Le président de l’UEFA veut gommer les disparités financières dans le foot
“Un modèle à la Abramovich ne serait plus possible”. Frédéric Bolotny, économiste du sport, imagine un futur qui pourrait bien voir le jour dès la saison 2013/2014. Le comité exécutif de l’UEFA a accepté la proposition de son président Michel Platini d’intégrer la notion de fair play financier dans les compétitions européennes. L’info, bien que qualifiée de “révolutionnaire”, n’a fait qu’un feuillet sur léquipe.fr, le 15 septembre dernier. Le site d’information sportive n’est pas le seul à snober allègrement une réforme qui pourrait être à l’origine de la seule évolution majeure du sport le plus populaire d’Europe depuis l’arrêt Bosman en 1995.
Le fair play financier vise à améliorer l’équité financière dans les compétitions européennes et la stabilité à long terme des clubs de football sur le continent. La France est pour l’instant le seul pays en Europe où il existe une Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) dans le foot, qui s’assure de la bonne tenue des comptes des clubs. Contrairement au conseil national de l’éthique, ce n’est pas une commission en bois. Elle statue chaque année et elle a le pouvoir de rétrograder des clubs à la gestion hasardeuse, comme Bordeaux en 1990/1991, ou d’interdire la montée d’autres clubs pour cause de fondements financiers pas assez solides, comme Marseille en 1994/1995. Tout club ayant gagné sur le terrain le droit d’évoluer dans une division supérieure doit prouver à la DNCG qu’il a les structures et les compétences administratives pour gérer l’augmentation du budget que cela engendre.
“Le système de l’UEFA tient plus de la régulation financière que du contrôle de gestion à la française”, précise Frédéric Bolotny. Ainsi le jadis fringant Michel souhaite interdire l’inscription dans les coupes européennes des clubs qui dépensent plus d’argent qu’ils n’en génèrent. Le football est donc en train de remettre en cause son système financier et de lutter contre la spéculation abusive déconnectée de l’économie réelle. “Avec la crise, Platini dispose d’une fenêtre de tir dont il se sert très bien”, confirme Frédéric Bolotny. Mais le fair play financier s’inscrit aussi dans la volonté du président de l’UEFA de démocratiser les compétitions européennes. C’est sûr que des demies finales de Champions League à répétition qui ne regroupent que des équipes anglaises et espagnoles (et l’association des anciens combattants milanais de temps en temps), c’est moche pour l’image d’une Union Européenne des Associations de Foot (UEFA) censée représenter 53 fédérations nationales….
Mais le ventripotent de Nyon voit plus loin. Le fair play financier veut aussi “donner des conseils au sujet des dépenses pour les salaires et les transferts”. La voilà, la révolution! A l’heure où l’on se bat pour réduire les bonus des traders, les footeux, eux-aussi, risquent bien de se voir imposer des restrictions salariales. L’idée n’est pas nouvelle puisque le “salary cap” existe par exemple déjà dans le rugby anglais. Le concept est simple et plaisant: aucun club n’a le droit de dépasser un seuil de masse salariale défini à l’avance. Ainsi les clubs à gros budget ne peuvent pas piller systématiquement les meilleurs éléments de leurs adversaires moins fortunés, parfois dans l’unique but de les empêcher de se développer. C’est un peu ce que l’OL a fait ces dernières années avec Bastia (Essien, Née (oui oui)), Sochaux (Monsoreau, Frau) et Lille (Keita, Makoun, Bodmer, Bastos, Puel).
