Quelles questions devrait se poser un éditeur en 2013 ? Il y a en a dix et il serait temps de s’y intéresser, a lâché Matt Kelly, ancien responsable des publications numériques du Daily Mirror, à Londres, aujourd’hui co-directeur de l’agence Sol 361, lors du sommet organisé par le GEN (Global Editors Network) sous les dorures de l’Hôtel de ville à Paris, le 20 juin 2013. Un réquisitoire sévère pour dénoncer l’”attentisme” de quelques acteurs reclus, selon Matt Kelly, dans des mécaniques qui n’ont plus lieu d’être à l’ère numérique.
1. Connaissez-vous vraiment votre audience?
Sous-titre : si vous la connaissiez vraiment, “vous devriez savoir qu’à Londres, à partir de 74°F (soit 23-24 degrés), l’audience achète des barbecues”, explique-t-il. Aux éditeurs britanniques, donc, de savoir quand placer des publicités pour les barbecues en fonction de la météo pour générer des revenus.
2. Pourriez-vous imaginer des flux sur mobile qui soient encore plus mal conçus?
Sous-titre : la plupart des contenus proposés sur mobile sont des copiés-collés de ceux publiés sur les sites Web d’informations. Une aberration qui ne tient pas compte des usages observés auprès des consommateurs d’infos sur mobile.
3. Combien de vidéos votre audience peut-elle vraiment digérer?
Sous-titre : pas besoin de faire autant de volume avec des vidéos mal fagotées et peu adaptées à l’audience visée.
4. Quand était-ce, la dernière fois que vous avez créé une marque?
Sous-titre : regardez Buzzfeed, créé en 2006, et Flipboard, lancé à la fin de l’année 2010, qui agrège aujourd’hui 6 milliards de contenus par mois. Ces nouveaux noms ont réussi à se faire une place au soleil dans le paysage médiatique.
5. Comprenez-vous où se joue la compétition aujourd’hui?
Sous-titre : pas besoin d’être un éditeur de presse pour produire du contenu. Le club de foot de Liverpool, pour ne citer qu’un exemple, a “quinze journalistes dans son équipe! Quinze journalistes pour un seul club”, répète Matt Kelly. Quinze producteurs de contenus, donc, qui font exactement ce que ferait un journaliste sportif: des infograghies avec des statistiques sur les actions des joueurs pendant les matchs, font des reportages dans les coulisses, des interviews en vidéo, créent des sondages en ligne pour les fans, etc.
6. Savez-vous regarder au-delà de l’actualité?
Sous-titre : “vous êtes obsédé par la production de news”, diagnostique Matt Kelly, or il faut se sortir la tête du guidon pour observer les habitudes de son audience, adapter sa stratégie, et innover sur l’interface et le rôle d’un média dans le contexte actuel.
7. Pourquoi ne construisez-vous pas l’audience avant le produit?
Sous-titre : mieux vaudrait s’inspirer de ce qu’a fait Mollie Makes qui, avant de créér son magazine, a d’abord lancé une page Facebook. Objectif: comprendre ce que sa future audience peut attendre d’un média et capitaliser sur ces utilisateurs dégotés via un réseau social.
8. Ne serait-ce pas le moment de se ruer sur la technologie?
Sous-titre : la plupart des éditeurs sont trop souvent focalisés sur les aspects journalistiques et pas assez sur le développement. Pourtant, il devient urgent de réfléchir à l’interface des applications sur mobile, de lancer des éditions multiples sur tablette, et de mieux plonger dans les “templates”, le code, et autres éléments indispensables aujourd’hui pour survivre sur le réseau.
9. Est-ce que vous monétisez chaque centimètre d’espace?
Sous-titre : ne vous contentez pas des bannières classiques ni des seuls pre-rolls dans les vidéos. Pour augmenter vos revenus, continue Matt Kelly, intéressez-vous aux propositions de Kalooga, qui insère automatiquement des diaporamas de photos en fin d’articles, ce qui augmente le temps passé sur chaque page et peut promettre des revenus supplémentaires, ou aux suggestions de liens d’Outbrain – comme ci-dessous.
10. Etes-vous êtes prêt à cliquer sur le bouton?
Sous-titre : une bonne stratégie numérique est à la portée de celui qui saura oublier ses vieux réflexes pour embrasser les questions énoncées ci-dessus, conclut Matt Kelly.
