Mise à jour: Engagez-vous, qu’ils disaient…

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A chaque conférence sur le journalisme, le mot «engagement» est répété à l’envi, que ce soit en français ou en anglais. Compter ses occurrences lors des tables rondes est un exercice éloquent. Dans les articles publiés sur ce blog, j’ai moi-même utilisé ce terme une bonne dizaine de fois. A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’un des cours, socle de la deuxième année de master, s’intitule «engagement avec l’audience». Or que signifie exactement le terme «engagement»? Sachant qu’à l’origine, en anglais, il désigne des fiançailles, qualifie-t-il la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs? Ou les types d’interactions de l’audience avec les contenus? Leur mesure (taux de partage d’un article, nombre de vidéo vues)? Ou un peu de tout à la fois? Pour le savoir, j’ai posé la question à des professionnels des médias, en France, en Angleterre, en Belgique, et aux Etats-Unis.

Samantha Barry, journaliste et productrice à BBC News et BBC World News (Angleterre)

«L’engagement est central pour comprendre et servir l’audience. Il ne faut pas seulement se fier à ce qui est populaire ou ne compter que sur des utilisateurs numériquement avertis. Engagez-vous avec tout le monde, n’excluez personne. A l’ère où les rédactions ont des budgets très serrés, il faut bien réfléchir à ce que le retour sur investissement d’un bon engagement pourrait être. A mon avis, il est inestimable. Audience et engagement sont la clé de tout et m’occupent à chaque moment de la journée. En plus de mon rôle de journaliste et productrice à la BBC, je forme aussi des journalistes dans des pays en voie de développement et dans des zones de conflit et participe à une start-up de partage de vidéos pour les journalistes, appelée Vizibee. Améliorer notre engagement au sein de la rédaction veut dire que notre audience est entendue. Nous réajustons les informations que nous donnons et les sujets que nous couvrons en fonction des réactions de l’audience. Lors des formations, notamment en Birmanie et au Nigeria, nous développons des liens avec des audiences locales afin de comprendre leurs besoins médiatiques. Et enfin, avec Vizibee, l’interaction avec les utilisateurs a défini et redéfini ce qu’est devenue l’application depuis un an.»

Nick Wrenn, rédacteur en chef de CNN.com/international (Etats-Unis)

«A CNN, l’engagement regroupe plusieurs ingrédients de mesure de l’audience: le nombre de pages vues, le nombre de visiteurs uniques par mois, et le temps passé par visite. L’engagement se mesure aussi au taux de complétion observé sur les vidéos. Comme ailleurs, notre objectif est de réduire notre taux de rebond (cela concerne les internautes qui n’ont vu qu’une seule page du site et n’ont pas souhaité visiter d’autres pages, ndlr).»

David Cohn, fondateur de l’application Circa, qui permet de s’informer depuis un mobile (Etats-Unis)

«Je pense qu’il s’agit moins de la mesure des interactions (comment mesurer l’engagement et qu’est-ce que cela signifie?) que du sens éditorial de l’engagement (qu’est-ce que cela veut dire d’avoir une relation avec un lecteur?). Autrefois, c’était simple: nous produisions du contenu, le lecteur le consommait. Désormais, le nombre d’actions reliant le média à son audience s’est multiplié. Le lecteur peut partager, commenter et même contribuer à redéfinir le contenu. Toutes ces actions, déterminées par l’équipe rédactionnelle d’un média, sont des actes d’engagement. Une personne désengagée ne commente pas, ne partage pas, ne contribue pas. Ceci considéré, regardez comment, à l’inverse, il est excitant de voir des utilisateurs s’engager avec un média. Cela signifie que le contenu a, pour eux, de la valeur. Faire en sorte que son audience contribue, de quelque manière que ce soit, a plus de valeur que de n’avoir aucune réaction. C’est préférable pour le journalisme en tant que tel. Cela requiert d’être honnête intellectuellement, franc et transparent avec l’audience.»

MISE A JOUR Jack Sheper, directeur éditorial de Buzzfeed (Etats-Unis)

«A Buzzfeed, quand on parle d’engagement, on parle d’abord d’engagement émotionnel. On a découvert que provoquer une forte émotion – au sens positif – à la lecture d’une publication est de loin le moyen le plus efficace de s’assurer que celle-ci va être partagée. Créer du contenu qui “engage émotionnellement” l’audience, au point qu’elle va partager ce contenu (le tweeter, le poster sur Facebook, l’envoyer par email à des amis, etc.) est une forme d’art. C’est le coeur de ce que l’on fait, et on ne peut pas faire semblant. Recueillir un haut degré d’engagement signifie surtout que l’auteur du contenu a réussi à proposer une approche empathique du sujet – par exemple en anticipant la manière dont les lecteur vont réagir, plutôt que de se contenter de diffuser l’information, ce qui est une façon obsolète de faire de la distribution de contenus à l’ère de Facebook. Cela n’a plus de sens aujourd’hui. Dans cette optique, l’engagement est crucial pour qui s’efforce d’être un éditeur accompli à l’heure des réseaux sociaux.»

