Globule et télescope mis au carré

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Michel Alberganti

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Extraction du “minerai” animal : bon appétit… [Vidéo]

Un mot surprenant a émergé de l’affaire de la viande chevaline égarée dans les plats surgelés : le minerai de boeuf ou de cheval. Ainsi donc, les dépouilles d’animaux sont assimilées à une simple matière première comparable au fer ou à la bauxite. Mais non, pense-t-on aussitôt. C’est une façon de parler. Les usines de la chaîne alimentaire humaine ne sont pas comparables aux mines de l’industrie métallurgique. Même si l’on sait que le travail à la chaîne existe dans les abattoirs et autres ateliers de conditionnement de la viande, cela ne saurait être comparé à une fonderie ou une usine d’assemblage automobile. Ce sont des animaux, tout de même. Des êtres vivants tels que les compagnons de l’homme. Même si nous sommes, entre autres, des carnivores, nous ne saurions traiter le vivant comme l’inerte.

Samsara et la surconsommation humaine

Erreur. Certaines images extraites du film Samsara qui doit sortir en France le 27 mars 2013 laissent pantois. A celui de minerai s’associe un autre mot : barbarie. Le film, tourné dans 25 pays pendant 5 ans, rappelle, bien entendu, le fameux Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio sorti en 1983 avec sa musique de Philip Glass. Comme lui, Samsara, mot tibétain signifiant la roue de la vie, semble mêler beauté et dénonciation des excès de la civilisation. L’extrait qui circule sur Internet au sujet de l’industrie alimentaire et de la surconsommation humaine laisse sans voix… et sans grand appétit. Jugez-en :

Michel Alberganti

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Baptisons les lunes de Pluton

Pour l’instant, elles se nomment P4 et P5. Pas très poétique… Il faut dire qu’elles n’ont été découvertes qu’en 2011 et 2012. Ce sont les deux dernières lunes connues du système plutonien. On se souvient des débats qui, en 2006, ont agité la communauté des astronomes lorsque le 26e congrès de l’Union astronomique internationale (UAI) a fait perdre à Pluton son statut de neuvième planète du système solaire pour la ravaler au rang de planète naine.

Son diamètre ne dépasse pas les 2 306 km, ce qui est inférieur, de peu, à celui d’une autre planète naine, Éris, identifiée en 2005. Ainsi, alors qu’elle faisait partie des planètes à part entière depuis sa découverte en 1930, Pluton a changé de catégorie en réduisant à 8 le nombre des corps célestes conservant ce titre dans le système solaire. Par ordre croissant de distance par rapport au Soleil, on trouve désormais : Mercure, Venus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Pluton et Eris sont encore plus éloignées du Soleil.

Outre sa taille de lilliputienne, la caractéristique de Pluton qui lui a valu sa disqualification comme planète réside dans le couple qu’elle forme avec Charon, considérée comme l’une de ses lunes. Découverte en 1978, Charon a un diamètre de 1207 km, soit plus de la moitié de celui de Pluton.

De fait, les deux corps forment un tandem ayant un centre de gravité commun qui se situe… dans le vide, entre les deux objets. C’est ainsi que Pluton a perdu son titre… Une “vraie” planète ne doit pas vivre ainsi à proximité d’un astre ayant une taille comparable à la sienne. La distance qui la sépare de Charon n’est que de 19 570 km (contre environ 390 000 km entre la Terre et la Lune). Surtout, le centre de gravité de l’ensemble doit se trouver à l’intérieur de la planète principale. Ce qui n’est possible que s’il existe une grande différence de masse entre les deux corps.

Si naine soit-elle, Pluton n’en possède pas moins des lunes. Et même cinq, à ce jour. Après Charon, Nix et Hydra ont été découvertes en 2005. S’y ajoutent donc, depuis 2011 et 2012, P4 (10 à 40 km de diamètre) et P5 (10 à 25 km de diamètre) qu’il est devenu urgent, semble-t-il, de baptiser.