Alice Antheaume
lire le billetSur le front des vidéos en ligne, “c’est la guerre”, déclare Clémence Lemaistre, rédactrice en chef du site de BFMTV.com. C’est une “jungle où chacun fait ce qu’il veut”, ajoute Célia Meriguet, rédactrice en chef de France TV Info.
Alors que les sites d’information cherchent la formule des vidéos qui ne soit pas de la télévision à la papa, certains acteurs se livrent à une bataille sans merci du “qui-a-rippé-quoi”. Ripper, dans le jargon, cela veut dire subtiliser une vidéo produite par un autre pour l’intégrer dans son lecteur. Pour ce faire, il suffit d’enregistrer le flux d’une chaîne de télévision, ou une simple émission, afin de stocker la matière dans laquelle puiser, puis d’y découper un extrait – plus ou moins long -, insérer un générique de début et de fin aux couleurs et au logo du “fauteur”, l’encoder dans son lecteur et le publier. A ce jeu-là, Full HD ready, un ancien de feu Lepost.fr, a été l’un des pionniers.
Ce qu’il y a dans la loi
De “l’encodage sauvage” et illégal, juge Marc Lloyd, responsable de la distribution vidéo à BFM TV. C’est vrai. Même si la législation française en la matière est élusive, il est écrit dans le code de propriété intellectuelle qu’un média a le droit de reproduire la vidéo (ou un extrait de cette vidéo) d’un concurrent à condition que :
Or les points 3 et 4 sont flous.
Ambiance Far West
En réalité, de telles ambiguïtés en arrangent plus d’un. Dans ce Far West, le site de Jean-Marc Morandini a une rubrique intitulée le Morandini Zap, avec un extrait provenant ici du JT de France 2, là d’une émission de M6, à chaque fois précédés d’une séquence publicitaire et d’un générique fait maison. “Vous avez déjà vu, vous, un zapping avec un unique extrait? Il ne faut pas se moquer du monde!”, tempête Marc Lloyd. “Je suis désolé, mais un zapping digne de ce nom devrait comporter un vrai travail éditorial” de sélection, de hiérarchisation et de montage.
D’autres éditeurs arguent qu’ils s’autorisent à piquer la vidéo quand le diffuseur traîne à la mettre en ligne. Un argument qui n’est pas recevable au regard de la loi (cf le point 1 ci-dessus). “L’idée, c’est d’être le plus rapide, c’est clair”, m’explique Julien Mielcarek, passé par le site PureMédias, devenu en janvier dernier chef du service vidéos du Figaro.fr. Et cela se joue à dix minutes près. “On enregistre tous les flux des émissions politiques des chaînes de télévisions, des matinales des radios, pour que les extraits intéressants soient le plus vite possible en ligne sur lefigaro.fr”, continue-t-il.
Un phénomène qui rappelle la lutte, en 2008, entre les sites d’informations pour éviter les copiés-collés de leurs articles au profit, là encore, d’une “courte citation” suivie d’un lien vers la source originelle…
L’appât publicitaire
“Leur logique n’est pas d’avoir l’info”, décrypte Célia Meriguet, “mais d’avoir la vidéo dans leur lecteur” pour y bénéficier de 100% des revenus provenant d’un pre-roll publicitaire. Insérer le lecteur vidéo “embedabble” d’un autre dans ses pages n’est pas intéressant de ce point de vue, car dans un “embed” il y a certes le contenu vidéo mais aussi… la publicité de la source qui en empoche les revenus.
Tel est donc le nerf de la guerre: l’appât publicitaire. “C’est un problème industriel”, regrette Clémence Lemaistre. “Il suffit de comparer les revenus générés par les pre-roll dans les vidéos (environ 15 euros) et ceux des displays (les bannières disposées sur les sites d’infos, ndlr), très inférieurs (entre 1 et 6 euros, ndlr), pour comprendre…”
Parce qu’il y a une audience friande du format vidéo (jusqu’à 10 millions de consommateurs de vidéos quotidiens, selon Médiamétrie), parce que le CPM (coût de la pub pour mille affichages) y est plus élevé que sur les formats publicitaires classiques, et parce que le nouvel indicateur sur lequel louchent annonceurs et éditeurs se compte en vidéo vue – plutôt qu’en visiteur unique -, tous les grands médias en ligne ont mis le cap sur le format vidéo.
