2010-2011: Etat des lieux des médias américains

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Bonne nouvelle, annonce le rapport annuel du Pew Project for Excellence in Journalism intitulé The State of the News media, la situation des médias américains s’est améliorée en 2010. “Après deux années terribles, les licenciements se calment, et de nouvelles expérimentations autour des modèles économiques commencent à porter leurs fruits”, écrivent les auteurs de l’étude, Tom Rosenstiel and Amy Mitchell.

En réalité, c’est surtout pour le journalisme numérique que les indicateurs sont au vert, car pour la presse écrite, la radio, et même la télévision, cela ne va pas fort. Le pire étant le secteur de la presse imprimée, dont les rédactions ont vu leur taille rétrécir de 30% depuis 2000. Chiffres clés et résumé des tendances repérées après une année médiatique américaine rythmée par… la fusion entre le magazine Newsweek et le site The Daily Beast, le rachat du Huffington Post par AOL pour 315 millions de dollars, et la majorité de NBC Université acquise par Comcast.

Audience

  • Les Américains n’ont jamais été autant en contact avec des informations, un constat qui profite avant tout aux nouveaux médias.
  • En 2010, le numérique a été le seul secteur à voir son audience progresser. Tous les autres supports, télé, radio, presse écrite, déclinent. En décembre 2010, 41% des Américains interrogés (contre 17% l’année précédente) ont cité le Web comme étant l’endroit où ils lisent “le plus d’informations sur les sujets nationaux et internationaux”.
  • Pour consulter les informations autres que nationales et internationales, 46% sondés déclarent se connecter sur Internet au moins trois fois par semaine, quand seulement 40% d’entre eux lisent des journaux imprimés. C’est la première fois que les nouveaux médias supplantent les médias imprimés.
  • Le mobile joue maintenant un rôle majeur dans la consommation des médias, et s’avère très consulté pour obtenir des infos locales. 47% des Américains disent obtenir des infos concernant leur quartier/ville/région sur leurs téléphone portables, ou d’autres appareils mobiles, comme des iPpads. Nul besoin, pour les éditeurs, de fantasmer sur la consultation de news via l’iPad, puisqu’en janvier 2011, seuls 7% des Américains possèdent une tablette, et 6% un e-reader.
  • La télévision n’a plus le vent en poupe. La plus grosse dégringolade? CNN, avec un audimat, en prime time, 37% moindre que celui de l’année dernière. Les autres chaînes sont sur la mauvaise pente aussi: Fox perd 11% d’audience, et MSNBC 5%.

Revenus publicitaires

  • Pour la première fois aux Etats-Unis, les publicités en ligne ont généré plus d’argent que celles imprimées dans les journaux.
  • En 2010, les revenus publicitaires sur Internet ont augmenté de 13.9% par rapport à 2009, atteignant 25.8 milliards de dollars.
  • A l’inverse, les revenus publicitaires issus du papier ont atteint 22.8 milliards de dollars en 2010, chutant de 6.4% par rapport à 2009. Entre 2008 et 2009, l’effondrement avait été de 26%.
  • Le grand gagnant de cette course aux revenus publicitaires reste la télé locale, ou plutôt les télévisions locales, très établies aux Etats-Unis. En chiffre publicitaire, celles-ci font 17% de plus que l’année dernière, grâce notamment à un regain d’annonceurs issus de l’industrie automobile, et à des campagnes lors des élections des mid-terms.

Modèles

  • Les organisations éditoriales qui embauchent sont… en ligne. AOL a recruté près de 1.000 employés, Yahoo! a embauché des journalistes pour couvrir actualités, sport, et économie.
  • Aux Etats-Unis, seul 1% des utilisateurs paie pour accéder à des informations en ligne. Cependant, des “signes le montrent”, certains contenus peuvent bel et bien être achetés, assure le rapport du Pew Project. Mais seulement dans deux cas. Le premier est un cas très particulier, pour ne pas dire désespéré. Il consiste en cette hypothèse: si un journal local risquait de périr aux Etats-Unis, 23% des Américains seraient prêts à payer 5 dollars par mois pour en lire une version en ligne.  Quant au second cas, il concerne les seuls à avoir “réussi” leurs murs payants. C’est-à-dire ceux qui produisent des informations financières réservées à une audience qualifiée: le Financial Time, le Wall Street Journal, et Bloomberg. Selon le rapport, un modèle est peut-être né mais ne peut pas concerner les informations généralistes.
  • Selon le rapport du Pew Project, il faut comprendre que, désormais, les modèles économiques seront fragmentés. Jusqu’à présent, c’était simple. La télévision dépendait de la publicité, les journaux dépendaient de leur diffusion et en partie de la publicité. En ligne, il y a beaucoup “plus de joueurs autour de la table”, Apple prenant 30% des parts sur la vente des applications, Google 10% sur la plate-forme Android. “Une seule source de revenus ne suffit pas” à financer l’ensemble du média, détaille le rapport.

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Journalisme et réseaux sociaux: 8 tendances venues des Etats-Unis

Deux semaines en «mission» aux Etats-Unis, une quinzaine de visites dans des rédactions dont le Washington Post, NPR, Fox News, CNN, Politico, Bay Citizen, et des rendez-vous auprès des entreprises de nouvelles technologies, dont Google et Twitter. Quel bilan? Quelles tendances relever? Quels sujets préoccupent les journalistes américains? Quels sont les nouveaux usages qui émergent? Résumé.

  • Le rôle de «social media editor», c’est fini?

En décembre dernier, le New York Times a supprimé ce poste créé un an et demi plus tôt, occupé par Jennifer Preston, qui est désormais retournée au pôle reportages. Pour Preston, interrogée par le site Poynter, la création d’un poste de «social media editor» est une étape dans la vie d’une rédaction, mais une étape temporaire. «Les réseaux sociaux ne peuvent pas appartenir à une seule personne. Cela doit faire partie du travail de tous les journalistes et faire partie du processus éditorial et de la production existante.»

Cindy Boren, social media editor dédiée aux sports pour le Washington Post, sait bien que cette phase n’est pas éternelle. «La suppression du poste de social media editor au New York Times signifie qu’il faut que tous les journalistes se mettent aux réseaux sociaux, pas seulement les “social media editors”. Car les réseaux sociaux, c’est de l’actu pour tous les reporters.» Et elle le prouve: «L’histoire des 400 spectateurs du Super Bowl qui n’ont pas eu de places assises a commencé sur Twitter. Et c’est devenu une polémique énorme, que l’on a racontée et qui a fait partie de nos “top stories”».

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  • N’écris pas sur Twitter ce que tu ne dirais pas à l’antenne

Il y a un an, les rédactions anglo-saxonnes complétaient voire rééditaient leur charte déontologique pour statuer sur la posture journalistique à tenir sur les réseaux sociaux. Le New York Times interdit alors aux rédacteurs du pôle «news» d’écrire des messages trop «éditorialisants» sur les réseaux sociaux, afin de ne pas empiéter sur le territoire du pôle «opinions». Reuters préconise que ses journalistes se créent deux comptes distincts sur Twitter. L’un à usage professionnel, «pour agréger de l’information et construire un réseau», l’autre à usage personnel, où les journalistes doivent indiquer qu’ils travaillent à Reuters, mais que leurs messages ne reflètent pas l’avis de leur employeur et où ils n’écrivent rien qui puisse être dommageable à leur employeur.

Désormais, l’unanimité est de mise dans toutes les rédactions américaines, qui appellent leurs journalistes au bon sens. Et répètent cette maxime: «Ne dites par sur les réseaux sociaux ce que vous ne diriez pas à l’antenne/à l’écrit.» Même chez Twitter, qui ne fait pourtant pas partie des éditeurs, on réfléchit avant de tweeter. En témoigne un tableau, accroché dans le hall du réseau social, situé à San Francisco, qui martèle «google before you tweet, think before you speak» (faites une recherche sur Google avant de tweeter, réfléchissez avant de parler).

Crédit: DR

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  • Facebook le mal aimé des journalistes

Dites Twitter et tous les journalistes s’enthousiasment. Dites Facebook et les mêmes regardent leurs chaussures. Pourquoi? Parce qu’ils négligent le second au profit du premier. «Il faut que je m’y remette», confient-ils le plus souvent. D’autant qu’ils voient bien qu’il y a beaucoup plus d’interactions possibles avec le grand public sur Facebook que sur Twitter. En effet, selon une récente étude d’eMarketer, un internaute américain sur deux est sur Facebook, soit 132,5 millions de personnes (42% de la population américaine), contre 20 millions d’Américains sur Twitter (7% de la population des Etats-Unis).

Andy Carvin, responsable des réseaux sociaux pour NPR, remarqué pour sa couverture des révolutions arabes sur Twitter, a cette formule: «Nous, journalistes, ne sommes nous-mêmes que des visiteurs sur Facebook. Nous n’avons pas de règles très précises, les commentaires affluent, nous ne les modérons pas.»

  • Les réseaux sociaux, les nouveaux référenceurs d’audience

Le Nieman Lab, le laboratoire d’Harvard qui décrypte l’impact de la révolution numérique sur le journalisme, l’écrit: et si les réseaux sociaux devenaient le nouveau SEO (search engine optimization, en VF)? Comprendre: après que les moteurs de recherche comme Google ont été les plus gros fournisseurs de trafic des sites d’informations, les réseaux sociaux se font leur place en tant que pourvoyeurs d’audience. Sur Politico, les réseaux sociaux apportent entre 10 et 15% du trafic général du site chaque jour. Sur NPR.org, le site de la plus grosse radio des Etats-Unis, 7% de l’audience est fournie par Facebook. Des chiffres qui devraient croître encore – d’ici 2013, il pourrait y avoir 62% de la population américaine sur le réseau fondé par Mark Zuckerberg.

«Je pense que nous serons bientôt arrivés au point où les réseaux sociaux fourniront plus de trafic aux médias que le “search”», écrit Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab. Et cela pourrait modifier la façon de produire des informations. «Les journalistes vont changer, de façon subtile, le type de contenus qu’ils réalisent afin d’encourager le partage de ceux-ci». Comment? En s’appuyant sans doute sur des éléments qui poussent les internautes à recommander sur Facebook des articles, ou à les poster sur Twitter. D’après les premières observations, les informations provocantes, émouvantes, et «positives» ont plus de chance de circuler sur les réseaux sociaux que des contenus jugés neutres.