En effet, le 11 février 2013, l’Institut Seti a lancé un appel au public en proposant un vote démocratique pour choisir les noms de ces objets intermédiaires entre de petites lunes et de gros cailloux. Les internautes peuvent voter sur le site Plutorocks.  Douze noms issus, comme le veut la tradition, de la mythologie grecque et romaine, sont disponibles. Mais il reste possible d’en proposer d’autres. Ne traînez pas… La fin du vote est prévue pour le lundi 25 février 2013.

Michel Alberganti

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Ô Isis ! Ô Osiris ! C’est Mamie…

Un message vieux de près de 2000 ans orne une tablette d’offrande de 43 par 35 cm découverte dans l’une des 35 tombes en forme de pyramide de la nécropole de Sedeinga, dans le nord du Soudan. Les archéologues ont déchiffré le texte gravé, écrit dans le langage méroitique du royaume de Koush. Le terme Aba-la utilisé serait un nom familier donné à une grand-mère. D’où cette traduction possible :

 

Ô Isis !
Ô Osiris !
C’est Mamie.
Faites lui boire de l’eau en abondance.
Faites lui manger du pain en abondance.
Faites lui servir un bon repas.

Les Dieux qui se font face sur la tablette sont bien égyptiens, La déesse mère protectrice Isis et Anubis, dieu à tête de chacal accompagnant les morts dans l’autre monde. L’invocation est complétée par Osiris, le dieu roi mythique. Il est remarquable que les souhaits formulés pour l’au-delà concernent tous la nourriture, et rien d’autre. Une préoccupation sans doute essentielle de la vie dans cette contrée désertique, il y a quelque 2000 ans.

Fascinant spectacle que ces répliques des pyramides égyptiennes découvertes par un Français, Vincent Francigny, directeur des fouilles travaillant pour l’American Museum of Natural History, près du Nil dans le désert du nord du Soudan. On connaissait Meroë et ses pyramides tronquées émergeant du sable. Ici, à Sedeinga, les tombeaux sont plus petits et ils renferment une étonnante construction circulaire invisible de l’extérieur et qui ne contribue pas, semble-t-il, à la structure de l”édifice.

Ces pyramides se distinguent par leur nombre, 35 découvertes jusqu’à présent entre 2009 et 2012, leur densité et leur diversité. La base de la plus grande mesure 7 mètres et la plus petite, sans doute destinée à un enfant, pas plus de 75 cm. Leur densité est telle que les 13 premières pyramides découvertes tenaient sur une surface de 500 m2.

Michel Alberganti

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Des trous, des p’tits trous… sur Mars

Enfin ! On commençait à désespérer… Le rover Curiosity est arrivé sur Mars début août 2012. Et il a fallu attendre six mois pour qu’il entame enfin son véritable travail : l’analyse de la roche martienne. Avec, en arrière pensée, l’espoir de découvrir des traces de vie ancienne sur la planète rouge.

Le premier forage sur Mars

La Nasa l’a annoncé fièrement le 9 février 2013 : pour la première fois, un robot perce des trous dans le sol de Mars pour récolter des échantillons. Et il faut reconnaître que cela donne un petit frisson. Cela se passe à quelque centaines de millions de km de la Terre. Là-bas, un robot qui pèse autant qu’une petite voiture (900 kg) se promène à la recherche de sédiments sans doute vieux de plusieurs milliards d’années et qui ont été déposés par les immenses rivières qui sillonnaient Mars à cette époque. Que contenait cette eau ? Avait-elle, comme sur Terre, contribué à la création d’une forme de vie ? Curiosity va-t-il en trouver des traces indubitables ? Ce sont les questions qui hantent les chercheurs de la Nasa. Et Mars nous donne une formidable chance d’y répondre avec une très grande précision. En effet, pour les milliards d’exoplanètes qui existent dans la Voix Lactée et les galaxies environnantes, les mesures seront forcément faites à distance. A très grande distance. L’homme n’est pas prêt d’y poser le pied. Avec Mars, tout est différent.