Thomas Doduik, éditeur du Figaro.fr (France)

«La notion d’engagement recouvre toutes les actions réalisées par un internaute au contact d’un média, d’un réseau social, d’une marque, lorsqu’il dépasse le stade de simple consommateur d’informations pour en devenir un acteur. Concrètement au Figaro, cela se traduit par la mise en oeuvre d’une stratégie dite “d’entonnoir”. Si la majorité de notre audience se contente d’une relation “passive” (consulter nos contenus), une partie a lien plus étroit avec Le Figaro et peut réaliser un acte d’engagement plus ou moins impliquant: s’abonner à une newsletter gratuite, participer à la conversation en déposant un commentaire, acheter une édition électronique du quotidien ou bien s’abonner à l’une de nos offres digitales. Toutes ces actions nécessitent la création d’un compte “Figaro Connect”. Après trois années d’existence, nous comptons 1,3 millions de membres.

Ce système est extrêmement vertueux pour trois raisons:
1. il renforce le lien entre la rédaction et son audience (au travers notamment des commentaires sélectionnés par les journalistes);
2. il augmente significativement la consultation de nos sites. Un membre Figaro Connect consulte en moyenne six fois plus de contenus qu’un internaute non identifié et passe trois fois plus de temps sur le site;
3. il nous permet de mieux connaitre nos internautes, via les données de surf que nous collectons. Nous sommes ainsi en mesure de leur apporter des informations et services autour de leurs thématiques favorites.»

Michaël Szadkowski, social media editor au Monde.fr (France)

«L’engagement de nos lecteurs recouvre tout ce qui dépasse la simple lecture d’un contenu du Monde.fr. Cela peut se faire de manière assez basique. Un lecteur qui “aime” un article sur Facebook ou Google+, retweete Le Monde.fr ou tweete un de nos articles, s’engage, dans la mesure où il diffuse notre travail d’information. L’engagement plus construit, et plus qualitatif, peut concerner les conversations liées à l’actualité, entre les lecteurs eux-mêmes, mais aussi entre les lecteurs et les journalistes. Il s’agit, à mon sens, d’un nouveau format journalistique, et ce sont les prises de paroles de nos lecteurs qui en est la source. Le lecteur “engagé” réagit au fait d’actualité en lui-même (“Je trouve ça scandaleux”, “Je trouve ça génial”, “Je fais une blague”, etc…), mais peut aussi nous poser des questions (sur notre traitement éditorial, ou sur un point qu’il n’a pas compris), et nous donner des précisions et informations supplémentaires (liens, expertise, etc). A nous, journalistes, de cultiver ensuite cet engagement en valorisant les meilleurs prises de paroles de l’audience, et en répondant aux questions et aux commentaires. Le format, tout comme la qualité, de cet engagement dépendent de l’endroit et des cadres dans lesquelles les conversations ont lieu.

Sur notre page Facebook, il s’agit par exemple des commentaires sous un de nos posts, ou des mails échangés sur la messagerie de la “fan page”. Sur Twitter, il s’agit des gens qui nous interpellent en mentionnant “@lemondefr”, et qui discutent avec nos journalistes sur tel ou tel fait d’actualité. Sur le site, nos lecteurs prennent particulièrement la parole au moment des “lives” et des chats (avec un volume très important de commentaires et de questions postés dans nos fenêtres Cover It Live), et des appels à témoignages (où ils racontent leurs expériences avec des textes, des photos, etc). Nous réfléchissons en ce moment à de nouveaux formats pour dynamiser, et enrichir, ce type d’engagement. Et ce, dans un souci d’enrichissement éditorial, pour nous et pour l’audience. Mais il ne faut pas se leurrer: cela sert aussi à ce que les lecteurs passent plus de temps sur le site, et restent en contact avec “Le Monde.fr” sous toutes ses formes.»

Erwann Gaucher, journaliste à France Télévisions (France)

«Je ferais une distinction entre engagement et interaction. L’interaction, c’est l’audience qui discute d’un sujet traité dans un média, ou d’une émission de télévision par exemple. L’engagement, c’est l’interaction active, poussée et fidélisée, avant, pendant et après la publication ou la diffusion d’un contenu. Cela résulte des mécanismes d’animation de communauté que l’on met en place, via des fonctionnalités et des rendez-vous complémentaires et parallèles aux émissions télévisées, afin que l’audience recommande, partage et agisse concrètement avec le média. Devant l’émission Envoyé Spécial sur France 2, par exemple, l’audience peut interroger, sur Twitter, les présentatrices Françoise Joly et Guilaine Chenu pendant la diffusion des reportages à l’antenne. Celles-ci leur répondent en direct. Capter une conversation pour en publier / passer à la télévision des extraits, c’est pour moi de l’interaction. Proposer à l’audience de sélectionner elle-même l’extrait de l’émission ou de l’événement sportif via un bouton de “snapshot” (les vidéos à la volée, ndlr) et de le partager avec son propre réseau, c’est de l’engagement.»

Damien Van Achter, développeur éditorial, fondateur de Lab.Davanac (Belgique)

«De ma perspective, l’engagement est la résultante d’une processus plus ou moins long d’insertion d’individus, de marques, de médias au sein de communautés d’intérêt. L’engagement se révèle quand des utilisateurs participent de manière pro-active à des processus de co-création de valeur ajoutée, partagent leurs idées, leur énergie et leur temps afin d’entretenir des liens sociaux et affectifs forts, voire à ouvrir leur porte-monnaie pour acquérir des produits ou des services devenus légitime et signes d’appartenance à une ou plusieurs de ces communautés d’intérêt. L’engagement n’est pas une fin en soi, mais aucun projet porté par un individu, une marque ou un média, n’a de chance de récolter un retour sur investissement sans qu’il y ait engagement des communautés auxquelles ils s’adressent.»

