Chercheuse d’infos, oui, journaliste, non

«Dans une rédaction, le problème le plus fréquent n’est pas de vérifier des faits, mais d’avoir les faits. Et… le plus vite possible.» Sarah J. Hinman est directrice du pôle «recherche d’infos» à Times Union, un quotidien crée en 1837 et édité à plus de 90.000 exemplaires, qui couvre l’actualité de la ville d’Albany et sa périphérie, au Nord de l’Etat de New York.

Le métier de Sarah J. Hinman? «News researcher». Chercheuse d’infos, donc. Spécificité: elle n’écrit pas d’articles, elle prend des notes qu’elle donne aux journalistes. «Je n’effectue qu’une partie de l’enquête», confie-t-elle lors d’un cours donné à l’école de journalisme de la Columbia. Son job consiste à travailler en amont, c’est-à-dire avant l’enquête ou le reportage des journalistes sur le terrain. Quelque soit l’histoire qui sera publiée (fait divers, politique, société, etc.), elle fournit aux reporters toutes les infos dont ils ont besoin. Les numéros de téléphone des personnes concernées, leurs adresses postales, la liste des gens dont ces personnes sont proches, ainsi que leurs coordonnées.

Crédit: Flickr/CC/Altemak

Bases de données à volonté

Comment savoir où se trouve en ce moment un SDF que la rédaction veut interviewer? Comment trouver le numéro de téléphone portable de cette femme accusée de meurtre? Comment savoir ce que cette ONG gagne grâce à ses soirées caritatives? Pour Sarah J. Hinman, pas de problème, elle connaît le Net – et les bases de données – comme sa poche. A la voir chercher en un temps record les réponses aux questions précédentes, je me dis que, pas possible, je suis tombée sur la Lisbeth Salander américaine – l’héroïne de Millénium, geekette ébouriffante, qui farfouille sur le réseau en quête d’infos pour une enquête du journaliste Michael Blomkvist.

Aucune question n’est insoluble

«J’adore qu’on me pose des questions», reprend Sarah J. Hinman, qui scrute frénétiquement son écran. «En fait, j’adore trouver les réponses… Et j’adore les chiffres aussi. Plus que les lettres, ils veulent toujours dire quelque chose. Il suffit de les faire parler». Et la voici qui trouve l’équivalent du numéro de sécurité sociale d’un célèbre homme politique américain… «Les femmes sont plus difficiles à traquer», tempère Sarah J. Hinman, «car, mariées, elles changent de noms.»

Ancienne documentaliste, elle a à son disposition des bases de données payantes, dont Nexis, qui répertorie notamment des détails très précis sur les entreprises et leurs salariés (environ 10.000 dollars l’abonnement à l’année pour une rédaction américaine), mais aussi les réseaux sociaux, et des bases de données gratuites, accessibles en ligne, dont l’une liste tous les professeurs américains, et une autre les magistrats du pays. «Un jour, on cherchait des informations sur une avocate endettée jusqu’au cou, qui avait disparu de la circulation, se souvient Sarah J. Hinman. En faisant une requête sur son nom dans l’annuaire des magistrats, j’ai vu qu’elle avait été radiée de l’ordre des avocats. C’était peut-être insignifiant, mais j’ai donné l’élément au journaliste. Or il se trouve que la date de sa radiation correspondait peu ou prou à la date à laquelle elle avait commencé à ne plus payer ses emprunts bancaires.»

Coup gagnant

Times Union, le Times, et d’autres rédactions américaines, y compris des télévisions, ont recours aux services des «news researchers». Une tactique payante, me raconte un professeur de la Columbia. «Un “news researcher” représente une double économie pour une rédaction. 1. Il coûte moins cher en salaire qu’un journaliste 2. Il permet aux journalistes de faire deux fois plus de terrain», et produire de la valeur ajoutée «visible» grâce à des reportages, au lieu de passer du temps, moins «visible» pour le lecteur, coincés derrière un écran à chercher les infos du «news researcher». «C’est un économiseur de temps», plaidait déjà il y a quelques années Theresa Collington Moore, qui faisait ce métier dans une chaîne de télé en Floride. Pour celle-ci, «ne pas avoir cette fonction dans une rédaction, c’est comme jouer au foot sans gardien de but».

Qu’en pensez-vous? Faut-il que la fonction de «news researcher» s’implante dans les rédactions françaises?

Alice Antheaume

10 commentaires pour “Chercheuse d’infos, oui, journaliste, non”

  1. Si l’on voulait que ce type de poste se créer en France, il faudrait que la presse passe la crise (celle dont les Etats Generaux). Qu’à côté du canon à dépêche, la presse ait envie de faire de l’investigation et non du copier-coller d’info. Pour le canon à dépêche, le problème risque d’être réglé rapidement, le journaliste électronique risque de prendre le pas sur le pigiste ou le journaleux de base (rubrique chien écrasé,avis de décès et rubrique faits divers ou évènements locaux ) risques d’être rédigés par un logiciel. Les journalistes libérés de ces tâches ingrates auront tout le loisir de faire de l’investigation et peut être d’apporter une valeur ajoutée à leurs articles.
    En ont ils l’envie, la culture ? Il faut poser la question aux interessés ?

  2. C’est un nouveau nom pour documentaliste à l’heure du Web, non ?

  3. Un poste officiel de “hacker” en somme ? Et légal avec ça…

  4. Ça commence à bouger en ce sens en France. Des services nouveaux existent pour “sourcer” des interviews ou des infos exclusives.
    Je ne citerais pas mon site mais vous pouvez jeter un oeil vers citizenside.fr par exemple
    Le flux de traitement de l’information se spécialise : les chercheurs d’info transmettent aux certificateurs d’info. Le journaliste intervient en dernier lieu pour l’analyse, la créativité, la mise en perspective, …

  5. Phil, Rien à voir avec le documentaliste, le documentaliste comme son nom l’indique trie et classe de la doc pré-existente. Le site de l’ADBS pour cela est une référence. Meme si les métiers de la documentation ont bcp évolués, la démarche n’est pas la même. Avez vous déjà envoyer un/une documentaliste sur le terrain ?
    Emilie, hacker est illegal, et doit le rester. Là on parle de recherche d’information légales, cela comprends aussi notre bon vieil annuaire, dans sa version électronique les pagesblanches ou jaunes tout simplement. Mais aussi Des bases de données issues du monde de la recherche, de l’union européenne, de l’inpi de statistiques économiques….

  6. En fait on appel “ça” de la veille (liée à l’intelligence économique) !

    ça existe depuis un certains temps (c’est mon métier par exemple),et je connais certaines personnes qui le font déjà pour la presse en ligne…

    Bon article en tout cas 🙂

  7. […] Où l’on tente de remixer le métier de documentaliste. […]

  8. Outre le côté économique de l’affaire, je trouve le principe intéressant du point de vue des ressources humaines. Certains journalistes n’aiment pas trop chercher les infos. Pour d’autres, l’étape de la feuille blanche est une véritable corvée. Mettez ces deux journalistes ensemble et ils pondent deux fois plus de papiers et de bien meilleure qualité…Finalement l’avenir n’est peut-être pas au “multitask” mais plutôt à une forme de taylorisme journalistique.

  9. […] W.I.P. (Work In Progress) » Chercheuse d’infos, oui, journaliste, non […]

  10. Il conviendrait peut-être de préciser que ce “nouveau métier” s’inscrit dans une organisation de la répartition des tâches entre les différents métiers du journalisme qui est profondément différente aux USA et en France. Non ?

    Du coup, la question de la transposition en France de ce métier est un peu sans objet.

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