Les Etats-Unis régulent plus leur sport
Ne doutons pas qu’un Jean-Michel Aulas saura crier, en réaction, à la bolchévisation du football européen. Le système du fair play financier peut effectivement être ressenti comme un nivellement par le bas pour les plus gros clubs de foot qu’on voudrait empêcher d’atteindre les sommets. Pourtant les anciens du G14, un ancien groupe informel qui réunissait les 14 plus gros clubs d’Europe, d’habitude si prompts à défendre leurs intérêts, restent pour l’instant muets. Il faut dire que les clubs, Real Madrid et Manchester City mis à part, ont tous été amochés par la crise financière. Cette année sera peut être la seule durant laquelle ils prêteront une oreille attentive aux discours économes. Et puis, la démarche n’est pas inintéressante d’un point de vue business. “Oublier la logique sportive, c’est tuer la poule aux oeufs d’or”, souligne Frédéric Bolotny. Pour preuve, regardons ce qui se fait là où le business est roi: aux Etats-Unis.
“Le football en Europe est organisé de manière plus libérale que les ligues US” martèle l’économiste du Cendtre du Droit et de l’Economie du Sport. Là bas, les clubs n’existent pas: les équipes sont des franchises détenues par un propriétaire privé. Les franchises sont réunies dans des ligues dans lesquelles il n’existe pas de système de montées ou descentes et où on paie pour entrer. Comme si les patrons du CAC 40 décidaient de créer des équipes de foot ex-nihilo, de construire des nouveaux stades un peu partout en Fance et de fonder une nouvelle compétition concurrente au championnat de France.
Première conséquence, une franchise n’est pas irrémédiablement liée à une zone géographique. En basket, les Charlotte Hornets sont ainsi devenues les New Orleans Hornets alors que les New Orleans Jazz ont quitté la ville pour s’installer dans l’Utah. Ainsi, pour les Américains, un Real de Berlin ou un Inter de Birmingham ne seraient pas des aberrations. Il n’existe que deux parades pour qu’une ville garde à coup sûr sa franchise: que les fans deviennent eux-mêmes actionnaires principaux de l’équipe, comme pour les Green Bay Packers en football américain, ou que Homer fasse une grève de la faim comme dans cet épisode des Simpsons dans lequel la ville de Springfield risque de perdre sa franchise de baseball. Deuxième conséquence, plusieurs ligues peuvent coexister. Pas longtemps, certes, à cause des tensions du marché, mais un concurrent peut émerger. Dans ce cas, soit la ligue la moins attractive fait faillite soit les deux ligues fusionnent. En football américain, c’est ce qui donna la naissance du Super Bowl en 1967, la finale entre les vainqueurs deux ligues concurrentes: la NFL et l’AFL.
Le sport aux Etats-Unis fait plus dans l’argent que dans les sentiments. Pourtant les salaires et les transferts sont beaucoup plus réglementés que sur le vieux continent. Pour une raison purement mercantile, évidemment. Quand en 1944 la All-America Football Conference est créée pour concurrencer la NFL, le monde du foot US tremble. L’histoire tourne court en 1949 car en 4 championnats, le championnat de l’AAFC est écrasé par une seule équipe, les Cleveland Browns. Le public se lasse de cette hégémonie, la ligue perd des spectateurs et met la clef sous la porte. La grande force de la NFL et de la NBA, c’est justement un ensemble de règles qui assurent une forte évolution des équipes d’une saison sur l’autre et une certaine équité. Ainsi les finalistes changent régulièrement. Ce système, indispensable en l’absence de relégation, repose sur deux piliers: un plafond salarial et le système de recrutement des jeunes, la “draft”.
Le plafond salarial est décidé en fonction du montant des recettes générées par le sport et est imposé à tous les clubs. Il est donc impossible de réaliser une équipe de Galactiques avec une collection de gros salaires comme au Real Madrid. En plus, lors du recrutement des jeunes, les clubs les moins bons de la saison écoulée choisissent en premier selon un système un peu complexe. Les clubs les moins bons sont donc renforcés par les meilleurs éléments. En plus de ces deux systèmes, les joueurs se sont réunis en syndicats et des accords précis concernant les transferts des joueurs ont été mis en place, permettant une meilleur lisibilité et un plus grand respect des contrats.
