Le foot entretient ses déséquilibres

Alors, elle arrive, ma Ligue des Champions ?

La Champion’s league est de retour pour les quarts de finale cette semaine. La compétition la plus médiatique du foot offre une nouvelle fois des affiches entre les mêmes clubs du gotha européen. Conséquence d’un déséquilibre structurel du football moderne selon Bastien Drut, auteur de “Economie du football professionnel” chez La Découverte.

Un air de déjà-vu. Ces dernières années, le football ressemble à une série américaine. Toujours les mêmes acteurs, le même scénario et les mêmes dialogues. “L’important, c’est les 3 points”. La Ligue des Champions (LdC), dont les quarts de finale retour ont lieu cette semaine en est l’incarnation la plus parfaite. Si un ou deux clubs “surprises” arrivent souvent à se hisser à ce niveau de la compétition – Schalke et Tottenham cette année, Bordeaux et le CSK l’an dernier – le gros des troupes est toujours le même. On se dirige d’ailleurs tout droit vers une finale Barcelone-Manchester United, tous deux triple-vainqueurs de la compétition.

Point de salut en dehors de la LdC

Ce conservatisme de fait trouve ses racines dans les structures même du football professionnel, d’après Bastien Drut. Thésard entre les universités de Nanterre et Bruxelles, il a étudié les fondements économiques du monde du ballon rond dans son livre “Economie du football professionnel“. Selon l’auteur, la Champion’s League est “accélératrice d’inégalité”. En 2009-2010, 746 millions d’euros ont été reversés aux 32 participants de la première phase. Le vainqueur, l’Inter Milan, s’est vu attribuer une prime de 19,3 millions d’euros.

Sur 10 ans, les différences sont d’autant plus flagrantes. En Angleterre, Manchester a perçu 315 millions d’euros sur cette période, Liverpool 194 et Newcastle seulement 10 millions. En France l’OL, empoche 215 millions alors que le deuxième club le mieux doté, Bordeaux, ne reçoit que 85 millions. Dans les 5 meilleurs championnats, sur les 42 clubs ayant participé à la compétition reine en 10 ans, un tiers d’entre eux se partage 72% des recettes. Une véritable aristocratie du foot européen.

Nous ne reviendrons pas ici sur la faiblesse de l’Europa League, déjà démontrée récemment. Par contre, Bastien Drut attire notre attention sur le déclin marqué des coupes nationales. En France, le vainqueur de la Coupe de la ligue ou de la Coupe de France gagne 1, 7 millions d’euros alors que le dernier du championnat remporte 13 millions d’euros. Dès lors, le rang en championnat est bien plus important que le parcours en coupe. Ainsi, le classement s’auto-entretient. Les meilleurs gagnent plus d’argent et préparent donc mieux la saison suivante. Il n’est pas possible de compenser économiquement une saison ratée en championnat par une victoire en coupe.

La vérité du bilan plus forte que celle du terrain

Pourquoi faire une telle fixation sur les budgets? L’auteur a étudié la Ligue 1 de la saison 2004-2005 à la saison 2008-2009. Il trouve une excellente corrélation entre le classement des clubs et leur masse salariale relative à la masse salariale globale du championnat. Le chercheur donne ainsi raison à Patrick Le Lay, président du Stade Rennais et ancien expert en “temps de cerveau disponible”, pour qui le budget du club avant la saison permet de prédire son classement.

Heureusement, la gouvernance a encore un rôle a jouer. Ainsi, sur la période étudiée, Marseille et Lyon ont “sur-performé” par rapport à leurs budgets alors que Paris et Monaco ont “sous-performé”. Ces résultats peuvent être exportés à d’autres championnats européens. En Espagne et en Angleterre, 3 clubs ont squatté 9 des 10 derniers titres. Plus un club a de fric, meilleurs sont ses résultats. Merci aux milliardaires dépensiers, qu’ils soient russes ou émiratis.

