“J’aurais dû venir avec une bouée ou des brassards”. Hervé, cheveux blonds et bouclés, visage poupin, sac de voyage dans le dos, tente de plaisanter. Florent, un brun aux yeux clairs et à la silhouette frêle, enchaîne les cigarettes. Il dit qu’il est là parce que, à la fac où il étudie d’habitude, il “n’apprend rien”. Un autre, crête sur la tête, est venu avec son lit de camp portatif et son oreiller. A ses côtés, sa mère, venue le soutenir jusqu’à l’entrée. Plus loin, une fille en short et en chaussons en forme de lapins envoie des messages sur Snapchat depuis son smartphone.
Près de la porte de Clichy, dans le Nord de Paris, il y a la foule des grands jours devant l’Ecole 42, l’école de programmation informatique fondée par Xavier Niel, le patron de Free, et des anciens d’Epitech. Près de 800 personnes, dont des élèves de l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1), se sont inscrites pour la “piscine”, cette plongée dans des exercices intensifs de code, sans prof ni cours, “à la manière des swim qualifications des commandos de Marines”.
La queue pour commencer la piscine à l’école #42 ?
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Si nul diplôme n’est requis pour intégrer 42, la piscine tient lieu de sélection. A l’issue de cette épreuve grandeur nature, qui se déroule sur un mois, sept jours sur sept, seuls 200 jeunes obtiendront leur ticket d’entrée pour étudier autrement au sein de cette fabrique de codeurs de talent.
“Si tu n’y passes pas 15 heures par jour, tu es dead”, lâche un élève, arrivé en skate-board et bermuda, qui, après neuf mois à l’Ecole 42, vit là comme un poisson dans l’eau. Avant, il a suivi un BTS services informatiques. “En deux jours de piscine, tu auras le niveau en code que j’ai obtenu au bout d’un an de BTS”, m’encourage-t-il. La piscine, “ça passe si tu es faite pour ça”, surenchérit un autre.
Les candidats, dont certains viennent d’obtenir leur BAC, d’autres sont en décrochage scolaire ou en reconversion, ne prennent pas ces conseils à la légère. Il y a, dans les rangs, une concentration extrême et une appréhension palpable. Pour eux, l’Ecole 42 est souvent l’école de la dernière chance.
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Répartis dans trois immenses salles bardées d’ordinateurs aux fonds d’écran variés – les “clusters”, ils sont invités sans plus de cérémonie à se connecter à “l’intra”, le petit nom donné au programme pédagogique concocté par Olivier Crouzet et son équipe, réunie au sein d’un “bocal”.
En ce premier jour, il s’agit de comprendre ce qu’est une arborescence, le fonctionnement d’un terminal – aussi dénommé shell ou console – et à quoi il sert dans le système d’exploitation Unix. Onze exercices vont suivre pour actionner des commandes comme créer un répertoire, voir ce qu’il y a dedans, le déplacer, et changer les droits des utilisateurs sur un fichier.
Ça a peut-être l’air simple, écrit comme cela, mais dans “l’intra”, rien ne l’est. Des vidéos en veux-tu en voilà, où il est parlé couramment le shell, un drôle de langage (”vous allez me dire, on est dans slash, donc si je fais point point, vous restez dans slash, parce qu’il n’y a rien avant”), des fichiers pour les ressources, des PDF pour les consignes, de la documentation dans tous les sens, un forum, et une messagerie groupée sur Slack où près d’un millier de messages de panique, de problèmes, de questions, et de commentaires – parfois vulgaires -, sont échangés dans la même journée.
Et puis, il y a des éléments surprenants, comme le générique de Nicky Larson en guise de préambule, et cet exercice de “pré-requis” où il faut écrire un mail de flatterie incluant les mots “manivelle”, “autographe”, “maître du monde”, “beau” et “fort” au directeur, Kwame Yamgnane, connu pour son sens de l’humour.
“C’est une blague ou on doit vraiment le faire?”, s’interroge un élève. “Ça doit te prendre 1 minute, mais oui tu dois le faire, même si ce n’est pas noté”, répond un ancien.
Car oui, les exercices sont notés, à la fois par des élèves de 42 et par un robot dénommé “la Moulinette” qui ne fait pas dans la dentelle. “La Moulinette est très stricte dans sa notation (…) il est impossible de discuter de sa note avec elle”, est-il précisé dans les directives. Bref, c’est souvent 0.
Pour “apprendre à coder comme des grands”, il faut chercher, essayer d’être logique, expérimenter, laisser tomber ses préjugés, réfléchir, et se “nourrir de l’aide de ses camarades”, martèle Olivier Crouzet, le directeur pédagogique.
Courage @clairesnews de @edjsciencespo qui tente la piscine de 42 ?
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Car ce qui est valorisé à 42, ce n’est pas la connaissance, c’est la débrouillardise et la courbe d’apprentissage. Pas question de se contenter de regarder les vidéos pédagogiques mises à disposition, mieux vaut faire preuve d’initiative. Michael, bachelier depuis quelques heures, la mèche rebelle et le regard intelligent, est l’un des rares de mon groupe à être à l’aise : il a déjà fait 8 exercices quand j’arrive péniblement au troisième – et encore, je ne suis pas du tout sûre d’avoir bien compris les deux premiers. Michael est un malin, il a récupéré il y a plus d’un mois les exercices de la piscine – “c’est un PDF qui se balade sur le Web”, me confie-t-il – et s’y est préparé en amont, en même temps qu’il passait le BAC.
Il a eu raison d’anticiper car, au sein de l’Ecole 42, le temps passe vite, très vite, surtout quand on relit pour la douzième fois d’affilée l’exercice numéro 2 qui ressemble à du chinois, sans parler de réaliser le dit exercice ni même de le “pusher” sur un serveur, Git, pour lequel il faut trouver un ticket non périmé. Car si les travaux ne sont pas déposés dans le serveur, dans le bon dossier de surcroît, La Moulinette n’a pas prévu d’aller les chercher sur votre bureau. “Tu n’as pas encore fait add / commit / push sur Git? Mais dépêche toi!”, s’inquiète mon voisin de 18 ans.
A 42, c’est l’inversion des hiérarchies. Les “bons élèves” sont déboussolés, alors que ceux qui n’ont pas toujours eu de bonnes notes à l’école entament une deuxième vie. “Tu es super fort”, souffle un étudiant de Sciences Po à l’un de ces jeunes, qui s’arrête net. Il n’a pas souvent entendu ce type de remarques à son sujet. Puis il répond, du tac au tac, “non, je suis nul à l’école, mais ici, ce n’est pas pareil”.
“Vous verrez que nous saurons très bien déterminer si le développement informatique est fait pour vous, sans que votre scolarité antérieure n’entre en compte”, précise l’Ecole 42 sur son site.
Tout en me répétant qu’il faut chercher les solutions par moi-même, je procrastine sur mon ami Google et tombe sur le descriptif du système Unix, dont j’apprends qu’il a été créé en… 1969. A ceux qui se demandent pourquoi une école aussi à la pointe que 42 plonge en 2016 ces élèves dans un système has been, Kwame Yamgnane, l’un des fondateurs, répond que ce n’est pas l’âge du langage qui compte. “Il faut apprendre la tournure d’esprit d’une machine et adapter son cerveau à cette logique”, qui n’a rien à voir avec la structure de pensée habituellement enseignée dans les écoles.
Après une nuit à rêver en continu de “mkdir”, “touch”, “cat”, ls -l”, “ls -la” et toutes ces commandes inédites, mon cerveau a déjà basculé. Le lendemain, je reprends en 30 minutes les exercices que j’avais difficilement effectués en 8 heures la veille et, cette fois, j’ai compris ! Sauf que mon cerveau a tellement basculé qu’il a soudain des doutes sur des choses autrefois élémentaires : pour dupliquer un fichier, faut-il que je tape la commande “clone”? “Quoi, “clone”? Ben non, tu fais copié-collé”, soupire mon voisin. A force de piscine, j’ai perdu pied dans ce que les codeurs appelle l’univers “graphique”, ce monde merveilleux de Windows ou d’OS où il suffit d’un clic pour que l’ordinateur obéisse.
