Un Tchètchène et des petits Suisses

La dream team du Xamax

Le club suisse de Neuchâtel Xamax est au bord de la faillite. La faute à la gestion chaotique de son propriétaire, un millionnaire tchétchène qui licencie ses joueurs, essore ses coachs et intéresse la justice.

Voici un championnat complètement oublié où seuls quelques recruteurs traînent leurs guêtres à l’affût d’une bonne affaire. L’Axpo Super League suisse n’a d’intérêt que pour les groupies d’Alexander Frei. On y trouve pourtant un club au fonctionnement bordélique détenu par un oligarque tchétchène aux méthodes musclées. C’est le Neuchâtel Xamax, qui fête ses cent ans cette année, et dont les soubresauts réveillent de temps à autre le bourg et ses 33.000 habitants paisiblement assoupis au bord du lac du même nom.

Une fortune trouble

Qui est Bulat Chagaev ? C’est la bonne question que se pose la presse suisse depuis mai dernier, depuis que cet homme d’affaires tchétchène a racheté le Xamax à l’entrepreneur Sylvio Bernasconi, devenant propriétaire de 53% des parts du club de Neuchâtel. Las, le nouveau patron, qui s’est adjoint son compatriote Islam Satujev à la vice-présidence, n’est pas très causant. On sait qu’il a commencé ses affaires en URSS dans les années 80, et qu’il s’est ensuite partagé entre la Suisse et Moscou. Selon le registre du commerce helvétique, Chagaev est à la tête de plusieurs sociétés à Genève, actives dans les matières premières (métal), les services et l’immobilier.

On sait aussi qu’il est ami avec Ramzan Kadyrov, le nettoyeur-pacificateur de la Tchétchénie, âme damnée du Kremlin dans le Caucase, et à ses heures perdues amateur de football (voir le match de gala organisé à Grozny avec distribution de montres en or). “Kadyrov, c’est comme mon frère. Aujourd’hui, en Tchétchénie, tout ce qui se fait de bien, c’est grâce à Kadyrov”. Une amitié qui le pousse à être le co-sponsor du Terek Grozny, club du pouvoir.

Quelle est sa fortune ? “Je ne compte jamais mon argent”, dit-il. Autre énigme: il ne “se souvient pas” combien il a racheté le club. “Si je veux acheter du pain et que je n’ai pas un franc, alors c’est cher. Mais si j’ai les moyens, j’achèterai à n’importe quel prix ce pain, surtout si j’ai faim. Ça s’est passé comme ça pour le Xamax.” La presse suisse, elle, évoque un rachat autour d’un million d’euros. Niveau transparence, Chagaev s’est semble-t-il mis au diapason de son prédécesseur Bernasconi, pas réputé pour ses talents de gestionnaire (en six ans de présidence, il connaît une relégation en deuxième division, une remontée, et use 7 coaches), et même carrément accusé d’une forme de délit d’initié avant la revente du club.

Bref, c’est le bordel à Neuchâtel, et même Chagaev le dit: “Nos prédécesseurs nous ont laissé un désordre administratif considérable. C’est comme s’ils n’avaient pas aimé ce club.” Avant d’insinuer que “peut-être que le Groupe Bernasconi avait d’autres intérêts que le football”.

La justice de la confédération a finalement décidé de mettre son nez dans les détails de la vente. Chagaev vient d’être inculpé pour avoir utilisé de faux documents, notamment une pseudo-attestation de la Bank of America, certifiant qu’il disposait de 35 millions de dollars sur un compte américain, à disposition de Neuchâtel Xamax. De quoi faire passer Jack Kachkar pour un enfant.

Avis aux mauvaises langues: il y a bien des ultras en Suisse

Huit mois après le changement de proprio, la situation financière du Xamax reste pourtant toujours aussi précaire. Plusieurs créances doivent encore être réglées, les dossiers d’indemnisation de salariés licenciés s’empilent, et les joueurs n’ont toujours pas reçu leurs salaires de novembre et décembre. Les dettes sont pour l’instant évaluées, selon une fourchette basse, à 5 millions d’euros, une grosse somme pour le foot suisse.