Mobilité absolue des joueurs

Cette liaison entre puissance économique et puissance sportive est fortement liée à la libre circulation des joueurs. Pour Bastien Drut, “la mobilité des joueurs est une catalyseur des déséquilibres compétitifs entre championnats”. La donne est simple. Les championnats les plus riches – ceux ayant le plus de participants à la LdC, comme démontré ci-dessus – achètent les meilleurs joueurs. Depuis 2006-2007, La Premier League a une balance nette de transferts négative de plus de 200 millions d’euros, la Liga dépasse les 150 millions d’euros alors que la France a une balance positive de quelques dizaines de milliers d’euros. Le Brésil, de son côté, a vendu pour 100 millions d’euros de joueurs en cinq ans.

L’Espagne et l’Angleterre achètent les talents alors que la France les vend. Les stars se retrouvent toutes dans les mêmes clubs, ce qui accentue leur pouvoir économique via le merchandising. En règle générale, la vente de produits dérivés d’un club dépend de la taille de son bassin local de supporters. Mais une super star internationale permet de globaliser son marché. Il faut vraiment être Brestois pour s’acheter le maillot de Nolan Roux, mais des Mexicains seront fier de porter le maillot mancunien de Chicharito. La renommée d’un Beckham, elle, s’étend carrément jusqu’en Asie.

Tentatives de régulation

Les instances dirigeantes du foot ne sont pas si aveugles qu’on veut le croire. Elles ont bien vu cette problématique et savent que la passion des supporters repose en partie sur l’incertitude du sport. Tout comme la F1 avait modifié les règles de son championnat pour mettre un terme à l’hégémonie de Schumacher sur Ferrari, des tentatives de nouvelles réglementations ont été lancées. Michel Platini, président de l’UEFA, veut conditionner la participation des clubs à la LdC à leur bonne santé financière, et ce dès 2013. C’est le fameux “fair-pay financier”. D’autre part, pour participer à une coupe d’Europe, les clubs doivent présenter une liste de 25 joueurs, dont 8 “formés localement”. Cette mesure vient après l’échec de la règle dites “du 6+5” de la FIFA qui réintroduisait des quotas nationaux par équipe.

Compétition vs solidarité

Ces mesures sont lentes à mettre en place et rencontrent une certaine résistance de la part des clubs, très peu solidaires. En effet, les plus fortunés n’ont aucun intérêt à voir les règles qui assurent leur monopole modifiées. Les revenus engendrés par la Champion’s League ont explosé après que le G14, ancien groupement des clubs les plus riches d’Europe, a menacé de former un championnat européen privatisé. En Espagne, le Barça et le Real s’arrogent la moitié des droits de retransmission télévisuelle.

Selon Bastien Drut, cette guerre interne est due au système de ligue ouverte avec relégation. Chaque équipe veut d’abord sauver sa peau avant de penser au bien commun. Dès lors, il est très difficile de faire passer des mesures globales visant à rétablir l’équité sportive comme un “salary cap” ou un système de draft (système de recrutement des jeunes joueurs permettant aux équipes les moins bien classées de choisir en premier) comme il existe aux Etats-Unis. Si cet individualisme forcené continue et si le fair play financier de Platini s’avère être une coquille vide, l’auteur prédit de spectaculaires faillites. Le système n’est, pour lui, pas viable en l’état.

Olivier Monod

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Photo: REUTERS/Darren Staples

2 commentaires pour “Le foot entretient ses déséquilibres”

  1. C’est sur que c’est dommage de toujours retrouver les mêmes acteurs à ce stade de la compétition… mais le talent est là où il y’a l’argent…
    Les demi-finales et finale de Ligue des Champions nous déçoivent pas souvent et nous livrent une tension et un plaisir vraiment plaisant… et c’est le secret de ses grands clubs…
    Après il est vrai que notre système financier de Ligue1 est beaucoup plus logiques et solidaires qu’en Liga, Série A et surtout Premier League…
    Platini en a du travail à accomplir!!

  2. Donc cet article nous explique qu’il y a des gens qui font des theses pour nous expliquer que ceux qui gagnent plus on tendance à continuer à gagner plus que les autres. Merci slate.

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