Peu à peu, au fil des missions, comme celle qui a précédé Curiosity avec les robots Spirit et Opportunity arrivés en 2004, la planète rouge devient de plus en plus familière. Ses paysages, qui ressemblent tant à ceux de nos déserts terriens, ont fini par faire partie de notre album photo mental. Certes, comme les images d’une contrée inaccessible pour la grande majorité des hommes. Mais des images dans lesquelles nous savons que nous verrons, un jour, un homme dans sa combinaison blanche. Un homme qui foulera ce sol jaunâtre…

1,6 cm de diamètre sur 6,4 cm de profondeur

Premier acte de ce futur viol d’une terre vierge, un trou percé à l’aide d’un foret. Tout un symbole… Bon, la saillie reste modeste: un diamètre de 1,6 cm sur 6,4 cm de profondeur. Pas de quoi bouleverser une planète. Mais, déjà, quelques surprises. D’abord en raison d’un phénomène optique qui donne l’impression que les trous… sont en relief. Et puis, la couleur. Sous la pellicule de poussière ocre, le sol se révèle gris comme du ciment. Sur Mars, la roche mère est donc aussi blanche que du calcaire sur Terre.

La poudre de roche martienne créée par la mèche de la perceuse est acheminée par des cannelures jusqu’au système de collecte des échantillons du rover, le Chimra. “Nous allons secouer la poudre recueillie pour nettoyer les surfaces internes du mandrin”, explique Scott McCloskey, l’ingénieur responsable du système de forage. “Ensuite, le bras transférera la poudre de la perceuse jusqu’à la pelle où nous pourrons voir enfin l’échantillon”, précise-t-il.

Les opérations ainsi réalisées pour une bonne partie à l’aveugle ont demandé une conception minutieuse. “Construire un outil pour interagir violemment avec des roches inconnues sur Mars impose un programme de développement et de test ambitieux”, confirme Louise Jandura, ingénieur en chef du système d’échantillon qui indique que la mise au point du système de forage a conduit à tester 8 perceuses qui ont réalisé 1200 trous sur 20 types de roche différents sur Terre.

Une fois parvenue au système d’analyse des échantillons, la poudre martienne sera vibrée et tamisée pour retirer les grains supérieurs à 150 microns de diamètre. La petite partie de l’échantillon restante tombera dans les systèmes d’analyse, le CheMin et le SAM, qui pourront alors commencer la mise à nu de la minéralogie et de la chimie martienne.

Michel Alberganti

– Mise à jour le 10 février 2013 avec la vidéo –

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Nombres premiers : nouveau record

A la question simple de savoir combien de nombres premiers sont connus aujourd’hui, pas vraiment de réponse. A moins que vous ne la trouviez… En fait, le nombre de nombres premiers est si élevé, entre le plus petit, c’est à dire 2, et le plus grand connu, que les mathématiciens semblent avoir abandonné le projet d’en établir une liste exhaustive. Désormais, la quête se concentre sur les plus grands nombres premiers. Et le record vient d’être battu le 25 janvier et confirmé le 8 février 2013.

Plus de 17 millions de chiffres

Le nouveau plus grand nombre premier connu est l’oeuvre de Curtis Cooper, professeur d’informatique à l’université du Missouri central à Warrensburg. Il compte pas moins de 17 425 170 chiffres. Plus de 17 millions de chiffres, donc. L’écriture de ce nombre couvrirait pas moins de 4 000 pages en police Times New Roman corps 12. Plus courte, son écriture sous la forme d’une puissance de 2 donne:

257 885 161 – 1

Les spécialistes reconnaîtront tout de suite un nombre premier de Mersenne, du nom du mathématicien français qui les a découverts au XVIIe siècle. Ces nombres apparaissent sous cette forme de 2 à la puissance d’un nombre, qui doit être lui-même premier, moins 1. Le nouveau nombre premier révélé par Curtis Cooper est le 48e à avoir cette propriété vérifiée également par 3, 7, 31 ou 127. Leur traque fait l’objet d’un projet, le Great Internet Mersenne Prime Search, qui, depuis 1996, a inscrit 14 nouveaux nombres premiers de Mersenne dans la série de cette sorte d’aristocratie des mathématiques connue depuis l’Antiquité.

La série infinie des nombres premiers

Dès 300 avant J.C., Euclide démontre qu’il existe une infinité de nombres premiers, c’est à dire des nombres entiers divisibles uniquement par eux-mêmes et par 1. Entre 1 et 100, il existe ainsi 25 nombres premiers:

2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, 31, 37, 41, 43, 47, 53, 59, 61, 67, 71, 73, 79, 83, 89, 97.

