Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait advenir et compter dans les rédactions en 2014. Au programme: déprimer, trouver la sortie, vivre avec le «brand content», cohabiter avec les algorithmes, voir la Social TV s’améliorer, et le journalisme de contexte émerger.
Rue89 en grève pour obtenir des garanties sur son avenir, 20 Minutes en grève pour protester contre un plan social supprimant son service photo, plan de 71 départs volontaires (sur 470) à L’Equipe, motion de défiance contre le directoire à Courrier International, perte nette de 2 millions d’euros au Monde, Libération en crise gravissime… Lors du seul mois de décembre 2013, les nouvelles émanant des rédactions françaises sont funestes. Malheureusement, dans un contexte où les modèles de la presse traditionnelle se morcellent, il n’y a hélas guère d’espoir que le moral ne remonte en 2014. Sauf à sauter sur les options ci-dessous.
Renouveler le(s) modèle(s) économique(s) de l’information est devenu, sinon une priorité, une nécessité. Outre les paywalls, dont j’ai déjà parlé ici, outre la réduction du taux de TVA pour les éditeurs en ligne, l’idée de solliciter directement les lecteurs pour financer le journalisme se répand de plus en plus. Aux Etats-Unis, Jessica E. Lessin, ex-journaliste au Wall Street Journal, a fondé en 2013 The Information, avec un modèle unique: l’abonnement payant qui «attend beaucoup de ses lecteurs», note Mathew Ingram, de GigaOm. Il coûte 399 dollars par an ou 39 dollars par mois, «ce qui est plus cher que le tarif d’entrée d’un abonnement au Wall Street Journal».
Dans le même esprit, le crowdfunding fait rage sur des plates-formes comme Kickstarter – sur lequel on dénombre plus de 870 projets journalistiques faisant appel à la générosité des curieux, ou Kisskissbankbank qui a une section réservée au journalisme.
Katie Couric, la présentatrice de ABC dont l’émission quotidienne ne sera pas reconduite, a été embauchée pour être la présentatrice internationale («global anchor») de Yahoo! David Pogue, le journaliste spécialiste des nouvelles technologies du New York Times pendant treize ans, rejoint lui aussi l’entreprise dirigée par Marissa Mayer.
C’est la grande reconversion pour les journalistes, peut-on lire sur Medium.com, la plate-forme créée par Evan Williams, le fondateur de Twitter. «Les journalistes ont commencé à déménager avec leurs compétences en storytelling dans le monde de l’entreprise, et particulièrement les entreprises des nouvelles technologies». Et si ce phénomène était promis à durer?
Le «brand content», ce contenu de marque qui s’insère dans des formats éditoriaux en ligne, n’est plus un gros mot. Il peut prendre la forme d’une série de vidéos pour un opérateur téléphonique, d’une interview d’un expert sur les factures d’électricité pour EDF, ou d’une liste de conseils pour passer une soirée inoubliable pour une marque de vodka. Ces contenus, qui véhiculent des «valeurs» dans laquelle se reconnaît cette marque plutôt qu’ils ne font l’apologie de celle-ci, peuvent ainsi être likés, retweetés ou reblogués – alors qu’une bannière n’est jamais partagée sur un réseau social. Lexpress.fr, Lequipe.fr, 20minutes.fr, leparisien.fr europe1.fr, Le Huffington Post, en hébergent déjà, d’autres rédactions vont suivre en 2014.
Si ces nouveaux espaces publicitaires prennent le pas sur les bannières, c’est qu’ils rapportent beaucoup plus – jusqu’à 250.000 dollars pour une campagne sur Buzzfeed comprenant une dizaine de contenus. Du point de vue éditorial, que les médias prennent une partie du rôle des agences de pub ne va pas sans poser de questions éthiques. Le New York Times s’est fendu d’une note sur le sujet, précisant que ces publicités seraient distinguées des contenus journalistiques par une bordure bleue, un logo de l’annonceur, et une police d’écriture différente, ainsi que la mention «paid post» spécifiant que le contenu a été payé. Plus important encore, les contenus des annonceurs seront créés par l’équipe commerciale, et non par la rédaction, martèle le directeur de publication Arthur Sulzberger Jr.