Aude Baron, rédactrice en chef du Plus au Nouvel Observateur (France)

«L’engagement est un terme que j’entends surtout dans la bouche des services marketing, pour désigner toutes les actions de l’internaute par rapport au contenu, qu’il s’agisse de lectures, commentaires, likes, partage sur les réseaux sociaux, envoi par mail… J’emploie rarement ce mot, qui reste un peu flou. Dans les faits, je fais attention à toutes les actions des lecteurs pour évaluer le succès, et surtout, la qualité de lecture d’un article, par ordre croissant: vu / lu / liké / partagé / envoyé / commenté. Ainsi, un article qui est beaucoup “vu” peut juste avoir été pris par Google Actu, ça ne voudra pas dire pour autant qu’il a été “lu”. Etre vu, c’est bien pour les stats, mais être lu, c’est quand même ce qu’on recherche. Le nombre de shares et commentaires permet d’évaluer la qualité de lecture avec un peu plus de précision. Ainsi je préfère voir un billet affichant 10.000 vues, 120 commentaires et 1K de partages Facebook, qu’un billet avec 150.000 vus mais 20 partages Facebook et 2 commentaires: la lecture n’aura pas du tout été qualitative.»

Propos recueillis par Alice Antheaume

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Journalisme et réseaux sociaux: 8 tendances venues des Etats-Unis

Deux semaines en «mission» aux Etats-Unis, une quinzaine de visites dans des rédactions dont le Washington Post, NPR, Fox News, CNN, Politico, Bay Citizen, et des rendez-vous auprès des entreprises de nouvelles technologies, dont Google et Twitter. Quel bilan? Quelles tendances relever? Quels sujets préoccupent les journalistes américains? Quels sont les nouveaux usages qui émergent? Résumé.

  • Le rôle de «social media editor», c’est fini?

En décembre dernier, le New York Times a supprimé ce poste créé un an et demi plus tôt, occupé par Jennifer Preston, qui est désormais retournée au pôle reportages. Pour Preston, interrogée par le site Poynter, la création d’un poste de «social media editor» est une étape dans la vie d’une rédaction, mais une étape temporaire. «Les réseaux sociaux ne peuvent pas appartenir à une seule personne. Cela doit faire partie du travail de tous les journalistes et faire partie du processus éditorial et de la production existante.»

Cindy Boren, social media editor dédiée aux sports pour le Washington Post, sait bien que cette phase n’est pas éternelle. «La suppression du poste de social media editor au New York Times signifie qu’il faut que tous les journalistes se mettent aux réseaux sociaux, pas seulement les “social media editors”. Car les réseaux sociaux, c’est de l’actu pour tous les reporters.» Et elle le prouve: «L’histoire des 400 spectateurs du Super Bowl qui n’ont pas eu de places assises a commencé sur Twitter. Et c’est devenu une polémique énorme, que l’on a racontée et qui a fait partie de nos “top stories”».

Crédit: AA

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  • N’écris pas sur Twitter ce que tu ne dirais pas à l’antenne

Il y a un an, les rédactions anglo-saxonnes complétaient voire rééditaient leur charte déontologique pour statuer sur la posture journalistique à tenir sur les réseaux sociaux. Le New York Times interdit alors aux rédacteurs du pôle «news» d’écrire des messages trop «éditorialisants» sur les réseaux sociaux, afin de ne pas empiéter sur le territoire du pôle «opinions». Reuters préconise que ses journalistes se créent deux comptes distincts sur Twitter. L’un à usage professionnel, «pour agréger de l’information et construire un réseau», l’autre à usage personnel, où les journalistes doivent indiquer qu’ils travaillent à Reuters, mais que leurs messages ne reflètent pas l’avis de leur employeur et où ils n’écrivent rien qui puisse être dommageable à leur employeur.

Désormais, l’unanimité est de mise dans toutes les rédactions américaines, qui appellent leurs journalistes au bon sens. Et répètent cette maxime: «Ne dites par sur les réseaux sociaux ce que vous ne diriez pas à l’antenne/à l’écrit.» Même chez Twitter, qui ne fait pourtant pas partie des éditeurs, on réfléchit avant de tweeter. En témoigne un tableau, accroché dans le hall du réseau social, situé à San Francisco, qui martèle «google before you tweet, think before you speak» (faites une recherche sur Google avant de tweeter, réfléchissez avant de parler).

Crédit: DR

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  • Facebook le mal aimé des journalistes

Dites Twitter et tous les journalistes s’enthousiasment. Dites Facebook et les mêmes regardent leurs chaussures. Pourquoi? Parce qu’ils négligent le second au profit du premier. «Il faut que je m’y remette», confient-ils le plus souvent. D’autant qu’ils voient bien qu’il y a beaucoup plus d’interactions possibles avec le grand public sur Facebook que sur Twitter. En effet, selon une récente étude d’eMarketer, un internaute américain sur deux est sur Facebook, soit 132,5 millions de personnes (42% de la population américaine), contre 20 millions d’Américains sur Twitter (7% de la population des Etats-Unis).

Andy Carvin, responsable des réseaux sociaux pour NPR, remarqué pour sa couverture des révolutions arabes sur Twitter, a cette formule: «Nous, journalistes, ne sommes nous-mêmes que des visiteurs sur Facebook. Nous n’avons pas de règles très précises, les commentaires affluent, nous ne les modérons pas.»