  • Infos en ligne = infos au bureau

Si la consultation des statistiques en temps réel est souvent considérée comme une pratique taboue dans les rédactions américaines, en revanche, savoir quelles sont les heures pendant lesquelles les sites d’infos génèrent le plus de trafic s’avère très répandu. Et est considéré comme fondamental.

Aux Etats-Unis comme en France, le trafic d’un site d’infos est calqué sur une journée de travail. Enorme audience en début de matinée et lente érosion jusqu’à la chute de 18h, heure à laquelle nombreux sont ceux qui quittent leur travail. «Sur le site du Washington Post, notre “prime time”, c’est 7h-17h, reprend Cindy Boren. Sauf pour le sport, qui marche bien les soirs, le dimanche et le vendredi, pile quand l’audience du reste du site plonge.»

Ainsi, «le temps de travail devient aussi le temps de s’informer», explique Pablo Bockowski (1), chercheur à l’Université de Northwestern et auteur de News at Work, cité par le blog AFP Médiawatch. Pour lui, il y a un lien entre la consommation d’informations en ligne et utilisation des ordinateurs de bureau. Quant aux infos consultées via mobiles, elles seraient surtout consultées avant et après les journées de travail, c’est-à-dire plus tôt le matin et plus tard le soir.

Puisque la consommation d’infos en ligne culmine le matin, l’obsession des rédacteurs en chef, c’est de ne surtout pas prendre de retard pour couvrir l’actualité, car un démarrage en retard ne se rattrape pas, et «plombe» la journée entière. Bill Nichols, le directeur de la rédaction de Politico, le sait: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).

  • Non aux contenus gratuits devenus payants

Faire payer des contenus produits par des journalistes, pourquoi pas? Dans les rédactions américaines, les journalistes n’y semblent a priori pas opposés. Sauf dans un cas: lorsque les contenus en question ont d’abord été en accès libre, avant de, «pour une raison ou une autre», devenir payants. «C’est ridicule de changer de stratégie en cours de route. Une fois que tu as relâché le génie de sa bouteille, tu ne peux plus l’enfermer à nouveau», résume l’éditeur Martin G. Reynolds, du groupe Bay Area News.

Sur le site de NPR, ses applications iPhone, iPad et Android, toute la production est en open source, outils, systèmes et contenus. «Tout le monde peut se servir de ce que l’on produit», insiste Andy Carvin, de NPR. La rédaction dit être fière de faire «l’exact opposé» de ce que font Rupert Murdoch et le New York Times, lesquels installent des murs payants.

  • L’alliance développeurs/journalistes

D’ordinaire, dans les rédactions traditionnelles, les équipes techniques et éditoriales vivent dans des mondes opposés, ne parlent pas le même langage, et ne sont parfois même pas dans les mêmes locaux. Ce qui ne facilite pas la communication et l’avancement des projets. Désormais, les nouvelles organisations ont compris qu’en ligne, il ne pouvait plus y avoir de barrière. Développeurs et journalistes doivent avancer de concert sur les projets, pour une alchimie innovante entre technologie et contenus.

Une formule que l’équipe de Bay Citizen, un site lancé l’année dernière, a fait sienne. Autour de la table, dans leurs bureaux de San Francisco, des éditeurs d’infos et de vidéo, des responsables de communauté, un rédacteur en chef et des développeurs. «Tout le monde ici est journaliste, lance l’un des membres de l’équipe. Les développeurs ne font pas que taper du code, ils jouent un rôle crucial dans l’éditorial. Il est capital pour nous que les liens soient très forts entre l’équipe technique et l’équipe éditoriale. Hors de question d’avoir un prestataire de services extérieur (à la rédaction, ndlr) qui ne comprendrait pas les contenus sur lesquels nous travaillons.»

  • Le «live», le roi du Web

Pour suivre l’actualité dans les pays arabes, les sites d’infos généralistes, en Europe et aux Etats-Unis, ont mis en place une couverture médiatique inédite, réactualisée en permanence via une nouvelle narration. Une narration qui agrège du texte, des photos, des vidéos, des messages sur les réseaux sociaux. Une narration interactive. Une narration qui évolue en temps réel. Les professionnels du numérique appellent cela des «lives», ces formats éditoriaux qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur les soulèvements ou toute autre actualité à l’instant T.

C’est un changement de paradigme, pour les éditeurs et aussi pour les réseaux sociaux. Othman Laraki, le directeur de la géolocalisation et de la recherche sur Twitter, le constate aussi: «partout où notre croissance a pu débuter, c’est parce qu’il s’est passé, dans l’actualité, de l’instantané» qui se raconte en… «live».

Une nouvelle narration qui semble dicter la (nouvelle) donne au géant Google. Le modèle «un lien = une histoire est vieux voire dépassé. Maintenant, il faut comprendre qu’un lien = plusieurs histoires», décrit un responsable de Google News. Rude tâche pour le robot de Google, appelé «Crawler», chargé de scanner les pages Web pour savoir de quoi elles parlent et ensuite pouvoir les référencer. Le problème du Crawler, c’est de pouvoir photographier un format «live» alors que celui-ci, par définition, n’est pas statique, et évolue d’une minute à l’autre. «Nous essayons d’accélérer la vitesse du Crawler», assure-t-on chez Google, qui rappelle qu’à ses débuts, en 2006, l’algorithme de Google News n’était «rafraîchi que toutes les heures, quand maintenant, il l’est toutes les minutes, et qui sait? Demain, il le sera peut-être toutes les secondes.»

Alice Antheaume

(1) Pablo Bockowski donnera une master class ouverte au public à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, jeudi 17 mars.

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Accro aux statistiques

Crédit: Flickr/CC/zigazou76

Crédit: Flickr/CC/zigazou76

«Peut-on avoir accès aux statistiques de fréquentation du site?», m’ont demandé les étudiants qui produisent, chaque jour, des contenus d’actualité en ligne, sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, comme s’ils travaillaient pour un site d’informations. A force de leur parler, en cours, des requêtes de l’audience, de leur faire voir ce que cherchent les internautes en temps réel, sur les moteurs de recherche et sur les sites d’infos nationaux, ils veulent, à leur tour, se frotter aux chiffres sur leurs propres contenus.

Pister les visiteurs, savoir si un article récolte des clics ou pas, c’est ce que permettent de voir les statistiques, les «stats» dans le jargon, qui traquent l’activité des internautes, page par page. D’où les visiteurs viennent? Combien de temps restent-ils sur un contenu? Quel est l’article qui fait le plus gros score du site? Est-ce que le trafic global est meilleur ou moins bon que la semaine dernière, à la même heure? Toutes ces données – qui ne sont plus réservées aux télévisions – sont disponibles sur des outils (développés en interne ou fournis par Atinternet – Xiti ou Chart Beat par exemple) dont de plus en plus de journalistes se servent pour surveiller les préoccupations de leurs lecteurs. Particularité: ils suscitent la dépendance. Vraiment.

Crédit: capture d'écran de Chart Beat

Crédit: capture d'écran de Chart Beat

Les stats, une drogue dure

«Au début, je considérais la consultation des “stats” comme une pratique choquante, se souvient Emmanuelle Defaud, journaliste à lexpress.fr, mais l’addiction est venue au fur et au mesure. Maintenant, c’est une obsession. Cela me sert toute la journée pour “sentir” les sujets qui montent, pour savoir si un contenu est googlé (remonté dans Google News, ndlr), si on est dans le bon timing de publication ou pas.»

Comme le SEO, dont j’avais déjà parlé dans un précédent WIP, les statistiques ont un impact sur la couverture éditoriale. Si un sujet fait beaucoup de clics, “on va le feuilletonner”, reprend Emmanuelle Defaud, en publiant un angle sur ce thème, puis un autre, puis un autre…

Kevin Boie, qui dirige le site Web local de Fox News à Dallas, assume lui aussi. «Oui, les stats sont d’une importance majeure. C’est la première fois que l’on peut voir, en instantané, quelles sont les réactions des gens qui nous lisent sur ce que nous produisons.» Et cela le pousse à prendre des décisions éditoriales. «Notre trafic dépend beaucoup de si nos contenus sont “linkés” ailleurs. Alors nous mettons le paquet pour que cela arrive. Si je vois un contenu grimper de façon immédiate sur la courbe, c’est très possible que cela soit parce que le Drudge Report a fait un lien vers ce contenu. Dans ce cas, je vais sans doute compléter le papier, en y ajoutant des éléments. J’en donne plus, car je sais qu’il va être beaucoup lu.»

«J’en donne plus»

Pour Emmanuelle Defaud, c’est un changement de paradigme: «Quand les journalistes débutent sur le Web, ils écrivent un article pour… écrire un article. Maintenant qu’ils consultent les “stats”, ils écrivent un article pour… être lus.»

Pour ceux qui arrivent avec l’idée de faire du grand et noble journalisme, c’est parfois la déconvenue. Car l’intérêt des lecteurs peut se porter sur de «l’information servicielle», quel temps il fera demain, s’il y aura de la neige sur la route, ou si une grève bloque les transports en commun. «Lorsque l’on voit l’écho qu’un papier sur la neige a auprès de nos lecteurs, on ne peut pas traiter ce sujet par dessus la jambe, il faut le prendre au sérieux, même si, pour la plupart des journalistes, c’est très pénible.»

Une distraction?

Aux Etats-Unis, l’idée que tous les journalistes puissent consulter ces chiffres (les «Web metrics», en VO) est le plus souvent associée au mot «distraction». «Nos reporters n’ont pas accès aux données minute par minute, me raconte Andy Carvin, responsable des réseaux sociaux pour NPR.org, le site de la plus grande radio des Etats-Unis. Nous ne voulons pas les distraire. Mais, oui, les dirigeants les ont.»

