Astéroïdes : la course à l’apocalypse

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C’est un “marronnier” journalistique qui revient régulièrement hanter certaines “unes” : l’astéroïde tueur qui nous a frôlé sans qu’on le voie ou qui, selon des calculs très savants, viendra nous heurter dans dix, vingt, trente ou deux cents ans, parce que si la fin du monde n’est pas pour 2012 comme d’aucuns le redoutent, elle sera forcément pour plus tard… Dans la grande course médiatique à l’apocalypse, les cailloux errant dans le système solaire se sont transformés en vedettes, au fur et à mesure que les instruments automatiques de surveillance installés pour les détecter, les identifier et les cataloguer aidaient les astronomes à calculer précisément les orbites de ces “géocroiseurs” (un mot savant pour désigner les corps passant à proximité de la Terre). D’où des articles récurrents sur d’hypothétiques chocs avec notre planète, aux saveurs de fin du monde et fleurant bon la disparition des dinosaures.

Ainsi nous a-t-on récemment reparlé de l’astéroïde Apophis (du nom d’un dieu égyptien personnifiant le chaos, rien que ça), un objet de 270 mètres de diamètre qui, selon les récents calculs d’astronomes russes, risquerait de se fracasser sur notre bouboule bleue le 13 avril 2036. Si l’on met de côté le fait qu’Apophis pourrait choisir une autre date parce que, si tout va bien, ce sera le 93e anniversaire de ma maman ce jour-là, l’auteur de la dépêche en question a un peu oublié de préciser ce que recouvre l’emploi du conditionnel dans la phrase précédente (“risquerait de se fracasser”). C’est souvent là que le bât blesse le journaliste en quête de sensationnalisme. En fait, la NASA a précisé quelques jours plus tard qu’il y avait une “chance” sur 250 000 pour qu’Apophis nous croise sur son chemin. Encore faut-il pour cela que, lors de son passage en 2029 (qui devait déjà donner lieu à un cataclysme si on se rappelle les prévisions établies lors de la découverte d’Apophis en 2004…), l’astéroïde pénètre dans ce que les chercheurs appellent un “trou de serrure”, une minuscule région de l’espace où l’attraction terrestre “corrigera” l’orbite d’Apophis de telle sorte que ce dernier ne pourra plus nous rater en 2036.

Une chance sur 250 000, c’est à la fois peu et beaucoup si l’on considère que le choc d’un tel corps contre notre planète serait assez destructeur puisqu’il relâcherait une énergie équivalente à 510 mégatonnes de TNT, soit 34 000 fois celle de la bombe atomique d’Hiroshima. Encore faut-il que les calculs soient exacts. Ce qu’ils ne peuvent être complètement, étant donné qu’on ignore beaucoup de choses sur les propriétés d’Apophis et que les chercheurs en calculent l’orbite dans un modèle de système solaire forcément simplifié. Ainsi, des facteurs tels que la rotation de l’astéroïde sur lui-même, sa masse, la manière dont il absorbe la lumière du Soleil et irradie la chaleur, les irrégularités du champ gravitationnel terrestre, l’influence d’autres astéroïdes inconnus et même la masse des planètes et du Soleil, tous ces paramètres ne sont pas connus avec une précision suffisante pour que l’on puisse faire des prédictions ultra-fines. Si l’on se projette dans un quart de siècle, cela peut amener une incertitude de plusieurs milliers voire de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres dans la position d’Apophis…  D’où la nécessité de surveiller toujours davantage les géocroiseurs et notamment les prochains rendez-vous d’Apophis, qui repassera en 2013, 2014, 2016, 2020, etc.

D’où la nécessité, aussi, de communiquer avec mesure sur les dangers que courent la Terre et ses habitants, afin d’échapper aux accusations de sensationnalisme et de ne pas effrayer inutilement le public. C’est pour cette raison que les astronomes ont mis au point en 1999 une sorte d’échelle de Richter du risque d’impact avec un astéroïde. Baptisée échelle de Turin, en l’honneur de la ville où cet outil a été présenté, elle est graduée de zéro à dix et change de couleur en fonction du risque, allant du blanc au rouge en passant par le vert, le jaune et l’orange (voir ci-dessous).