  • Les réseaux sociaux, les nouveaux référenceurs d’audience

Le Nieman Lab, le laboratoire d’Harvard qui décrypte l’impact de la révolution numérique sur le journalisme, l’écrit: et si les réseaux sociaux devenaient le nouveau SEO (search engine optimization, en VF)? Comprendre: après que les moteurs de recherche comme Google ont été les plus gros fournisseurs de trafic des sites d’informations, les réseaux sociaux se font leur place en tant que pourvoyeurs d’audience. Sur Politico, les réseaux sociaux apportent entre 10 et 15% du trafic général du site chaque jour. Sur NPR.org, le site de la plus grosse radio des Etats-Unis, 7% de l’audience est fournie par Facebook. Des chiffres qui devraient croître encore – d’ici 2013, il pourrait y avoir 62% de la population américaine sur le réseau fondé par Mark Zuckerberg.

«Je pense que nous serons bientôt arrivés au point où les réseaux sociaux fourniront plus de trafic aux médias que le “search”», écrit Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab. Et cela pourrait modifier la façon de produire des informations. «Les journalistes vont changer, de façon subtile, le type de contenus qu’ils réalisent afin d’encourager le partage de ceux-ci». Comment? En s’appuyant sans doute sur des éléments qui poussent les internautes à recommander sur Facebook des articles, ou à les poster sur Twitter. D’après les premières observations, les informations provocantes, émouvantes, et «positives» ont plus de chance de circuler sur les réseaux sociaux que des contenus jugés neutres.

  • Infos en ligne = infos au bureau

Si la consultation des statistiques en temps réel est souvent considérée comme une pratique taboue dans les rédactions américaines, en revanche, savoir quelles sont les heures pendant lesquelles les sites d’infos génèrent le plus de trafic s’avère très répandu. Et est considéré comme fondamental.

Aux Etats-Unis comme en France, le trafic d’un site d’infos est calqué sur une journée de travail. Enorme audience en début de matinée et lente érosion jusqu’à la chute de 18h, heure à laquelle nombreux sont ceux qui quittent leur travail. «Sur le site du Washington Post, notre “prime time”, c’est 7h-17h, reprend Cindy Boren. Sauf pour le sport, qui marche bien les soirs, le dimanche et le vendredi, pile quand l’audience du reste du site plonge.»

Ainsi, «le temps de travail devient aussi le temps de s’informer», explique Pablo Bockowski (1), chercheur à l’Université de Northwestern et auteur de News at Work, cité par le blog AFP Médiawatch. Pour lui, il y a un lien entre la consommation d’informations en ligne et utilisation des ordinateurs de bureau. Quant aux infos consultées via mobiles, elles seraient surtout consultées avant et après les journées de travail, c’est-à-dire plus tôt le matin et plus tard le soir.

Puisque la consommation d’infos en ligne culmine le matin, l’obsession des rédacteurs en chef, c’est de ne surtout pas prendre de retard pour couvrir l’actualité, car un démarrage en retard ne se rattrape pas, et «plombe» la journée entière. Bill Nichols, le directeur de la rédaction de Politico, le sait: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).

  • Non aux contenus gratuits devenus payants

Faire payer des contenus produits par des journalistes, pourquoi pas? Dans les rédactions américaines, les journalistes n’y semblent a priori pas opposés. Sauf dans un cas: lorsque les contenus en question ont d’abord été en accès libre, avant de, «pour une raison ou une autre», devenir payants. «C’est ridicule de changer de stratégie en cours de route. Une fois que tu as relâché le génie de sa bouteille, tu ne peux plus l’enfermer à nouveau», résume l’éditeur Martin G. Reynolds, du groupe Bay Area News.

Sur le site de NPR, ses applications iPhone, iPad et Android, toute la production est en open source, outils, systèmes et contenus. «Tout le monde peut se servir de ce que l’on produit», insiste Andy Carvin, de NPR. La rédaction dit être fière de faire «l’exact opposé» de ce que font Rupert Murdoch et le New York Times, lesquels installent des murs payants.

  • L’alliance développeurs/journalistes

D’ordinaire, dans les rédactions traditionnelles, les équipes techniques et éditoriales vivent dans des mondes opposés, ne parlent pas le même langage, et ne sont parfois même pas dans les mêmes locaux. Ce qui ne facilite pas la communication et l’avancement des projets. Désormais, les nouvelles organisations ont compris qu’en ligne, il ne pouvait plus y avoir de barrière. Développeurs et journalistes doivent avancer de concert sur les projets, pour une alchimie innovante entre technologie et contenus.

Une formule que l’équipe de Bay Citizen, un site lancé l’année dernière, a fait sienne. Autour de la table, dans leurs bureaux de San Francisco, des éditeurs d’infos et de vidéo, des responsables de communauté, un rédacteur en chef et des développeurs. «Tout le monde ici est journaliste, lance l’un des membres de l’équipe. Les développeurs ne font pas que taper du code, ils jouent un rôle crucial dans l’éditorial. Il est capital pour nous que les liens soient très forts entre l’équipe technique et l’équipe éditoriale. Hors de question d’avoir un prestataire de services extérieur (à la rédaction, ndlr) qui ne comprendrait pas les contenus sur lesquels nous travaillons.»

