Les 7 principes en journalisme de Bill Nichols, de Politico

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C’est la rentrée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Après Jay Rosen, l’année dernière, Bill Nichols, le directeur de la rédaction de Politico, a donné ce jeudi 1er septembre sa leçon inaugurale sur le journalisme politique, version américaine. En évoquant l’expérience de ce site, Politico.com, “qui a un journal, et non l’inverse”, il a listé sept principes, en guise de conseils aux étudiants en journalisme. Les voici.

1. Ne publier que des sujets intéressants

Ce premier principe peut paraître évident, et pourtant, assure Bill Nichols, “des articles inintéressants, les journaux américains en publient depuis des décennies, estimant que s’ils les écrivent, c’est que, bien sûr, leurs lecteurs vont les lire”. Sauf que… non. Le directeur de la rédaction de Politico insiste: “si vous ne donnez pas une bonne raison à vos lecteurs de vous lire, ils ne vous liront pas, et vous êtes morts”.

2. Ne permettre aucune division dans la rédaction

Bill Nichols n’en revient pas qu’en France, les journalistes d’un même titre soient le plus souvent répartis dans des rédactions différentes en fonction de leur support, avec d’un côté, le Web, et de l’autre, le journal papier. A Politico, “il n’y a pas – et il ne peut pas y avoir – une personne pour le Web, et une autre personne pour l’imprimé. Une seule personne fait les deux”. L’avantage, avance-t-il, c’est que l'”on se concentre tous sur le fait de faire du bon journalisme”, sans guerre de tranchées entre journalistes à l’ancienne et nouveaux geeks.

3. Ouvrir les portes

“La transparence a du bon”, reprend Bill Nichols qui se souvient de ce qu’il détestait tant dans les médias traditionnels: “the voice of God tone” – disons, en VF, “le ton de Dieu de père” avec lequel les journalistes, se sentant investis de cette mission “supérieure” d’informer le peuple, s’adressent parfois à leur lectorat. Avec le Web, cette façon de sélectionner les informations et de les diffuser du “haut vers le bas” a rendu “cette vision des choses impossible”, tranche Bill Nichols, et cette pratique journalistique aussi. “Tout le monde a le droit de savoir comment on prend nos décisions éditoriales, à Politico, et comment on couvre tel ou tel sujet, et… pourquoi on se trompe parfois”.

La transparence, erreurs comprises, donc. De fait, Bill Nichols le reconnaît: sa rédaction a écrit des centaines de fois “nous sommes désolés” lorsque de fausses informations ont été publiées. La première erreur de Politico? C’était en 2007, seulement deux mois après que le site a été lancé, en janvier 2007. Politico avait alors annoncé que John Edwards ne serait plus candidat à la primaire démocrate, en vue de la présidentielle, à cause du cancer de sa femme. Information reprise par d’autres médias avant d’être démentie. L’auteur de l’article, Ben Smith, s’est fendu d’un billet pour présenter ses excuses. En vivant cette expérience, Bill Nichols a d’abord cru défaillir, avant de comprendre qu’il ne fallait écrire que ce que l’on sait, sans prétendre faire un article définitif, et compléter l’information au fur et à mesure.

4. Développer du journalisme de niche

Le plus difficile, estime Bill Nichols, c’est de “réussir avec un site d’infos généralistes”. Pour lui, le secret réside dans le journalisme de niche. “Vous devez convaincre vos lecteurs que vous allez leur offrir quelque chose qu’ils ne peuvent pas lire ailleurs” – or ils peuvent lire beaucoup ailleurs. Il vaut mieux couvrir en profondeur quelques domaines, assure le directeur de la rédaction de Politico, plutôt que de multiplier les sujets sans être spécialiste. “Sur nos sujets (La Maison Blanche, le Congrès américain, la politique à Washington DC), on peut vraiment rentrer dans les détails, et on offre aux lecteurs qui s’intéressent à ces sujets tout ce qu’ils veulent savoir”.

Cette ligne éditoriale ne va pas sans quelques frustrations. “En réalité, l’affaire Dominique Strauss-Khan ou l’ouragan Irène ne sont pas tout à fait au coeur de ce que Politico traite”. Et Bill Nichols de rappeler ce qu’il avait raconté en février lors d’un précédent WIP: au moment de la mort de Michael Jackson, c’est dur, pour un journaliste, de se dire que ce sujet ne sera pas couvert sur le média pour lequel il travaille. N’y tenant plus, Politico a finalement publié un diaporama du chanteur posant aux côtés de personnalités politiques américaines. Façon de ré-angler cette nouvelle vers la politique, comme le veut l’ADN de Politico.

5. Ne pas oublier la vitesse

Le temps réel n’est pas un mythe. Armés de leurs smartphones, les consommateurs d’informations veulent qu’on leur “dise maintenant/tout de suite ce qu’ils doivent savoir”. A ceux qui se demandent si l’instantanéité est une bonne ou mauvaise chose pour le journalisme, Bill Nichols refuse de répondre. Pour lui, ce n’est pas la question. “Le temps réel, c’est la réalité de ce qui arrive au journalisme, et qui doit pousser les journalistes à changer leurs usages”.