Même règle à Buzzfeed: à New York, la rédaction ne produit pas les contenus de marques. Ceux-ci sont réalisés par l’équipe créative, qui travaille de l’autre côté du plateau, sur les mêmes formats éditoriaux.
A quand un Netflix pour l’information? Cette question a été posée par Ken Doctor, l’auteur du livre Newsonomics. Cela supposerait d’avoir des algorithmes capables d’indiquer ce que les gens veulent savoir et comment ils s’informent et de… financer la production . Car tout le fonctionnement de Netflix, la plate-forme qui a financé la série House of Cards, repose sur la puissance de ses algorithmes, capables d’analyser avec précision ce que ses utilisateurs aiment regarder et comment ils le visualisent. Plus de la moitié d’entre eux finissent ainsi une saison d’une série télévisée (jusqu’à 22 épisodes) en une semaine, autant dire que le visionnage intensif est installé dans les chaumières.
Dans ce cadre, les robots aident à calibrer la production journalistique. Ils peuvent aussi aider à éditer un journal comme The Long Good Read, une expérience menée par le Guardian dont l’objectif est de réussir «à presser quelques boutons pour imprimer un journal» dont le contenu a du sens pour les lecteurs. Le principe? Un algorithme maison, baptisé Ophan, pioche dans les articles les plus vus, les mots clés cherchés par les lecteurs du Guardian et une somme d’autres critères pour sélectionner les contenus à imprimer.
26 millions de Français ont un compte Facebook, environ 2,6 millions ont un compte actif sur Twitter – pour 85 millions de tweets échangés au cours de 2013 – selon Seevibes. Commenter les programmes télévisés sur les réseaux sociaux est désormais entré dans les moeurs. Pourtant, jusque là, les expériences de second écran sont faibles, regrette KC Estenson, de CNN, lors de la conférence Le Web à Paris, en décembre 2013. «Ce sont des tentatives rudimentaires de mettre un peu de conversation à la télévision».
Si le lien entre nombre de commentaires sur les réseaux sociaux et nombre de téléspectateurs n’est pas encore prouvé, les tentatives d’animation éditoriale peuvent booster les réactions en ligne et redéfinissent la programmation traditionnelle de la télévision.
Trois exemples augurent de progrès à venir:
Lors de la diffusion de la série Scandal, aux Etats-Unis, l’actrice Darby Stanchfield, qui joue le rôle de la détective Abby, a tweeté elle aussi en direct et retweeté les meilleurs commentaires publiés. Conclusion: le direct télévisuel n’est pas le seule programme à avoir du sens pour la Social TV.
Le scénario de la série What Ze Teuf sur D8 est écrit au jour le jour par les spectateurs sur Twitter, et tourné dans la foulée. En clair, les contributions des internautes ne sont pas là pour faire joli, elles participent du principe narratif.
Le partenariat entre Twitter et Comcast, qui a installé le bouton «see it», montre comment Twitter compte devenir la télécommande de la télévision. Moralité, les réseaux sociaux influent sur la programmation. Il y a, en ligne, des making of, des compléments, des pastilles créées pour la consommation de vidéos hors antenne.
«Un bébé qui naît aujourd’hui grandira sans la moindre idée de ce que vie privée peut bien vouloir dire». Voilà ce que Edward Snowden, l’ex consultant de la NSA, l’agence nationale de sécurité américaine, réfugié en Russie, a déclaré en vidéo lors de ses voeux de fin d’année. Avant lui, Eric Schmidt, le patron de Google, Vint Cerf, ingénieur de Google, et Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, ne disaient pas autre chose.
Mais les révélations de Snowden sur le système de surveillance généralisé mis en place par la NSA a servi de détonateur en 2013. Pour les citoyens bien sûr, mais pour les journalistes aussi qui, plus jamais, doivent enquêter sur des sujets sensibles en apprenant à sécuriser leurs communications, leurs documents et leurs informations. «Sans cela on lit en vous comme dans un livre ouvert», insiste Micah Lee, de l’Electronic Frontier Foundation, qui recommande de passer par le projet Tor, dont il assure que la NSA ne sait pas comment l’épier, et par la messagerie Off The Record – il y a aussi Crypto.cat.
