L’expérience n’est pas récente, elle fête même ses quinze ans cette année. Mais elle a toujours de quoi fasciner, notamment ceux qui, comme moi, font profession d’écrire, de vivre des mots. Elle montre leur force ; non pas leur force de persuasion, leur capacité à blesser ou à émouvoir, mais une force brute qui agit, sans qu’on s’en aperçoive, sur le physique. L’expérience en question est nichée dans une longue étude publiée en 1996 par le Journal of Personality and Social Psychology. Signé par trois chercheurs de l’université de New York, cet article veut montrer que l’activation, par les mots, de stéréotypes nichés dans nos cerveaux déclenche inconsciemment des comportements automatiques.
Comme c’est souvent le cas en psychologie, l’expérience cache ce qu’elle veut tester pour que les “cobayes” ne se doutent de rien. Ceux-ci (30 étudiants) sont donc invités, dans le cadre d’un pseudo-exercice de vocabulaire, à construire des phrases à partir de mots fournis par l’expérimentateur. Un groupe-témoin se voit présenter des mots neutres tandis que le groupe véritablement testé travaille avec des mots liés au stéréotype américain des personnes âgées (par exemple : vieux, solitaire, Floride, bingo, gris, courtois, rigide, sage, sentimental, retraité, etc.), tout en évitant soigneusement les mots évoquant la lenteur, pour une raison que l’on verra après. Chaque participant reçoit 30 jeux de 5 mots et doit, pour chacun d’entre eux, rédiger une phrase grammaticalement correcte avec 4 des 5 mots fournis. Une fois qu’il y est parvenu, il prévient l’examinateur qui lui indique le chemin à prendre pour rejoindre l’ascenseur et quitter l’immeuble.
Le “cobaye” pense en avoir terminé, mais c’est en réalité là que la partie la plus passionnante de l’expérience commence… Il ramasse ses affaires, sort de la pièce et parcourt les 9,75 mètres de couloir, sans se douter un seul instant qu’il est chronométré. Une fois arrivé à l’ascenseur, il est rejoint par l’expérimentateur qui lui dévoile le pot-aux-roses. Il lui demande s’il a remarqué que les mots sur lesquels il a travaillé correspondaient tous au stéréotype de la vieillesse et s’il croit que cela a pu influencer son comportement. Dans les deux cas, la réponse est non.
Et pourtant… Les membres du groupe-témoin ont mis en moyenne 7,30 secondes pour parcourir le petit décamètre. Un parcours qui a pris, toujours en moyenne, une seconde de plus pour le groupe testé (8,28 secondes). Un hasard ? Pour en avoir le cœur net, les chercheurs ont reproduit l’expérience avec 30 autres étudiants. Les résultats ont été surprenants de fidélité : 7,23 secondes pour le groupe-témoin, 8,20 secondes pour les “cobayes”. Pour les auteurs de l’étude, ces résultats suggèrent que le comportement physique des individus testés a été influencé de manière inconsciente par leur exposition à des mots liés à un stéréotype particulier. En l’occurrence, le stéréotype de la personne âgée a induit le ralentissement de la marche. Les chercheurs notent : “La manière dont le stéréotype activé influence le comportement dépend du contenu du stéréotype lui-même et non des mots qui ont servi de stimuli. Comme il n’y avait aucune allusion au temps ou à la vitesse dans le matériel, les résultats de l’étude suggèrent que les stimuli d’amorçage ont activé le stéréotype sur les personnes âgées contenu dans la mémoire, et que les participants ont ensuite agi en conformité avec ce stéréotype activé.” En clair, avoir pensé inconsciemment au troisième âge a mis les jeunes au rythme des vieux. “Les mots, écrivait Victor Hugo, sont les passants mystérieux de l’âme.”
Pierre Barthélémy
Quel comportement induiraient les mots rolex, bling-bling, casse-toi pauvre c.., carla, rom chez des cobayes?
Mince j’oubliai nous sommes tous les cobayes pour cette litanie….
La démonstration que les mots structurent la pensée qu ensuite la pensée même non perçue, structure le comportement.
Encore une remarque stupide et totalement hors contexte…
Intéressant ! Mais, puisque l’on parle mots, il faudrait plutôt titrer “Ces mots qui agissent sur votre comportement” (car “physique” fait référence aux traits du corps) ou bien “Ces mots qui vous agissent” (je sais, c’est un peu allusif…)
@aline : merci de la visite ! Le titre n’est pas évident à trouver : si l’on met celui que vous me suggérez, qui est sans doute plus juste, il n’étonnera personne car le mot “comportement” a tellement de sens… Je voulais insister sur le fait que c’étaient des qualités physiques (la vitesse de déplacement) qui pouvaient être altérées. Le premier titre était d’ailleurs : “Ces mots qui vous font ralentir” mais je me suis dit que cela faisait vraiment abscons. L’art du titre, comme vous le savez, est difficile… surtout quand on poste son billet à minuit.
tout à fait poil
merci de dégager donc
Surprenant, je serais curieuse de savoir jusqu’où ce type d’études a été poussé, notamment en matière de marketing et de publicité. Ou comment pousser les gens à acheter dans les supermarchés.