Idem à Politico.com: seuls les managers voient minute par minute qui est sur quel article et combien de temps il y reste. «Je ne vais pas faire changer la home page en fonction de ce que j’apprends des statistiques, défend Bill Nichols, le directeur de la rédaction. Nos lecteurs sont des fanatiques, ils reviennent sur la page d’accueil entre 5 et 12 fois par jour, donc nous savons qu’il faut de toutes façons leur donner du nouveau. Une simple photo peut devenir un diaporama dans la même journée.»

Tabou, l’accès aux statistiques? Un peu. Mais ce qui n’est pas tabou, dans les rédactions américaines, c’est bien de savoir ce que veulent lire les lecteurs. Et pour ce faire, les journalistes observent Google Trends, qui indexe en temps réel les requêtes sur Google les plus recherchées par les internautes d’une zone géographique donnée. Objectif de l’exercice: déterminer à quels moments produire quels sujets.

Les sujets tendances, oui, le détail des chiffres, non

«Je regarde beaucoup Google Trends, me confie Cindy Boren, social media editor au Washington Post. J’essaie de voir ce qui est très chaud, et ce qui l’est moins, et j’essaie de calquer ma production sur ce qui est recherché par les gens». Mais pas à tout prix. «Je me demande toujours: est-ce que je peux apporter quelque chose de journalistique à cette tendance? Et si oui, comment me distinguer des autres médias qui auront peut-être eu la même démarche? Bref, j’essaie d’être dedans, de coller aux tendances, même si celles-ci sont temporaires.» «C’est en fait très simple, nous voulons des sujets qui intéressent les gens, reprend Bill Nichols. Alors nous regardons de très près les tendances sur Google.»

Sur le site du groupe de Bay Area News, qui détient Oakland Tribune et Mercury News, l’éditeur Martin G. Reynolds le dit tout haut: «Je n’ai pas besoin de regarder les statistiques pour définir ce que l’on doit faire. Je sais que les histoires de violences, de viols, et tout ce qui est “nouvelles chaudes” cartonnent, mais je ne veux pas créer un monde dans lequel vous n’auriez que les sujets qui vous concernent, que des interlocuteurs avec qui vous seriez d’accord, que des contenus journalistiques représentant vos croyances et votre façon de voir le monde. Le journalisme, c’est à la fois être au courant de ce que veulent les lecteurs, et ne pas se laisser gouverner par cela.»

Jauger l’appréciation des lecteurs

A Bay Citizen, un nouveau site d’infos locales lancé à 2010 à San Francisco, un membre de l’équipe technique me dit qu’il rêve d’un grand écran dans la rédaction, avec les statistiques affichées en temps réel. Car pour l’instant, les journalistes viennent toutes les cinq minutes lui demander quel score fait tel ou tel contenu en vérifiant les «stats» sur… son ordi. Accros, eux aussi.

Outre le nombre de commentaires, outre le nombre de tweets sur ce contenu vus sur Twitter, outre le nombre de «likes» de Facebook sur le sujet, c’est une façon de jauger l’appréciation de ceux qui les lisent. Et de repérer ceux qui ne les lisent pas. Quite à écrire un article sur ces derniers (cf, en 2008, cet appel au débat «Pourquoi vous vous fichez de la Birmanie?»)

Prudente, Zoé Cornelli, éditrice en ligne de Bay Citizen, estime que les impératifs de la demande nécessitent du recul. «Il faut certes répondre aux demandes des internautes, dit-elle, mais dans la mesure de ce que nous sommes. Si les internautes cherchent du Britney Spears, nous ne pourrons pas écrire d’article là-dessus car ce sujet ne fait pas partie de notre ligne éditoriale. Nous écrivons beaucoup sur des sujets que nous jugeons importants, et qui, pourtant, ne sont pas sexys. Nous les faisons malgré tout, même s’ils ne font que peu de trafic.»

Apprendre à déchiffrer les statistiques

Le premier problème des statistiques, c’est qu’il faut apprendre à les lire car elles sont biaisées. Par les moteurs de recherche qui, en référençant un contenu, provoquent un afflux de clics immédiat pour, parfois, une qualité journalistique discutable; et par l’importance donnée à un contenu via sa hiérarchisation sur la page d’accueil.

Sur lemonde.fr, par exemple, le positionnement d’un article en «tête de gondole» le propulse presque toujours au rang de contenu le plus lu du site. Enfin, un «live», quelqu’en soit le sujet, concentre au minimum 25% du trafic général du site (d’autant qu’il est mis particulièrement en avant). La preuve, il y a eu un fort appétit, ces dernières semaines, pour les couvertures en live des événements en Libye, en Egypte ou en Tunisie.

Cependant, ces modèles sont à prendre avec des pincettes, car les formules inverses se vérifient aussi: «Par quel chemin étrange les internautes passent pour faire monter un article “en haut du palmarès” alors qu’il n’est pas sur la “une”? Dans quelles mesures les internautes trouvent un article alors même qu’il se trouve tout en bas sur la “une”?», sourit Hélène Fromen, directrice exécutive de Médiapart. Sur ce site, dont le coeur n’est pas de faire de l’info en temps réel, l’usage des statistiques est moins éditorial que marketing: «Nous avons un outil qui nous donne les “stats” en temps réel mais nous ne sommes que rarement dans ce tempo-là, dit encore Hélène Fromen. Nous suivons la volumétrie globale de l’audience en temps réel, pour déceler des irrégularités dans un sens ou un autre, vérifier l’impact d’un sujet. Par exemple il nous arrive de suivre le “poids” d’un seul sujet ou de vérifier qu’un article ou un billet de blog du Club (en lecture libre) “buzze”».

Prendre ses distances

Le deuxième problème des statistiques en temps réel, c’est qu’il faut s’en détacher. C’est-à-dire sortir du temps réel. Je m’explique: mieux vaut que les statistiques ne soient pas être la décision éditoriale numéro 1, sinon votre site n’est plus un site d’infos généralistes, mais un site qui ne fabrique plus que des sujets people, sport et sexe. L’idéal est donc de repérer, sur le long terme, à force de regarder les courbes, les thématiques (santé, sport, gouvernement, etc.) et les formats (live, zapping, interview) qui génèrent l’intérêt de vos internautes et à quelles tranches horaires, afin de mieux calibrer la production (quel thème à quelle heure?).

En réalité, un contenu qui trotte en tête des chiffres n’est pas forcément un bon papier journalistique. Un constat difficile à vivre – et à accepter – par les journalistes. Un article fouillé, original, ayant nécessité plusieurs interviews, peut être mal classé dans les contenus les plus populaires, tandis qu’à l’inverse, une simple dépêche d’agence, à laquelle auront été rajoutés trois phrases et deux liens, pourra être très lu. «On peut faire d’énormes “stats” sur une brève à propos de Britney Spears, et, dans la rédaction, personne n’ira féliciter l’auteur de cette brève, raconte Emmanuelle Defaud. Alors qu’un bon score sur la Libye, ou un sujet international, alors là, chapeau!»

Donner sa chance à un article

Face à de tels chiffres, tout l’art est de réussir à «donner sa chance» au contenu à plus value journalistique, quite à changer plusieurs fois de titre, à en modifier la photo et à le faire circuler sur les réseaux sociaux.

«Si je sais que l’article est bon et que je ne le vois pas apparaître dans les “stats”, je regarde si son titre est suffisamment incitatif. C’est ma responsabilité d’assurer le service après-vente, reprend Emmanuelle Defaud. Après, tu ne sais jamais si un papier qui cartonne dans les statistiques est un bon article. Il peut juste avoir un bon titre et avoir été publié au bon moment. Je ferais davantage confiance au nombre de “likes” de Facebook sur un papier pour juger de sa pertinence éditoriale, car c’est le papier que les lecteurs veulent partager sur leur mur, sur un réseau social, un papier qui, a priori, les a scotchés» et avec lequel ils pensent intéresser leurs «friends»…

Et vous, éditeurs, êtes-vous toujours en train de regarder vos statistiques? Et vous, lecteurs, aimez-vous l’idée que vos requêtes puissent suggérer des sujets aux journalistes?

Alice Antheaume

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Politico, un site sachant imprimer

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Jeudi 10 février 2011, 11h. Dans les locaux de Politico, à Washington D.C., la rédaction paraît calme. En fait, ses journalistes cravatés sont à la fois au four et au moulin. Les uns couvrent simultanément sur le site, sur les réseaux sociaux, et via une newsletter, un «breaking news» annonçant que le sénateur de l’Arizona, John Kyl, ne se représentera pas pour un prochain mandat, ouvrant la voie aux spéculations sur le nom de son successeur.

Les autres lancent ce jour-même un site annexe, Pro Politico, «notre première expérience de payant» sur «les politiques de santé, de technologie, et d’énergie», annonce Bill Nichols, le directeur de la rédaction. Pour alimenter ce site, 40 personnes ont été recrutées. Cible visée: un public «habitué à payer des informations spécifiques», comme les juristes et les lobbyistes, présents en nombre à Capitol Hill, le quartier résidentiel près du Capitole.

«Notre ambition est de sortir du marasme qui bouleverse le journalisme pour devenir la seule publication faisant autorité sur la façon dont Washington et le gouvernement américain dirigent les Etats-Unis», lance Jim VandeHei, qui dirige Pro Politico.

Une ligne éditoriale adaptée aux quartiers

C’est là le double génie de Politico, lancé en janvier 2007:

1. s’être installé dans une ville, Washington D.C., siège de toutes les décisions et polémiques fédérales.
2. s’être fixé une ligne éditoriale adaptée à sa localisation: «en un mot, nous couvrons ce qui a de l’impact sur la vie politique américaine. C’est-à-dire les lobbyistes, les chambres haute et basse, le Congrès et la Maison Blanche», résume Bill Nichols.

En France, l’équivalent n’existe pas. Et si un Politico à la française devait se lancer, il lui faudrait s’installer dans une zone délimitée par la place Beauvau/l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat et la rue de Grenelle.