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Le degré zéro, qui correspond à la zone blanche, signifie que l’objet n’a aucune chance de toucher notre planète ou bien que sa taille est si faible qu’il se consumerait dans l’atmosphère avant de toucher le sol, à la manière des étoiles filantes. Plus les degrés augmentent, plus la probabilité de collision est importante. On passe ainsi en zone verte (degré un), en zone jaune (de deux à quatre), en zone orange (de cinq à sept, où la probabilité est importante mais pas égale à 100 %), pour atteindre enfin la zone rouge. Lorsqu’un astéroïde parvient à se hisser au niveau huit, cela signifie qu’il frappera la planète, causant des dégâts « locaux » équivalant à ceux produits par un gros tremblement de terre. A neuf, les dégâts deviennent régionaux (au sens planétaire…) et, à dix, la collision se traduit par une « catastrophe climatique globale » analogue à celle qui marque la disparition des dinosaures. Il faudrait pour cela un astéroïde d’une dizaine de kilomètres de diamètre.

A l’heure qu’il est, Apophis est classé au degré zéro de l’échelle de Turin. Parmi les quelque 7700 objets passant dans les parages de la Terre et répertoriés aujourd’hui (dont 823 à ce jour font au moins un kilomètre de diamètre), seuls deux sont classés au niveau un (et aucun à un niveau supérieur). Il s’agit de l’astéroïde 2011 AG5 (140 m de diamètre), dont la probabilité de collision avec notre planète, le 5 février 2052 est pour le moment estimée à un sur 9 000, et de l’astéroïde 2007 VK184 (130 m de diamètre), qui a une chance sur 3 000 de nous rentrer dedans le 3 juin 2048. Pour présenter les chiffres autrement, ils ont respectivement 99,989 et 99,967 % de chances de passer à côté de notre maison bleue. Cela relativise un peu les dangers. Comme quoi, la présentation des chiffres, ça compte.

Pierre Barthélémy

Post-scriptum : pour rester dans l’actualité “astéroïde”, je signale qu’un rocher d’un mètre de diamètre a battu, vendredi 4 février, le record du “caillou” détecté le plus près de la Terre, puisque 2011 CQ1 est passé à seulement 5 480 km du plancher des vaches. S’il était entré dans l’atmosphère, il se serait très probablement disloqué et consumé en un beau météore, sans atteindre le sol.

19 commentaires pour “Astéroïdes : la course à l’apocalypse”

  1. Bonne analyse d’un problème qui est plus médiatique que scientifique. Cela dit, nous ne sommes pas très bien armés pour détecter les astéroïdes quand ils sont loin de nous. Une question : si l’un d’eux montait à 8 ou plus sur l’échelle, que pourrions-nous faire ?

  2. Juste pour vous dire merci de votre blog que je lis passionnément à chaque fois.
    Je suis un habitué des publications de vulgarisation scientifique depuis mon enfance, mais j’aimerais, si vous en avez le temps, que vous me conseilliez un ouvrage (anglais ou français peu importe) je lis Science & Vie mais je le trouve parfois trop vague sur certains sujet.
    Cordialement.

  3. @Paul : Merci pour vos encouragements ! Un ouvrage sur quel sujet ?

  4. Effectivement,

    Bravo Pierre pour cet analyse!

  5. Disons que j’ai une préférence pour les sujets lié à l’astrophysique et l’astronomie. Mais aussi pour la paléontologie, la recherche sur l’histoire du vivant.

  6. @Paul : Vous pouvez peut-être déjà regarder la sélection de livres que j’ai faite ici, et notamment les ouvrages de Jean-Pierre Luminet sur le destin de l’Univers (il faut aller tout en bas de l’article). Et un conseil : laissez tomber Science & Vie 😉

  7. Merci, pour vos conseils.

  8. Très sincèrement, c’est la première fois que je lis un article sur ce sujet qui soit aussi bien traité et de manière si rigoureuse. Félicitations !
    Ça change du traitement médiatique et des raccourcis habituels qu’on peut lire.

  9. @Joss : merci beaucoup et si le Globule vous plaît, n’hésitez pas à en parler autour de vous !