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A 42, il faut partir à point et… tenir la distance. Dès la deuxième journée, les élèves, têtes farcies de ligne de code, font la sieste sur un matelas gonflable dans le couloir, voire à même le sol. “Si vous avez du mal à vous acclimater, les boules quiès et la technique du tee-shirt sur les yeux ont fait leurs preuves”, conseille le staff.
La population de l’Ecole 42 a ceci de particulier qu’elle compte 60% d’élèves habitant en dehors de l’Ile de France. Lorsqu’ils arrivent, avec leurs valises, ils savent qu’il vaut mieux dormir sur place et ne pas perdre du temps dans les transports en commun. Parmi les 800 candidats de la piscine de juillet, 250 logent à 42 et se partagent les quelque… 6 douches. Il leur est pourtant rappelé, via haut parleur, qu’il “est important de se laver” et “qu’utiliser un déodorant, ce n’est pas se laver”. La question de l’hygiène est, semble-t-il, un vrai sujet de préoccupation à 42.
Allez à la douche ! 250 personnes sur 800 candidats à la piscine dorment à l’école 42
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“On cherche des gens qui ont un savoir-faire, mais aussi un savoir-être”, explique l’équipe, lors d’une réunion spéciale filles où les clichés sont enfilés comme des perles : en substance, “attention les filles à ne pas vous faire trop aider par vos congénères mâles qui vont tout faire à votre place”. Cela part pourtant d’un bon sentiment. Parmi les inscrits, seuls 10% sont des filles. 42 souhaiterait voir ce pourcentage grimper à 50% dans les années à venir.
Encore faut-il les attirer dans cet incubateur où pendent des serviettes sentant le chien mouillé le long des escaliers ! “Des cordes à linge sont disponibles sur le toit de la cafétéria avec – innovation technologique – des pinces à linge. Merci d’y mettre vos serviettes plutôt que sur les rambardes (ça fera plus propre pour tout le monde)”, écrit Charly, l’intendant en chef, dans un email collectif. Les efforts du staff pour accueillir la gente féminine sont louables – toilettes du sous-sol et dortoir réservés – mais tombent à plat lorsque l’on apprend que le dortoir des filles s’intitule le “Valhalla”, c’est-à-dire… le paradis des Vikings.
Il règne pourtant dans cette piscine, qui agit comme un mécanisme initiatique, une atmosphère bon enfant. Tutoiement de rigueur, food truck, distribution de pains au chocolat, tournoi de baby foot, portiques dans le hall qui vous disent “bonjour Alice” à l’entrée et “à bientôt Alice” à la sortie… Ici, on travaille dur, mais on apprend autant des autres que des logiciels.
Et ce n’est bien sûr pas un hasard s’il n’y a pas de professeurs à qui demander précisions ou explications. De même, l’écriture volontiers alambiquée des exercices et les changements de dernière minute poussent à l’entraide et la confraternité. Quant à Charly, qui assure l’intendance, il distribue via emails collectifs signés “votre supporter dévoué” des “bons conseils” qui non seulement sont une bouffée d’air mais visent à insuffler un esprit de groupe.
Crédit : AA
S’il n’y a pas de profs à 42, pullulent en revanche des “assistants” qui passent dans les rangs et retirent au débotté les écouteurs branchés sur la prise casque, sous prétexte que cela abîme les machines. Comment faire pour écouter les instructions en vidéo alors? “Vous vous débrouillez, il vous faut une carte son”, répondent-ils. Euh? “Chuuuuut, tais toi, tu vas te prendre des TIG”, me souffle mon voisin. Des quoi? “Des travaux d’intérêt généraux, qu’on surnomme ici des travaux d’intérêt dégradants, comme nettoyer les écrans des 700 ordinateurs disponibles, frotter avec une brosse à dents les grilles de l’entrée ou ramasser les mégots dans la cour. Pour trouver de nouvelles tâches de TIG, “notre imagination est débordante” , prévient le staff.
Autres motifs de sanction? Laisser traîner son badge d’accès ou ne pas verrouiller sa session. “J’avais le dos tourné pendant deux secondes et un assistant a changé les couleurs du terminal”, s’exclame l’un des candidats. “Du coup maintenant cela écrit noir sur noir, je n’y vois plus rien !”.
“Ce sont des sadiques”, éclate de rire un élève, passé par la piscine l’année dernière, chiffon dans une main et spray nettoyant dans l’autre. Il vient d’écoper de 8 heures de TIG après avoir “trollé une copine” lors d’un exercice de groupe. “Il n’y a pas vraiment de pédagogie mais il y a énormément de règles”, observent les nouveaux qui en profitent pour lui demander de passer un “petit coup de pschitt” sur leur écran, trop contents de faire une pause, tandis que l’élève puni découvre, amusé, sur leur console l’étendue du travail qu’il leur reste à faire. Plus que trois semaines et demi, courage !
Alice Antheaume
(1) L’Ecole de journalisme de Sciences Po et l’Ecole 42 ont noué un partenariat qui permet aux élèves de l’Ecole de journalisme de Sciences Po de passer la piscine pendant l’été, et s’ils la réussissent, de faire une année de césure au sein de 42, entre leur Master 1 et leur Master 2.
lire le billetComment devenir journaliste en 2015? Et faut-il le devenir? A ces questions, Félix Salmon, l’éditeur de Fusion, passé par Reuters, répond que “la vie n’est pas belle pour les journalistes”. Il déconseille même aux jeunes de s’orienter vers ce métier.
“Si vous aimez faire autre chose (que le journalisme, ndlr), si vous êtes bons dans un autre domaine, vous devriez sans doute songer à changer d’orientation.”
Pas d’accord, et même pas d’accord du tout – mais comme on aime les débats à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, on a invité Félix Salmon à donner la leçon inaugurale le 28 août prochain, et il a gentiment accepté. En attendant, voici 12 conseils destinés aux étudiants qui rêvent d’en faire leur profession. Et ils ont bien raison car c’est l’un des plus beaux métiers du monde.
C’est le principal avantage de cette profession. Aucune journée ne ressemble à une autre quand on est journaliste puisque c’est l’actualité qui dicte l’emploi du temps et le volume des contenus produits. Le matin, on part sur un sujet dont on ignore souvent tout et, à la fin de la journée, on a publié un (ou plusieurs) contenu(s) qui en explique les enjeux. Au passage, on a appris plein de choses. Magique!
En outre, le journalisme constitue un poste d’observation formidable des mutations sociétales. Un paradoxe, estime un chercheur américain dont je tairai le nom, qui balance.
“Ce qui est incroyable avec les journalistes, c’est qu’ils sont censés raconter les évolutions de la société dans leurs articles, mais qu’ils sont incapables de voir sous leur nez le changement de leur propre métier.”
Ne se sentant pas légitimes, beaucoup d’étudiants s’interdisent malheureusement de postuler à un stage en rédaction, voire à une école de journalisme. Or il ne faut rien s’empêcher, tout simplement pour ne rien avoir à regretter. Et si les aspirants journalistes n’ont pas obtenu de stage dans un média, même après les avoir demandés, ce n’est pas grave. L’expérience ne se résume pas au logo d’une organisation rédactionnelle posé sur un CV.
Ce qui compte, c’est d’expérimenter à sa mesure, de tester des petites choses en ligne, comme faire une photo par jour sur son compte Instagram avec une légende pertinente, monter un blog et apprendre à dialoguer avec les internautes, produire des vidéos sur Dailymotion ou YouTube en forme de zapping, apprendre le code, lancer un journal étudiant, une newsletter, monter une application, etc.
Tout cela a une valeur aux yeux des professionnels et prouve que vous avez déjà les mains dans le cambouis, et des idées en tête.
Non, ce n’est pas “bouché”. En 2014, il y a, sur 36.317 cartes de presse octroyées en France, 1.748 “premières demandes”. Dix ans plus tôt, en 2004, les “premières demandes” s’élèvent à 2.090, sur 36.520 carte de presse octroyées. Ces chiffres – qui ne prennent pas en compte les journalistes qui exercent leur métier sans carte de presse – montrent qu’il n’y a pas eu de réelle dégringolade. Le marché est donc toujours capable absorber des nouveaux entrants.
Les statistiques de l’insertion professionnelle des diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’une des quatorze écoles de journalisme reconnues par la profession, sont encourageantes: toutes promotions confondues, 95% des diplômés travaillent, soit en CDI (46%) soit en CDD (23%) soit en piges régulières (26%).