Si le site est connu, récoltant entre 500.000 et 700.000 visiteurs uniques par jour, son support imprimé l’est moins, voire pas, du moins en France. Gratuit, ce journal est distribué à 60.000 exemplaires, et porté directement dans les institutions gouvernementales de Washington D.C., dont le Congrès américain, la Maison Blanche, le Sénat. Et ce, 5 jours par semaine, les jours ouvrés. De quoi construire son aire d’influence. Et rafler une grande partie du marché publicitaire, qui «à Washington D.C., est très en demande de supports imprimés», confirme le directeur de la rédaction, assurant que «Washington D.C. est une ville faite pour les journaux», socle du modèle économique de Politico. Politico n’est pas un pure player. «Politico, c’est un site qui a un journal, pas l’inverse», dit Bill Nichols.

Sur Politico.com, ce jour-là, point de développement en temps réel de la situation en Egypte, mais «toutes les déclarations des hommes politiques américains sur les événements au Caire, et l’analyse des enjeux». Parmi les contenus disponibles, cette vidéo de Robert Gibbs, le porte-parole de Barack Obama, évitant non sans humour toute question sur l’Egypte.

MISE A JOUR: vendredi, jour de la démission officielle d’Hosni Moubarak, Politico s’est centré sur les déclarations de Barack Obama, assurant que le départ de l’ex-président égyptien «n’était pas la fin de la transition, mais le début».

La politique, coeur de l’info

Couvrir la politique, seulement la politique, c’est palpitant, mais parfois frustrant. Bill Nichols, qui a travaillé comme journaliste pendant 20 ans pour USA Today, un quotidien généraliste et un des rares quotidiens nationaux, se souvient du jour de la mort de Michael Jackson, le 25 juin 2009. «USA Today en a fait sa une, évidemment, mais pour Politico, c’était impossible. Nous n’avons rien écrit, j’en étais retourné. Jusqu’à ce qu’un journaliste de Politico réalise un diaporama de Michael Jackson posant avec d’anciens présidents américains, sans doute pour calmer mes nerfs.» A Politico, ce seul critère est roi: est-ce que l’info concerne ou impacte la vie politique américaine? Si oui, c’est un sujet pour Politico. Si non, passe ton chemin.

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Une rédaction, des lecteurs fanatiques

Au lancement de Politico, «nous étions une petite cinquantaine dans la rédaction, maintenant nous sommes près de 200», ajoute Bill Nichols. «Dès le début, nous avons fait attention à ne pas installer deux rédactions, l’une qui travaillerait pour le Web, et l’autre pour le print. Avoir deux catégories de personnel, c’est une idée désormais obsolète aux Etats-Unis, car ce n’est économiquement pas viable». Au final, l’équipe de Politico est mixte, composée à la fois de «créatures issues du du Web» et de journalistes politiques «old school», s’amuse le directeur de la rédaction. Sans oublier ceux qui s’occupent des réseaux sociaux, et du SEO. Part du trafic apporté par les réseaux sociaux sur Politico? Entre 10 et 15%. «Nos lecteurs sont des fanatiques, sourit Bill Nichols, conscient de son avantage. Ils viennent entre 5 et 12 fois par jour sur la page d’accueil pour y chercher du nouveau.»

C’est la rançon de leur «excellente couverture de la politique en temps réel», analyse Stephen Engelberg, directeur de la rédaction de ProPublica, un site indépendant, basé à New York, qui ne veut produire que de l’investigation. Alors le directeur de la rédaction de Politico ne lâche rien, surtout pas le matin, un moment aussi crucial pour les sites d’infos que le «prime time» à la télévision: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).

Stephen Engelberg se souvient: «A ses débuts, Politico.com était meilleur sur les informations minute par minute que sur les analyses, laissant celles-ci au Washington Post (également basé à Washington DC, et connu pour ses révélations sur le “Watergate”, ndlr) mais ils s’améliorent maintenant sur ce deuxième point». Le Washington Post (1) n’est pas un bleu en la matière: fondé en 1877, il est le 5e plus gros journal des Etats-Unis, avec une diffusion de 545.345 exemplaires en semaine, 764.666 le dimanche. Il vient en outre d’annoncer qu’il allait investir entre 5 et 10 millions de dollars pour lancer une plate-forme, gratuite, d’agrégation d’infos sur le Web.

Alice Antheaume

Aimeriez-vous voir naître un Politico version française? Dites-le dans les commentaires ci-dessous…

(1) Le Washington Post est actionnaire de Slate.com, lui même actionnaire de Slate.fr

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L’Egypte, un carton sur le Web, un bide au JT

Crédit: REUTERS/Dylan Martinez

Crédit: REUTERS/Dylan Martinez

Sur les JT des grandes chaînes d’information nationales françaises, les événements en Egypte ont été vite expédiés en début de semaine, démontre ce zapping. Une couverture éditoriale réduite, à l’opposée de celle adoptée par les sites Web d’infos français. Ceux-ci ont, au contraire, mis le paquet et couvrent, depuis le début de la crise, chaque minute du soulèvement égyptien.

Faux procès dressé contre les JT? TF1 a finalement mis en place, en fin de semaine, une édition spéciale sur l’Egypte, lors du 20 heures du 3 février. Certes, ce n’est qu’un «one shot», pas un suivi en continu, mais la promesse de TF1 n’est pas non de faire du CNN.

Les efforts de TF1 ne paient pas

Malgré ces efforts louables, le poisson ne mord pas. Seuls 6,9 millions de téléspectateurs ont suivi le journal consacré à l’Egypte de Laurence Ferrari, dont le créneau fait en moyenne 7,4 millions de téléspectateurs en janvier et est monté jusqu’à 8,9 millions le 8 décembre 2010, au moment des épisodes de neige en France. Un «petit score», donc, selon le site spécialisé Ozap, qui rappelle que «traditionnellement, le JT de TF1 est faible lorsque l’actualité internationale est forte». «Le fait que les sujets de proximité soient, à la télévision, davantage fédérateurs que les grands événements internationaux n’est pas nouveau, écrit Franck Nouchi, cité par Arrêt sur Images. “La Corrèze plutôt que le Zambèze”, avait théorisé il y a bien longtemps le journaliste Raymond Cartier.»

Plus grave, les téléspectateurs de TF1 auraient envoyé pléthore de messages «racistes» à la chaîne sur le thème «on s’en fiche des sujets sur les Arabes, on veut d’autres sujets». C’était lors de la «révolution tunisienne», détaille lepoint.fr, qui révèle l’histoire.

Catherine Nayl, la directrice de l’information de TF1, s’en est expliqué dans l’émission Médias Le Mag, sur France 5: «Non, on ne reçoit pas de nombreux emails racistes» et oui, «la vie, pour un téléspectateur, ce n’est pas que l’actualité». Elle concède que, «pour un journaliste, les efforts que nous pouvons faire sur le terrain sont peu chèrement payés par nos téléspectateurs. Ils s’intéressent à l’actualité internationale, mais leurs préoccupations sont davantage tournées vers la pénurie d’essence et la météo». Un bon point néanmoins, selon Catherine Nayl: les téléspectateurs «venus regarder la “spéciale” (du 3 février, ndlr) sont restés jusqu’au bout, pendant 20 minutes. C’est une belle récompense».

Frénésie des lives

C’est tout le contraire sur le Web, où les internautes cliquent de façon frénétique sur tout ce qui touche de près ou de loin aux mouvements dans le monde arabe. Et notamment sur les «lives», ces formats qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur la révolte. De la déclaration du président égyptien Moubarak, estimant que «si (il) par(t), ce sera le chaos», aux images de ses partisans à dos de dromadaires, en passant par la démission du bureau exécutif, les pages des sites Web sont «rafraîchies» des milliers de fois et font ce que l’on appelle, dans le jargon, «du clic». C’est-à-dire du trafic. Et pas qu’un peu.

Sur lefigaro.fr, vendredi 4 février, l’article le plus lu du site s’intitule «Des milliers d’Egyptiens manifestent dans le pays» (son titre a été changé depuis, actualisation oblige). Se classent ensuite, au rang numéro 3 du top 5 des plus lus, «Laëtitia: Sarkozy veut sanctionner les magistrats» puis, en numéro 4, «Les rumeurs inquiètent les expatriés français en Egypte». Même tendance sur les sites concurrents: «cette semaine, il y a eu d’incroyables pics d’audience sur deux sujets, l’Egypte d’abord, et Laëtitia (la jeune fille retrouvée démembrée, ndlr) ensuite», me racontent Elodie Drouard, iconographe à 20minutes.fr, et Catherine Fournier, chef du service des informations générales du même site.

Point commun entre ces sujets? Les deux sont des histoires-feuilletons, qui comprennent des rebondissements quotidiens, et donnent l’occasion aux journalistes Web de produire plusieurs articles, via divers angles, au fur et à mesure que se déroule l’histoire – et l’Histoire. Les journalistes, pas plus que les lecteurs, ne connaissent la suite au moment où ils écrivent ce qu’ils savent, et pourtant, ces actualités fonctionnent comme des séries télévisées, avec un air de revenez-y, comme s’il était indiqué «à suivre» à la fin de chaque épisode. «Pour l’affaire Laëtitia, le prochain épisode aura lieu quand les policiers auront retrouvé son tronc, car si cette partie du corps peut être autopsiée, on saura alors si elle a été violée ou pas», décortique un connaisseur. Pour l’Egypte, c’est pareil. Le suspens dure concernant la position d’Hosni Moubarak: partira? Partira pas?

Le Web, international, et à la demande

Pourquoi, sur le Web, l’actualité égyptienne suscite l’intérêt alors que ce n’est visiblement pas le cas à la télé? Les publics sont-ils si différents selon le média? Les internautes seraient plus portés vers l’international, pas les téléspectateurs? «Les internautes qui suivent notre couverture en temps réel de l’Egypte en ont conscience: ils assistent, en direct, à un événement historique», estime Nabil Wakim, journaliste au Monde.fr.

Autre point d’explication: le format «live» qui, quel que soit le sujet, international ou pas, est presque toujours l’un des contenus les plus vus d’un site d’infos. D’abord parce qu’il constitue un appât pour les consommateurs d’infos, à qui l’on promet de faire vivre l’actualité comme s’ils y étaient, ensuite parce que ce type de format, très mobilisateur, bénéficie d’une visibilité importante en étant disposé tout en haut de la page d’accueil.