En novembre, le club a même échappé à la mise en faillite demandée par un agent s’estimant floué. L’avocat du Xamax, François Canonica, n’a pas lésiné sur la brosse à reluire pour rendre hommage à la décision du juge Sandoz, “fait du bois dont on fait les grands magistrats”. Le message officiel répète que Bulat Chagaev sera “prochainement en mesure de régler définitivement les divers problèmes financiers”. Mais le couperet de la justice pourrait bien tomber un jour ou l’autre, surtout que le Xamax doit désormais plus de 800.000 euros d’arriérés d’impôts à l’Etat. La Swiss Football League, échaudée par l’expérience Chagaev, vient de voter une modification de son règlement sur l’octroi des licences des clubs. A l’avenir, un changement de proprio sera soumis à son approbation.

Ces errements administrativo-financiers commencent à avoir une incidence sur le terrain. Huit points de pénalité ont été infligés dernièrement à l’équipe, qui se retrouve désormais 8ème (sur 10) au classement. A la trêve, quatre joueurs, dont le capitaine français Stéphane Besle, ont été purement et simplement licenciés. Résultat, l’entraîneur Victor Munoz ne compte plus que 17 éléments. Pour l’anecdote, on notera aussi que le Xamax vient de rompre son contrat avec l’équipementier Umbro. L’équipe pro s’habillera désormais chez Adidas. Mais attention, elle devra aller au magasin de sport et payer son matos. “Nous n’avons pas forcément envie que notre image soit associée à celle que véhicule aujourd’hui NE Xamax”, explique-t-on sans détours du côté de la marque aux trois bandes…

Des méthodes musclées

S’il y a une chose qu’on ne peut pas reprocher à Chagaev, c’est d’être déconnecté de la vie de l’équipe professionnelle. Le président suit de (trop) près les performances de ses hommes. La saison passée, le Xamax se qualifie pour la finale de la Coupe de Suisse. Mais à la pause, les Neuchâtelois sont menés 0-2 par le FC Sion. Le boss rejoint les vestiaires et incendie ses troupes: “I’ll kill you all” (“Je vais tous vous tuer”). Le souci, c’est que dans le monde testostéroné de Bulat Chagaev, la frontière est mince entre l’algarade verbale et le dérapage gun en main.

Pour preuve, ce samedi 27 août 2011. Le Xamax vient de faire match nul (2-2) contre Lausanne en championnat. Chagaev débarque dans les vestiaires, flanqué de ses gardes du corps, armés. Pour “mettre les choses au point”, justifie le proprio. Les joueurs flippent, et témoignent – off the record – auprès de 20minutes.ch: “Un jour, il va tous nous tuer”, “Ça ne peut pas durer ainsi. C’est à un point que si l’on fait une mauvaise passe ou que l’on rate un contrôle, on a peur de ce qui peut se passer ensuite”, “Aujourd’hui, il y a presque eu une bagarre avec le coach. M. Caparros lui a répondu et les gardes du corps de M. Chagaev ont empêché le Tchétchène de lui sauter au cou.”

De bonne humeur, Bulat Chagaev se contentera de réviser la prime de match

L’homme qui vire plus vite que son ombre

Comme son prédécesseur, Bulat Chagaev a un don pour faire sauter les fusibles à la vitesse grand V. Dans le foot, quand le patron n’est pas content, c’est l’entraîneur qui saute. Première victime, Didier Ollé-Nicolle. L’ancien coach de Clermont et Nice est éjecté suite au rachat du club, à une semaine de la finale de Coupe de Suisse pour laquelle il a qualifié l’équipe. A l’époque, le boss annonce avoir contacté Maradona comme manager, et vouloir faire de Didier Drogba le buteur de l’équipe. Kanouté et Heinze sont aussi annoncés. Viendront au final l’ex gardien de Boulogne Jean-François Bédenik, le boucher de Valence David Navarro et l’international nigérian Kalu Uche.