Félix Salmon évoque “un très grand nombre de journalistes au talent incroyable qui ont du mal à joindre les deux bouts” aux Etats-Unis. En France, le salaire moyen d’un journaliste en CDI est de 3.790 euros bruts par mois, d’un journaliste en CDD de 2.506 euros bruts par mois, d’un pigiste de 2.257 euros bruts par mois.
A noter, “un journaliste diplômé d’un cursus reconnu en CDI ou CDD gagne en moyenne 12% de plus qu’un journaliste diplômé d’un cursus non reconnu” selon le rapport de l’Observatoire des métiers de la presse.
Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes travaillant sur des sites de presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne.
Après, cela tient aussi à la force de proposition des journalistes. La règle est simple pour sortir, soufflent les rédacteurs en chef: il suffit de ne pas rester pas bras croisés lors des conférences de rédaction, à attendre que le “flux” tombe, et de proposer des sujets percutants. Si la proposition est bonne, c’est sûr, le journaliste peut sortir faire le sujet.
Quel point commun entre un présentateur de JT, un journaliste de PQR et un journaliste travaillant pour un pure player? Le journalisme est une “profession très éclatée”, analyse Cyril Lemieux, sociologue à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po le 17 février. Une heureuse spécificité qui permet de connaître plusieurs vies professionnelles, au gré des employeurs, des réorganisations internes et, surtout, des changements de pratiques à l’ère numérique.
Guy Birenbaum, aujourd’hui à France Info, est un bon exemple: d’abord maître de conférences, il est devenu éditeur puis journaliste – sans carte de presse – et écrit toujours des livres. “Je ne suis jamais exactement ce que je suis censé être”, confie-t-il lors d’une master class. Avant d’envoyer une pique à ses confrères…
“Quand j’étais éditeur, je trouvais qu’il valait mieux déjeuner avec des journalistes que de lire leurs papiers.”
“Après 40 ans, il faut arrêter d’être journaliste”, m’avait prévenue un rédacteur en chef à mes débuts à Télérama. A l’époque, lui avait déjà la cinquantaine et, aujourd’hui, il travaille toujours.
Journaliste un jour, journaliste toujours? “Les journalistes ont le sentiment d’être liés par une culture commune et restent attachés à ce métier jusqu’à leur retraite, même s’il y a des sorties de la profession, vers la communication ou vers la politique”, observe encore Cyril Lemieux.
Et pour cause, il y a une interrogation légitime sur le rythme de vie imposé par ce métier, qui peut donner parfois le sentiment d’être comme un hamster dans une roue lancée à toute berzingue et qui peut lasser à force.
Le vrai indice du bonheur chez journalistes? Selon Cyril Lemieux, c’est lorsqu’ils sont fiers de ce qu’ils produisent collectivement. Et c’est souvent le cas dans les périodes de breaking news intenses.
Mais cela provoque en contrecoup, comme après les attentats de janvier à Paris, un épuisement général qui “laisse des traces physiquement et moralement”, reconnaît Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM TV, lors d’une conférence à Sciences Po le 12 février.
Et Céline Pigalle, la directrice de l’information de Canal+, surenchérit…
“L’extrême fatigue de ce métier est liée à l’impossible réplication de ce que l’on a appris dans une situation antérieure. On doit remettre en jeu nos choix et nos pratiques à chaque nouvelle situation.”
“Je veux être journaliste parce que j’aime voyager”, entend-t-on parfois de la bouche des étudiants. Or aimer les voyages n’est pas un argument suffisant pour faire ce métier. Contrairement à ce que vit Tintin dans ses “aventures”, le journaliste ne fait pas de tourisme. Il peut – et doit – aller sur un terrain parce qu’il y a un enjeu et une “histoire” à raconter, non pour se faire plaisir.
“Pratiquement tout le monde peut écrire. Le fait que vous puissiez écrire ne vous aidera sans doute pas à faire la différence”, note Ezra Klein, le co-fondateur de Vox Media.
En revanche, ce qui peut faire la différence, c’est la capacité à trouver des nouveaux codes narratifs, en faisant des reportages avec son smartphone, en plongeant dans des tableurs remplis de données pour réaliser des enquêtes, en jonglant entre temps réel et long format, en créant des graphiques interactifs, en sachant dialoguer avec l’audience, en collaborant avec des robots de l’information. Voire en créant sa propre start-up d’informations.
Quelle est l’actualité du jour? Quel angle proposeriez-vous sur cette actualité? Quel sujet aimeriez-vous couvrir? Ces questions sont celles que les professionnels posent souvent aux étudiants. Une façon de vérifier, notamment lors des entretiens, leur appétence pour les informations.
Pour devenir journaliste, il faut être incollable sur l’actualité et montrer que vous la butinez sous toutes ses formes et provenant d’une multitude de sources (médias traditionnels, pure-players, réseaux sociaux, etc.) – ne vous contentez pas du traditionnel triptyque trop souvent cité par les étudiants, à savoir France Inter/Rue89/France 2.
“Un journaliste est un homme qui vit d’injures, de caricatures et de calomnies”, a prévenu Delphine de Girardin, citée par Serge July dans son Dictionnaire amoureux du journalisme.
C’est en grande partie vrai, et notamment en ligne, où les journalistes font l’objet d’invectives de toute sorte, qu’ils encouragent parfois d’ailleurs, et du harcèlement des trolls.
Corollaire ou non, les journalistes ne sont pas très aimés, déplore Eric Mettout, le directeur de la rédaction adjoint de L’Express, citant un sondage “assassin” d’Ipsos pour Le Monde et France Inter selon lequel “23% des personnes interrogées font confiance (aux journalistes), 77% se méfient, dont 27% absolument”.
Certes, “le journalisme est une profession inquiète”, comme le constate le sociologue Gérald Bronner lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po.
Et pour cause, la responsabilité des producteurs de contenus face à des dilemmes complexes est grande: faut-il par exemple parler des rumeurs, pour les démentir, au risque de leur donner de l’écho?
“Il faut vérifier les faits mais aussi se demander en toute honnêteté: quels sont ses a priori narratifs sur l’histoire que l’on s’apprête à couvrir?”, conseille Gérald Bronner.
Pas de raison de déprimer pour autant, puisque l’ère numérique permet d’explorer des voies journalistiques inédites et accélère les carrières.
“Il n’y a jamais eu autant de possibilités de grandir rapidement”, encourage Will Oremus, de Slate.com, citant les exemples de Ben Smith, le rédacteur en chef de Buzzfeed, qui, à 38 ans, vient d’interviewer Barack Obama, ou d’Ezra Klein, de Vox Media, âgé de 30 ans. “Ceux qui sont prêts, ou juste désireux de créer, doivent être jugés sur la valeur qu’ils produisent aujourd’hui plutôt que par les noms listés sur leur CV ou le nombre d’années d’expérience”.
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Alice Antheaume
lire le billetChiffres sur les médias en ligne et les applications mobiles, formats éditoriaux innovants, bons liens, citations des acteurs du journalisme, coulisses de conférences… Ce qu’il ne fallait pas rater ces derniers jours se trouve dans “le débriefing numérique”, un nouveau rendez-vous à retrouver sur WIP, deux fois par mois.
Après Barack Obama chez les YouTubeurs, voici Barack Obama au pays des pure-players. Le président américain a accepté de se faire interviewer par Vox Média et Buzzfeed en février 2015, et ce, pour la première fois. Une étape importante dans l’histoire des ces jeunes organisations journalistiques américaines, qui leur fait franchir un cap dans la construction de leur crédibilité. “Vox et Buzzfeed sont maintenant considérés comme des rédactions sérieuses”, écrit le New York Times, jouant au grand frère.
Côté communication politique, cette initiative montre que le président américain cherche à toucher la cible de “millennials”, ces jeunes de 18 à 35 ans. Banco, puisque la vidéo où Barack Obama fait l’acteur devant la caméra de Buzzfeed a déjà atteint 3,7 millions de vues à l’heure où j’écris ces lignes. Sur Vox, le format a tapé dans l’oeil des commentateurs, mixant textes, infographies et vidéos dans un même ensemble.
En France, François Hollande avait accordé une interview à Slate.fr, deux jours avant d’être élu le 6 mai 2012 – interview qu’il avait relue et amendée le jour de l’élection “alors qu’il savait qu’il était élu”.