La découverte de nouveaux nombres premiers géants est un sport que ne peut se pratiquer sans ordinateurs. Et vous ne risquez pas d’y arriver chez vous, même avec le dernier modèle de chez Apple… Ainsi, Curtis Coopper a-t-il utilisé pas moins de 1000 ordinateurs qui ont travaillé pendant 39 jours pour atteindre son but.

De l’art au cryptage

Pour le mathématicien, un tel travail s’apparente à de l’art, étant donné la faible utilité, aujourd’hui, de ce type de découverte. Il n’empêche que son université en tire une grande fierté. L’intérêt d’un tel record réside également par l’expérience de travail collaboratif d’un grand nombre d’ordinateurs sur un même problème. Quant au cryptage des données, le grand champ d’application des nombres premiers, il n’est guère concerné puisqu’il se contente, aujourd’hui, de nombre premiers de 100 à 200 chiffres.

Michel Alberganti

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En fait, l’homme descendrait du rat…

Ceux qui ont eu du mal à accepter que l’homme descende du singe vont encore passer un mauvais moment. Non seulement, cette origine n’est pas remise en question mais les chercheurs, en remontant beaucoup plus loin, ont abouti à un autre ancêtre: une sorte de rat… Publiée dans Science du 8 février 2013, l’article qui nous ôte tout espoir d’avoir été créé à l’image de Dieu. A moins de croire, comme les Indiens, à la réincarnation et de dédier certains temples aux… rats (voir la vidéo ci-dessous).

L’ancêtre commun des mammifères placentaires

L’équipe de 22 chercheurs américains, plus un Canadien, dirigée par Maureen O’Leary, du département de sciences anatomiques de l’école de médecine de l’université Stony Brook, a reconstruit l’arbre généalogique des mammifères placentaires. C’est-à-dire ceux qui se reproduisent à l’aide d’un véritable placenta qui alimente l’embryon et le fœtus. Dans ce groupe, on trouve les chats, les chiens, les chevaux, les musaraignes, les éléphants, les chauve-souris, les baleines  et… les hommes. Il s’agit du plus important groupe de mammifères avec plus de 5000 espèces dans une centaine de familles.

Juste après les dinosaures

En remontant aux origines de ce groupe, les chercheurs sont presque parvenus jusqu’aux dinosaures. Du moins jusqu’à leur extinction à la fin du Crétacé, il y a 65 millions d’années. Il semble que notre ancêtre rongeur soit apparu entre 200 000 et 400 00 ans après cette extinction. Deux à trois millions d’années plus tard, le groupe des mammifères placentaires modernes se mit à proliférer. Ces résultats bouleversent la chronologie admise auparavant puisque qu’elle fait reculer l’apparition du premier ancêtre commun aux mammifères placentaires de… 36 millions d’années.

Le plus remarquable, dans ce travail, est qu’il ne repose pas sur de nouveaux fossiles mais sur l’analyse des caractères anatomiques, morphologiques et moléculaires des animaux. Les chercheurs ont exploité les informations rassemblées dans la plus grande base de données mondiale sur les caractères morphologiques, la MorphoBank, soutenue par la National Science Foundation (NSF). Ils ont utilisé de nouveaux logiciels pour analyser les caractéristiques d’espèces de mammifères vivantes et éteintes. Pas moins 4541 phénotypes de 86 fossiles et espèces vivantes ont été associés à des séquences moléculaires. Au final, ce sont les traits morphologiques qui ont pris le dessus et conduit les chercheurs dans leur reconstruction de l’arbre de la vie des mammifères. Ce travail fait partie du projet Assembling the Tree of Life financé par la NFS. L’approche morphologique des chercheurs présente l’avantage d’aboutir à une image, certes reconstruite, de l’ancêtre commun. Elle ne pouvait que chatouiller les spécialistes de biologie moléculaire et de génétique.