  10. Bonjour, je suis un lecteur régulier de sciences & vie depuis de nombreuses années, et je m’étonne de vous voir conseiller a quelqu’un d’oublier ce magazine. Science & vie ne ferait-il pas preuve de la rigueur indispensable a ce genre de revue ?
    Et désolé pour cette question qui n’a pas grand chose a voir avec les geocroiseurs…

  11. @Eric : pour avoir été rédacteur en chef de ce journal pendant un an, je sais parfaitement quel cahier des charges (éditoriales et marketing) il doit remplir. Et cela n’a que peu de chose à voir avec la conception que je me fais de l’information et du journalisme.

  12. Bonjour, je suis une lectrice régulière de votre site ! J’apprécie énormément toutes les informations que vous nous transmettez avec un brin d’humour et finalement de réalité !! Un grand bravo pour tout ce travail !

  13. @Nathalie : merci pour vos encouragements et, comme Internet n’a pas de frontières, parlez du Globule en Suisse !

  14. pour prendre en compte la menace, il faut multiplier la probabilité de collision avec l’importance de l’effet destructeur.
    parce que des trucs qui ont 1 chance sur 250000 d’arriver, il en arrive tous les jours, mais simplement on n’y fait pas gaffe.
    n’empeche si un jour y’a vraiment un truc enorme qui nous tombe du ciel et detruit l’humanité alors qu’on etait au courant mais qu’on a rien fait( parce qu’on avait pas envie de debloquer des credits ou qu’on estimait que la proba etait trop faible), on peut dire que notre espece aura merité de disparaitre par sa betise. preferer prevoir que guerir( s’uil y a encore quelqu’un à guerir) c’est prendre en compte qu’on a pas actuellement les technologies pour faire face aux menaces de meteores, et qu’il faudrait peut-etre des decennies de travaux pour y arriver meme en s’y mettant maintenant, peut-etre faut-il attendre un nouveau tunguska sur une zone peuplée pour reagir. je fais partie de ceux qui pensent qu’il vaut mieux se hater de disseminer l’humanité dans le cosmos( transferer tous les budgets mlitaires vers un budget spatial mondial) plutot que rester là à mettre tous nos oeufs dans le meme panier et esperer avoir de la chance.

  15. L’auteur de l’article a raison de modérer la peur que le “ciel nous tombe sur la tête”. Même, s’ il est plus que probable, voire inévitable qu’un astéroide percute la Terre ! La probabilité n’est pas de 1/250 000 mais de 1/1 ! Le danger vient de sa taille, de sa vitesse, de son angle d’approche et de l’endroit où se produit l’impact. De la taille d’Apophis, ce ne sera pas la fin du monde, mais des centaines de millions de morts et beaucoup de poussière autour de la terre. Quand à connaître sa trajectoire à l’avance, cela relève de la quadrature du cercle quand l’objet est métallique et, par conséquent, sensible au champ magnétique du Soleil ou de certaines planètes.