Dimanche 8 février 2015, Le Monde dégaine les résultats d’une enquête internationale sur les bénéficiaires du système d’évasion fiscale de la banque HSBC. Le fruit d’un travail de presque un an sur un tentaculaire tableur regroupant 60.000 fichiers, et qui a donné lieu à une série de papiers, publiés pour la partie française par Le Monde, et pour les autres pays par d’autres médias, le tout coordonné par l’ICIJ, le consortium international des journalistes d’investigation.
“En avril 2014, Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont reçu une clé USB qui contenait tous les noms des clients de la filiale suisse d’HSBC”, raconte Alexandre Léchenet, journaliste du Monde.fr qui a participé à l’opération sur le plateau de “La politique c’est Net” sur Public Sénat. “Ils ont essayé d’imprimer tout ce qu’ils avaient récupéré, mais ils ont cassé l’imprimante et se sont rendu compte qu’ils ne pourraient pas travailler seuls sur les fichiers”.
C’est alors que Le Monde a décidé de “partager” son futur scoop en recourant à l’ICIJ, basé à Washington, une sorte de “hub”, selon les mots d’Alexandre Léchenet. Avant l’été dernier, les journalistes français sont donc allés aux Etats-Unis pour remettre en mains propres – car c’est encore le moyen le plus sûr – les fichiers à l’ICIJ, avec qui ils avaient déjà travaillé en avril 2013 pour une autre enquête, baptisée “Offshore Leaks”.
Travailler avec l’ICIJ, c’est démultiplier les ressources – rédactionnelles et techniques. En effet, ce consortium sait avec quel journaliste travailler dans tel ou tel pays, et a déjà mis en place des outils pour que tous les enquêteurs – 154 journalistes issus d’une cinquantaine de médias dans le cas de Swiss Leaks – puissent collaborer, dont une plate-forme de conversation chiffrée et sécurisée. C’est l’étape supérieure de la rédaction secrète que j’avais décrite dans ce WIP.
Comme Le Monde était “apporteur de l’affaire”, ils ont négocié avec l’ICIJ que le nom de leur journal soit systématiquement cité à chaque fois qu’il était question de Swiss Leaks.
La politique c’est net par publicsenat
Surprise, BFM TV et iTélé ont annoncé une offre de publicité commune, jeudi 12 février 2015, lors d’une conférence à Sciences Po. “Les marques pourront acheter une campagne hebdomadaire de 120 ou 140 spots, qui seront diffusés simultanément sur les deux chaînes (…), vendu(s) 75.000 euros les trente secondes d’images”, explique Les Echos. Quant aux revenus, ils “seront partagés entre les deux régies au prorata de l’audience”.
L’initiative est suffisamment rare pour être soulignée. Si les régies des médias en ligne peuvent offrir des “packs” publicitaires couplés (par exemple sur lemonde.fr, le Huffington Post et nouvelobs.com, qui ont les mêmes actionnaires), c’est très rare lorsque ces médias sont des télévisions – imaginez que TF1 et France 2 s’allient – et encore plus rare lorsque ces médias n’appartiennent pas au même groupe – iTélé appartient au groupe Canal+, BFM TV au groupe NextRadioTV).
Cette conférence a aussi été l’occasion d’un débriefing sur la couverture éditoriale des deux chaînes d’information continues françaises après les attentats de janvier 2015. Pour Céline Pigalle, directrice de l’information de Canal+, il y a un “avant” et un “après” ces événements. “Avant nous brassions des informations produites par les autres, désormais nous sommes aux avant-postes (…) Même les JT des 20 heures ont repris les codes des chaînes d’information en continu”.
En cause: la cascade infernale d’informations, de théories du complot, en ligne, pendant les attentats. “Nous avons tous été très troublés par cette immédiateté. Le digital nous emporte. Alors que n’importe qui peut distribuer des informations, il faut plus que jamais de la responsabilité et du professionnalisme dans le tamis des journalistes”, a continué Céline Pigalle.
Pour son homologue Hervé Béroud, de BFM TV, ces journées de janvier ont été une “sortie de crash test, inédit en termes de gravité et d’ampleur. Avec 70h de direct en continu, nos rédactions ont été mises à l’épreuve comme jamais”.
Quelle tristesse que d’apprendre que David Carr est mort à 58 ans à la rédaction du New York Times jeudi 12 février 2015. Ce journaliste spécialiste des médias, aux allure du professeur Tournesol, a été le héros du film A la une du New York Times. Revenu de loin après des années d’addiction à la cocaïne, il avait confié vivre “aujourd’hui une vie que je n’ai pas méritée. Mais nous passons tous sur cette terre avec le sentiment que nous sommes des imposteurs.”
Pour ma part, je l’avais rencontré lors de plusieurs conférences aux Etats-Unis où il animait de façon à la fois désinvolte et hilarante des discussions sur la “curation” ou sur les algorithmes, qu’il surnommait “ces bêtes-là”, laissant ses interlocuteurs totalement perplexes.
Une diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, Léa Khayata, a eu le chance de l’interviewer en vidéo pour lui demander ce qu’il portait dans son sac à dos. “Il y a plus de matériel dans ce sac que dans toute une rédaction”, commence-t-il, avant de montrer son iPad, “l’ami du reporter”, ouvert sur la série Downton Abbey, une clé pour connecter son ordinateur à la 3G, des carnets de note, une grande feuille de papier, des stylos – “on n’a jamais assez de stylos”, confie-t-il -, un dictaphone, un téléphone sur lequel est écrit son nom, un portefeuille pour recueillir les cartes professionnelles, un livre qu’il ne lira jamais et un roman pour montrer qu’il n’est pas un “nerd”, des lunettes, une casquette pour ne pas avoir froid et un parapluie.
Si vous avez des bons liens, des informations sur le journalisme numérique qui pourraient figurer dans le prochain débriefing numérique, n’hésitez pas à m’interpeller sur Twitter…
Alice Antheaume
lire le billetW.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions, et enseignant du cours de journalisme entrepreneur à l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Il raconte la leçon inaugurale qu’a donné Alan Rusbridger, directeur de la publication du Guardian, à la nouvelle promotion d’étudiants.
Aujourd’hui, c’est comme si nous étions “deux jours après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, tout est expérimental”, a répété plusieurs fois vendredi 7 septembre 2014, à Paris, Alan Rusbridger, le patron des rédactions des journaux du Guardian, pour décrire l’actuel bouleversement dans le travail des journalistes.
Invité à donner la leçon inaugurale de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, il a prévenu les nouveaux étudiants: “depuis cinq ans, les changements dans le journalisme sont profonds. Au 21ème siècle tout le monde est devenu un média mais beaucoup de journalistes ne veulent pas le reconnaître”.
Les points-clés de la leçon inaugurale d'Alan… par ecoledejournalisme
The Guardian, lui, a décidé de profiter de cette nouvelle concurrence, jouant à fond la carte de l’ouverture, de la collaboration et de l’engagement avec ses lecteurs.
Même si pour l’instant les pertes du groupe de presse britannique continuent de se creuser, ses résultats sont impressionnants en terme d’audience, de production de nouveaux contenus et de participation massive du public. Avec une audience en hausse de 23% par an, le Guardian touche chaque jour 3,4 millions de personnes (pour une diffusion imprimée de 220.000 exemplaires). Chaque mois plus de 30 millions de visiteurs uniques se rendent sur ses sites (sans compter les visites sur mobile) et y restent en moyenne 8,5 minutes.
Un tiers de cette audience vient des Etats-Unis, deux tiers hors de Grande Bretagne. Si on excepte le Mail Online, très people et faits divers, le Guardian est le 2ème site de presse mondial derrière le New York Times. Au Royaume Uni, 9ème pour la diffusion papier, il est 1er en ligne.
La participation des lecteurs touche toutes les rubriques ou presque, de la musique au sport, en passant par l’environnement.
Au final, 70 lecteurs sont devenus des auteurs confirmés du journal, qui reçoit chaque mois 500.000 commentaires (contre 8.000 lettres adressées au courrier des lecteurs précédemment).
Toutes ces communautés (gérées par 8 community managers et une douzaine d’autres personnes) sont susceptibles d’être monétisées auprès des annonceurs, indique Rusbridger sans vouloir développer davantage les aspects business.