Enfin,et c’est la troisième piste: le journalisme en ligne est capable de répondre à des demandes, en traquant les requêtes les plus cherchées par les internautes sur les moteurs de recherche. Un baromètre devenu essentiel pour savoir où mettre le curseur entre trop et pas assez sur tel ou tel sujet.

Or la question demeure: quelle partie de cette audience sur les sites d’infos français vient d’Afrique? Lors des événements tunisiens, la Tunisie était le deuxième pays à fréquenter lemonde.fr, après La France. Pour l’Egypte, le scénario ne se répète pas, et c’est logique: l’accès à Internet a été coupé dans le pays, rendant toute connexion en ligne impossible. Néanmoins, sur lefigaro.fr, Thomas Doduik, directeur des opérations du site, constate une forte progression des visites issues des pays du Maghreb: x 2 pour celles venues d’Algérie, du Maroc et d’Egypte, et jusqu’à x 6 pour la Tunisie, au plus fort de la révolution de Jasmin.

De la télé dans le live sur le Web

«Nous avons même des internautes qui allument la télé pour regarder le JT, et commentent, sous le live du Monde.fr, ce qu’ils voient sur le petit écran», reprend Nabil Wakim. Et, surprise, ils chronomètrent, façon CSA en période électorale, la longueur des sujets télé consacrés à l’Egypte, en pestant – et en l’écrivant sur un site Web d’info – «quoi? C’est déjà fini sur TF1? Il n’est même pas 13h07».»

Regarder la télévision en réagissant en direct sur les réseaux sociaux, comme si l’on était en famille ou entre amis sur un canapé: le phénomène a déjà été observé lors d’émissions comme La Nouvelle Star ou même Paroles de Français. Cette fois, un cap a été franchi. Au lieu de rédiger des commentaires parfois potaches face à une émission de divertissement, une frange du public va plus loin et commente, sur Internet, jusqu’à la façon dont les télévisions s’emparent d’un sujet international.

Arrêter un live, mission difficile

Les sites d’infos ne s’en laissent pas compter. Et cravachent à qui mieux mieux, quand bien même l’actualité qui secoue l’Egypte, et avant, la Tunisie, s’avère chronophage. En effet, il faut au bas mot deux ou trois personnes pour animer un «live» sur un tel sujet pendant une journée entière, à la fois pour alimenter le flux de nouvelles informations, et surtout, pour les vérifier.

«Dimanche soir, je me suis demandé à quel moment fallait-il qu’on arrête de “liver” l’Egypte, avant de reprendre le lendemain matin, confie Nabil Wakim. Quand on a vu qu’il y avait 250.000 personnes connectées toute la journée, sur le direct, et encore 6.000 en soirée, on s’est dit qu’on allait continuer et rester au bureau une ou deux heures de plus.»

Alice Antheaume

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Clay Shirky, du Web, du social, et du politique

Crédit: AA

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Il a la boule zéro et des lunettes rondes. Il est l’idole, voire le gourou, de toute une génération travaillant sur et pour le Web. Clay Shirky, spécialiste des usages et technologies numériques, professeur à NYU (New York University), a donné à Paris, ce lundi 31 janvier, une conférence expresse dès potron-minet, une rencontre organisée par Regards sur le Numérique, le laboratoire de Microsoft.

Les obsessions de Clay Shirky? Les mots «information», «organisation» et «action». Et un nouveau concept, le terme «cognitive surplus» (surplus cognitif, en français), qui est aussi le titre de son dernier livre. C’est l’idée, assez simple, qu’après de longues années à avoir tué leur ennui en regardant la télé, les internautes ont enfin une antidote à leur torpeur, le Web, qui leur offre la possibilité d’agir et de participer. Et qui change leur vie.

De la politique dans des tranches de vie sociale

Comme Michael Shapiro, professeur de journalisme de la Columbia, Clay Shirky partage cette croyance que nous vivons en plein âge d’or du journalisme, sauf pour… l’aspect économique. C’est peu de le dire, comme en témoignent les rires dans la salle et les réactions sur Twitter.

«Ce n’est pas la ou les technologies qui sont magiques, ce sont les utilisateurs», reprend Clay Shirky, s’agitant dans son jean et sa veste de costume. La preuve, argue-t-il, ces forums dédiés au foot, en Libye, qui finissent en forums politiques.

Le même phénomène a déjà été observé par Charlie Beckett, journaliste, auteur de l’ouvrage «SuperMedia» et directeur du programme Polis à la London School of Economics, citant l’exemple du site britannique Mumsnet, un site qui parle bébés, mamans et éducation, mais pas que… Dans les forums, les discussions sur la politique sont nourries. A tel point qu’en octobre 2009, le Premier ministre anglais Gordon Brown est venu sur le site pour un chat. Ce 2 mars, c’est Alexander Douglas, secrétaire d’Etat au développement international, qui s’y colle. Pour Charlie Beckett, c’est clair: «Mumsnet est devenu un site politique en Angleterre.»

Du Web à l’action

Pour Clay Shirky, vie sociale et vie politique sont les deux pans d’une même vie en ligne. Tout interfère, rappelle-t-il: les citoyens sur les gouvernements, les gouvernements sur les citoyens, les organisations sur l’action, le public sur l’action. Dans cette optique, il donne plusieurs exemples, dont Code for America, un nouveau service public d’information, et le site SeeClickFix, où les citoyens agissent comme des «détecteurs», en rapportant en ligne des problèmes de quartier «sans urgence». «Les citoyens savent mieux que le gouvernement ce qu’ils vivent», conclut Clay Shirky.

Plus loin, développeurs et citoyens peuvent s’associer pour raconter, d’où ils se trouvent, les drames qu’ils côtoient, via des bases de données, des cartes, une photo ou un simple SMS. C’est le cas du site Ushahidi, lancé au Kenya, une «plate-forme d’action civique», résume le professeur américain. Des phénomènes d’autant plus importants que, selon le professeur, les gouvernements ont peur des groupes coordonnés sur le Web. Ce que la coupure d’Internet en Egypte ne dément pas.

Et Clay Shirky de conclure par une question, à laquelle bien malin saurait que répondre: «l’imprimé a donné la démocratie, mais quelle organisation va installer le Web?».

AA

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La novlangue des journalistes en ligne

Crédit: Flickr/CC/reedster

Crédit: Flickr/CC/reedster

Dans «Slang», un dictionnaire américain d’expressions populaires, l’auteur Paul Dickson consacre 11 pages au jargon journalistique des rédactions américaines. Or il y manque la substantifique moelle de ce qui constitue le quotidien des journalistes français sur le Web. Un mélange de néologismes, de franglais, de termes issus des logiciels, et d’expressions potaches. Complément de chapitre.

Actu (nom, féminin):
Abréviation du mot «actualité». Impératrice qui fait la pluie et le beau temps journalistique, la densité ou la platitude de l’activité des rédactions. Exemples: «C’est quoi, l’actu du jour?» ou «Y a zéro actu, là, qu’est-ce que l’on va pouvoir bien inventer comme sujets?»

Back office (nom, masculin):
Les coulisses d’un site Web, là où se trouve le système de publication, dont l’accès est réservé à ceux qui y produisent des contenus, comme les rédacteurs. Le «Back office» s’oppose au «Front office», la partie visible de ce même site, que les internautes voient. Là où cela se corse, c’est qu’il y a parfois une différence entre ce qu’est un article dans le «Back office» et ce à quoi ce même article ressemble sur le «Front office» (voir «Wysiwyg»).

Balises (nom, féminin pluriel):
Ce sont des éléments du code html – le tissu osseux d’un site Web – qui permettent de définir la mise en page d’un texte, par exemple en mettant des caractères gras, italiques, soulignés, en sautant une ligne, etc. Leur particularité? Elles encadrent la partie du texte qu’il faut éditer, par une balise d’ouverture introduite par le caractère inférieur (<) et une balise de fermeture introduite par le caractère supérieur (>). Souvent, lorsque la mise en page présente des incohérences, c’est parce qu’il y a un problème de balises mal ouvertes ou mal fermées dans le code.

Bâtonner (verbe):
L’une des tâches les plus ingrates d’un journaliste. Il s’agit de réécrire une dépêche fournie par une agence (AFP, Reuters ou AP) en la remaniant à la marge, en retirant les répétitions, etc. Le bâtonnage serait le symbole de la paupérisation de la profession de journaliste, et, de surcroît, le chemin de croix des «forçats de l’info», ces soi-disant OS de l’Internet qui travaillent sur des sites de presse, des pure-players, mais aussi sur des plates-formes de contenus, comme Orange, Yahoo!News ou Dailymotion, ou pour des agences. On dit «bâtonner de la dépêche» ou «batônner» tout court.

Brévouille (nom, féminin):
Terme argotique signifiant brève, un format qui, comme son nom l’indique, ne comporte que quelques lignes de texte. Exemple: «Je fais la brévouille sur le nombre de morts sur les routes»

Burner (la HP) (se prononce beurné) (verbe):
Verbe issu du nom d’un bouton intitulé «burn», présent dans l’outil de gestion de 20minutes.fr. Cela signifie générer la page d’accueil pour y faire apparaître de nouveaux éléments (photos, titre, article, vidéo, pub). Une responsabilité qui demande de la dextérité, surtout quand tombe une information urgente qu’il faut publier aussi vite que possible. Exemple: «Tu as burné? Vite, burn, burn!».

«Ça ne marche que si je rentre dans le code»:
Expression de désespoir du journaliste souhaitant intégrer une vidéo/une image/des caractères gras à son texte, tandis que le système de publication ne veut prendre en compte ses indications. Le journaliste va alors dans le code html de son article pour insérer en langage technique l’élément requis.

«Ça ne marche pas mais c’est normal»:
Expression du service technique pour (tenter de) rassurer la rédaction quand un bug apparaît.

Capture (nom, féminin):
Abréviation de capture d’écran. Réflexe d’un bon journaliste Web lorsqu’il voit quelque chose en ligne (statut Facebook, tweet, erreur sur un site, etc.) qui risque d’être supprimé dans la minute. Il fait alors une capture de son écran qui servira de photo-preuve, au cas où… Car pas de capture, pas d’article.

