Maths : le problème de l’urinoir

Le 19 novembre, c’est la journée mondiale des toilettes. L’occasion ou jamais de citer une étude où les mathématiques font irruption dans l’intimité des WC.

Les articles publiés dans les revues scientifiques obéissent tous, à quelques variantes près, aux mêmes règles de présentation. Sous le titre et le nom des signataires, on trouve un résumé, puis l’article proprement dit et, enfin, les références. En 2010, dans la revue Lecture Notes in Computer Science, est parue une étude au titre mystérieux (surtout si l’on considère que ce journal traite essentiellement de science informatique) : “Le problème de l’urinoir”. La lecture du résumé a de quoi faire sourire… et un peu réfléchir, ce qui est le propre de la science improbable : “Un homme entre dans des toilettes pour messieurs et remarque “n” urinoirs libres. Lequel devrait-il choisir pour maximiser ses chances de conserver son intimité, c’est-à-dire de minimiser les chances que quelqu’un vienne occuper un urinoir voisin du sien ? Dans cet article, nous tentons de répondre à cette question en considérant une variété de comportements habituels dans les toilettes pour hommes.”

Pour les lecteurs de ce blog qui sont des lectrices et n’ont donc pas forcément fréquenté les lieux d’aisances en commun, le problème de l’urinoir est un problème réel. Le relâchement minimum nécessaire à la miction n’est pas toujours évident à atteindre quand un congénère vient se débraguetter à 20 centimètres de vous ou lorsque vous sentez sur vous le regard d’autres hommes à la vessie pleine attendant, en dansant d’un pied sur l’autre, que vous ayez fini de faire chanter la porcelaine. C’est généralement à ce moment que le blocage survient comme l’illustre une scène d’anthologie (ou presque) du film Mon nom est Personne :

 

Il existe deux solutions pour préserver un minimum d’intimité dans les pissotières en ligne. La première consiste à écarter les jambes de manière à occuper également les urinoirs de droite et de gauche.

Si elle évite également à ces messieurs de mouiller leurs chaussures, la position est néanmoins assez inconfortable et ne permet pas forcément la décontraction des sphincters… La seconde solution, qui est explorée dans l’article de Lecture Notes in Computer Science, consiste à sélectionner son urinoir de façon à réduire au maximum la probabilité pour qu’un nouvel arrivant vienne se camper à côté de vous. L’intuition dicte en général de se positionner à l’un des bouts de la rangée mais est-ce justifié mathématiquement parlant ? Tout dépend du comportement des autres, expliquent les auteurs. Ces spécialistes des algorithmes se sont donc amusés à traduire ces comportements en formules. On trouve ainsi le paresseux, qui vient vider sa vessie dans l’urinoir libre le plus près de la porte, le coopératif, qui calcule pour les autres et tâchera de choisir une place permettant au maximum d’arrivants ultérieurs d’avoir leur intimité, le distant, qui se débrouillera pour être le plus loin des autres, et l’aléatoire, qui se mettra n’importe où pourvu que les urinoirs de droite et de gauche soient vides.

Evidemment, le problème dépend d’abord du nombre “n” de faïences et aussi de savoir si “n” est pair ou pas. En effet, la “saturation” de 5 ou de 6 urinoirs est la même : 3 bonshommes suffisent dans les deux cas pour que le suivant à entrer dans les toilettes ait au moins un voisin, quelle que soit sa stratégie. Imaginons une ligne d’urinoirs avec 6 emplacements, le numéro 1 étant le plus loin de la porte et le 6 le plus près. Vous êtes le premier à entrer. Si vous vous installez au 1 et si l’homme qui vous suit est un paresseux ou un distant, il se mettra au 6. En revanche, un coopératif pourra se poser devant le 3, le 4, le 5 ou le 6 (quatre choix possibles). S’il n’y a que 5 places, le coopératif n’aura plus que deux choix (le 3 ou le 5), car se mettre au 4 impliquerait que le troisième homme serait obligé de venir uriner près d’un des deux occupants des lieux.

La question se complique si, comme c’est souvent le cas, une ou plusieurs personnes se trouvent déjà aux toilettes quand vous y pénétrez. A lire l’étude, c’est tout juste s’il ne faut pas un ordinateur pour calculer quelle sera la place où vous avez le maximum de chances d’être le plus longtemps sans voisin. Au terme de l’article, émaillé de quelques formules mathématiques, vous êtes soulagé (si je puis dire) d’apprendre que la stratégie instinctive – à savoir se mettre devant l’urinoir le plus loin de la porte si son voisin est libre – est la plus efficace la plupart du temps. En conclusion, les auteurs soulignent que les variantes du problème sont aussi nombreuses qu’insoupçonnées et ils encouragent leurs lecteurs à y réfléchir à chaque fois qu’ils devront se rendre dans ces lieux, sur une aire d’autoroute ou dans un stade.

Pour terminer, que personne ne pense qu’il s’agit là d’un problème exclusivement masculin. Avec l’arrivée de la version féminine de l’urinoir, non seulement ces dames ne feront plus la queue pour aller aux toilettes mais elles donneront du travail aux mathématiciens…

Pierre Barthélémy

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