Les 10 commandements
La rédaction est évidemment fortement encouragée à utiliser les réseaux sociaux. “Sur les écrans des ordinateurs des journalistes, Tweetdeck est désormais aussi présent que les fils d’agences de presse”. Twitter est aussi utilisé pour des appels à témoins, par les envoyés spéciaux sur des terrains inconnus. Reditt est également un outil important des journalistes. Le live blogging, que le Guardian se targue d’avoir inventé, est systématique. Mais les formats longs continuent aussi d’être encouragés.
Grâce à l’ouverture des API, les contenus sont distribués sur un maximum d’autres plates-formes: Facebook, Google Current, etc. Quant à Flipboard, il apporte à lui seul un million de personnes en plus par mois.
“Notre état d’esprit est Digital First (le web d’abord, ndlr) (…) Nous sommes devenus un site web géant avec, à côté, une petite équipe print”.
Les 10 principes du journalisme ouvert, par Alan… par ecoledejournalisme
Interrogé sur les compétences recherchées aujourd’hui pour ses rédactions, le directeur du Guardian a lâché: “nous voulons des gens qui vivent et respirent ce monde numérique et que cette époque enthousiasme”. Un exemple ? “Des journalistes comprenant les données et sachant les exploiter”. Des données qui ne cessent de se multiplier…
“Et nous n’en sommes que deux jours après Gutenberg”, a encore répété Alan Rusbridger.
Eric Scherer
Cet article a été publié à l’origine sur le blog d’Eric Scherer, meta-media.fr.
Les étudiants de la promotion 2012 de l’Ecole de journalisme de Sciences Po viennent d’être diplômés – et ils l’ont bien mérité. Ceux de la promotion 2014 viennent d’être recrutés.
Que faire de l’été en attendant la rentrée? Alors que, sur subtainablejournalism.org, une cellule de réflexion sur le journalisme de l’Université de Kennesaw, près d’Atlanta, il est conseillé aux étudiants de travailler dur, de suivre des tutoriaux (pour apprendre à coder, par exemple?) et de ne surtout pas s’attendre à gagner des fortunes, voici, pour ceux qui s’impatientent, huit exercices en guise de cahier de vacances… sans obligation de rendu, bien sûr!
1. Se lancer
Pourquoi attendre de travailler dans une rédaction pour commencer à prendre des photos, filmer des manifestations, publier des liens vers les informations du jour? Souvent, les étudiants craignent de ne pas se sentir “légitimes” pour ce faire. S’il s’agit d’écrire un article sur la la crise de la dette, c’est très compréhensible. Mais il est possible de s’exercer avec des sujets plus accessibles: portraits des habitants de son immeuble, blog sur une série télévisée, live-tweets de matchs de foot, carnet de voyage sur une page Facebook, comparaison du prix d’une baguette de pain dans différents endroits géolocalisés sur une Google Map, photos de tous ses déjeuners, etc.
Exercice
Ouvrir un Tumblr, monter un blog, une chaîne sur YouTube ou Dailymotion, un compte Instagram, bref, un endroit où publier. Avant d’y déposer le premier contenu, déterminer la ligne éditoriale de cette publication: de quel sujet parler? Sur quel ton? A quelle fréquence? Et avec quel format (vidéo, photo, article, brève, citation, tweet)?
Résultat attendu
Trouver un “créneau” éditorial, s’y tenir, comprendre les impératifs d’une publication régulière et la responsabilité que cela suppose.
2. Questionner
Un bon journaliste n’a pas peur de poser des questions, y compris celles que personne n’ose formuler par peur du ridicule. Pour s’entraîner, n’importe qui peut servir de cobaye: les proches, un voisin dans le train, le marchand de légumes… L’idée n’est pas de tenir une conversation, mais de réussir à s’effacer derrière ses questions pour laisser l’interlocuteur raconter un élément susceptible d’intéresser le plus grand nombre.
Exercice
En regardant/écoutant une émission télé/radio avec un invité, se demander quelle serait la première question qu’on poserait à cet invité si on était à la place du journaliste qui l’interviewe. Si l’interlocuteur répond à côté, ou ne répond pas, ou pratique la langue de bois, réfléchir à comment la question pourrait être reformulée pour obtenir une meilleure réponse.
Résultat attendu
Comprendre quelle interrogation – et quelle formulation d’interrogation – mène à des réponses bateaux ou des réponses telles que Oui/Non, sans plus de discussion.
3. Aiguiser son regard
Il est indispensable de lire/écouter/regarder tous les jours les productions journalistiques des professionnels, sur quelque média que ce soit. Connaître l’actualité, c’est nécessaire, mais il convient de, peu à peu, développer un oeil professionnel sur la production de ses futurs collègues.
Exercice
Lire un article dans un journal ou un site d’infos et essayer de répondre aux questions suivantes: quelle est l’information principale de l’article? Combien de sources sont citées? Certaines d’entre elles sont-elles anonymes? Pourquoi? Est-ce qu’il y a, sur le même sujet, un traitement différent dans un autre journal paru le même jour?
Idem pour le reportage d’un journal télévisé: quelle est l’information? Combien de séquences contient le reportage? Combien de personnes ont été interrogées? Où se trouve la caméra?
Résultat attendu
Savoir pourquoi le sujet que l’on vient de voir/lire est bon ou mauvais en étant capable d’argumenter à partir d’une grille de critères crédible.
4. Tester des services en ligne
La technique doit aider les étudiants en journalisme, et non les paralyser. Applications, logiciels, services en ligne sont amenés à devenir des quasi collègues. Autant se constituer dès à présent une besace remplie d’outils simples pour faciliter la recherche, la consommation et la production d’informations.
Exercice
Tester différents outils pour “gérer” le flux de l’actualité en temps réel: Tweetdeck , Google Reader, Netvibes, Flux d’actu, News.me, Flipboard, etc. Et essayer de personnaliser les paramètres de chacun de ces outils pour l’adapter à sa consommation d’actualité personnelle.
Résultat attendu
Se familiariser avec l’interface de ces outils et rendre plus rapide la lecture des informations provenant de multiples sources en temps réel. Bref, devenir un “early adopter”, détaille le Nieman Lab.
5. Titrer
Un bon titre, c’est donner toutes les chances à une information d’exister et d’être lue. De phrases de type sujet/verbe/complément aux jeux de mots en passant par des citations, les possibilités de titres sont presque infinies. S’exercer à en imaginer des percutants est un exercice intellectuel qui mérite d’y passer quelque temps.
Exercice
Faire sa revue de presse en postant sur Twitter ou sur Facebook une sélection des meilleures informations du jour, en rédigeant, avant chaque lien, un autre titre que celui qui est affiché, si possible encore mieux…
Résultat attendu
S’initier aux rudiments de l’édition en ligne et à l’art de la titraille.
6. Pitcher
Non seulement il faut apprendre à regarder autour de soi, dans la rue et sur le réseau, pour y déceler d’éventuels sujets à traiter, mais il faut aussi réfléchir à comment “pitcher” le sujet devant d’autres, exercice obligé des conférences de rédaction. Objectif: obtenir que le ou les rédacteurs en chef d’une future publication valide le sujet et ait envie de le lire tout de suite.
Exercice
Trouver tous les jours un sujet potentiel et être capable de formuler en une phrase claire et concise, à l’oral ou l’écrit, quel serait ce sujet. Celui-ci doit être faisable dans des conditions normales – en vue d’un sujet sur la présidentielle américaine, pitcher “ce que Barack Obama pense vraiment de Mitt Romney” est certes vendeur mais nécessiterait une interview de l’actuel président des Etats-Unis… Peu probable. Une bonne phrase de pitch peut aussi être le titre de l’article à venir.
Résultat attendu
Eclaircir ses idées et savoir les “vendre” en vue d’une publication ultérieure.
7. Faire attention…
A ce que l’on veut dire AVANT de le publier. La faute de carre – diffamation, insulte, publication d’une fausse information – est très vite arrivée en ligne et est considérée comme une faute professionnelle grave, même pour un étudiant. En outre, elle reste gravée dans les méandres du Web, dont la mémoire est infinie, et souille l’empreinte numérique de son auteur et de celui qui le relaie.
Exercice
Lire la charte d’une rédaction comme Reuters, celle de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, en vigueur depuis la rentrée 2010, et prendre conscience des risques soulevés par l’usage des réseaux sociaux dans les médias.