C’est ensuite Bertand Challande qui prend place sur le banc, pour quatre matchs (deux nuls/deux défaites en 17 jours). Puis, l’été dernier, Chagaev fait venir Sonny Anderson, accompagné de Jean-Luc Ettori et François Ciccolini. Le passage du Brésilien comme directeur sportif ne dure que 5 jours (aucun match car sa licence n’est pas valable en Suisse). Ciccolini et Ettori coacheront deux rencontres, pour deux défaites et la porte: “Monsieur Chagaev est venu dans le vestiaire à la fin du match pour nous dire que c’était terminé. Je ne pense pas donc que les morceaux puissent être recollés. C’est quelqu’un de très impatient, il ne comprend pas qu’il n’y a eu qu’une semaine de compétition. Il nous a pris pour des faiseurs de miracles”, témoigne dans So Foot le recordman du nombre de matchs en D1 française.

Évidemment, Chagaev a un mot gentil pour chacun d’eux: “Sonny Anderson sortait chaque demi-heure pour fumer une cigarette. Ça aussi, c’est professionnel ? Ciccolini, lui, restait immobile comme Napoléon. Le préparateur physique Patrick Legain a fait exprès de blesser le gardien Logan Bailly en le faisant courir 15 km à sa première séance pour faire venir Galatto. Binya a de son côté reçu des consignes pour blesser le nouvel arrivé géorgien Chirikashvili, ce qui permettait à Anderson de continuer à mettre en valeur les joueurs que lui voulait.”

Vient ensuite Joaquin Caparros. Malgré un CV long comme le bras (Villareal, Athletic Bilbao, La Corogne, FC Séville), l’Espagnol ne dure que deux mois. C’est son compatriote Victor Muñoz qui le remplace en septembre dernier. L’ex-coach du Terek Grozny, débarqué après à peine un mois dans la capitale tchétchène, a déjà explosé tous les records de longévité sous la mandature Chagaev. Mais qu’il reste prudent. Le Xamax ressemble toujours autant à un territoire miné.

Pour preuve, les communiqués de règlement de comptes qui tapissent la page d’accueil du site Internet du club. On appréciera en particulier la prose du défenseur Mickaël Facchinetti, qui a aussi la malchance d’être le petit-fils de Gilbert Facchinetti, ex-président du Xamax et candidat à son rachat. Autant dire que l’année 2012 – celle du centenaire du Neuchâtel Xamax – risque d’être chargée… Au programme, notamment, un possible changement de nom: le club pourrait devenir le Wainach Xamax, du nom d’un peuple du nord Caucase.

Bonus: le faux compte Twitter du Xamax

Ludovic Job et Sidney Maréval

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Photos Reuters

3 commentaires pour “Un Tchètchène et des petits Suisses”

  1. […] Slate.fr (Blog) […]

  2. […] juridiques, nous apprend «L'Express /L'Impartial». Ce dernier, licencié fin …Un Tchètchène et des petits SuissesSlate.fr […]

  3. […] Résumé des épisodes précédents Le club a été acheté mi-2011 par le milliardaire tchétchène Bulat Chagaev, qui avait promis l’arrivée de Maradona sur le banc et de Drogba en attaque. Les supporters les attendent toujours. Chagaev s’est plaint que son prédécesseur, Sylvio Bernasconi, a laissé un “désordre considérable”. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Tchétchène a continué sur cette lancée. Il a d’abord renvoyé quatre entraîneurs en trois mois, staff compris, avant d’engager un technicien espagnol toujours en poste. Un miracle. Régulièrement, Chagaev menace physiquement ses joueurs. L’homme est costaud, et entouré de gardes du corps au physique peu engageant. Fin 2011, il caressait l’idée de rebaptiser le club de cette paisible ville de 33 000 habitants du nom d’un peuple du nord du Caucase, note le blog Plat du Pied Sécurité.  […]

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