Nous ne cherchons plus les informations, elles viennent à nous était la devise en 2012. Nous ne cherchons plus les informations, les recommandations viennent à nous pourrait être la devise de 2014. Car, en ligne, la recommandation sociale est devenue la norme.
Aux Etats-Unis, nombre d’applications sont apparues pour faciliter la vie quotidienne des professionnels et faire office d’assistants personnels automatisés, prédit Amy Webb lors de l’Online News Association à Atlanta. Donna vous dit quand partir pour ne pas être en retard à votre prochain rendez-vous (en calculant votre itinéraire et en anticipant s’il y a des embouteillages sur la route). Tempo vous sort les documents dont vous avez besoin en fonction des intitulés des réunions inscrites dans votre agenda, et lorsque vous allez par exemple voir telle ou telle compagnie, les dernières informations concernant cette dernière vous sont proposées. Twist regarde votre calendrier, voit le nom des personnes avec qui vous avez rendez-vous et le lieu, puis géolocalise l’endroit où vous êtes, et prévient automatiquement vos hôtes que vous allez être en retard. Hunch vous propose des publicités recommandées en fonction de ce que vous aimé, retweeté, des marques auxquelles vous faites confiance sur les réseaux sociaux.
Les utilisateurs voient donc remonter, en push automatique, des recommandations qui les intéressent. Pour les rédactions, insiste Amy Webb, c’est une immense opportunité que de proposer des strates d’informations contextuelles, forcément indispensables, à partir des agendas des utilisateurs.
Excellente année 2014 à tous!
Alice Antheaume
lire le billetLes rédactions sont truffées de journalistes qui ne se ressemblent pas. Il y a ceux qui font des captures d’écran à tout va, ceux qui traquent les nouvelles tendances, ceux qui comptent les occurrences des mots dans les discours des politiques, ceux qui vérifient chaque chiffre et ceux qui ne vivent plus que pour le journalisme de données. Leur point commun? Ne pas pouvoir travailler sans outil numérique. Passage en revue de huit profils journalistiques (1).
Profil
Utilisateur forcené des réseaux sociaux, ce journaliste ne «suit» pas l’actualité prévue dans les agendas institutionnels. Ses sujets, il les renifle en observant l’activité des internautes sur le Web. Ainsi, il a déjà écrit sur le planking, l’art de se prendre en photo en faisant la planche, le tebowing, l’histoire de cette prière faite par le quarterback américain Tim Tebow, le scarlettjohanssoning, après la publication de clichés de l’actrice nue, le noynoying pour fustiger la passivité du président philippin Benino Aquino III, surnommé «Noynoy», et… le draping, du nom de Don Draper, le héros de la série Mad Men.
Signes distinctifs
Publie des articles sur les mèmes, ces éléments (images, citations, vidéos) qui se partagent, en ligne, à la vitesse de l’éclair et entrent dans la mémoire collective, comme cela a été le cas de la jambe d’Angelina Jolie, exposée lors de la cérémonie des Césars Oscars (merci @Bere94) et devenue un élément autonome sur le Web, copiée-collée sur d’autres photos.
Outils de travail
Trendic Topics, les sujets les plus discutés sur Twitter; Google Trends sur les mots-clés les plus tapés dans Google en fonction des pays et Google Insight for Search pour repérer les tendances de volume de recherche par région, catégorie, période; Video Viral Chart qui répertorie les vidéos les plus partagées (sur Facebook, sur les blogs, etc.) et trace leur «itinéraire» via un graphique; Know your Meme, une base de données sur les mèmes.
Profil
De la «bravitude» de Ségolène Royal en 2007 à la «méprisance» de Nicolas Sarkozy en 2012, ce journaliste traque les néologismes créés par les personnalités politiques, les petites phrases échangées entre candidats à la présidentielle et leurs références littéraires (François Hollande se comparant à Sisyphe et Jean-Luc Mélenchon citant Victor Hugo). Il peut aussi analyser le vocabulaire d’un parti sur un événement, comme le PS sur l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Pour ce faire, il aime compter les occurrences d’un mot dans les discours politiques et les pronoms personnels pour en tirer des enseignements sur le message véhiculé. Au final, ses articles flirtent avec l’exercice du commentaire composé.