Tout le monde n’est pas contre
Platini peut compter sur certains soutiens à son initiative: Michel Seydoux, le président de Lille le qualifie «d’évolution incontournable», le commissaire européen aux sports, Jan Figel, considère que la décision «va dans le sens de ce que recommande la Commission : plus de transparence et de stabilité dans le football». Mais dans l’ensemble, cette réforme ne soulève pas un enthousiasme dément. Notamment parce que le risque existe de voir les grands clubs européens faire tout bonnement sécession avec l’UEFA. Ils ont souvent menacé de créer une ligue regroupant les plus riches d’entre-eux et envoyant balader les championnats nationaux et autres coupes européennes.
Surtout, la mesure reste encore très floue. L’UEFA en a voté le principe mais pas les détails. Ainsi, si l’on sait que le dispositif pourrait être mis en place à l’horizon 2013/2014, et que les clubs ayant dépensé plus qu’il ne généraient “sur une certaine période” seraient interdits d’inscription, beaucoup d’éléments ne sont pas explicités. Voilà ce que dit le communiqué sur ce point (en vo): “the obligation for clubs whose turnover is over a certain threshold, over a period of time, to balance their books, or “break even”, (i.e. clubs cannot repeatedly spend more than the generated revenues)”. Rien de concret donc. Tant que ces points d’interrogations ne seront pas levés, nous ne sauront pas si le fair-play financier s’apparente à une DNCG efficace ou à un conseil national d’éthique fantomatique.
La parole revient à la Dèche, cité par Ouest France, pour analyser et conclure cette affaire : “Ça va vers l’équité sportive, cela ne fait aucun doute, mais il y a différentes réglementations à travers l’Europe et notamment concernant l’imposition. A moins que la spécificité du sport et du football ne soient reconnues, il faudra que tous les gouvernements promulguent les mêmes lois et ça risque d’être compliqué […] Mais, si Platini veut aller dans ce sens, ce sera une bonne chose pour le football. Ce n’est pas utopique, mais difficile à réaliser. Il n’est pas facile de trouver l’unité en Europe, il y a beaucoup de spécificités”. Au contraire, je crois que tant techniquement que tactiquement, c’est une bonne analyse.
Olivier Monod
Photo Reuters/Bogdan Christel
En bref, un article subjectif au possible.
On comprend mieux pourquoi cet article est sur un blog et non dans la presse.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Johan Hufnagel et Matteu Maestracci. Matteu Maestracci a dit: RT @Slatefrance: Platini le rouge http://bit.ly/1M1Lx […]
Je vois pas en quoi il est subjectif cet article.
En plus les références sont pointues (merci de nous remettre en mémoire les recrues en carton de Lyon Née, Monsoreau et Frau), les préiphrases mémorables et pour couronner le tout un hommage aux Isotopes de Springfield.
Plus sérieusement, si le milieu du foot et les experts sont restés de marbre c’est simplement parce que personne n’y croit.
Cet article n’est pas subjectif. Il permet au contraire de bien se rendre compte à quel point le fair-play financier est important. Il va changer le paysage footballistique européen et devrait permettre notamment aux clubs français de devenir plus compétitifs. Je diffuserai le lien de cet article dans la revue de presse et vous invite à lire l’article consacré au fair-play financier sur sportsandmarks : http://3.ly/B6r
[…] fait longtemps que je me suis prononcé pour un salary cap au niveau européen: la part du chiffre d’affaires d’un club consacrée aux salaires […]
[…] toujours pas à rivaliser avec les grands d’Europe. JMA plaide donc avec force pour un fair play financier européen, une régularisation du nombre des joueurs pros dans les clubs et un encadrement du salaire des […]
Il y a du boulot !
[…] des clubs à la LdC à leur bonne santé financière, et ce dès 2013. C’est le fameux “fair-pay financier”. D’autre part, pour participer à une coupe d’Europe, les clubs doivent présenter une liste […]