Lemonde.fr poste sur Instagram des photos de son studio “tout neuf” dans lequel sont réalisées des séquences “éclairages” avec des journalistes maison. Lefigaro.fr a un service doté de sept journalistes et trois techniciens dont “la politique, c’est de mettre un maximum de vidéos sur tous les sujets”, reprend Julien Mielcarek. Avec une production actuelle de 50 à 60 vidéos par jour dont trois ou quatre zappings quotidiens, il veut atteindre les 100 vidéos par jour d’ici quelques mois. De son côté, BFMTV.com met en ligne jusqu’à 80 vidéos par jour, dont des “replay” comme l’interview matinale de Jean-Jacques Bourdin, et des séquences tirées de sujets diffusés à l’antenne. A France Télévisions, en dehors du million de vidéos vues par mois en télévision de rattrapage, la plate-forme d’informations en continu France TV Info produit une grosse vingtaine de vidéos au quotidien.
Le sport, chasse gardée
Il y a donc de quoi se servir. Pourtant, aucun média n’a encore intenté d’action en justice auprès des pirates de vidéos. Plutôt attentistes, beaucoup disent réfléchir sérieusement à taper du poing sur la table.
Il n’y a guère que dans le domaine du sport que personne ne se risque à ravir la vidéo d’un autre. La raison est simple: les droits sportifs sont si faramineux que le propriétaire de la vidéo n’hésiterait pas une seconde à mettre en demeure celui qui ripperait une telle vidéo, voire à lui demander des sommes astronomiques. Pour les vidéos de sport, au Figaro.fr, on se contente de reportages plus magazines produits par la rédaction et de faire un commentaire sur des images fixes d’agence, point.
Sur les sites d’informations appartenant à des groupes audiovisuels, cela se passe à un autre niveau. Le moindre écart sur une vidéo – sauf à créer un GIF animé ou à prendre les reconstitutions en 3D faites par l’AFP – montrant un but au foot se répercuterait, non au niveau du Web mais au niveau de l’antenne. En guise de représailles, outre la facture salée, Clémence Lemaistre sait que “Canal+ pourrait faire de la rétorsion d’images des matchs auprès de BFM TV, et ce serait très grave”.
Alice Antheaume
lire le billetOn croyait la pop-up condamnée à rester un format publicitaire de la fin des années 90 sur le Web. Voici qu’elle revient, en 2012, sur des sites d’informations tels que Rue89, lemonde.fr, Business Insider ou le New York Times. Et, cette fois, elle a des ambitions journalistiques.
«La pop-up, c’est le sparadrap du capitaine Haddock. On croit qu’elle a disparu, mais non!», s’amuse Julien Laroche-Joubert, rédacteur en chef adjoint au Monde.fr, qui a oeuvré à la refonte de la maquette du site, sortie en mars 2012, où figure désormais, en bas à droite de l’écran, une pop-up à contenus éditoriaux appelée en interne le «toaster».
De la pub à l’info
Si la pop-up s’offre une autre vie dans l’univers de l’information en ligne, c’est parce qu’elle a gagné ses galons dans l’univers de la messagerie instantanée. Sur Gtalk et sur Facebook, lorsque des utilisateurs conversent en temps réel, leurs échanges s’affichent par défaut dans… une fenêtre en bas et à droite de l’écran. Un usage installé par des années de pratiques et devenu un code de lecture, et même d’interaction.
«Personne n’aime les modes d’emploi», estime Julien Laroche-Joubert. L’intérêt de reprendre un code existant, c’est que «les gens comprennent tout de suite que la pop-up en question sera un lieu de dialogue avec la rédaction.»
De fait, en se connectant sur la page d’accueil du Monde.fr, ce dimanche 10 juin 2012, jour de premier tour des élections législatives, apparaît dans la pop-up la question d’un lecteur à la rédaction – question sélectionnée par celle-ci avant publication: «Avez-vous les résultats pour Mme Rosso Debord (membre de la cellule riposte pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et candidate UMP dans la 2e circonspection de Nancy, ndlr)?». La réponse tombe aussitôt, visible également dans la pop-up: «@Reno : Avec 33,57 % des voix, Valérie Rosso-Debord (UMP) arrive en seconde position derrière le socialiste Hervé Feron (39,51 %)».