Signes distinctifs
Cite souvent le blog du linguiste Jean Veronis, peut glisser dans ses articles une définition trouvée dans le Littré, voire créer un quiz à partir des figures de style utilisées par des hommes et femmes politiques.
Outils de travail
L’INA, pour revoir les archives de discours politiques et d’interventions télévisées; Wordle, pour mettre en valeur, à partir d’un discours politique, les mots qui reviennent le plus souvent.
Profil
Journaliste en reportage, pour couvrir un procès, suivre un candidat en campagne électorale, relater un événement international, il se retrouve loin de ses collègues, avec son smartphone comme seul compagnon. «Il me permet de m’informer, de photographier, de tweeter et de rester en contact avec ma rédaction», décrit Soren Seelow, journaliste du Monde, envoyé spécial à Toulouse au moment de l’opération du Raid dans l’affaire Mohamed Merah, qui raconte le marathon médiatique de l’intérieur. Ses deux soucis principaux? 1. La recharge de son téléphone, qui se vide à la vitesse que l’on sait 2. La disponibilité du réseau téléphonique ou de la connexion Internet, sans qui aucune information ne peut être publiée.
Signes distinctifs
Dans le feu de l’action, peut faire quelques coquilles et ne répond pas aussitôt aux questions de l’audience pour préserver sa batterie. Il rêve d’une application mobile comme celle de Tumblr ou de la BBC pour pouvoir intégrer ses photos, ses sons, ses vidéos et ses informations dans le système de publication de sa rédaction, sans passer par la case ordinateur.
Outils de travail
Des recharges (portables) de téléphone; l’application Ustream pour mobile, pour diffuser en ligne les vidéos filmées sur son téléphone en temps réel, ou Bambuser; l’application Photoshop Express pour recadrer ses photos en deux secondes; et l’application de montage vidéo Reeldirector (pour iPhone).
Profil
Les règles d’orthographe, de grammaire et de ponctuation, il les connaît par coeur. Le système de publication de sa rédaction (appelé aussi CMS, comme content management system) aussi. Ainsi, il sait combien de signes maximum peut contenir un titre pour rester sur une seule ligne. Il a lui-même rédigé la charte de règles typographiques de sa rédaction, et pense qu’il faudrait l’offrir comme cadeau de Noël à tous les rédacteurs de son équipe. Car il se bat pour uniformiser l’écriture des articles, par exemple en demandant à ce qu’al-Qaida soit écrit en français plutôt qu’en anglais (Al-Qaeda) et en retirant les tirets qui n’auraient pas lieu d’être à Sciences Po (et non Sciences-Po) ou Nations unies (et non Nations-Unies). Excellent titreur, il a aussi appris quelques règles de SEO et leur impact sur l’écriture journalistique. D’ailleurs, il se demande toujours si ajouter un point d’exclamation ou d’interrogation à un titre fait «davantage remonter l’article dans Google News».
Signes distinctifs
Répète sans relâche qu’une citation s’écrit avec des guillemets doubles français (« ») et qu’une expression à l’intérieur d’une citation s’écrit avec des guillemets anglais (” “). Réédite parfois en cachette les articles de ses collègues pour corriger des «coquilles» malheureuses mais s’empêche de reprendre les fautes d’orthographe repérées dans les commentaires des internautes. Sa drogue? L’espace insécable, que l’on insère pour que deux mots ne soient pas séparés par un retour à la ligne automatique (CTRL + maj + espace dans Word, Alt + espace sur MAC).
Outils de travail
Le blog Langue sauce piquante des correcteurs du Monde; les raccourcis du clavier; les chartes des différentes rédactions existantes, de Reuters à Sud Ouest en passant par Médiapart; les conseils de Google pour le référencement.
Profil
Issu de la mouvance Owni, il estime que la principale plus-value du journaliste numérique repose sur le journalisme de données. Capable de lire des chiffres et des statistiques, de jongler avec des formules dans Excel, il fait montre de compétences scientifiques indéniables. Amateur de cartes –sur la France carcérale ou la disposition des caméras de surveillance par exemple, de graphiques et d’infographies animées, il peut utiliser différents outils de visualisation pour en tirer une information. Son modèle? The Guardian et sa capacité à raconter des histoires dont on oublie qu’elles trouvent leur source dans des données indigestes, sur les gares ferroviaires les plus bondées d’Angleterre ou sur les excès des notes de frais de ses parlementaires.