Fossiles contre horloges

Ainsi, le jour même de la parution de l’article dans Science, une réponse a été publiée par Anne Yoder, biologiste spécialiste de l’évolution de l’université Duke ( Caroline du nord). Sous le titre : “Les fossiles contre les horloges”, Anne Yoder commence par rendre hommage au travail de ses collègues avant de lancer sa flèche. Selon elle, les chercheurs de l’équipe de Maureen O’Leary, en se focalisant sur les caractéristiques morphologiques s’est plus attachée à décrire la forme de l’arbre que la longueur des branches. D’où la non prise en compte des conséquences de cette longueur des branches déterminée par les horloges moléculaires de la génétique. On peut espérer que les deux approches s’associent et permettent affiner les résultats.

Michel Alberganti

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Comme Annette Shavan, peut-on perdre son doctorat en France ?

Un doyen de faculté qui s’avance vers les caméras pour annoncer que le doctorat de philosophie de la ministre de l’éducation et de la recherche, Annette Schavan, est invalidé 33 ans après lui avoir été décerné… La scène s’est déroulée en Allemagne, le 5 février 2013, à l’université de Düsseldorf. Quelque chose me dit qu’elle est difficilement imaginable en France. Mais pourquoi, au fond ?

1°/ Le titre de “Doktor” jouit d’une grande notoriété outre-Rhin

Alors qu’en France, seuls les docteurs en médecine peuvent espérer voir leur titre accolé à leur nom, en Allemagne, Herr Doktor jouit d’une aura considérable quelle que soit la discipline. Le paradoxe de l’université française conduit ainsi son diplôme le plus prestigieux a n’être jamais mis en avant par ceux qui l’ont obtenu après, au moins, une dizaine d’années de laborieuses études. Ainsi, alors que je reçois chaque année environ 200 scientifiques dans Science Publique, l’émission que j’anime sur France Culture, très rares sont ceux qui se présentent comme docteurs alors que bon nombre le sont. Pourquoi ? Il semble que la filière du doctorat reste refermée sur l’université. La vocation d’un docteur est de devenir professeur et/ou directeur de recherche. Même s’ils entrent au CNRS, les docteurs ne sortent guère des murs de ces institutions.

En Allemagne, après leur thèse, la plupart des Doktor font leur carrière dans l’industrie. Leur visibilité n’a alors pas de commune mesure. Surtout dans un pays où l’industrie est également fortement valorisée.
En France, conscient de ce problème qui leur barre souvent la route vers des emplois dans les entreprises alors que l’université est saturée, les docteurs se sont réunis dans une association nationale des docteurs, l’ANDès dont l’objectif affiché est de
“promouvoir les docteurs”. Étonnant paradoxe… Le titre le plus élevé a donc besoin de “promotion”. C’est pourtant justifié. Le docteur reste loin d’avoir la même cote, dans l’industrie, d’un polytechnicien ou d’un centralien. Résultat, le faible nombre de docteurs dans les entreprises est l’une des principales causes du retard français en matière de pourcentage du PIB consacré à la recherche.

2°/ Pas besoin d’être docteur pour être ministre de la recherche en France

En Allemagne, donc, on ne badine pas avec le doctorat. Et même, ou surtout, un ministre de la recherche ne saurait avoir usurpé son titre. En France, ce cas de figure a d’autant moins de chances de se produire que… les ministres de la recherche sont rarement docteurs. A partir d’Hubert Curien, docteur es sciences, ministre de la recherche jusqu’en 1993, on ne trouve guère que 3 docteurs sur ses 19 successeurs: Claude Allègre, docteur es sciences physiques, ministre de 1997 à 2000, Luc Ferry, docteur en science politique, ministre de  2002 à 2004 et Claudie Haigneré, docteur ès sciences, option neurosciences, ministre déléguée de 2002 à 2004.

Force est de constater que ces trois ministres n’ont pas laissé un souvenir impérissable. Lorsque Luc Ferry et Claudie Haigneré étaient aux commandes, l’un des plus forts mouvements de révolte des chercheurs s’est produit avec “Sauvons la recherche“, en 2003. Il a fallu un autre couple, beaucoup plus politique, François Fillon et François d’Aubert, pour rétablir l’ordre et redonner un peu d’espoir dans les laboratoires.