Résultat attendu
8. Se déconnecter
Au moins un peu, et c’était une tendance très présente lors de la conférence DLD Women, à Munich, en juillet. Face à l’hyper connectivité, au flux incessant d’infos, le nouveau pouvoir pourrait être à ceux qui défendent le droit de se mettre “hors du réseau” le temps d’une pause.
Pas d’exercice
Résultat attendu
Recharger les batteries.
Très bon été à tous! Et n’hésitez pas à partager ce WIP sur Facebook et Twitter.
Alice Antheaume
lire le billet«Où est passé le bon vieux temps où la substance de vos tweets était ce que vous disiez, et non ce sur quoi vous pointiez?», interpelle un étudiant américain qui a fondé FastBlink, une société de marketing sur les réseaux sociaux. Pour lui, trop de liens saturent l’espace en ligne, et ce, au détriment des «messages». Un phénomène qu’il qualifie, en anglais, d’«overlinkification».
Et si cette «overlinkification» ne concernait pas que les messages sur Twitter mais aussi les contenus journalistiques? Y a-t-il trop de liens sur les sites d’informations?
Regardons la colonne centrale de Le Huffington Post, lancé lundi 23 janvier en France. Elle comporte des liens, dès la page d’accueil, vers des actualités issues d’autres médias (voir ci-dessous). Comme ce contenu sur Jean-Claude Trichet remplaçant d’Arnaud Lagardère chez EADS, pointant sur lesechos.fr. Ou ce zoom sur trois projets de François Hollande, à lire sur lemonde.fr (le groupe Le Monde est actionnaire à 34% du projet Huffington Post en France).
Sur l’agrégation de contenus extérieurs directement sur la page d’accueil, il faut le voir comme un service rendu au lecteur – et un geste envers les médias cités. Ensuite, il y a l’enrichissement de liens à l’intérieur-même d’un papier. Oui, les contenus publiés en ligne gagnent à être enrichis de liens si 1. ceux-ci ne sont pas commerciaux et si 2. ils font l’objet d’un travail de sélection journalistique. A quoi bon diffuser un contenu sur le Net si celui-ci ne pointe pas vers les ressources, triées sur le volet, disponibles en ligne?
La recherche de liens pertinents fait partie intrinsèque du journalisme en ligne
Trouver un «bon lien», c’est-à-dire un contenu apportant un vrai complément d’informations, repéré à force de naviguer (Pierre Haski de Rue89 le fait à ciel ouvert sur Twitter cette semaine, en signalant un article du New York Times annonçant la victoire de Nicolas Sarkozy «à se garder sous le coude pour le 6 mai»), cela prend du temps. Parfois autant que d’écrire un article. Un article avec des «bons liens» = 10 ou plus contenus intéressants potentiels à portée de clic pour le lecteur.
Nombreux sont les sites d’informations qui pratiquent l’agrégation de liens comme sport national – dès le lancement du Drudge Report, en 1994, cela était déjà le cas. Ce «sport», Le Huffington Post le revendique, en se voulant une «combinaison de reportages originaux, commentaires, blogueurs, et… d’agrégation». Il s’agit de donner à voir «le meilleur du Web, pas ce que l’on produit, mais ce que les autres produisent», a insisté la fondatrice Arianna Huffington, lors de la conférence de presse.
Les liens automatiques
Sauf que…. les liens repérés dans les articles ne sont pas tous le fruit d’une recherche fouillée du journaliste. Certains sont des liens automatiques qui s’ajoutent sur des mots, au fil de l’écriture, comme c’est le cas sur le site du Christian Science Monitor. Cette publication utilise en effet, selon Poynter, un programme informatique qui insère des liens sur, par exemple, les termes Harvard et Twitter pour y lier de vieux articles du Christian Science Monitor. Mauvaise idée? Pour le référencement de la page et du site, non. Pour la progression de l’audience, priée de rester cantonnée à l’intérieur de ce même site, idem. Mais c’est le niveau 0 du journalisme en ligne.
Entre le trop et le pas assez
En outre, à partir de combien de liens estime-t-on qu’il y a trop de liens? Cela freine-t-il la lecture, voire la décourage? La réponse n’est pas écrite. Entre le trop et le pas assez, «il y a un équilibre à trouver pour les rédactions en ligne», reprend Justin Martin, de Poynter. «Offrir trop de liens peut conduire les lecteurs à s’interroger sur l’intégrité des références. Les ensevelir sous des liens qui ne ramènent qu’à son propre contenu est preuve d’amateurisme, et peut frustrer les consommateurs d’informations».
Aux étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, à qui l’on enseigne comment éditer en ligne, on suggère de trouver un «bon lien» par paragraphe. La règle n’est pas figée, il s’agit avant tout de donner un repère.
Sur une seule page article de Le Huffington Post, il y a près de 100 liens. Sur les mots ou phrases écrits dans les articles, mais aussi sur l’auteur de l’article, dont on peut suivre l’activité journalistique sur Facebook et Twitter, et sur les utilisateurs du site, parmi lesquels nos amis, dont on voit ce qu’ils lisent et ce qu’ils commentent. Résultat, des contenus remontent par la mécanique de la recommandation sociale (je lis ce que mes amis lisent).
Le lien, enjeu économique
C’est le principe d’utilité du réseau, mentionné dans Une Presse sans Gutenberg, de Bruno Patino et Jean-François Fogel (éd. Grasset) et théorisé par Robert Metcalfe, l’inventeur de l’Ethernet: «L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs».
Sous ses airs de ne pas y toucher, le lien est devenu une denrée en or dans des espaces où l’on joue à saute-mouton entre les différentes informations. D’après une étude menée par Borchuluun Yadamsuren, une post-doctorante de l’Université de Missouri, aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui s’informent sans même le vouloir, juste parce qu’un lien vers une information traînait sur leur chemin en ligne. Un lien, et qui plus est un titre, qui a retenu leur attention, pendant qu’ils faisaient une requête sur Google, lisaient leurs emails, ou sur les réseaux sociaux. Ce sont les informations qui trouvent les lecteurs, plutôt que l’inverse.
«Le lien est au coeur de notre stratégie», m’explique Julien Codorniou, de Facebook. «Facebook, comme Twitter, s’apparentent à des lieux de découverte qui mènent à d’autres endroits où consommer de l’information».
Reliés par le lien
Bref, le lien, c’est un peu l’appel du maître de maison pour passer à table. Autour de cette table, qui désigne le lieu où l’on consomme des informations, il y aurait, pour adapter la terminologie de la chercheuse Yadamsuren, quatre types de publics:
Tous réunis par le sacro-saint pouvoir du lien…
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Alice Antheaume
lire le billetVendredi 2 décembre 2011. Rendez-vous pour la troisième conférence internationale sur “les nouvelles pratiques du journalisme”, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po, à Paris, et la Graduate School of Journalism de Columbia, à New York.
Prix
A cette occasion, le premier prix de l’innovation en journalisme, organisé par Google et l’Ecole de journalisme de Sciences Po, sera remis aux lauréats.
Programme
Au programme de cette journée, des professionnels des contenus éditoriaux, venus de part et d’autre de l’Atlantique, pour évoquer la difficile gestion des statistiques en temps réel, l’innovation (ou pas) dans les rédactions, la télévision “sociale”, la vérification des contenus venus du Web, le fact checking en temps réel, etc. Des sujets chers à W.I.P.
Live
Pour suivre les discussions, poser des questions (avec le hashtag #npdj11 sur Twitter), mieux comprendre les évolutions du journalisme, les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po mettent en place un “live” accessible en cliquant ici.
lire le billetUn journaliste a-t-il le droit de publier sur Twitter une photo de sa rédaction presque déserte, en visant ses collègues qui ne sont pas au travail dès potron-minet? Peu de rédactions françaises l’interdisent. Ou disons plutôt: peu de rédactions estiment qu’elles ont besoin de l’interdire tant cela leur semble évident qu’on “ne balance pas sur les horaires d’arrivée des journalistes de sa propre maison devant la terre entière”. Certes, Twitter n’est pas la terre entière, mais c’est quand même plus de 3 millions de personnes, selon une récente étude de Semiocast.