Signes distinctifs
A vu au moins une fois dans sa vie à quoi ressemblent les fichiers révélés par Wikileaks, tels que les câbles diplomatiques américains ou les rapports de l’armée sur la guerre en Irak. Le journaliste de données travaille en groupe, avec un développeur et un graphiste, avec qui il parle avec des termes barbares –tableur, feuille, donnée brute, donnée pertinente, donnée non pertinente, data, valeur.
Outils de travail
Excel; Open Data, la plateforme de données publiques lancée par le gouvernement; Google Chart ou Many Eyes pour créer des graphiques, des courbes et des camemberts; Document Cloud pour transformer des documents en données; Google Fusion Table pour visualiser sur des cartes et des chronologies les données agglomérées; Google Maps; OutWit Hub, un moteur de recherche qui repère sur le Web infos et documents concernant un champ de recherche donné (le foot comme les concerts, le budget de l’Etat français comme la crise de la zone euro).
Profil
Journaliste généraliste, il a une connaissance inégalée de l’actualité. Ultra réactif, branché sur les chaînes d’informations en continu, un oeil sur les sites concurrents, l’autre sur Twitter, il sait voir la différence entre la dépêche de 12h11 et celle de 12h12 à la virgule près. Les termes «batônnage» et «enrichissement» n’ont aucun secret pour lui. Le sens du mot «old», qu’il lance à ses collègues avec dextérité, non plus. Car pour les besoins du «live» sous toutes ses formes, il filtre toute information qui daterait de plus d’une heure.
Signes distinctifs
Travaille en temps réel mais en horaires décalés, donc présent sur les réseaux sociaux aux aurores ou bien très tard. Dans la frénésie de l’actualité, peut se démener pour publier un urgent de l’AFP sur Twitter, en faisant un copié-collé de l’alerte qu’il vient de recevoir.
Outils de travail
Twitter; agences de presse; Google Reader et/ou Netvibes pour faire de la veille; Cover It Live, Scribble Live, ou P2 (pour WordPress) pour couvrir un événement en direct.
Profil
Impossible de le déceler à la lecture de ses articles, mais ce journaliste ne rencontre pas physiquement les personnes qu’il interviewe. Comment se déroulent ses interviews alors? Par email, par messagerie instantanée ou par Skype. Le journaliste de cette catégorie vit en ligne et, en toute bonne foi, ne voit pas ce que cela changerait de rencontrer les gens en vrai pour leur poser des questions, à part perdre du temps –car aller au rendez-vous, en revenir, puis retranscrire l’interview sont autant d’étapes supplémentaires.
Signes distinctifs
Capable de mener plusieurs conversations en ligne à la fois, ce journaliste jongle avec de multiples fenêtres de conversation qui s’ouvrent de façon simultanée sur son ordinateur, ainsi que sur son smartphone.
Outils de travail
Messageries instantanées de Gmail et Facebook; messageries électroniques classiques; Skype et Hang Out pour des visioconférences; applications WhatsApp pour envoyer des SMS à volonté et IMO pour «chatter» sur toutes les plates-formes.
Profil
Depuis la primaire socialiste, à l’automne dernier, ce journaliste s’est fait une spécialité: vérifier la crédibilité de la parole politique. Alors il épluche les sites des candidats à la présidentielle, leurs programmes et leurs promesses. Devenu un représentant du fact checking, il passe au crible le chiffrage –ou l’absence de chiffrage– de chaque proposition. Et oppose d’autres chiffres, d’autres promesses, retrouvés dans les limbes du Web. Trouver les métadonnées d’une affiche de campagne pour découvrir d’où provient l’arrière plan de celle-ci fait partie de ses compétences. En dehors de la présidentielle, il sait s’assurer de l’authenticité de contenus provenant du Web, comme le tweet publié par un étudiant annonçant l’arrestation de Dominique Strauss-Khan, en mai 2011, ou la photo de Mouammar Kadhafi mort, en octobre 2011.
Signes distinctifs
Son arme? La capture d’écran. Conscient de la versatilité des contenus publiés sur le Web, il mitraille tout ce qu’il voit et enregistre dans la mémoire de son ordinateur ou de son téléphone des dizaines de captures d’écran, qu’il ressort en guise de preuve dans ses articles. Autre signe notable: sur Twitter, il peut se livrer à une discussion sans fin sur les diverses interprétations possibles d’un même chiffre.