3°/ Pas besoin d’une thèse de valeur pour être docteur en France

C’est peut-être ce qui fait le plus mal à l’image de l’université française. Et c’est peut-être lié à la sous-valorisation du doctorat. Même s’ils peuvent paraître anecdotiques, trois exemples publics ont suffi pour jeter un discrédit tenace sur l’institution qui délivre les doctorats. Il s’agit du diplôme décerné à Elizabeth Teissier, docteur en sociologie en 2001 avec  sa thèse intitulé “Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes”. Ex mannequin et comédienne, Elizabeth Teissier est surtout astrologue depuis 1968. Elle avait, certes, obtenu un DEA en Lettres modernes… en 1963.

Les autres exemples de doctorats ayant défrayé la chronique sont, bien entendu, ceux des frères Bogdanoff en mathématiques appliquées et en physique théorique. Ces cas sont-ils des exceptions ou la partie émergée de l’iceberg ? C’est toute la question.

Mais la France aurait sans doute besoin d’une “affaire Schavan”. Pas forcément, d’ailleurs, concernant le doctorat, rare, d’un ministre de la recherche. Mais juste une reconnaissance d’erreur. Histoire de montrer que l’institution universitaire est capable de revenir sur la décision de l’un de ses directeurs de thèse et d’un jury. L’erreur étant humaine, son absence est d’autant plus suspecte. Lorsqu’un peu moins de 10 000 thèses sont soutenues chaque année en France (contre environ 15 000 en Allemagne), une faute devrait être pardonnée. Encore faudrait-il qu’elle soit avouée ou déclarée…

Michel Alberganti

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Les restes de Richard III authentifiés


Le 4 février 2013, l’université de Leicester a confirmé par un communiqué que les restes humains découverts en août 2012 sous un parking de la ville sont bien ceux du roi Richard III d’Angleterre (1452 – 1485). L’histoire est assez extraordinaire et prolonge celle d’un monarque plus célèbre au théâtre, grâce à la pièce de Shakespeare, que dans l’histoire. Frère du roi Edouard IV, duc de Gloucester, Richard III n’a régné que deux ans de 1483 à 1485, année de sa mort, le 22 août, sur le champ de la bataille de Bosworth, dans des conditions assez dramatiques.

Disparus pendant 4 siècles

La dépouille du roi fut alors inhumée dans l’église Greyfriars à Leicester, ville proche du champ de bataille. Après la disparition de cette église, au XVIe siècle, les restes de Richard III disparurent pendant 4 siècles. Jusqu’à ce qu’une équipe d’archéologues de l’université de Leicester ne parte à leur recherche. Des fouilles sous un parking de la ville révélèrent un squelette que les chercheurs ont analysé sous toutes les “coutures”. Leur verdict vient donc de tomber : il s’agit bien du squelette de Richard III. La datation au carbone 14, les analyses génétiques de l’ADN, radiologiques, morphologiques et archéologiques le confirment. Il s’agit bien des restes du dernier roi Plantagenêt, également dernier des souverains d’Angleterre à mourir sur un champ de bataille.


Que nous apprend l’analyse des archéologues sur celui qui aurait crier, avant de mourir “Trahison !”, ou bien, de façon plus théâtrale et shakespearienne : “Un cheval, un cheval ! Mon royaume pour un cheval !” ? Plus de 500 ans après sa mort, les scientifiques ont pu constater que l’ADN du squelette correspond à celui de deux de ses parents dans la lignée maternelle. Un généalogiste est en train de vérifier auprès de descendants vivants de la famille de Richard III. L’individu auquel appartenait le squelette est mort à cause d’une ou deux blessures à la tête, l’une provenant sans doute d’une épée, l’autre d’une hallebarde. Dix blessures ont été identifiées sur le squelette, dont l’une mortelle à l’arrière de la tête. Une partie du crane a été découpée.

Une corpulence mince, presque féminine

La datation au carbone révèle que le roi avait un régime très riche en protéine, en partie provenant de poisson et fruits de mer, ce qui révèle son rang. Le squelette révèle une forte scoliose qui a pu se déclarer pendant la puberté. Richard III était connu pour être bossu. Malgré une taille de 1,72 m, le roi devait paraître sensiblement plus petit avec une épaule, celle de droite, plus haute que l’autre. Son cadavre a été victime de blessures humiliantes dont l’une provenant d’une épée ayant traversé la fesse droite. Plus étonnant pour un monarque, les chercheurs notent une corpulence mince, presque féminine, qui ne correspond guère aux canons des chevaliers de l’époque. Ils n’ont pas trouvé trace du bras atrophié dont parle Shakespeare.