@ Dorine, terrifiant je dirais meme…
Bravo!!
les gars ont redécouvert qu’avec les mots ont peut jouer sur le mental des gens.. d’où l’idée qu’avec des mots on peut fabriquer des histoires pour rendre les gens heureux, ou le s faire s’émouvoir!!.. d’où l’idée d’écrire des livres!!.. ils sont payés combien pour pondre des trucs pareils?
L’étude semble faite vraiment à la légère.. on ne sait pas si c’est le pouvoir déprimant des mots proposés qui pourrait relentir les personnes.. si c’st le champ lexical comme proposé..
Sinon en imaginant des mots bizarre ca pourrait aussi plonger les candidats dans des réflexions à postriori qui entravent un peu leur locomotion..
DOnc les conclusions ici sont purement ridicules!!!!
@Leo : je trouve que vous avez une vision un peu réductrice des choses et que votre conclusion est encore plus rapide que celle des chercheurs que vous dénigrez. Ce serait bien, quand vous commentez un blog, de savoir garder un peu de pondération et de ne pas vous lâcher avec un vocabulaire primaire.
Par ailleurs, je n’ai pas dit (mais vous l’auriez su si vous aviez lu l’étude en question qui était en lien dans le billet) que les chercheurs ont en parallèle testé l’humeur qu’induisaient les mots en question et n’ont trouvé aucune différence entre les groupes…
@Pierre Barthélémy
Avez-vous connaissance de complément de cette étude ou d’autres études similaires.
Celle-ci bien qu’amusante est assez courte et a une conclusion assez rapide a déduire mais j’imagine tout les comportements diverses et variés que l’on pourrait avoir avec d’autre champs de recherche (des mots en rapport avec l’argent influrait-il sur notre façon d’acheter dans un supermarché tout de suite après par exemple?)
En tout cas, merci pour l’article.
@Julien : merci pour vos encouragements. Je ne suis pas allé voir les références de l’article en question (qui est en lien dans mon billet). Peut-être y trouverez-vous des pistes. J’ai déniché une étude que je qualifierai de “cousine”, dont je parlerai dans un prochain papier. Suspense…
[…] les passants mystérieux de l’âme.” Pierre Barthélémy https://blog.slate.fr/globule-et-telescope/2011/06/10/ces-mots-qui-font-ralentir/ أضف الى […]
Quelle nouveauté! La programation neuro-linguistique, ça vous dit quelque chose. Les publicitaires et les vendeurs connaissent bien tous ces principes et s’en servent sans retenue. Notre comportement est continuellement manipulé par les mots que nous entendons ou que nous lisons.
Eh, George, tu pourrais lire l’article avant de le critiquer. C’EST ECRIT DANS LA PREMIERE PHRASE QUE CE N’EST PAS NOUVEAU. Et puis un conseil: si ça ne te plaît pas, passe ton chemin et n’en dégoûte pas les autres, à moins de n’avoir rien d’autre à faire de ta vie.
Etude intéressante, bien expliquée, claire, cependant pour être sûr du résultat, il faudrait inclure d’autres situations similaires afin de trouver si il y a ou non un déterminisme.
“The medium is the message”
Or the medium is the mass age
@George : je n’ai jamais prétendu que c’était nouveau, j’ai même écrit le contraire au tout début du billet…
J’avais déjà entendu un truc ayant plus ou moins rapport: le rythme de musique influant sur la vitesse de déplacement et d’achat (un peut moins étonnant c’est sur)
Les mots agissent etc…Ah ben oui, et tous les sons ainsi que les odeurs, sans oublier ce que l’on voit et peut-être même nos perceptions tactiles. Mon dieu, quelle horreur! En plus d’être des humains, nous serions donc vivants!! 😉
merci Pierre de nous faire découvrir cette partie de l’ étude ( l’étude est un peu longuette, je crois que je ne vais pas avoir le courage.. tout de suite du moins, pour la lire ).
Je trouve que c’est assez futé comme étude, personnellement. Il fallait y penser, non ?
Je m’aperçois que les psychologues sont des gens rusés.. 🙂
intéressant. cela dit, l’écart n’est pas énorme, et les sujets, peu nombreux. je n’ai pas vu dans l’étude (mais cela a pu m’échapper) de test de significativité sur le résultat évoqué (ces tests sont bien présents pour d’autres résultats)
“fumer tue” cqfd
J’aimerai vraiment que les chercheurs réalisant des études aussi intéressantes que celle-ci poussent leur idées un poil plus loin avant de tirer leurs conclusions.
En l’occurrence, soumettre un troisième groupe a un champ lexical sur le sport par exemple et voir si la durée du trajet est plus courte que celle du groupe témoin.
Si leur théorie est exacte, les deux groupes test devraient “encadrer” le groupe témoin (beaucoup plus significatif qu’une seule borne).
JE trouve ça passionnant, et ça m’interpelle beaucoup.