Lorsque le cas se présente, les directions se révèlent perplexes. A la rédaction du Nouvel Observateur, ce cas est survenu. “Je ne vois pas en quoi tweeter la photo du plateau, donnant l’impression que la rédaction est vide, alors qu’il y avait des journalistes qui travaillaient, aurait pu être drôle. Même au troisième degré”, me confie Aurélien Viers, rédacteur en chef du NouvelObs.com. “Cela peut être mal interprété, et a été mal interprété”. De fait, un autre journaliste du Nouvel Observateur a riposté aussitôt, également sur Twitter, en saluant la “pointeuse”. Ambiance.
“Je ne pensais pas que cela arriverait, nous n’avons jamais eu aucun souci”, reprend Aurélien Viers. “Aucun journaliste ne tweete sur son canard ou sa direction en les critiquant, c’est enfoncer des portes ouvertes, mais il fallait que cela soit précisé”. Il a alors envoyé un email à son équipe, rappelant quelques règles simples et de “bon sens” sur l’utilisation de Twitter par les journalistes, dont il s’explique dans cette tribune publiée sur WIP.
Or ce qui est le bon sens pour les uns ne l’est pas toujours pour les autres. Et c’est toute l’ambiguïté de l’appréciation de ce qui est “évident”. Alors faut-il l’expliciter via une charte, ou un “règlement intérieur”, comme l’appelle Eric Mettout, rédacteur en chef de lexpress.fr? “Comme si, parce que nous nous exprimons sur Twitter ou Facebook en notre nom, nous y oubliions notre carte de presse et les comportements qui y sont attachés et dont nous sommes abreuvés depuis l’école”, regrette-t-il. Faut-il aller jusqu’à demander aux journalistes de ne pas dénigrer leur direction en public? Lorsque Anne Lauvergeon a été annoncée à la présidence du conseil de surveillance de Libération, les journalistes de ce titre ne se sont pas privés de marquer leur désapprobation sur Twitter.
Journalisme et réseaux sociaux en ménage
Si les rédactions anglo-saxonnes ont la culture de la charte et documentent les droits et devoirs de leurs journalistes, les rédactions françaises n’ont pas ce réflexe, craignant sans doute d’entraver la liberté de ton de ses journalistes ou de devoir, pire, réactualiser les règles en permanence en fonction des cas rencontrés. Surtout, elles ne veulent pas freiner les enthousiasmes de ceux qui tweetent et participent ainsi à la visibilité de leur titre en dehors des pages et colonnes traditionnelles.
La véritable raison d’une charte sur les réseaux sociaux, c’est d’assurer le prolongement des devoirs journalistes (pas de diffamation, pas d’atteinte à la vie privée, etc.) prévalant sur les publications traditionnelles (sites Web, journaux) aux publications annexes (blogs, Twitter, Facebook, lorsque les comptes sont ouverts). Car un journaliste l’est 24h/24, quel que soit l’endroit d’où il parle.
France Télévisions a, de son côté, écrit une charte des antennes. “La charte de France Télévisions est plus subtile que ce que l’on a bien voulu en dire, détaille Bruno Patino, directeur général délégué au numérique, également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Twitter n’est pas au centre de la charte. Celle-ci prend seulement en compte un fait avéré: il n’est pas possible d’avoir sur les réseaux sociaux deux identités, une privée et une professionnelle, qui soient imperméables l’une à l’autre. En clair, il ne faut pas dire des choses sur tweeter que l’on n’assumerait pas à l’antenne. Notre crédo, c’est “think before your tweet”, réfléchissez avant de tweeter.”
Le Nouvel Observateur a aussi une charte, créée en 2004, et révisée en 2010, qui concerne l’ensemble des devoirs des journalistes, et non l’utilisation spécifique des réseaux sociaux. Mais Aurélien Viers laisse la porte ouverte: “il faut l’envisager, d’autant que les 130 journalistes du titre vont davantage utiliser leurs comptes Twitter et Facebook” dans les mois à venir.
En ligne ou hors ligne, même combat
Quant à l’AFP, elle est en train d’en élaborer une, dont la première partie concerne la vérification du matériel trouvé sur les réseaux sociaux, la deuxième partie devant s’attaquer à ce que les agenciers peuvent publier, ou non, sur Twitter et Facebook. En préambule, m’explique François Bougon, journaliste à l’AFP, “on va rappeler que les journalistes sont encouragés à être présents sur les réseaux sociaux (veille, recherche d’infos, etc.) et que leur présence n’est pas différente de celle dans le monde réel et elle doit continuer à être guidée par les mêmes droits et devoirs tels qu’ils sont consignés dans des textes fondateurs comme par exemple la déclaration des droits et devoirs des journalistes, adoptée à Munich en 1971”.
De même, le SNJ, le Syndicat National des Journalistes, a également mis à jour, le 5 juillet 2011, son code de conduite et s’attaque à l’instantanéité: “la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources.” Façon de calmer la course au premier tweet.
Enfin, à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille, nous avons écrit une charte, en vigueur depuis la rentrée scolaire 2010, pour que les étudiants suivent les mêmes règles journalistiques, qu’ils produisent des contenus pour un site Web d’infos, sur une page Facebook, sur un compte Twitter, dans un journal télévisé ou un flash radio.
Les règles des rédactions anglo-saxonnes
Pour finir sur ce sujet intarissable, voici quelques uns des mots d’ordre observés dans différentes rédactions à l’étranger.
“Le message est simple: ne soyez pas stupide”, demande Alan Murray, l’éditeur du Wall Street Journal. Si vous couvrez la politique, vous n’allez pas tweeter que vous venez de voter pour John McCain. Si vous êtes Bob Woodward et que vous allez rencontrer Gorge Profonde dans un garage, vous n’allez pas le fanfaronner sur Twitter. Le problème, dans les grosses organisations comme le Wall Street Journal, c’est qu’il y a inévitablement des gens qui font des choses stupides, et d’autres gens du titre qui estiment que, s’il y a des gens qui font des choses stupides, il faut tenter de codifier la stupidité.”
“Les journalistes du Washington Post doivent savoir que, quel que soit le contenu qui leur est associé sur les réseaux sociaux, celui-ci est considéré comme l’équivalent de ce qui peut apparaître à côté de leur signature, sur le site Web ou dans le journal.”
Dans ses règles à tenir sur les réseaux sociaux, la radio américaine NPR énumère plusieurs points, donc celui-ci: “tout ce que vous écrivez ou recevez sur un réseau social est public. Toute personne ayant accès au Web peut accéder à votre activité sur les médias sociaux. Et même si vous êtes attentif à essayer de séparer professionnel et personnel, en ligne, les deux s’imbriquent”. Et plus loin: “vous devez vous conduire en ligne en pensant à ce que votre comportement et vos commentaires (…). Autrement dit, conduisez vous en ligne comme vous le feriez en public.”
A la question “quand puis-je tweeter?”, répertoriée dans sa charte, Reuters répond: interdit aux journalistes de l’agence de poster un scoop sur Twitter. Toute information exclusive doit d’abord être publiée dans le fil de dépêches. Logique, puisque Reuters a un modèle économique qui repose notamment sur l’achat d’informations par des clients, lesquels verraient d’un mauvais oeil le scoop publié sur une plate-forme accessible à tous, sans abonnement. En revanche, il est possible de retweeter un scoop quand c’est celui de quelqu’un d’autre, reprend Reuters, dans son manuel.
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Alice Antheaume
lire le billetComment utiliser Facebook pour (mieux) distribuer ses contenus? Comment augmenter l’audience de son site d’infos en utilisant la viralité de Facebook? Faut-il avoir sa «fan page»? Que faire du bouton «like»?
Ce sont quelques unes des questions auxquelles Justin Osofsky, directeur de la division média de Facebook, et Julien Codorniou, directeur des partenariats pour la France, invités par l’Ecole de journalisme de Sciences Po, ont tenté de répondre lors d’une formation spéciale, donnée ce 28 juin à Sciences Po aux étudiants en journalisme et à des journalistes professionnels. Résumé des points clés de leur intervention.
>> Pour savoir quand et comment publier des contenus sur Facebook, relisez ce WIP sur «les critères d’un contenu facebookable» >>
Pour l’instant, et selon les chiffres publiés par le Pew Research Center, Facebook apporte 8% du trafic du Huffington Post, 7% à CNN. Mais pour le site du Daily Mail, Facebook représente 24%, ajoute Julien Codorniou. En France, lorsque RMC a publié sur Facebook une information exclusive sur «l’alibi de DSK», cela lui a apporté 36% de son audience lors de cette journée de publication, le 16 mai. Objectif de Facebook: parvenir à fournir 30% du trafic des sites d’infos. Un objectif qui paraît plausible vu la courbe de progression spectaculaire du poids de Facebook sur l’audience de sites médias (+300%).