  • Le «live», le roi du Web

Pour suivre l’actualité dans les pays arabes, les sites d’infos généralistes, en Europe et aux Etats-Unis, ont mis en place une couverture médiatique inédite, réactualisée en permanence via une nouvelle narration. Une narration qui agrège du texte, des photos, des vidéos, des messages sur les réseaux sociaux. Une narration interactive. Une narration qui évolue en temps réel. Les professionnels du numérique appellent cela des «lives», ces formats éditoriaux qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur les soulèvements ou toute autre actualité à l’instant T.

C’est un changement de paradigme, pour les éditeurs et aussi pour les réseaux sociaux. Othman Laraki, le directeur de la géolocalisation et de la recherche sur Twitter, le constate aussi: «partout où notre croissance a pu débuter, c’est parce qu’il s’est passé, dans l’actualité, de l’instantané» qui se raconte en… «live».

Une nouvelle narration qui semble dicter la (nouvelle) donne au géant Google. Le modèle «un lien = une histoire est vieux voire dépassé. Maintenant, il faut comprendre qu’un lien = plusieurs histoires», décrit un responsable de Google News. Rude tâche pour le robot de Google, appelé «Crawler», chargé de scanner les pages Web pour savoir de quoi elles parlent et ensuite pouvoir les référencer. Le problème du Crawler, c’est de pouvoir photographier un format «live» alors que celui-ci, par définition, n’est pas statique, et évolue d’une minute à l’autre. «Nous essayons d’accélérer la vitesse du Crawler», assure-t-on chez Google, qui rappelle qu’à ses débuts, en 2006, l’algorithme de Google News n’était «rafraîchi que toutes les heures, quand maintenant, il l’est toutes les minutes, et qui sait? Demain, il le sera peut-être toutes les secondes.»

Alice Antheaume

(1) Pablo Bockowski donnera une master class ouverte au public à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, jeudi 17 mars.

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La chasse aux trolls s’organise

Les commentaires les plus fréquents, sur un site d’informations généraliste à fort trafic? «Adieu l’artiste» (si une personnalité vient de mourir), «pauvre France» (pour les sujets de la rubrique société, également en politique), «OSEF», l’acronyme de «On S’En Fout» (pour tout type d’article). Sans compter les multiples «les journalistes devraient un peu plus chercher la petite bête avant de véhiculer au mieux des informations imprécises, au pire des manipulations….» et autres «pourquoi traiter de ce sujet stupide alors que des gens meurent en Indonésie/Somalie/Chine».

Ceux-ci côtoient, heureusement, d’excellentes réactions qui apportent un supplément d’information, voire pointent ce que le journaliste aurait pu rater.

A les lire, et, pire, à les modérer, je me demande, au fond, à quoi servent ces commentaires (1.300 sont soumis chaque jour sur lemonde.fr; plus de 2.000 commentaires sur Rue89; et près de 4.000 sur 20minutes.fr). D’où le dilemme: faut-il privilégier le volume, et laisser en ligne les commentaires cités ci-dessus, suivant l’idée que ces commentaires sont le reflet de ce que pensent les lecteurs, idiots ou pas? Ou faut-il supprimer les commentaires dont la rédaction juge qu’ils n’apportent ni fond, ni débat au sujet, voire qu’ils n’ont rien à voir avec le sujet du tout?

Crédit: Flickr/CC/zzathras777

Crédit: Flickr/CC/zzathras777

>> MISE EN GARDE Attention, loin de moi l’idée de retirer toute possibilité de commenter les productions journalistiques. Du journalisme sur le Web sans interaction avec l’audience, ce serait comme une profiterole sans chocolat fondu. Cela n’aurait aucun intérêt. La question, c’est comment organiser l’interaction entre journalistes et internautes pour que l’échange ne soit pas «plombé» par des commentaires incongrus, sur les réseaux sociaux comme sur les fils de commentaires internes des sites d’infos? >>

Cohabitation entre rédactions et trolls

Selon Antonio A. Casilli, auteur de Les Liaisons numériques (éd. du Seuil), les commentaires parasites ne sont pas l’exception, ils sont la règle. «Nous vivons avec les trolls», lâche-t-il, en plein milieu d’un débat organisé par le Spiil, le syndicat de la presse professionnelle en ligne. Un troll, c’est quelqu’un qui va poster des commentaires sans intérêt, sinon celui de casser la discussion de l’audience et de tuer le débat. Il le fait souvent exprès. Et c’est très irritant.

Yann Guégan, community manager de Rue89, veut être positif: «l’intérêt de cohabiter avec les trolls, c’est qu’il y a un côté difficulté intellectuelle, façon “L’Art de la guerre”, pour trouver comment les contrer.» «Les trolls font partie du jeu, confirme Michel Lévy-Provencal, ex-directeur du studio multimédia de France 24, et organisateur des conférences TEDx à Paris. Quand les journalistes s’exposent sur le Net, les “trolleurs” les prennent comme objets de discussion. C’est un grand classique.»

En effet, ajoute Thibaud Vuitton, journaliste au Monde.fr: «On connaît les papiers qui vont susciter des réactions: généralement il suffit qu’il y ait “Sarkozy” dans le titre pour que ça se déchaîne. On remarque aussi que les critiques sur les papiers sont plus acerbes à partir du moment où un article est signé par un journaliste. Les commentaires sont plus neutres quand c’est signé “lemonde.fr”.»