Au final, le portrait post mortem de Richard III ne semble guère correspondre au personnage noir, brutal et meurtrier que Shakespeare met en scène quelque 110 ans après sa mort. Désormais, les acteurs qui interprètent le Richard III de Shakespeare auront une autre référence pour se glisser dans la peau du personnage. Certains y réfléchissent déjà.

Michel Alberganti

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A quoi pensent les poissons zèbres ?

Le poisson zèbre, c’est le rêve. Aussi bien pour les amateurs d’aquarium que pour les chercheurs. En effet, outre ses couleurs naturelles et ses capacités à régénérer ses blessures, de la colonne vertébrale par exemple, il possède la caractéristique remarquable d’avoir un corps transparent à l’état d’embryon et de larve. L’idéal pour observer à loisir le fonctionnement son organisme bien vivant. D’où l’idée de révéler à la planète ce qui se passe dans le cerveau d’une larve de poisson-zèbre… Nous rêvions tous de le découvrir sans oser le demander : à quoi pensent les poissons ? La réponse d’une équipe japonaise dirigée par Akira Muto, de l’Institut National de Génétique à Shizuoka, ne nous surprend qu’à moitié : à manger. Encore fallait-il le montrer. Et c’est ce que les chercheurs ont réussi à faire.

Une larve de poisson zèbre peut se nourrir  de paramécies dans la mesure où elle est capable d’attraper ce minuscule protozoaire unicellulaire qui se déplace dans l’eau grâce à ses cils. Que se passe-t-il dans le cerveau du poisson qui guette sa proie ? Pour la première fois, les chercheurs sont parvenus à montrer, avec une grande précision et en temps réel, quelles parties du cerveau de la larve s’activent en fonction de la position de la larve autour d’elle.


Pour y parvenir, les chercheurs ont reproduit l’organisation visuotopique du cortex visuel. Il s’agit de la façon dont l’image parvenant sur la rétine s’imprime dans le cerveau. Grâce à un type de marqueur particulier, le GCaMP qui permet de rendre fluorescent les ions calcium à l’oeuvre dans les neurones, les Japonais ont rendu visibles les zones du cerveau qui s’activent lorsque la larve de poisson zèbre suit sa proie des yeux. Sans surprise, c’est dans le lobe situé à l’opposé de l’oeil qui a capté l’image que les neurones s’allument.

L’étude de l’équipe d’Akira Muto a été publiée dans la revue Current Biology du 31 janvier 2013. L’un de ses collaborateurs, Koichi Kawakami, précise : “Notre travail est le premier à montrer l’activité du cerveau en temps réel chez un animal intact pendant son activité naturelle. Nous avons rendu visible l’invisible et c’est ce qui est le plus important”. La technique utilisée devrait rendre possible la visualisation des circuits neuronaux impliqués dans des comportements complexes, depuis la perception jusqu’à la prise de décision. Une possibilité d’autant plus intéressante que, dans sa conception générale et son fonctionnement, le cerveau d’un poisson zèbre ressemble assez à celui d’un être humain.

“A l’avenir, nous pourrons interpréter le comportement d’un animal, y compris l’apprentissage, la mémorisation, la peur, la joie ou la colère, à partir de l’activité de combinaisons particulières de neurones”, s’enflamme Koichi Kawakami. Autre objectif : analyser l’activité chimique du cerveau avec, à la clé, la possibilité d’accélérer le développement de nouveaux médicaments psychiatriques. Pas de quoi rassurer ceux qui craignent que les avancées de la recherche sur le cerveau ne conduisent à une intrusion dans nos pensées les plus intimes. Au risque de découvrir… qu’elles ne sont pas beaucoup plus sophistiquées que celles d’un poisson zèbre. Ce qui serait, convenons-en, une bien mauvaise nouvelle pour notre ego…

Michel Alberganti

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