  16. Une chose est sûre, toutes les cultures ont des légendes décrivant le feu tombant du ciel (même si c’est pas demain la veille). La prise de conscience de l’existence de ces astéroïdes géocroiseurs est une des retombées des programmes Apollo de la NASA qui ont montré plus de cratères d’impacts récents que prévus. En 1973 nous connaissions 23 astéroïdes géocroiseurs, aujourd’hui, grâce aux programmes subventionnés par la NASA nous en sommes à plus de 7600, et comme on dit aux usa “and counting…”. L’impact d’un astéroïde est à la fois fréquent et sans conséquences lorsque celà s’appelle une étoile filante, et très très rare et très très violent lorsqu’on parle d’impact avec de gros objets. Les américains ont raison de continuer leurs programmes et de détecter et suivre les astéroïdes, parce que parmi les catastrophes naturelles c’est la plus facile à prédire et éviter et ça ne coûte vraiment pas grand chose. Derrière tout celà il y a ensuite un problème de communication face au public. Et au public américain notamment. La politique de la NASA est de publier tout, y compris lorsque les informations ne sont pas précises. Conséquence liée à l’existence de golios qui voient la vie en terme de conspirations, de fin du monde, de punition divine, de sociétés secrètes, le gouvernement nous ment, etc… En Europe (qui pourtant possède les meilleurs télescopes à grand champ susceptibles de contribuer à la découverte de ces astéroïdes), la situation est simple : ils n’existent pas, on ne parle pas d’impact d’astéroïde si l’on est un scientifique respectable. L’échelle de Turin est une vaste fumisterie, dans la mesure où d’une part elle ne sera jamais utile (selon toute vraissemblance, il est extrêmement improbable d’avoir un impact d’un gros astéroïde dans le siècle qui vient), d’autre part elle ne satisfait que les scientifiques, qui pensent avoir fait un bon travail de communication, avec des logaritmes de probabilité d’impact et des belles couleurs et pas le public qui lui a besoin d’une échelle binaire, oui l’astéroïde va nous tomber dessus, non, il ne va pas nous tomber dessus. Avec quelques personnes (dont Brian Marsden décédé l’année dernière) nous avons tenté d’empêcher l’utilisation de cette échelle ridicule, mais c’est passé malgré tout. Dans l’ensemble le public ne sait pas ce que c’est qu’une probabilité d’impact de 1/250000. En fait, dire qu’il y a 99,9996% de chances qu’il n’y ai pas d’impact parle beaucoup plus au public que 1/250000. L’autre gros problème est que cette probabilité d’impact évolue au fur et à mesure de nos observations, ce qui n’est pas évident à comprendre aussi pour le grand public. En fait Apophis dont vous parlez avait atteint une probabilité d’impact inquiétante, mais heureusement, si l’on peut dire, c’était juste au moment du tsunami de 2006 et personne n’en n’avait parlé. Le pb est que ces probabilités sont si faibles que finalement on se demande pourquoi on en parle (si ce n’est que pour ensuite pouvoir défendre son budget auprès de la NASA).
    2 derniers commentaires : pour Philippe Léger, l’existence de champs magnétiques est complétement négligeable dans le calcul d’une orbite d’un astéroïde, il existe des forces très faibles (google effet yarkovski ou effet yorp) par exemple, mais le champ magnétique n’intervient absolument pas. Pour Pierre Barthélémy, géocroiseur ne me semble pas un mot “savant”. Je l’ai inventé au début des années 90 pour trouver autre chose que NEO ou NEA qui ne veulent absolument rien dire en français. Je pense que géocroiseur est assez clair, il croise l’orbite de la Terre.

  17. @Alain Maury : merci pour ce complément fort instructif.

  18. @Pierre Barthélémy : C’est une déception pour moi d’apprendre que Science & Vie ne bénéficie pas d’une bonne réputation, en tout cas pas partout. Une dernière question en deux temps avant de clore ce sujet qui, je le craint, va finir par vous lasser. Le cahier des charge de ce magazine implique-t-il un choix éditorial orienté et donc critiquable ou, ce qui serais encore pire, un traitement partial des sujets ? Et par conséquent vers quel(s) titre(s) de vulgarisation scientifique doit-on s’orienter ? Voilà j’en ai fini avec mes questions sur Science & Vie, et en attendant je continuerai de lire Globule…
    Longue vie au blog.

    Eric

  19. @Eric : C’est en partie le marketing qui fait les “unes” de Science & Vie, dont les sujets sont testés auprès de panels d’internautes. Je pense que c’est un élément suffisant pour vous répondre : certains sujets sont choisis parce qu’ils plaisent ou feront vendre et pas parce qu’il y a du nouveau. Quant au traitement des sujets lui-même, le recours massif et croissant aux pigistes n’est pas un gage de qualité. Je pense que La Recherche, journal avec lequel je collabore régulièrement désormais, est plus sérieux mais la difficulté de lecture est plus élevée. Je dois aussi reconnaître que les titres de presse magazine de vulgarisation en France sont trop peu nombreux pour qu’une saine émulation pousse les concurrents à élever le niveau. Si vous lisez bien l’anglais, Internet est une mine. Si ce n’est pas le cas, vous êtes prisonnier du marché français qui est essentiellement géré par le marketing…

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