La vitrine du «live»
En réalité, plus qu’un espace d’interaction, cette pop-up sert un autre objectif pour lemonde.fr: montrer les «lives», ces formats qui permettent de raconter en direct un événement via mots, photos, vidéos et interactions avec l’audience, que les éditeurs français ont multiplié depuis les révolutions arabes, puis Fukushima, et a fortiori pendant la campagne présidentielle.
Or la réalisation d’un live nécessite des ressources journalistiques lourdes, comme expliqué dans un précédent WIP, «tous scotchés au live». Dans ces conditions, mieux vaut le mettre en majesté. Ce qui passe, sur lemonde.fr, par l’affichage dès la page d’accueil d’un aperçu du live dans une fenêtre ad hoc. Y remonte – c’est programmé par défaut – le message le plus récent posté dans le live qui se déroule au moment où l’utilisateur se connecte. «S’il n’y a pas de live en cours, il n’y a pas de pop-up. Et s’il y a deux lives en même temps, cela devient compliqué», reprend Julien Laroche-Joubert.
Clics et allergies
Un choix qui ne fait pas que des heureux. Certains utilisateurs râlent, estimant que les lives «ne sont que du bruit, et qu’ils n’ont rien à faire sur la page d’accueil du Monde.fr», une page qui, aujourd’hui encore sur ce site, concentre l’essentiel du trafic. D’autres s’énervent contre cette fenêtre jugée intrusive: «Moi qui suis vos lives avec grand intérêt, cette petite fenêtre persistante m’agace au plus haut point pendant la lecture et le choix des articles», peste une lectrice. En effet, cette pop-up, en bonne héritière de son ancêtre publicitaire, peut au mieux se réduire, mais pas se fermer, même lorsque l’on clique sur la croix.
Malgré les doléances, 70% des lecteurs qui rentrent sur un live le font par la pop-up de la page d’accueil, annoncent les équipes du Monde.fr. Le chiffre est d’autant plus signifiant que cette «pop-up éditoriale» n’est visible que depuis un ordinateur. Elle n’apparaît ni sur mobile ni sur les réseaux sociaux, lesquels devraient bientôt être les meilleurs pourvoyeurs d’affluence sur les sites d’informations.
Questions d’ergonomie
Entre tentative d’innovation et résistance au changement, le curseur est difficile à placer pour les éditeurs. Surtout quand il s’agit de s’attaquer à l’ergonomie des sacro-saintes pages d’accueil, symboles de la hiérarchie journalistique choisie par une rédaction.
Au festival South by South West 2012, à Austin, les professionnels ont rendu un diagnostic pessimiste: selon eux, non seulement l’interface de la majorité des sites d’informations n’a pas évolué depuis presque vingt ans, mais en plus les conventions journalistiques (titre, chapeau, etc.) freinent la création de nouvelles expériences.
Quant à la pop-up journalistique, elle a le mérite de bousculer un peu la façon de «rentrer» dans des contenus, mais cela reste une surcouche, posée par dessus le «rubriquage» traditionnel des informations.
Et… autres lectures recommandées
D’autres éditeurs ont aussi recyclé, dans un but éditorial, le format de la pop-up. Sur les sites du New York Times et Rue89, celle-ci vise à recommander des compléments de lectures, et ce, uniquement dans les pages articles – pas sur les pages d’accueil. Lorsque le lecteur arrive à la fin d’un contenu, surgit ainsi une fenêtre, toujours en bas à droite de l’écran, pour «rebondir» sur d’autres contenus de la même thématique que celle qui vient d’être consultée.
Si par exemple je parviens à la chute de l’article «Comment les députés gèrent leurs frais de représentation» sur Rue89, la pop-up me préconise ceci:
Si je lis un article sur le New York Times concernant Mitt Romney, ou Barack Obama, on me suggère de poursuivre en cliquant sur un autre article de la rubrique politique:
Les éditeurs en conviennent volontiers: copier le voisin pour récupérer ce qui marche constitue une recette éprouvée. Et reprendre, dans un but journalistique, un format installé par les géants de la technologie encore plus…
Alice Antheaume
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Paul Buchheit, le créateur de Gmail, qui bosse maintenant pour Facebook, dit que “ce sur quoi il travaille n’a rien à voir avec l’email“. Signe des temps? (Mediafile, un blog Reuters)
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