Thermomètre

Le phénomène est tel que les trolls servent au fond de baromètre de visibilité. Car au fond, il serait inquiétant qu’un site d’infos d’envergure ne soit pas «trollé». Cela signifierait que ses contenus ne suscitent pas – assez – de réactions et qu’ils ne sont pas assez populaires. Lemonde.fr est, à ce titre, un cas à part car seuls les abonnés peuvent commenter. «Du coup, ça limite – un peu – les trolls, juge Thibaud Vuitton. Mais ça favorise un autre type de réactions de lecteurs qui, parce qu’ils sont abonnés, parce qu’ils payent pour pouvoir commenter, sont en droit d’exiger quelque chose. Les commentaires du type “Le Monde n’est plus ce qu’il était” ou “Beuve-Mery se retourne dans sa tombe” sont les plus énervants. On peut parler de trolls car ils n’apportent pas grand chose au sujet traité.»

Exportation des trolls sur les réseaux sociaux

Or il n’y a pas que sur les sites Web d’infos que cela se passe. «Sur les réseaux sociaux aussi, il y a des trolls», reprend Michel Lévy-Provencal. Sur la page Facebook d’un site d’infos, et aussi sur Twitter, en réaction à un tweet par exemple. C’est d’autant plus compliqué à vivre, pour les rédactions, que cela signifie que l’interaction et «la modération doivent aussi s’effectuer en dehors du site d’origine.» C”est-à-dire sur tous les espaces où les communautés des sites d’infos s’exportent.

A dire vrai, les rédactions en ont assez des trolls. Surtout les trolls d’extrême droite, plus offensifs sur les sites d’infos, notent les journalistes en ligne, que ceux de l’extrême gauche. Ils ont été à la fête cet été lors des polémiques sur la sécurité, la déchéance de la nationalité et les Roms. Sur les sites d’infos, nombreux sont les articles qui ont été fermés aux commentaires «quelques minutes après qu’ils ont été mis en ligne, voire avant la mise en ligne», me raconte Mélissa Bounoua, l’une des community managers de 20minutes.fr. «Nous avons même pensé faire une journée sans commentaire (sur aucun article).»

«Comme partout, il y a des millions d’abrutis qui polluent les fils de discussion, reconnaît Duy Linh Tu, professeur de journalisme à l’école de la Columbia, à New York (1). Mais si vous prenez le temps de mettre en valeur les commentaires pertinents de ceux qui réfléchissent, vous connaîtrez mieux vos lecteurs, mieux aussi les sujets sur lesquels vous travaillez, et au final, vous améliorerez la valeur de la marque de votre site d’infos aux yeux de votre audience».

Explications: à chaque fois que quelqu’un commente, lit un commentaire ou réagit à un commentaire, l’article et la page de cet article fait un clic de plus. Si les commentaires sont bien modérés et que la rédaction répond elle-même, dans les commentaires, dans le fil Facebook, aux remarques des internautes, l’audience va développer un attachement plus grand pour le site en général. Si tout va pour le mieux, le public va alors davantage s’inscrire aux newsletters, s’abonner aux flux RSS, et se sentir partie prenante de l’information, estime Duy Linh Tu. Bonus non négligeables: les clics sur les commentaires font de la page vue, et aident au référencement du site dans les moteurs de recherche.

Des éloges? Rarement. Des colères? Tout le temps

Sauf que ce serait trop simple. «Les internautes ne commentent pas pour dire que telle ou telle info est chouette. S’ils trouvent l’article bien, soit ils se taisent, soit ils cliquent sur le bouton «I like», rappelle Charles Dufresne, community manager sur les sites d’infos depuis… 2005. Les seules fois où l’on note de l’empathie de la part de l’internaute dans les commentaires, c’est lorsqu’une personnalité meurt, et/ou lors d’un exploit sportif.»

Dans le même temps, les rédactions et les internautes ont commencé à distribuer des mauvais points aux trolls. L’un s’appelle le point Godwin, c’est le pire des mauvais points. Il repose sur le principe que «plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler» devient forte. En France, un autre mauvais point est apparu, et ce, dès le 14 janvier 2007, au congrès de l’UMP porte de Versailles, lorsque Nicolas Sarkozy annonce qu’il sera candidat à la présidence de la République.

«C’est à partir de cette date que l’on note l’apparition du point Sarkozy reprenant le principe du point Godwin», se souvient Charles Dufresne. Cette fois, «plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant Sarkozy et L’UMP» devient forte. Illustration par l’exemple via ce commentaire sous un article sur la menace terroriste de Ben Laden: «Ben Laden/Sarko, même combat». Heureusement, cela reste un phénomène «infinitésimal, reprend Yann Guégan, même si «l’on a de vrais cas psychiatriques, des trolls acharnés qui nous traitent de “bande de BIP de gauchistes” et font du harcèlement numérique. Ils changent de comptes, t’embrouillent la tête et montent les internautes les uns contre les autres. Jusqu’à ce que tu comprennes que c’est la même personne qui fait les questions et les réponses sous différentes identités.»

L’insulte par mimétisme

Autre phénomène récent: le mimétisme entre le ton relevé dans les propos de personnalités publiques et celui des commentaires des internautes. Avec les dérapages langagiers de Brice Hortefeux, de Jean-Paul Guerlain au JT, «l’internaute se dit qu’il peut faire pareil, et se met à paraphraser l’insulte, dans les commentaires», sur le site d’infos comme sur les réseaux sociaux.

L’insulte, la diffamation, le racisme, la xénophobie, l’homophobie, etc… tout cela doit être supprimé sans délai sur les sites d’info, qui sont, en tant qu’éditeurs, responsables devant la loi de la bonne tenue des débats.

