Ces ministres nuls en maths

En rentrant chez eux après la classe hier, des milliers d’élèves de CM2 et, probablement, de collège, ont eu droit à un exercice de mathématiques supplémentaire, imposé par leurs parents : « 10 objets identiques coûtent 22 euros. Combien coûtent 15 de ces objets ? » Ceux qui ont répondu correctement, à savoir 33 euros, vont rater leur vie. Les autres ont toutes leurs chances de devenir ministres car s’il est un point commun à plusieurs des membres du gouvernement, c’est bien la nullité en maths.

A tout seigneur tout honneur, c’est le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, qui vient d’illustrer brillamment cette triste affirmation. Invité de RMC hier, il a montré qu’il était incapable de faire une règle de trois pour répondre à la question citée plus haut, extraite du cahier d’évaluation des élèves de CM2, qui lui était posée par Jean-Jacques Bourdin. Le même Luc Chatel qui a récemment préconisé de faire faire 15 à 20 minutes de calcul mental chaque jour aux élèves de primaire, a répondu 16,50 euros (au lieu de 33). Un grand moment de solitude à regarder ici :


Passé la minute de rigolade, on tente de retracer le cheminement mental qui a pu conduire le ministre à ce nombre. On s’étonne en effet que, dans l’esprit d’un homme a priori éduqué, 15 objets puissent valoir moins que 10. Le fait que 16,50 soit la moitié de 33 nous donne cependant un indice : Luc Chatel, tout imprégné de la nouvelle doctrine gouvernementale qui oblige à ne plus remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, a là aussi tenté d’avoir plus avec moins. On pourrait essayer de trouver des excuses au ministre de l’éducation dans son curriculum vitae. En effet, comme nous l’apprend sa fiche Wikipedia, Luc Chatel est né en 1964. Il s’est donc retrouvé à l’école primaire au début des années 1970, à une époque où l’expérience des maths modernes avait supprimé la bonne vieille règle de trois des manuels scolaires, remplacée par des tableaux de proportionnalité et le fameux produit en croix. Peut-être le ministre a-t-il fait partie de ces nombreux enfants perturbés par les notions assez abstraites des maths modernes… Cela dit, ayant obtenu par la suite une maîtrise des sciences de gestion, il aurait dû finir par maîtriser cette technique mathématique élémentaire.

Son prédécesseur au ministère de l’éducation nationale, Xavier Darcos, n’a, lui, pas l’excuse des maths modernes puisqu’il est né en 1947, mais il n’est pas plus à l’aise avec les enseignements de base. Lors d’une mémorable participation au Grand Journal de Canal Plus, il a non seulement été incapable de répondre à une question sur le passé antérieur (alors qu’il est agrégé de lettres classiques…) mais il a aussi séché sur la règle de trois, mettant son ignorance sur le dos des calculatrices. Ce qui est stupide car si les calculettes réalisent très bien les opérations, elles ne peuvent effectuer le raisonnement d’une règle de trois… Voici la vidéo de cet examen complètement raté :

A l’intention des ministres actuels ou des nombreux candidats à un maroquin, voici donc un petit rappel sur la règle de trois. Reprenons la question posée à Luc Chatel : « 10 objets identiques coûtent 22 euros. Combien coûtent 15 de ces objets ? » La règle de trois, connue au moins depuis Euclide, dit que pour obtenir le nombre manquant, il faut multiplier 15 par 22 et diviser le tout par 10, ce qui fait 33. Une autre façon de faire, qui revient exactement au même mais peut mieux se comprendre, consiste à réduire à l’unité, c’est-à-dire à déterminer le prix d’un seul objet (en divisant 22 par 10, ce qui donne 2,2), puis à le multiplier par le nombre d’objets voulu : 2,2 fois 15 font bien 33. La même opération a été faite mais, dans le second cas, elle a été décomposée dans un ordre bien précis.

