Quand la canicule tuera chaque année

Il y a huit ans, en juin 2003, commençait un long épisode de canicule en Europe de l’ouest, qui allait culminer pendant la première quinzaine d’août. Entre juin et septembre, ce sont environ 70 000 décès supplémentaires par rapport à la normale qui allaient être comptabilisés sur le continent, les pays les plus touchés étant l’Espagne, la France et l’Italie ainsi que, dans une moindre mesure, l’Allemagne. A l’époque, cette vague de chaleur exceptionnelle (voir la carte ci-dessous qui montre les anomalies de température du 20 juillet au 20 août 2003) n’a pas été mise sur le compte du réchauffement climatique mais présentée comme un avant-goût de ce qui deviendra la norme d’ici à la fin du siècle, en raison de la hausse attendue des températures. L’été 2003 correspond en effet aux étés simulés par les modèles des climatologues.

Comment ces futures canicules à répétition vont-elles se traduire sur le plan de la mortalité ? C’est la question à laquelle a voulu répondre une étude publiée mardi 21 juin (jour de l’été !) dans la revue Nature Communications. Ses auteurs, espagnols, français et suisse, ont fait le lien entre température, humidité et décès dans près de 200 régions européennes regroupant plus de 400 millions d’habitants. Ils ont ensuite estimé l’évolution de la mortalité d’ici à 2100 en parallèle avec le réchauffement anticipé par les modèles des climatologues. En temps normal, dans les pays européens, la mortalité est la plus importante en hiver, avec en moyenne 955 décès par mois et par million d’habitants, contre 765 décès par mois et par million d’habitants en été. La saison froide est marquée par des problèmes d’hypothermie, des maladies comme la grippe et la pneumonie, mais aussi plus d’hypertension et de thromboses. En été, comme la canicule de 2003 l’a dramatiquement souligné, les personnes âgées sont particulièrement fragiles vis-à-vis des vagues de chaleur (problèmes de régulation thermique, cardiaques, respiratoires) surtout si elles vivent en ville, en raison de la pollution et du phénomène d’îlot de chaleur urbain.

En décalant le spectre des températures vers le haut, on pourrait s’attendre à un effet principalement bénéfique, avec une réduction marquée des morts hivernales due à la diminution du nombre de jours froids. Ce sera en partie le cas puisque la mortalité hivernale passera en 2100 à 860 décès par mois et par million d’habitants. Tout le problème, c’est que, si aucune action particulière n’est entreprise pour combattre les canicules, la mortalité estivale grimpera beaucoup plus vite et atteindra 970 décès par mois et par million d’habitants au cours de la dernière décennie du siècle. En effet, la démographie de l’Europe nous dit que c’est le continent qui a la population la plus âgée, avec un âge médian de près de 40 ans, chiffre qui passera à 47 ans en 2050 et on se souvient qu’en France, lors de la canicule de 2003, 60 % des personnes décédées avaient 75 ans et davantage. De plus, une large proportion des Européens vit en ville, où les effets des vagues de chaleur sont accentués. Si la surmortalité due à la chaleur est de 205 décès par mois et par million d’habitants, on pourrait, pour un pays comme la France qui compte 65 millions d’âmes, avoir plus de 13 000 décès par mois de canicule, soit peu ou prou ce que nous avons connu en 2003.

Que l’été, aux alentours de 2060-2070, supplante l’hiver comme saison la plus meurtrière ne sera pas anodin : l’espérance de vie baissera de 3 à 4 mois au cours du dernier tiers du siècle. Les auteurs de l’étude soulignent que cela ne sera pas le cas si les pays mettent en place des systèmes d’alerte, notamment afin de prendre soin des personnes âgées. Dans l’hypothèse la plus optimiste, l’espérance de vie européenne, au lieu de chuter, pourrait augmenter d’un an et demi d’ici à la fin du siècle.

Mais, au lieu d’essayer de traiter les symptômes, il faudrait peut-être aussi s’occuper des causes, c’est-à-dire les causes du réchauffement climatique. L’étude se base sur le scénario “prévisible” d’augmentation des températures déterminé par plusieurs modèles régionaux. Or, le risque n’est pas nul que ce scénario dérape et que le réchauffement s’emballe, par exemple si le dioxyde de carbone et le méthane contenus dans le sol (tourbières, pergélisol) sont brusquement relâchés dans l’atmosphère. Avec de pareilles hypothèses, on arrive vite à des hausses de température de +7°C, voire davantage si l’on se place à un horizon plus lointain que 2100. Dans ces conditions, certaines régions pourraient tout simplement devenir inhabitables pour l’homme qui serait incapable d’y évacuer sa propre chaleur corporelle… La peau ne peut plus jouer ce rôle quand la température extérieure dépasse durablement les 35°C. L’adaptabilité a ses limites.

Pierre Barthélémy

Photo: Des femmes se protègent du soleil en juillet 2009 à Tirana, lors d’une canicule en Albanie. REUTERS/Arben Celi

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