Procès de L’Aquila : une confusion dans les responsabilités ?

Le 6 avril 2009, un séisme de magnitude 6,3 a fait 309 victimes parmi la population de cette ville italienne d’Aquila dans les Abruzzes.  Un article rédigé par le sismologue Max Wyss, directeur de l’agence mondiale de suivi planétaire et de réduction du risque sismique (WAPMERR), installée à Genève, et publié dans la revue Earth le 26 octobre 2012 éclaire la communication officielle qui a précédé le drame. Elle jette également un nouveau jour sur la sentence prononcée le 22 octobre 2012 par le juge Marco Billi qui a condamné 7 personnes à  6 ans de prison ferme et 7,8 millions d’euros de dommages et intérêts à verser solidairement aux parties civiles. Après la première réaction que peut susciter un tel verdict, il est maintenant possible de préciser les rôles des 7 condamnés dans ce drame. Pour cela, il est important de préciser les fonctions de chacun des “sept de L’Aquila”, comme ils sont désormais appelés :

– Franco Barberi : volcanologue ayant une longue expérience en protection civile

– Enzo Boschi : alors vice-président de l’Institut national de géophysique et de volcanologie (INGV)

– Gian Michele Calvi : président du Centre européen pour la recherche et la formation sur l’ingénierie des tremblements de terre à Pavie

– Bernardo De Bernardinis : alors directeur adjoint du Département de la protection civile, ingénieur en mécanique des fluides

– Mauro Dolce : chef du bureau des risques sismiques au Département national de la protection civile à Rome.

– Claudio Eva : professeur à l’université de Gênes.

– Giulio Selvaggi : directeur de l’INGV

Ces sept personnes faisaient partie de la Commission italienne des risques majeurs chargée d’évaluer les risques d’un séisme important dans la région de L’Aquila. Cette évaluation était motivée par une succession de centaines de séisme de faibles magnitudes survenus dans cette zone au cours du mois de mars 2009. Toute la question était de déterminer si cette série de secousses pouvait annoncer un séisme majeur ou non. La Commission, dirigée par Franco Barberi, comprenait trois véritables sismologues : Enzo Boschi, Claudio Eva et Giulio Selvaggi qui n’était pas un membre effectif de la Commission mais devait y présenter des données sismologiques.

L’article de Max Wyss retrace la chronologie des faits qui se sont déroulé le 31 mars 2009, quelques jours avant le séisme du 6 avril. Pour cela, il distingue trois temps.

Premier acte: les déclarations avant la réunion de la Commission des risques majeurs

Au sein des sept de L’Aquila, Bernardo De Bernardinis joue un rôle particulier. Une heure avant la réunion du 31 mars, il répond à une interview d’une chaîne de télévision locale affirmant que “la situation sismique de L’Aquila est certainement normale et ne présente pas de danger”. Et il aggrave encore son diagnostic en déclarant : “La communauté scientifique continue de m’assurer que, au contraire, la situation est favorable en raison de la décharge continue d’énergie”. Il fait ainsi référence aux centaines de tremblements de terre mineurs du mois de mars. Pour lui, ces phénomènes réduisent le risque d’un séisme majeur en raison de l’affaiblissement des contraintes sismiques qu’ils engendrent.

Pour Max Wyss, cette affirmation est “scientifiquement inexacte”. Le sismologue indique en effet qu’il existe une énorme différence d’énergie entre les petits tremblement de terre et les séismes majeurs. “La déclaration de De Bernardinis reviendrait à dire, à une moindre échelle, que le fait de retirer quelques tonnes d’eau dans la mer pourrait réduire le risque d’un tsunami”, explique-t-il. Pourtant, les propos de Bernardo De Bernardinis sont apparus comme essentiels lors du procès.

Un article paru dans la revue Nature du 14 septembre 2011 témoigne de l’impact de ces déclarations rassurantes sur la population. Elles engendrent alors un énorme soulagement: “Plus il y a de secousses, moins il y a de danger”. Cette assurance va jusqu’à altérer les habitudes locales lors des tremblements de terre. Les habitants de L’Aquila avait en effet coutume de sortir de leur maison pendant les secousses et même, parfois, de passer la nuit dehors. En raison des propos de Bernardo De Bernardinis, certains ont décidé de rester à l’intérieur des maisons ce qui a pu se révéler fatal le 6 avril.

