des rats alimentés avec des OGM et de l’insecticide a fait grand bruit. Finalement, les experts ont invalidé ces résultats. Mais le doute est désormais jeté sur l’ensemble des études réalisées sur les OGM. Comment la science sort de cette manipulation ? …
Invités :
Gérard Pascal
, ancien directeur scientifique à l’INRA et expert en sécurité sanitaire des aliments à l’OMS
Jean-Christophe Pagès
, professeur et praticien hospitalier à la Faculté de médecine de Tours et président du comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies
Gilles-Eric Séralini
, professeur de Biologie Moléculaire Université de Caen – Laboratoire de Biochimie et Biologie Moléculaire
Joël Spiroux de Vendomois, président du Comité de Recherche et d’Information Indépendant sur le Génie Génétique, le CRIIGEN

 

 

5 commentaires pour “OGM : de l’impossible débat à un embryon de consensus”

  1. […] OGM : de l’impossible débat à un embryon de consensus From blog.slate.fr – Today, 10:14 AM Même sans illusion, il fallait essayer… Après l'embrasement médiatique provoqué par la publication de l'expérience de Gilles-Eric Séralini, le 19 septembre 2012, les avis donnés par les agences de sécurité sanitaire et les prises de positi … […]

  2. Catherine Geslain-Lanéelle, directrice de l’Efsa, n’est pas de votre prétendu consensus, parfaitement imaginaire.

    Voir : http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/11/14/19434-pas-risque-sanitaire-avec-ogm-autorises-europe

    Une femme qui a les pieds sur terre. Comme du temps ou je l’ai vu officier à la tête de la DGAL, au Ministère de l’agriculture. Un grand esprit, un haut fonctionnaire de grande classe, qui ne doit rien à la parité !

  3. J’ai un manque de foi total dans le “pouvoir” . La série de scan-
    -dales -amiante pour n’en citer qu’un- indique malheureusement le
    degré de pourriture de nos soi-disant “autorités” . Dés lors le
    “dialogue” est impossible ……
    En matière d’OGM il y a un autre problème dont il est
    rarement fait mention : si ceux-ci devaient l’emporter , quelques
    multinationales s’adjugeraient le monopole des semences …….

  4. – Pas d’essais à long terme (2 ans, soit la vie entière des rats)
    – Pas d’indépendance des laboratoires réalisant les essais limités à 90 jours
    – Pas de transparence dans la publication des résultats de ces essais

    Triplement faux:
    – il existe de nombreuse études à long terme et même sur plusieurs générations/
    – les laboratoires qui font les tests standards sont indépendants, ils doivent respecter les contraintes BPL et peuvent être inspecter par les agences sanitaires quand elles le veulent.
    – Là encore totalement faux, voir la réponse de l’EFSA posté dans un commentaire précédent.

  5. Le Roundup n’est pas comme vous l’écrivez un insecticide mais un herbicide
    Ceci en dit long…

« »