Citasse (nom, féminin):
Terme argotique signifiant citation, c’est-à-dire des propos d’un interlocuteur recueillis par le journaliste et cités entre guillemets dans l’article. Exemple: «Il manque une ou deux citasses à ce papier, non?».

Cliquable (se prononce clikèbeule) (adjectif):
Equivalent pour le journalisme Web du mot «bankable». «Cliquable» désigne le potentiel d’un contenu (interview, vidéo, article, diaporama) en termes de clics – plus un article fait de clics, plus il est lu.

Cliquer (verbe)
Action, de la part d’un internaute, de se rendre sur un article, souvent grâce à un titre accrocheur. Le clic sert d’indice de popularité d’un contenu. Exemple: «Ce sujet, ça va cliquer à mort»

CMS (nom, masculin):
Acronyme de Content Management System. Sous ce nom sophistiqué se cache le système de publication des contenus produits par les journalistes. Il n’est pas rare que les journalistes de différentes rédactions se demandent, au détour d’un café, «sur quel CMS vous travaillez?». La discussion qui s’ensuit prend souvent l’allure d’un débat quasi politique entre les avantages d’un CMS et les défauts d’un autre.

Croper (une image) (verbe):
Recouper/recadrer une image, via l’outil «crop» du logiciel de retouches d’images Photoshop. Exemple: «Qui a cropé cette photo comme ça? Le cadrage, c’est n’importe quoi».

Débrouilloner (verbe):
Faire passer un article de l’état de brouillon (c’est-à-dire non visible par les internautes) à l’état de contenu publié (c’est-à-dire visible).

Engagement (nom):
Terme un peu fourre-tout, répété à l’envi, qui qualifie à la fois la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs, les types d’interactions de l’audience avec les contenus (commentaires, partages, clics, etc.), et leur mesure (taux de partage d’un article, nombre de vidéo vues).

Enquête pages jaunes (nom, féminin):
Témoignages recueillis par téléphone auprès de personnes trouvées grâce aux services des Pages jaunes. Exemple: une prise d’otages a lieu dans un supermarché de la banlieue parisienne. En attendant qu’un journaliste se rende sur place, un deuxième journaliste, à la rédaction, géolocalise l’adresse du supermarché, et cherche, sur le site Pages jaunes, tous les commerçants répertoriés aux alentours de cette adresse. Il les appelle et recueille les premiers témoignages via une interview téléphonique, qu’il retranscrit aussitôt dans un article en ligne.

Facebooker (verbe):
Publier sur Facebook une information. Exemple: «Tu l’as facebooké, ton article sur François Hollande et les vacances de ses ministres?».

Fail (nom, masculin):
Un raté. Par exemple une vidéo qui ne «clique» pas (voir plus haut) ou un article qui reste en bas des «stats» (voir plus bas), en somme un soufflé qui se dégonfle.

Fake (nom ou adjectif):
Faux. Cela peut concerner une fausse information, un faux compte Twitter, un photo montage… tout, sur le Web, peut être fabriqué. Et doit donc être pesé et vérifié avant de faire l’objet d’une information publiable. Exemple: «ça sent le fake, cette histoire».

Google friendly (adjectif):
Désigne un contenu qui a le potentiel (bon titre, mots-clés présents dans le texte, liens, etc., tout l’art du SEO) pour être référencé et visible dans le moteur de recherche américain, souvent gage d’une manne de clics.

HP (nom, féminin):
Non pas hôpital psychiatrique, mais «home page», la page d’accueil d’un site Web.

Lâcher/prendre le lock:
Puisque, dans le Back office (voir plus haut), deux rédacteurs ne peuvent pas éditer en même temps le même article – sinon le système ne saurait pas quelles modifications prendre en compte, le fait qu’un journaliste rajoute une ligne dans un article verrouille l’accès de celui-ci, toujours dans le Back office, à une autre personne susceptible de vouloir le modifier au même moment. Un cadenas indique alors que le contenu est en train d’être géré par quelqu’un d’autre. D’où cette question, récurrente dans une rédaction en ligne: «Tu lâches le lock? Je peux le prendre?»

«Laisse, le print est dessus»:
Injonction donnée à un journaliste en ligne, afin qu’il laisse tomber un sujet dont s’occupe la rédaction papier du groupe dans lequel il travaille. Cette phrase ne peut s’entendre que dans un média qui compte deux rédactions, une pour le Web, une pour l’imprimé, comme au Figaro, au Monde, à 20 Minutes, etc.

Liker (verbe):
Cliquer sur le bouton «like» de Facebook. Par extension, plébisciter un article, apprécier un lien, voire un élément de la vie quotidienne, comme un pizza partagée un dimanche entre les rédacteurs qui sont de garde. Exemple: «Tu as liké mon article sur Wikileaks?», demande un journaliste à son collègue.

Linker (verbe):
Mettre un lien hypertexte dans un article, pour conduire l’internaute vers une autre page Web offrant un supplément d’informations. Par extension, citer quelqu’un dans son article. Exemple: «Je suis linké dans Les Inrocks, la classe!»

Liver (verbe):
Couvrir en direct, sur un site Web, un événement (discours politique, cérémonie des Oscars, matchs sportifs, émission de télé, etc.). «Liver» nécessite de raconter ce qu’il se passe et de le commenter en même temps, dans un format réactualisé minute par minute. Exemple: «Qui peut liver la cérémonie des voeux de Sarkozy à la presse

Liveur (nom, verbe):
Le rédacteur d’un «live», ce format qui exige, minute par minute, la couverture en temps en réel d’un événement. Est en passe de devenir une spécialité du journaliste Web.

Mème (nom, masculin):
Ni «même» ni «mémé», comme dirait mon confrère Vincent Glad, le mot «mème» est un terme scientifique qui désigne une unité culturelle reconnaissable, et pouvant faire l’objet de parodies à volonté, diffusées sur le Net par viralité. Ceux-ci constituent le ciment de la culture des journalistes en ligne, lesquels passent – c’est leur métier – un nombre conséquent d’heures à repérer sur le Web les nouveaux phénomènes. Exemples de mèmes, repértoriés sur le site Knowyourmeme.com: la tête de l’acteur Keanu Reeves, insérée partout; le bébé panda qui éternue, vu des milliards de fois; la vidéo du feu d’artifice provoqué soi-disant par des mentos plongés dans du coca; ou encore l’écureuil qui s’incruste jusqu’aux photos de vacances des couples présidentiels.

Modo (nom, masculin):
Abréviation de modérateur, celui ou celle qui, dans une rédaction en ligne, est chargé(e) de veiller à la bonne tenue des conversations des internautes sur le site dont il a la charge, ainsi que d’animer le débat sur les réseaux sociaux.

Nécro (nom, féminin):
Abréviation de nécrologie, un article publié à la mort d’une célébrité – et parfois réalisé des semaines ou des années avant le décès. Vraie richesse pour une rédaction en temps réel, laquelle n’a pas toujours la possibilité de réaliser, à la fois vite et bien, un portrait résumant la vie d’un homme, surtout lorsqu’il s’agit de Claude Lévi-Strauss.

Old (adjectif, invariable):
Terme anglais employé dans les rédactions en ligne pour qualifier une information jugée trop datée pour apparaître sur un site d’informations en temps réel.

Papier (nom, masculin):
Terme hérité du journalisme traditionnel, qui dénomme un article «un papier». Même si c’est paradoxal en ligne, c’est encore ce même mot qui est utilisé.

Push vocal (nom, masculin):
Signalement donné dans une rédaction, à l’oral, par un journaliste Web à ses collègues, lorsque survient une information urgente. Façon de donner l’alerte, comme le fait le système de «push» sur smartphone.

Le print (nom, masculin):
La rédaction d’un journal papier, par opposition à la rédaction Web, qui travaille en ligne.

«Quand j’ai compris»:
Expression signifiant que, enfin, le cerveau du journaliste en ligne a percuté, découvrant le sens d’un entremêlement de faits, d’une citation, ou d’une simple blague, dont la signification lui était jusqu’alors obscure. Cette expression est devenue un hashtag très populaire sur Twitter.

Q&A (se prononce kiewané):
Format journalistique fait de questions et réponses (questions and answers, en anglais). Peut aussi se dire Q/R. Exemple: ce Q&A sur le médicament Médiator.

«Refresh» (verbe à l’impératif):
Réactualiser sa page, en cliquant sur le bouton «actualiser» de son navigateur. Correspond à la touche F5 d’un PC.

Remonter la timeline:
Action de retrouver le long d’un compte Twitter ou Facebook les statuts, images, vidéos, postées il y a quelques heures, voire quelques jours. Bref, rétro-pédaler dans le flux.

Social TV (nom, féminin):
Télévision sociale, en français, c’est-à-dire regarder un programme sur un premier écran (l’écran télé) et utiliser un deuxième écran (ordinateur, tablette, mobile) pour réagir à ce même programme en allant le commenter sur les réseaux sociaux ou en cherchant, sur le Web, des informations complémentaires à l’émission visionnée.

Les sportifs (nom, masculin pluriel):
Désigne le service de journalistes qui couvrent les actualités sportives. Qu’ils pratiquent eux-mêmes une activité sportive ou pas dans leur vie n’a pas d’impact sur cette appellation.

Les stats (nom, féminin pluriel):
Abréviation de statistiques, l’outil de mesure de l’audience en ligne. La drogue dure des journalistes Web…

La tech (nom, féminin):
Le groupe d’ingénieurs et de développeurs qui veillent aux problématiques techniques du site.

Troller (verbe):
Action de saboter la discussion qui se tient dans les commentaires sous un article, en alignant, au choix, arguments de mauvaise foi, théories du complot, et autres activités, dont j’ai déjà parlé dans ce W.I.P. Le journaliste est sensible au fait d’avoir des commentaires sous son article, signe de popularité, mais est souvent découragé d’y lire des réactions de trolls, ce qu’il prend le plus souvent personnellement. Exemple: «ça y est, je me fais troller».

Troll (nom, masculin):
Internaute qui trolle (voir ci-dessus) les discussions en ligne, vrai ennemi des modérateurs (voir «modo»).