Outils de travail
Pomme + Maj + 4 pour une capture d’écran sur un MAC; bouton central et bouton du haut à droit pressés en même temps pour une capture d’écran sur iPhone; Tineye, un moteur de recherche qui retrouve l’itinéraire d’un cliché; le module Exif Viewer (pour Firefox et Chrome) pour découvrir les informations sur la prise de vue d’une image…
(1) Cette classification n’est ni exhaustive ni issue d’un travail scientifique.
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Alice Antheaume
lire le billetAu rayon journalistico-numérique, les paris sont ouverts sur les mutations qui vont marquer l’année à venir. Sur quoi miser?
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En France, le nombre de pure players – ces sites qui existent sans support imprimé – par habitant est plus élevé qu’ailleurs. C’est même une «exception française» dans le paysage médiatique européen. Depuis le début de l’année 2011 sont en effet apparus Atlantico, Le Plus, Newsring, Quoi.info, et bientôt, le Huffington Post français… Un rythme soutenu d’initiatives en ligne que précipite l’orée de la campagne présidentielle – mieux vaut se lancer dans une période d’actualité intense.
«Ce dynamisme français se voit sur trois niveaux», m’explique Nicola Bruno, journaliste qui co-rédige actuellement un travail de recherche sur les pure-players en France, Allemagne et Italie qui sera publié l’année prochaine par le Reuters Institute for the Study of Journalism. «Par 1. le nombre de pure-players en activité en France (j’en ai compté plus de 12 issus d’initiatives indépendantes), 2. leur maturité (la France est le pays où sont nés les premiers pure-players en Europe avec Agoravox dès 2005, puis Rue89, Médiapart et Slate.fr) 3. leur diversité, tant dans les choix éditoriaux (journalisme de données, journalisme d’investigation, marché de niche, site communautaire, etc.) que leurs modèles économiques (abonnements, gratuit, etc.)».
Trop d’acteurs sur un trop petit marché? Pour Julien Jacob, président de Newsring, «il va y avoir des morts». Selon Nicola Bruno, «il n’y a pas de réponse définitive à cette question. Actuellement, aucun pure-player en Europe ne semble en mesure d’atteindre un seuil de profitabilité, comme c’est le cas aux Etats-Unis avec le Huffington Post et Politico. Et ce, pour une raison simple: ni la France ni aucun autre pays européen n’a une audience aussi grande que les Etats-Unis. Pas plus qu’un marché publicitaire mature capable de soutenir des projets uniquement sur le Web.»
Peine perdue, alors? Pas tout à fait, reprend Nicola Bruno, «l’histoire a montré qu’être profitable n’est pas toujours le but de ces projets journalistiques». L’histoire a aussi montré que les petits se font parfois racheter par des plus gros, comme le Huffington Post par AOL, le Daily Beast par Newsweek, et… Rue 89 par Le Nouvel Observateur.
Quel contenu lit-on tout de suite? Lequel poste-t-on sur Twitter? Lequel partage-t-on sur Facebook? Lequel glisse-t-on dans ses favoris? Et lequel sauvegarde-t-on pour le lire plus tard via des outils comme Instapaper ou Read It Later? Les utilisateurs, devenus des algorithmes humains, passent leur temps à trier les contenus et les ranger dans des cases. Selon quels critères? Difficile à dire.
Lit-on «plus tard» des contenus longs, comme le suppose cette présentation? Pas forcément. Selon le classement établi par Read It Later et mentionné dans la Monday Note de Frédéric Filloux, la majorité des articles sauvegardés – éditos ou des contenus liés aux nouvelles technologies avant tout – font moins de 500 mots (environ 2.700 signes). «Preuve est faite que les gens trouvent ces outils utiles indépendamment de la longueur de l’article», reprend le Nieman Lab. Un usage qui peut changer la façon dont les journalistes produisent des informations, dans la mesure où un même article peut avoir deux vies. La première pour «consommer tout de suite», en temps réel. Et la seconde pour «déguster plus tard», lorsque le lecteur le peut.