Deuxième acte : la réunion de la Commission des risques majeurs du 31 mars 2009

Pendant que Bernardo De Bernardinis faisait ces déclarations, les trois sismologues devant participer à la réunion de la Commission des risques majeurs étaient… en route pour s’y rendre. Lorsqu’ils sont arrivés, il ont participé à la réunion, sans doute sans connaître les déclarations précédentes. La réunion dura exactement une heure, selon Max Wyss.  Enzo Boschi y déclare : “Il est peu probable qu’un séisme tel que celui de 1703 se produise à court terme, mais la possibilité ne peut être totalement écartée”.  En 1703, un séisme majeur avait tué 3000 personnes à L’Aquila. Claudio Eva, de son coté, déclare que “dans la région sismiquement active de L’Aquila, il n’est pas possible d’affirmer qu’un tremblement de terre ne va pas se produire”. Quant à Giulio Selvaggi, il précise que “bien que certains récents tremblements de terre aient été précédés par de petites secousses, il est également exact que, parfois, de telles séquences n’ont pas conduit à un important séisme”.

Tout est dit. Pour les sismologues, il est impossible à la fois d’être certain qu’un séisme majeur va se produire et d’écarter un tel risque. Cela signifie clairement que la science ne peut se prononcer clairement dans cette situation. Autrement dit, le risque ne peut, en aucun cas, être considéré comme nul.

Troisième acte : les déclarations après cette réunion

Après cette courte réunion de la Commission des risques majeurs, une conférence de presse se tient à L’Aquila. Avec les sismologues ? Non. Ils n’y ont pas été conviés et sont déjà repartis vers Rome. Ils ne sont même pas au courant…  Il semble que Bernardo De Bernardinis n’ait pas souhaité qu’ils soient présents. Il n’a pas, non plus, corrigé ses propos trop optimistes lors de cette conférence de presse. Alors même qu’il venait d’entendre l’avis des sismologues.

Max Wyss note que la cour qui a prononcé le verdict du 22 octobre n’a fait aucune distinction entre les accusés. Il semble pourtant que leurs rôles ne soient pas du tout identiques dans cette affaire.

Michel Alberganti

Un commentaire pour “Procès de L’Aquila : une confusion dans les responsabilités ?”

  1. La justice italienne a, semble-t-il, décidé de passer outre les doutes et incertitudes de la science pour trancher sans complexe.
    Le 12 octobre, la cour de cassation de Brescia a reconnu que la maladie d’Innocente Marcolini, un financier d’une soixantaine d’années, était due à l’utilisation de son portable de façon intensive qui lui aurait provoqué une tumeur au cerveau.
    Ce sujet est aujourd’hui hautement controversé et aucune étude, y compris celle d’Interphone n’a jamais vraiment démontré le moindre lien direct entre l’usage du téléphone portable et le cancer.
    Le professeur André Aurengo, dont les prises de positions sont souvent attaquées par certaines associations militantes, affirmait en janvier 2012 sur le site de l’Afis, que “les données disponibles sont de nature à rassurer l’immense majorité des utilisateurs, d’autant qu’à ce jour aucune hypothèse susceptible d’expliquer comment des champs électromagnétiques dans cette gamme de fréquences pourraient être cancérigènes n’a été confirmée et que les portables modernes 3G émettent 100 fois moins que les GSM qui étaient l’objet d’Interphone“.
    Il rappelait que l’usage du téléphone portable au volant, pratique qu’on peut massivement constatée de nos jours chez les usagers, fait par contre de nombreuses victimes.
    L’argument est contestable et ne justifie en aucun cas que l’on ne poursuive pas les études sur les risques de l’utilisation intensive du téléphone portable.
    Le fait que nous risquions beaucoup plus de mourir de maladies cardiovasculaires ou du cancer ne justifie en aucun cas l’arrêt des recherches sur les maladies rares.
    Aujourd’hui il y a plus de 6 milliards d’usagers du téléphone portable et le seuil d’un milliard de smartphone a été franchi récemment.
    Ces chiffres semblent indiquer que les risques de son usage même intensif ne sont pas énormes mais il justifie aussi que l’on pour-suive avec ténacité les recherches.
    Les messages ambigus de prévoyance émis par les autorités ne sont peut-être pas justifiés du point de vue scientifique mais peuvent peut-être inciter à un usage plus mesuré du portable.
    Les jeunes générations, accrocs de SMS, semblent préférer de plus en plus un pianotage fébrile et continu sur leur téléphone portable à une communication directe et physique avec leurs interlocuteurs.
    Quelles seront, à long terme, les conséquences, peut-être pas sanitaires mais à coup sûr sociétales, de cette déferlante de désynchronisation et de dématérialisation des relations humaines ?

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