Valérie Pécresse, pour sa part, n’est pas ministre de l’éducation nationale, mais de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce ne sont donc pas les notions de mathématiques de CM2 qui lui posent des problèmes, mais celles de… classe de troisième. Il ne s’agit plus de règle de trois mais de pourcentages d’augmentation appliqués à deux montants différents, que la ministre a indûment additionnés, comme la démonstration simple en a été faite par un professeur de mathématiques dans la vidéo ci-dessous. On ne saurait dire si l’erreur de Valérie Pécresse (formation HEC puis ENA…) est due à une déficience du raisonnement ou à de la malhonnêteté intellectuelle, étant donné qu’elle parlait, lors de la campagne des régionales en Ile-de-France, des hausses d’impôts votées par la gauche et qu’il valait sans doute mieux alourdir la barque de ses adversaires politiques…

Les pourcentages ne sont pas non plus le fort d’un autre énarque, Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Celui-ci, sur la foi d’une étude de l’Insee mal lue ou mal comprise, a assuré que les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés”. Comme l’a très bien expliqué Libération, “cette phrase se rapporte à deux chiffres, exposés dans un tableau : 10,7% des enfants d’immigrés sortent du système scolaire sans qualification. Contre 6,1% pour les autres. Presque deux fois plus, donc. Mais, évidemment, cela ne signifie en aucun cas que deux tiers des enfants qui sortent sans qualification du système scolaire sont des fils d’immigrés, pour la raison évidente que les enfants d’immigrés ne représentent que 10 % du panel étudié (1 324 jeunes, sur les quelque 13 000 qui ont répondu à l’enquête)”. Il n’empêche. Claude Guéant a persisté et signé, comme pour illustrer le proverbe latin “Errare humanum est, perseverare diabolicum” (si M. Guéant me lit, il demandera une traduction à M. Darcos).

Si l’on reprend ces chiffres, on s’aperçoit que 10,7 % de 1 324 représentent 142 élèves. Pour obtenir le total des enfants en échec scolaire du panel, il faut d’abord calculer le nombre d’enfants en échec scolaire non issus de l’immigration, soit 6,1 % de 11 676 (13 000 moins 1 324), ce qui fait 712 élèves, auxquels s’ajoutent les 142 vus plus haut : 854 enfants. Quelle fraction de ce nombre représentent les enfants d’immigrés ? Afin que les ministres suivent mon raisonnement, je leur rappelle que le calcul d’un tel pourcentage se fait de la manière suivante : vous prenez l’échantillon particulier, vous le divisez par l’ensemble et multipliez par cent. Ce qui donne 142 divisé par 854 et multiplié par 100, soit 16,6 %. On est très loin des deux tiers.

Nul doute qu’à l’avenir, les membres du gouvernement réviseront leurs règles de trois ou leurs calculs de pourcentage avant de passer à la télé. Je suggère donc aux animateurs qui voudront les piéger de leur proposer un exercice célèbre mêlant les deux, connu sous le nom de paradoxe de la patate. (Non, le paradoxe de la patate ne parle pas des nuls qui deviennent ministres.) Pour un grand repas à l’Elysée, vous achetez 100 kilos de patates (le gouvernement aime les frites et Carla mange pour deux en ce moment). Sur ces 100 kg, 99 sont de l’eau et le kilo restant est la masse de la matière sèche. Mais voilà, vos patates sont un peu trop gorgées de flotte et vous décidez de les faire sécher pour que la proportion d’eau descende d’un point, à 98 %. Une fois ce séchage effectué, quelle est la masse totale des patates ?

La tentation est grande de faire directement une règle de trois (98 fois 100 divisé par 99 = 98,99) mais le raisonnement est erroné parce que la masse totale diminue entre les deux étapes. Intéressons-nous plutôt à ce qui ne change pas, à savoir le kilo de matière sèche. Au départ, il représentait 1% des 100 kilos. Maintenant, il représente 2% de la masse restante. Si ce kilo de matière sèche vaut 2% du total, la règle de trois nous dit que l’eau vaut 98 % fois 1 kg divisé par 2 %, soit 49 kg. Au total, les pommes de terre ne pèsent plus que 50 kg. Aussi étonnant que cela puisse paraître, passer de 99 % d’eau à 98 % a fait perdre la moitié de la masse au tas de patates. Mais peut-être Luc Chatel, avec sa manie de tout diviser par deux, aurait-il trouvé le bon résultat ?

Pierre Barthélémy

 

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