«Vous pouvez parler A votre téléphone plutôt que de parler DANS votre téléphone», a lancé Nikesh Arora, de Google, au Monaco Media Forum. Et pour Pete Cashmore, de Mashable, le contrôle des contenus par la voix devrait devenir incontournable en 2012.
C’est déjà le cas avec l’application Dragon Dictation, qui permet de dicter des SMS à votre portable, ou de prononcer un mot-clé dont votre téléphone comprend qu’il faut en tirer une requête sur Google. Siri, sur l’iPhone 4S, c’est aussi une sorte d’assistant qui obéit à vos ordres passés à l’oral. La suite? La voix humaine devrait bientôt servir de télécommande, sur la télévision d’Apple notamment.
Les téléphones portables sont la nouvelle malbouffe des ados, a titré le New York Times sur son blog consacré aux technologies. Aux Etats-Unis, ceux-ci passent de moins en moins de temps à parler au téléphone (en moyenne 572 minutes de voix par mois contre 685 minutes l’année précédente), et de plus en plus à envoyer des messages, SMS et MMS (les Américains de 13-17 ans reçoivent et envoient chaque mois 3.417 messages, environ 7 messages par heure en journée).
Même tendance en France, selon une étude du Pew Research, qui donne à voir les usages des utilisateurs de téléphone pays par pays. Vu la situation – encombrée sur le Web, et très prometteuse sur les téléphones – pour les éditeurs d’information, autant calibrer les contenus pour une consommation sur mobile.
Le volume de données digitales dans le monde devrait atteindre, en 2012, 2.7 zettabits. Pour ceux qui ne s’y repèrent pas entre les bits, les terabits, et les zettabits donc, c’est beaucoup, à en voir les ordres de grandeur ici.
La France n’est pas en reste dans la production de cette masse de données, avec le lancement par le gouvernement, début décembre 2011, du site de données publiques data.gouv.fr. Y figurent des tonnes d’informations chiffrées dont la lecture est indigeste, pour ne pas dire incompréhensible, pour le commun des mortels. Or le travail du journaliste de données, c’est de donner du sens à ces chiffres en les sortant de leur fichier Excel pour que «l’information vous saute aux yeux», comme écrit dans un précédent WIP. Tous les sujets journalistiques ne se racontent pas en chiffres, mais pour, par exemple, le budget de l’Etat en 2012 et la répartition des ressources en fonction des postes budgétaires, c’est efficace. La preuve, voici la «tête» du fichier téléchargé depuis data.gouv.fr.
Et voilà la visualisation de ce budget réalisée par Elsa Fayner, sur son blog intitulé «Et voilà le travail».
Mort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.
>> Lire ou relire ce WIP sur le live >>
Election présidentielle oblige, la plupart des rédactions françaises se mettent en ordre de bataille pour faire du «fact checking» en quasi temps réel, cette technique journalistique anglo-saxonne qui permet de jauger la crédibilité de la parole politique. L’un des modèles du genre, le site américain Politifact.com, qui a mis en place un outil appelé «truth-o-meter» (le véritomètre), et a été récompensé dès 2009 par le prix Pulitzer, le graal journalistique.
>> Lire ou relire ce WIP sur le fact checking >>
C’est le site journalism.co.uk qui le prédit dans sa liste des 10 choses qu’un journaliste devrait savoir en 2012: après la fermeture de News of the World et le scandale des écoutes illégales en Angleterre, l’heure serait à l’honnêteté intellectuelle. «Les journalistes doivent être certains que la fin justifie les moyens (légaux)», peut-on lire. «Ils doivent être plus transparents sur les sources, à condition que celles-ci ne soient pas compromises. Si un article naît d’un communiqué de presse, il faut le dire».
>> Lire ou relire ce WIP sur l’utilisation de sources anonymes >>
Et aussi:
Et vous, sur quoi misez-vous pour 2012? En attendant, bonnes fêtes à tous!
Alice Antheaume
lire le billetLes liens hypertexte affectent-ils notre concentration? (20minutes.fr)
Nom de code? Atlantico, le nouveau pure player bientôt prêt à sortir (Electron Libre)
Entre murs payants et tablettes, le cahier de tendances printemps-été d’Eric Scherer (AFP Mediawatch)
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