Les trolls le savent bien, et, même s’ils accusent les modérateurs d’être des «censeurs», ils s’adaptent à la marge. Ainsi, ils se sont mis à faire du LOL, qui n’est pas modérable, note Charles Dufresne. Lors du chat avec Benjamin Lancar, porte-parole des jeunes populaires, l’un des 10 articles les plus commentés de toute l’histoire de 20minutes.fr, ont ainsi surgi des commentaires qui passent par l’humour plutôt que par l’insulte: «Hey Benji! Petite question indiscrète… Es-tu inscrit sur DroiteRencontre?»; «Benji, étais-tu celui qui, dans la classe, recevait les boulettes de papier dans la tête?»; «Pensez-vous adopter un lolcat pour améliorer votre popularité sur la toile du web 2.0?».

Pour Yann Guégan, il n’y a pas que les trolls qui ont mûri, les rédactions aussi. «Au fil de l’eau, on a appris une chose: ceux qui commentent le plus souvent ne sont pas les plus pertinents. Alors que quelqu’un qui n’aura rédigé qu’un seul commentaire peut s’avérer très brillant.»

Quatre organisations à la loupe

Face aux trolls et autres commentaires désarmants, voici quatre tentatives d’organisation des réactions de l’audience qui valent le coup d’oeil:

1.     Le tagage des commentaires, façon Gawker

Gawker, qui voit son flux de commentaires augmenter et cherche à ce que ceux-ci soient de qualité, a institué un nouveau système. Selon les explications données le 14 septembre dernier, les commentaires ineptes peuvent désormais être tagués individuellement, par les modérateurs, de mots-clés pas très charitables, tels que #horssujet ou #bancal. Ils sont alors sortis de l’article où ils ont été postés à l’origine, et deviennent visibles dans des pages taguées selon les catégories suivantes: «patrouille de trolls» (#trollpatroll); «fans de» (#fanboys) pour les «gens qui ont perdu tout sens critique au profit d’une marque ou d’une idée, et qui sont fermés à toute discussion»; «suspension de séance» (#timeout) pour ceux qui méritent d’être bannis; «zone fantôme» (#phantomzone) pour ceux qui ne savent pas écrire correctement deux phrases et font des remarques stupides; et «bruit» (#whitenoise) pour «ceux qui parlent de rideaux alors que l’article porte sur tout autre chose». En clair, cela revient à envoyer le troll au piquet, visible de tous, sur une page dédiée à sa bêtise. La correction par l’exposition publique au ridicule, donc, plutôt que par l’éviction.

2.     Le statut de commentateur VIP, façon Huffington Post et Reuters

Comme sur le Huffington Post, Reuters a institué un système selon lequel les commentateurs passent des niveaux, et obtiennent des «pouvoirs» au fur et à mesure de leur progression, comme dans un jeu vidéo. Au début, ils sont simples «nouveaux utilisateurs», leurs commentaires sont modérés a priori par la rédaction de Reuters. A chaque fois que l’un de leurs commentaires est validé, ils gagnent des points. Au bout d’un certain nombre de points, ils deviennent «utilisateurs reconnus», et là, leurs commentaires sont validés a priori – c’est-à-dire qu’ils sont publiés aussitôt qu’ils sont écrits, sans devoir attendre la validation du modérateur.

Cependant, met en garde Dean Wright, de Reuters, la rédaction regarde a posteriori les commentaires ainsi publiés. Si le commentaire est pertinent, l’utilisateur gagne d’autres points. En revanche, si le commentaire est malvenu, que la rédaction doit le supprimer après publication, l’utilisateur reperd des points. A l’issue de ce comptage, l’utilisateur reconnu peut accéder, au bout d’un certain nombre de points, au statut d’utilisateur VIP, expert, etc. «Ce système n’est pas parfait, glisse Dean Wright, mais nous pensons que c’est un début qui facilitera les échanges civiques et récompensera une discussion ouverte à toutes les franges de la société.» «La notion de badge, de réputation, fonctionne très bien, analyse Michel Lévy-Provencal. Car cela fait émerger des personnages clés issus du public, qui vont permettre l’auto-régulation des débats».

3.     Le classement des commentaires, façon The Daily Mail et Rue89

Le Daily Mail a organisé son flux de commentaires en quatre catégories: les plus récents, les plus vieux, les mieux notés, et les moins bien notés. Façon de gérer le flux et laisser les autres utilisateurs décider, en votant, de  la qualité des réactions. Rue89 le fait aussi, dans une moindre mesure: la rédaction sélectionne les commentaires les plus enrichissants sur un article, lesquels s’affichent par défaut sous le contenu, alors que les autres sont moins visibles, et les internautes peuvent voter pour un commentaire – mais une bonne évaluation ne provoque pas la remontée en tête du fil du dit commentaire, précise Yann Guégan.

4.     L’identification des commentateurs, façon Slate.com

A ceux qui s’arrachent les cheveux devant les commentaires anonymes de «lombric118», qui peut être banni puis revenir en s’inscrivant sous le pseudo «lombric128», Slate.com a choisi de ne pas publier de commentaires non identifiés. Or pour y parvenir en un clic, Slate.com demande à ses internautes de s’identifier via leur compte de leur choix (compte Facebook, Twitter, Google, Yahoo!, Friend Feed, etc.). Les identifiants et mots de passe sont donc ceux que l’internaute utilise déjà sur l’un de ces comptes. En outre, cela permet au débat de se faire avec des commentateurs plus engagés dans la mesure où ils sont définis par la page profil de leur réseau social. Avec leur photo, leur métier parfois, et leur vrai nom le plus souvent.