Updater (son papier) (verbe):
Mettre à jour son article, en veillant à ce que les dernières informations y soient. Par exemple, s’il s’agit d’un article sur l’attentat du 24 janvier à l’aéroport de Moscou, le nombre de morts ou de blessés va évoluer au fil des heures, et il faut alors «updater» les chiffres.

«Vide ton cache»:
Action d’aller dans son navigateur pour aider son ordinateur à mieux «rafraîchir» ses pages, sans garder en mémoire les versions précédentes de ces pages. Utile quand on vient de changer un mot dans un article et qu’on veut voir, en ligne et dans la minute, si le changement a été pris en compte.

VU (nom, masculin):
Acronyme de Visiteur Unique. Comme expliqué précédemment, le visiteur unique (VU) n’est pas vraiment unique. Cette unité de mesure de l’audience, graal des sites Web pour le marché publicitaire, désigne un «individu qui a cliqué sur le contenu d’un site au moins une fois pendant la période mesurée (généralement un mois, ndlr)», explique Berit Block, analyste européen pour l’institut Comscore, qui évalue le trafic des sites Web.

Wysiwyg:
Acronyme de «What You See Is What You Get» (ce que tu vois est ce que tu auras, en VF). Cela signifie que l’article, le titre, l’image, tels que mis dans le Back office (voir plus haut), auront la même forme une fois publiés (même espace, même police, même mise en page).

Merci à tous ceux qui ont participé pour vos exemples, qui ont nourri cette liste. Si vous avez d’autres mots et expressions à ajouter, dites le dans les commentaires ci-dessous…

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Liens du jour #40 spécial Wikileaks

Wikileaks, le public, le journalisme traditionnel, et le nouveau journalisme, pourquoi tout le monde y gagne (Nieman Lab)

Wikileaks et la révolte du clergé: “L’histoire du premier vrai conflit entre l’ordre établi, l’establishment, et la nouvelle culture du Web” (Owni.fr)

Qui est l’auteur des fuites? Quelle sera la prochaine fuite de Wikileaks? Cela veut dire quoi, “cablegate”? L’affaire des câbles diplomatiques en 10 questions (et 10 réponses) (Slate.fr)

Soutien, doute, incompréhension, question: Les réactions du public à la publication par Le Monde des mémos Wikileaks (Le Monde)

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Spiil: Esprit du Web, es-tu là?

«Comment voyez-vous le futur du journalisme?» C’est par cette question, posée par Jessica Chekroun, journaliste pour l’Atelier des médias, qu’a commencé ma journée au Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), vendredi 22 octobre. Journée de débats, ateliers (1), et de «réseautage» organisée à la Maison des métallos, à Paris, par le syndicat professionnel des pure players, la première du genre depuis leur naissance, il y a un an, en octobre 2009. Ambiance sur place résumée en trois questions.

Crédit: Satellifax

Crédit: Satellifax

1. Y a-t-il un esprit Web?

Contents, les organisateurs du Spiil, de voir les «450 inscrits» discuter comme s’ils étaient les membres d’une même famille. Ici, la majorité des présents sont des producteurs de contenus en ligne. Point de contingence du papier donc – les pure players étant des sites Web d’infos sans déclinaison imprimée, comme Slate.fr, Bakchich, Arrêts sur images, Médiapart, le Bondy Blog, etc.

«Je suis journaliste Web», apostrophe un participant dans la salle, n’oubliant pas d’accoler le mot Web à sa fonction. «L’esprit Web n’est pas si éloigné de l’esprit rock, pense Antonio Casilli, auteur de «Les Liaisons numériques» (éd. du Seuil) (MISE A JOUR LUNDI 14h30). Il a aussi ses valeurs et ses codes esthétiques». Des valeurs «libertaires et solidaires», détaille à ce sujet Owni, qui ont permis de se mettre d’accord sur des normes universelles, pour fonder par exemple les licences Creative Commons.

Des valeurs qui – pour les avoir évoquées dans un W.I.P. sur la «rédaction secrète du Web français» et un autre sur les usages des «forçats du Web» – se concrétisent, dans le monde des producteurs d’infos en ligne, par le partage de centaines de liens quotidiens, par l’entraide, l’intérêt pour l’expérimentation, et cette vie faite de chats, de réseaux sociaux, de photos taguées à tous les étages. Et d’interaction avec l’audience. «Puisque l’audience apporte de la valeur ajoutée aux sites d’informations, il faut réfléchir à des moyens de partager nos revenus avec elle, s’enthousiasme Benoît Raphaël, ancien rédacteur en chef du Post.fr, avant de se raviser: «le problème, c’est que l’on n’a pas beaucoup de revenus à partager.»

Quant aux codes esthétiques, s’ils existent, ils concernent moins la mise vestimentaire du producteur de contenu en ligne que ses outils de travail. Iphone, iPad, Android, ordinateurs portables, mais aussi plug in, navigateurs et applications mobiles.

2. Comment couvrir les retraites autrement qu’en faisant du «live»?

Dans les coulisses du Spiil, c’était, actualité oblige, l’une des préoccupations les plus pressantes des journalistes harassés par des semaines de couverture en temps réel des mouvements contre la réforme des retraites. Comment trouver, chaque jour, un angle différent sur ce sujet qui dure? Et mieux, un format différent?

Outre les «lives», très pratiqués par lemonde.fr et 20minutes.fr, rejoints par leparisien.fr et Rue89, il y a eu aussi des cartes interactives, pas toujours très complètes d’ailleurs, mais problème: comment faire pour ne pas lasser les internautes quand ce format revient chaque jour et comment «faire des retours sur ce qu’il s’est passé il y a 24h, voire 48h, qui n’est déjà plus dans l’actu», s’interroge Yann Guégan, gestionnaire de communautés sur Rue89, interviewé à ce sujet dans l’émission d’Arrêts sur images. D’autant que, ajoute-t-il, «c’est fatiguant, de tenir un “live” du matin au soir, lorsqu’on est une petite équipe». Pour le site Regards sur le numérique, tout se résume en une question: l’article est-il mort?

3. Quelle campagne en ligne en 2012?

Outre la question des modèles gratuit/payant, des aides à la presse en ligne – celles de l’Etat comme celles que pourront peut-être apporter un site comme jaimelinfo.com, qui proposera aux internautes de faire des dons pour subventionner le reportage de leur choix -, le sujet débattu au cours de la dernière séance plénière de la journée du Spiil a concerné la future campagne de 2012. A quoi celle-ci va-t-elle ressembler? Plus exactement, la prochaine élection présidentielle va-t-elle encore reposer sur l’image (télévisuelle, ndlr) et la personnalité des candidats, demande Dominique Cardon, sociologue et auteur de «La Démocratie Internet» (éd. du Seuil), ou mettre – enfin – le programme des candidats en débat via le Web?

La réponse du panel invité , vendredi, a été réservée: «Il y a trois ans, je travaillais dans un grand ministère du côté de Bercy», raconte Xavier Moisant, qui s’est occupé de la campagne en ligne de Jacques Chirac, en 2002. «Je me demandais pourquoi personne ne répondait à mes emails. J’ai posé la question, on m’a répondu: “pour avoir une réponse, faxe nous tes emails!”»

«C’est vrai que les hommes politiques français n’ont pas souvent un ordinateur sur leur bureau, confirme Benoît Thieulin, co-fondateur de La Netscouade, qui s’est occupé de la campagne de Ségolène Royal en 2007. Or c’est dur de faire une stratégie Web si l’on n’est pas praticien du Web». Xavier Moisant s’en souvient: la seule relation que Jacques Chirac entretenait, à l’époque, avec Internet consistait en des signets qui le menaient vers les résultats des compétitions de sumo. D’après Benoît Thieulin, «notre classe politique, dans sa formation intellectuelle et dans sa carrière, qui passe souvent par de grandes administrations centrales, n’est pas formée au Web. Développer une stratégie complexe ne peut venir que de la pratique même, sinon on se limite à calquer sur le Web des stratégies préexistantes» sans vraiment les penser pour le Net.

L’avantage est, qui que soient ses futurs compétiteurs, à Nicolas Sarkozy, estime Xavier Moisant. En dépit des 7 Français sur 10 qui s’estiment mécontents de l’action du chef de l’Etat, selon un sondage Ifop/JDD publié le 24 cotobre, il a une arme que les autres n’ont pas, à savoir une page Facebook qui compte plus de 334.000 personnes. Un vivier sur lequel s’appuyer pour 2012.

(1) J’intervenais pour ma part lors d’un atelier intitulé «tout ce que les journalistes Web doivent apprendre et que leurs collègues ignorent», animé par Philippe Couve, en compagnie de Soizic Bouju, Marc Mentré et Eric Mettout.

Alice Antheaume

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Des forçats? Où cela?

«Les jeunes journalistes qui rêvaient de parcourir le globe à la recherche d’un sujet de reportage sont maintenant scotchés à leur ordinateurs. Ils s’efforcent d’être les premiers à publier jusqu’à la plus marginale des informations, histoire d’impressionner les algorithmes de Google et d’attirer le clic des internautes». C’est contre cette vision des journalistes Web, décrite cet été dans le New York Times, que s’est érigé Henry Blodget, le patron de Business Insider: «Nous en avons assez de ce portrait. Non seulement nous aimons ce que l’on fait, mais nous pensons aussi que nous avons créé un état d’esprit et des lieux de travail excitants et dynamiques – des espaces dans lesquels les gens talentueux, motivés, bosseurs, solidaires de leur équipe et créatifs sont récompensés.»

Crédit: Flickr/CC/Robert Couse-Baker

Crédit: Flickr/CC/Robert Couse-Baker

En France, il y a eu le même «traumatisme» avec l’article «Les forçats de l’info» publié dans Le Monde en mai 2009. Depuis, ce mot, «forçat», fait hurler. Plus d’un an après, j’ai voulu savoir ce qu’étaient devenus ces soi-disant OS de l’Internet, ceux qui travaillent sur des sites de presse, des pure-players, mais aussi sur des plates-formes de contenus, comme Orange, Yahoo!News ou Dailymotion, ou pour des agences. Pour ce faire, j’ai mis en ligne, sur W.I.P., un questionnaire auquel 240 travailleurs du Net français ont répondu en juillet et en août 2010. Précisons que ce questionnaire, anonyme, fait maison, a été élaboré sans comité scientifique. Forcément imparfait, il vise à récolter des données sur les conditions de labeur de ceux qui travaillent en ligne, et à mieux cerner leurs usages numériques.