Pourquoi parler d’apport de trafic «qualifié»? Parce que, assure Facebook, l’audience provenant du réseau social de Mark Zuckerberg serait «engagée» sur les sites d’infos. En témoignent, dit Justin Osofsky, les chiffres du Huffington Post. Les utilisateurs de Facebook qui cliquent sur l’agrégateur américain resteraient en moyenne 8 minutes de plus que les autres visiteurs – non passés par Facebook, et consulteraient 22% de pages vues en plus.
Certains éditeurs craignent de revivre la même chose qu’avec Google News en 2006, à savoir de voir leurs contenus produits par des journalistes professionnels «canibalisés» par Facebook, et «monétisés» par Facebook. Sur la canibalisation, la réponse de Facebook est simple: «Facebook sert à découvrir des contenus, pas à consommer des contenus. Donc un titre avec trois lignes, cela suffit, pas besoin d’en mettre plus». Sur la monétisation, Facebook s’avère lapidaire: pas de partage de revenus.
«Il faut implémenter le bouton like sur vos sites», répètent à l’envi les dirigeants de Facebook, pour qui c’est la clé de voûte du partage d’infos. Mais le bouton «like» – présent sur ⅓ des 1.000 sites Web les plus populaires, selon une récente étude réalisée par le Wall Street Journal – ne fait pas tout, c’est une mécanique de recommandation sociale, pas une stratégie.
Même si 50 millions de liens sont «likés» chaque jour, il ne s’agit pas de mettre le bouton «like» n’importe comment, assure Facebook. 98% des boutons «like» seraient «mal codés» en France. Soit parce qu’ils ne sont pas disposés à un endroit stratégique sur la page – je comprends que cela veut dire sous le titre de l’article, avant le corps du texte, ou bien sous l’article. Soit parce que les développeurs ont oublié d’accoler au bouton «like» la photo des profils des utilisateurs qui «likent», ce qui démultiplie l’impact de ce clic sur le nombre de visiteurs sur ce même contenu. «Pour Dailymotion, 1 like = 8 visiteurs; pour Elle.fr, 1 like = 10 visiteurs», détaille Julien Codorniou. «Le meilleur est la matière, en France, c’est la chaîne Game One qui obtient le barème 1 like = 40 visiteurs.»
A ceux qui se demandent encore quelle est la pertinence du terme «like» sur un contenu dramatique, Facebook assène que 1. «le bouton like témoigne d’une interaction, pas d’une appréciation d’un contenu», et 2. il suffit de rentrer dans le code pour changer le mot «like» en «recommander».
Le vrai problème de Facebook, c’est son bouton «share», qui a été développé il y a un moment mais que le réseau social veut «tuer», non sans humour. «C’est comme Microsoft avec Internet Explorer 6, ils ne le supportent plus mais ont du mal à s’en débarrasser», sourit Julien Codorniou.
Alors que Rockville Central, un média local américain, a décidé de se délocaliser sur Facebook, des commentaires aux contenus, nombreux sont les sites d’informations qui font face à des systèmes de commentaires parallèles. Certains internautes réagissent sur le site, directement sous les contenus, dans la partie «commentaires». D’autres commentent sur le réseau social les infos (souvent les mêmes que sur le site originel) publiées par le média sur sa page Facebook. Résultat, il y a deux fils de discussions parallèles avec parfois les mêmes arguments, mais dans deux espaces différents.
Pour résoudre ce point, qui occasionne des doublons et une logique pas très «user friendly», Facebook a conçu une «comment box», une boîte à commentaires, qui se greffe directement sur les pages d’un site Web. Quand un internaute commente sous un article, il est identifié avec son profil Facebook et, s’il laisse la case «publier sur Facebook» cochée, son commentaire apparaît à la fois sur le site d’infos et sur le mur du profil Facebook de l’utilisateur, avec le lien vers l’article commenté. En France, peu de sites ont franchi le pas, mis à part le Journal du Net et Minute Buzz.
Pourtant, sur Facebook, un média n’est pas responsable devant la loi des commentaires de ses internautes sur sa page, quand bien même ceux-ci seraient diffamants. Ce qui n’est pas le cas sur son site, où l’éditeur est tenu responsable et doit veiller à la bonne marche de la discussion. Dans la pratique, même si la loi n’impose rien, les éditeurs modèrent les réactions laissées sur leur page Facebook, leur objectif éditorial étant d’obtenir un débat qui apporte des idées et infos complémentaires, sans insulte donc.
Tandis que les éditeurs rétorquent dans la salle qu’ils n’ont pas attendu Facebook pour faire du participatif, Julien Codorniou estime que le rôle des journalistes, «c’est de se concentrer sur la production d’informations de qualité», tandis que «Facebook s’occupe de la viralité.»
«Qui a une page publique sur Facebook en tant que journaliste?», demandent les dirigeants de Facebook aux présents pour la formation à Sciences Po. Dans l’amphithéâtre, personne ne lève la main.
Pour Justin Osofsky, l’idéal, quand on est journaliste, est d’avoir sur Facebook un profil personnel, limité à 5.000 amis, et une page publique (c’est-à-dire une page fan), que les utilisateurs, en nombre illimité, choisissent de «liker» sans avoir besoin de demander l’autorisation. «Votre profil perso, c’est pour vos amis; votre page, c’est pour vos lecteurs», résume le directeur de la division média de Facebook. De toutes façons, «au-delà de 5.000 amis, cela ne peut pas être vos vrais amis», ajoute son collègue Julien Codorniou.
Pour Vadim Lavrusik, ex-journaliste sur le site Mashable qui a rejoint Facebook à Palo Alto, en Californie, «cela sépare plus clairement vos vies professionnelle et privée (…) et évite le problème éthique d’accepter ou pas d’être ami avec une source – et les sources peuvent aussi se sentir gênées de faire ami-ami avec un journaliste.»
Sur le Huffington Post, par exemple, les articles peuvent bien sûr être «likés», et les auteurs des articles aussi. Ce qui participe de cette fameuse notoriété dévolue aux journalistes – le «personal branding», parfois indépendamment du média pour lequel ils travaillent.
>> Voir ou revoir la présentation de Justin Osofsky, de Facebook >>
>> Voir ou revoir la présentation d’Antoine Gounel, d’Opengraphy >>
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lire le billetQue retenir de la journée spéciale dédiée aux nouvelles pratiques du journalisme, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et la Graduate school of Journalism de Columbia, le 10 décembre?
Voici les points clés de chaque intervention, d’Ariane Bernard, du nytimes.com, à Antoine Nazaret, de Dailymotion, en passant par Masha Rigin, du Dailybeast.com, Sarah Hinman Ryan, de Times Union, Nicolas Enault, du Monde.fr, Nicolas Kayser-Brill, d’Owni.fr, Michael Shapiro et David Klatell, de la Columbia, et Jean-François Fogel et Bruno Patino, de l’Ecole de journalisme de Sciences Po…
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[Merci à tous les éditeurs de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes, live stream et tweets pendant cette journée marathon. Cet article a été rédigé d’après leurs notes et le “live”]
Ariane Bernard, home page producer, nytimes.com
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Masha Rigin, spécialiste du référencement (SEO), thedailybeast.com
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Nicolas Enault, coordinateur de l’audience, lemonde.fr
Michael Shapiro, professeur de journalisme, cours de «city newsroom», Graduate School of journalism, Columbia
Crédit vidéo: Daphnée Denis
David Klatell, professeur de journalisme, responsable de l’international, Graduate School of journalism, Columbia
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
Sarah J. Hinman Ryan, directrice du pôle investigations et recherche d’informations, Times Union
Madhav Chinnappa, directeur stratégique des partenariats, Google News, ex BBC News
Nicolas Kayser Brill, journaliste de données, statisticien, Owni.fr
Crédit photo: DR/Hannah Olivennes
Crédit vidéo: Diane Jeantet
Antoine Nazaret, éditeur des contenus vidéos «news», Dailymotion
Jean-François Fogel, professeur associé à l’Ecole de journalisme de Sciences Po
Bruno Patino, directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po
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