«Le jeu en vaut la chandelle, conclut Thibaud Vuitton. C’est quand même une des plus belles choses que le Web a apporté au journalisme: nous sommes en prise directe avec notre audience.»

(1) propos recueillis par chat

Et vous, comment faites-vous pour lutter contre les trolls et gérer le flux de commentaires?

Alice Antheaume

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Le faux tweet de trop

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Cécile Dehesdin, journaliste à Slate.fr, diplômée du double diplôme Columbia/Ecole de journalisme de Sciences Po.

Fin août, un éditorialiste sportif du Washington Post tweete le nombre de matchs de suspension d’une star de football américain. Problème, ses informations sont non seulement fausses, mais il le sait: Mike Wise (dont le pseudo sur Twitter est @MikeWiseguy, jeu de mot sur son nom et l’expression «petit malin») a décidé d’écrire un faux tweet pour prouver que, dans ce détestable monde de l’Internet mondial et des réseaux sociaux, les médias sont prêts à écrire n’importe quoi sans vérifier leurs sources.

Crédit: DR

Crédit: DR

Plusieurs publications spécialisées ont repris l’annonce des matchs de suspension, en l’attribuant au journaliste et en précisant que la NFL (National Football League) n’avait fait aucune annonce officielle, mais sans vérifier plus avant l’information. Dans l’heure et demie qui a suivi, toujours dans la journée du 30 août, Mike Wise ajoute «Je ne peux pas révéler mes sources», «Ok, ok, c’était une croupière du casino de Lake Tahoe», avant d’écrire deux autres tweets annonçant des transferts sportifs dans le même style que le premier. Cette vague tentative pour montrer que sa première déclaration était une blague n’a pas suffi: Mike Wise a été suspendu pendant un mois de ses fonctions au Washington Post.

C’est que les médias ne blaguent pas avec les médias sociaux. Aux Etats-Unis, plusieurs organisations ont installé une personne sur un poste spécialement dédié au sujet, comme le New York Times et sa «social media editor» par exemple. En outre, presque tous les médias américains ont des règles écrites sur l’utilisation de blogs, Facebook ou Twitter par les journalistes. Reuters aussi, et sa charte a été détaillée ici.

Au Washington Post, l’après-midi même après la publication du faux tweet, le chef de la rubrique sport a d’ailleurs renvoyé à tous ses employés une note formelle qui précise les règles d’utilisation des réseaux sociaux:

«[Les règles sur les médias sociaux] s’appliquent à tout le monde, y compris les reporters, les chefs de rubrique et les éditorialistes de la rubrique sport. Quand vous utilisez un média social, rappelez-vous que vous représentez le Washington Post, même si vous utilisez votre propre compte. Ceci n’est pas à prendre à la légère. Les standards que nous appliquons au journal, sur le site, sur la version mobile ou sur n’importe quelle autre plateforme s’appliquent au monde des médias sociaux. Plus fondamentalement, nous devons être exacts. Nous devons être transparents. Et nous devons être justes.»

Paradoxal? Cette histoire a eu lieu alors que le Washington Post est, à ma connaissance, le seul journal à avoir un «social media editor» entièrement dédié à sa rubrique sport! J’avais interviewé Cindy Boren, la «sports social media editor» du quotidien, avant de partir de New York.

Dans cet entretien, Cindy Boren disait avoir eu du mal à convaincre ses collègues de se mettre aux réseaux sociaux, et se rémémorait la période où elle passait de bureau en bureau, harcelant les journalistes pour qu’ils suivent son nouveau compte sur Twitter, cherchant à les convaincre de l’intérêt de l’outil: «Si vous vous faites un réseau et que vous suivez les sources clés dont vous avez besoin, vous avez moins de chance de vous faire voler un scoop», expliquait-elle, prenant comme exemple le récent tweet d’un follower alertant le service sport de la présence d’un joueur de football américain dans un avion. «Ça aurait pu être le signe d’un transfert. En fait il s’est avéré qu’il s’agissait juste des vacances, mais c’était bien de pouvoir faire vérifier cette info à notre journaliste».

Elle aussi appuyait sur l’importance de vérifier ses sources. Et insistait encore et encore, arguant que son staff laissait des dizaines de tweets de côté «parce que nos reporters nous disent qu’ils ne sont pas avérés».

Plus tard, dans un pseudo tweet d’excuse, effacé depuis, Mike Wise écrit: «Au final, ça a prouvé deux choses 1. J’avais raison en disant que personne ne vérifie les faits ou les sources et 2. Je suis un idiot. Mes excuses à tous ceux impliqués».

Mais pour les blogueurs, du Washington Post comme d’ailleurs, Mike Wise n’a rien prouvé sur les réseaux sociaux et le journalisme avec son faux tweet. Oui, dit l’un d’eux, dénommé Michael David Smith, quand un journaliste sort un scoop, les autres médias le relaient en le citant. «Mais il a tort: tout ceux qui ont diffusé son tweet l’ont correctement sourcé en l’attribuant à Mike Wise du Washington Post. Simplement, nous ignorions que cette source était si peu fiable».

Cécile Dehesdin

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