Portrait robot

Hommes et femmes, 25-30 ans, en CDI, dotés d’un smartphone et plutôt satisfaits de leur condition professionnelle. Tel serait le portrait robot du «forçat» saison 2010-2011, dressé après dépouillement des résultats du questionnaire. Bilan: le forçat n’est pas si forçat que cela. Voire pas forçat du tout. Tant par ses usages, qui ne sont pas ceux d’un connecté forcené au réseau dont la vie privée n’existerait plus, que par son statut social, moins précaire que ce que l’on croit.

Du point de vue socio-économique, la majorité des sondés (60%) est en CDI (contrat à durée indéterminée) – 14% en CDD, 11% en stage, 6% en piges, et déclare travailler une somme horaire raisonnable chaque jour. Entre 8h et 10h quotidiennes pour 59% des interrogés – plus de 10h pour 19%, entre 6 et 8h pour 19% et moins de 6 heures par jour pour les 4% restants. Le travail les week-ends? Pas pour tout le monde. 53% des interrogés ne font pas de garde, quand 47% bossent les samedi et/ou dimanche. On n’est donc pas (ou plus?) du tout dans la description qu’en faisait Le Monde, l’année dernière, évoquant des «journées de douze heures, les permanences le week-end ou la nuit.»

Célia Meriguet, rédactrice en chef du Monde.fr, le confirme: «Peu de journalistes travaillent le week-end, et ceux qui le font sont volontaires et bien payés. Ils travaillent sur des horaires de desk. Il y a dépassement d’horaire quand ils sont en reportage, c’est tout». Quant à Eric Mettout, rédacteur en chef de lexpress.fr, il n’en peut plus d’entendre le mot «forçat»: «Ici, les journalistes sont aux 35 heures, avec des astreintes un peu spécifiques le matin et/ou le soir, un jour de week-end toutes les cinq semaines récupérable, et, évidemment, les aléas horaires et rush de n’importe quel journaliste.»

>> Alexandre Sulzer, journaliste à 20 Minutes papier passé autrefois par 20minutes.fr, a comparé ses conditions de travail entre ce qu’il a vécu en ligne et ce qu’il vit sur l’imprimé. Lire sa tribune ici >>

CDI, et moins de 2.500 euros bruts mensuels

Concernant les revenus, leur niveau salarial est davantage semblable à celui d’un professeur de l’Education nationale que d’un avocat ayant fini son droit. 64% des travailleurs du Web sondés gagnent en effet moins de 2.500 euros bruts mensuels – 23% entre 1.000 et 2.000 euros, 25% entre 2.000 et 2.500 euros, et 16% moins de 1.000 euros bruts mensuels, ce qui s’explique par la forte participation des stagiaires à ce sondage (11% des répondants).

Cependant, 37% gagnent plus voire beaucoup plus de 2.500 euros bruts mensuels, notamment les chefs de service, responsables de rubriques et rédacteurs en chef, qui représentent 23% des sondés: parmi ces 37% plus favorisés pécuniairement parlant, 18% gagnent entre 2.500 et 3.000, 9% entre 3.000 et 3.500 et 10% déclarent avoir un salaire de plus de 3.500 euros bruts par mois.

La plupart de ceux qui ont témoigné dans ce questionnaire sont salariés d’un site de presse nationale (29%), comme lemonde.fr, lefigaro.fr, libe.fr. Les autres participants travaillent pour une agence de contenus Web (18%). Ou pour un pure-player (16% ) comme Slate.fr, Médiapart ou Rue89. Ou pour un site spécialisé (12%) tels qu’Allociné, PCinpact.com, Readwriteweb. Ou pour un site local ou de presse quotidienne régionale (6%). Ou, enfin, pour une plate-forme communautaire (3%) dont Dailymotion, Yahoo! News, Orange. A noter: ils sont pour la plupart en CDI, on l’a dit plus haut, mais à un poste qu’ils occupent le plus souvent depuis moins de 6 mois.

Sans carte de presse fixe

A la question «avez-vous une carte de presse?», 61% des sondés ont répondu «non». «Non», pas encore? Ou «non» tout court? Sans doute «non» tout court, puisque, dans ce questionnaire, seulement 34% des participants se désignent comme «journalistes Web». C’est que, dans le domaine de la production de contenus en ligne, il n’y a pas que des rédacteurs qui officient. Sous l’appellation «travailleur du Web», il y a, outre les journalistes, des développeurs, graphistes, iconographes, éditeurs vidéo, community managers, etc. Certains sont journalistes. Tous travaillent de concert. Et sont dépendants les uns des autres. Car pour faire un bon site d’infos, les contenus ne suffisent pas, il faut que les serveurs tiennent, que la navigation soit fluide, et le référencement efficace. Des tâches qui incombent à l’équipe technique, laquelle est ainsi, de façon indirecte, mise à contribution pour la mise en scène de l’information.

Selon l’article du Monde de l’année dernière, «le Web a sécrété une forme de conscience de classe chez les jeunes journalistes qui ont grandi avec lui». Un constat qui reste valable aujourd’hui (lire à ce propos l’article sur la rédaction secrète du Web français). Au-delà des sites pour lesquels ils produisent des contenus, les travailleurs du Net emploient les mêmes mots pour décrire leur ambiance de travail. Les termes «stressant», «fatiguant», «pression», «effervescence » et «émulation» sont parmi les plus cités. Pour parler de leurs collègues, ce sont les adjectifs «convivial», «jeune» et «cool» qui emportent la mise.

Et le moral des troupes? A part «le manque de terrain», point d’offense. «J’y étais, j’y suis et j’y serai. Internet for life!», s’exclame l’un des interrogés. «Ambiance de travail géniale et épanouissante, mais dur de garder la santé au vu du rythme, et de la fréquence des apéros…», sourit un autre. «La tension est dans le rythme imposé par l’actu en ligne, la réactivité, la productivité, les nouveaux formats», reprend Eric Mettout.

Outils du quotidien

Passons aux usages numériques des interrogés. «Internet a accouché d’une nouvelle race de journalistes, pouvait-on lire dans Le Monde. Le teint blafard des geeks, ces passionnés d’ordinateur qui passent leur temps devant l’écran.» D’après les données récoltées avec le questionnaire, le travailleur du Web n’est pas accro au réseau. Même si 76% des dits «forçats» possèdent un téléphone connecté au Net, 45% assurent ne pas souffrir s’ils n’ont pas accès à leurs emails pendant plusieurs heures. Au moment de la pause au travail, ils sont plus nombreux à faire une activité hors ligne (fumer une cigarette pour 34%, boire un café pour 30% d’entre eux) qu’en ligne (25% regardent les dernières mises à jour sur les réseaux sociaux, 3% visionnent une vidéo en ligne, et 8% consultent leurs emails personnels).

Drogués à l’actu alors? Oui. Mais pas obnubilés par les breaking news, alertes et autres urgents. 52% sont abonnés à des dernières minutes envoyés par des sites d’infos. La moitié des sondés n’est abonnée à aucune alerte Google. Ceux qui s’y abonnent le font pour suivre un sujet d’actualité (35%), plus rarement sur leur nom de famille (8%) ou celui du site pour lequel ils travaillent (8%).

Sans surprise, ils sont ultra connectés aux réseaux sociaux. Twitter? Seulement 8% de ceux qui ont répondu déclarent ne pas posséder de compte Twitter. Les autres (70%) y publient beaucoup de liens. Facebook? 5% disent ne pas avoir de compte sur ce réseau social. Et, c’est sans doute ce qui m’a le plus étonnée, la majorité (57%) des interrogés utilisent Facebook de «façon privée (pour leur famille et amis)», quand 23% s’en servent de «façon professionnelle (carnet d’adresses, recherche de témoignages, etc.)». Une quantité non négligeable (15%) a décidé de cloisonner «le pro et le perso» en se créant deux comptes Facebook différents, l’un pour le travail, l’autre pour la vie privée.

Plus tard, je veux être…

Et dans cinq ans? La plupart envisage de rester dans le numérique: 48% des votants «espèrent faire toujours la même chose qu’aujourd’hui», 20% «espèrent apprendre à travailler sur le mobile», notamment concevoir des applications, et 7% se verraient bien «devenir social media editor pour une marque commerciale». Un petit groupe aspire à exercer d’autres activités que le numérique pur: 20% «espèrent travailler pour un support tel que la télé, la radio, ou la presse écrite» et 5% espèrent tout bonnement «avoir quitté le Web». «Dans cinq ans, je ne sais sur quels nouveaux supports je travaillerai, mentionne l’un des témoins. Et mon poste ressemblera probablement à un mix de rédacteur en chef, de brand manager et de développeur de projet. Où la Toile sera probablement tellement éclatée et démultipliée entre les centaines de réseaux dans lesquels nous serons immergés que le mot web pourrait bien y être associé à une époque révolue, celle où l’ordinateur portable ou de bureau était l’accès principal aux réseaux.»

Autre mot qui revient sans cesse dans les réponses: le mot «participatif». Et cela s’est même traduit par le biais de ce questionnaire. Car les participants n’ont pas manqué de faire part de leurs remarques, par email, par message sur Twitter, ou directement dans les cases de réponses. Principale revendication: l’impossibilité de cocher plusieurs cases en même temps. Surtout pour répondre à la question «quelle fonction occupez-vous?». Nombreux sont ceux qui assurent avoir plusieurs casquettes, parfois autant que de réponses proposées. «Je suis SR et éditeur web en premier lieu, mais aussi community manager, et dans une certaine mesure chef de projet web (interface entre le développeur, des personnes ressources extérieures ponctuelles) et journaliste web (rédacteur)», résume un mécontent.

Forçat, le terme est bel et bien inconvenant.

Est-ce que vous vous reconnaissez dans ce portrait? Livrez votre impressions et commentaires ci-dessous…

Alice Antheaume

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