L’image que l’on se fait d’une centrale nucléaire et de ce qui s’y passe en prend un coup lorsque l’on apprend les circonstances qui ont conduit à une fuite d’environ 20 m3 d’eau radioactive dans le bâtiment d’un réacteur de la centrale de Flamanville. Mise en service en 1987 dans la Manche, cette dernière comprend deux réacteurs de 1300 MW chacun. Ces dernières années, Flamanville était surtout connue pour les retards dans la construction du controversé réacteur EPR de nouvelle génération.
Contrairement à l’impression que cela donne, la scène ne se passe pas dans le local à chaudière d’un immeuble quelconque mais bien dans le bâtiment de l’un des deux réacteurs de la centrale. Mercredi 24 octobre, dans la nuit, une intervention de maintenance est décidée dans la centrale de Flamanville sur un circuit d’eau connecté au circuit primaire du réacteur N°1. Ce circuit n’est autre que celui qui relie le réacteur au générateur de la vapeur qui entraîne les turbines qui produisent du courant électrique.
Le réacteur N°1 est alors en “arrêt à chaud”. Cela signifie qu’après son arrêt à froid du mois de juillet pour les opérations de rechargement de combustible, il a été progressivement remis en activité jusqu’à atteindre cet état dit d’arrêt à chaud qui précède la remise en service effective avec production d’électricité. Mercredi, donc, le circuit primaire se trouvait dans les conditions normales de fonctionnement : 150 bars de pression et 300°C de température pour l’eau du circuit primaire.
L’opération de maintenance était motivée par une baisse de débit dans un petit tuyau de 60 mm monté en parallèle (dérivation) sur l’un des quatre gros tuyaux formant les boucles qui relient le coeur du réacteur au générateur de vapeur (circuit en rouge dans le schéma ci-dessus). Ce petit tuyau supporte des sondes de températures. Il capte une petite partie du circuit de refroidissement et il en réduit la pression grâce à un diaphragme, une pièce percée de trous qui obstrue partiellement le passage de l’eau. Les opérateurs de la centrale, ayant noté une baisse anormale du débit d’eau dans ce tuyau à sondes, dépêchent une équipe pour démonter le système.
Les techniciens se rendent sur place. Ils isolent le tuyau du circuit primaire à l’aide de vannes, démontent l’ensemble et découvrent que le diaphragme est obstrué par, entre autres, des copeaux métalliques. Thierry Charles, de l’IRSN, indique qu’il s’agit probablement de copeaux provenant d’une réparation précédente. Pour remplacer une sonde thermique, c’est à dire un thermomètre, les techniciens auraient réusiné un pas de vis et… ils auraient laissé tomber les copeaux dans le tuyau… L’équipe effectue le nettoyage oublié par leurs collègues et referme le tout.
Il leur est alors demandé d’en profiter pour vérifier les 3 autres tuyaux de dérivation se trouvant sur les 3 autres boucles du circuit primaire. C’est alors qu’ils découvrent, sur l’un des trois tuyaux, une vanne fuyarde… Ils parviennent à l’isoler et à la remplacer. Mais lorsqu’ils remettent le circuit en fonctionnement, c’est à dire lorsque l’eau sous pression revient dans le petit tuyau, un hublot en verre permettant d’en voir l’intérieur, une verrine en langage technique, se casse. Aussitôt, c’est la fuite.
Pas moins de 7 m3/h d’eau radioactive à 300°C se répandent sur le sol du bâtiment réacteur N°1. L’accident sur produit à 23h15 le 24 octobre, selon le communiqué de l’ASN. Et la fuite ne sera arrêtée qu’à 5 heures au matin du 25 octobre. Soit près de 6 heures de fuite. A 7 m3/h, cela ferait environ 42 m3… L’IRSN avance néanmoins seulement 20 m3, ce qui indique que le débit s’est progressivement réduit. En effet, dès le début de la fuite, les opérateurs de la centrale ont décidé de déclencher la procédure d’arrêt à froid. Cela signifie que le coeur du réacteur est neutralisé par les barres de contrôle qui inhibent la réaction nucléaire. Progressivement, la pression et la température du circuit primaire baissent. A la fin de la procédure, le circuit se trouve à une température de 60°C et une pression d’environ 2 bars.
Par chance, aucun technicien ne se trouvait dans le bâtiment réacteur au moment du déclenchement de la fuite. Il reste néanmoins plusieurs zones d’ombres. D’abord, pour expliquer pourquoi la pression est montée jusqu’à faire exploser ce hublot. Ensuite, pour déterminer les responsabilités de cette erreur de manœuvre qui aurait pu avoir des conséquences graves en cas de présence humaine. L’équipe de maintenance provenait-elle d’EDF ou d’un sous-traitant ? EDF devra donner des explications. Cela tombe bien, c’est l’une de ses spécialités…
Michel Alberganti
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