6. Utiliser les vieilles compétences journalistiques

Parmi les fondamentaux du journalisme, Bill Nichols tient à l’obligation d’objectivité. Selon le patron de la rédaction de Politico, c’est une évidence: oui, un article doit rendre compte des deux parties d’une histoire, sans privilégier l’une sur l’autre. De même, les journalistes ne doivent pas exprimer leurs préférences dans leurs écrits. Enfin, il faut faire la différence entre une opinion et un fait. Néanmoins, un article qui serait une succession de “il dit…”, puis “elle dit…” serait trop limité. C’est alors que Bill Nichols évoque le concept d'”objectivité 2.0″. Comprendre: une façon de raconter les faits qui soit juste, sans jugement de valeur, mais qui permette au lecteur de se faire une opinion dans l’univers de surabondance d’informations disponibles sur le Web.

7. Faire du reportage

L’agrégation, qui permet d’être connecté aux plates-formes, de faire du lien sur le réseau, d’entrer dans les conversations, et de sélectionner les histoires les plus pertinentes publiées par d’autres, c’est bien. Mais, selon Bill Nichols, cela ne saurait remplacer le reportage. “C’est ce que le journalisme oublie parfois.”

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Politico, un site sachant imprimer

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Jeudi 10 février 2011, 11h. Dans les locaux de Politico, à Washington D.C., la rédaction paraît calme. En fait, ses journalistes cravatés sont à la fois au four et au moulin. Les uns couvrent simultanément sur le site, sur les réseaux sociaux, et via une newsletter, un «breaking news» annonçant que le sénateur de l’Arizona, John Kyl, ne se représentera pas pour un prochain mandat, ouvrant la voie aux spéculations sur le nom de son successeur.

Les autres lancent ce jour-même un site annexe, Pro Politico, «notre première expérience de payant» sur «les politiques de santé, de technologie, et d’énergie», annonce Bill Nichols, le directeur de la rédaction. Pour alimenter ce site, 40 personnes ont été recrutées. Cible visée: un public «habitué à payer des informations spécifiques», comme les juristes et les lobbyistes, présents en nombre à Capitol Hill, le quartier résidentiel près du Capitole.

«Notre ambition est de sortir du marasme qui bouleverse le journalisme pour devenir la seule publication faisant autorité sur la façon dont Washington et le gouvernement américain dirigent les Etats-Unis», lance Jim VandeHei, qui dirige Pro Politico.

Une ligne éditoriale adaptée aux quartiers

C’est là le double génie de Politico, lancé en janvier 2007:

1. s’être installé dans une ville, Washington D.C., siège de toutes les décisions et polémiques fédérales.
2. s’être fixé une ligne éditoriale adaptée à sa localisation: «en un mot, nous couvrons ce qui a de l’impact sur la vie politique américaine. C’est-à-dire les lobbyistes, les chambres haute et basse, le Congrès et la Maison Blanche», résume Bill Nichols.

En France, l’équivalent n’existe pas. Et si un Politico à la française devait se lancer, il lui faudrait s’installer dans une zone délimitée par la place Beauvau/l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat et la rue de Grenelle.

Si le site est connu, récoltant entre 500.000 et 700.000 visiteurs uniques par jour, son support imprimé l’est moins, voire pas, du moins en France. Gratuit, ce journal est distribué à 60.000 exemplaires, et porté directement dans les institutions gouvernementales de Washington D.C., dont le Congrès américain, la Maison Blanche, le Sénat. Et ce, 5 jours par semaine, les jours ouvrés. De quoi construire son aire d’influence. Et rafler une grande partie du marché publicitaire, qui «à Washington D.C., est très en demande de supports imprimés», confirme le directeur de la rédaction, assurant que «Washington D.C. est une ville faite pour les journaux», socle du modèle économique de Politico. Politico n’est pas un pure player. «Politico, c’est un site qui a un journal, pas l’inverse», dit Bill Nichols.

Sur Politico.com, ce jour-là, point de développement en temps réel de la situation en Egypte, mais «toutes les déclarations des hommes politiques américains sur les événements au Caire, et l’analyse des enjeux». Parmi les contenus disponibles, cette vidéo de Robert Gibbs, le porte-parole de Barack Obama, évitant non sans humour toute question sur l’Egypte.

MISE A JOUR: vendredi, jour de la démission officielle d’Hosni Moubarak, Politico s’est centré sur les déclarations de Barack Obama, assurant que le départ de l’ex-président égyptien «n’était pas la fin de la transition, mais le début».

La politique, coeur de l’info

Couvrir la politique, seulement la politique, c’est palpitant, mais parfois frustrant. Bill Nichols, qui a travaillé comme journaliste pendant 20 ans pour USA Today, un quotidien généraliste et un des rares quotidiens nationaux, se souvient du jour de la mort de Michael Jackson, le 25 juin 2009. «USA Today en a fait sa une, évidemment, mais pour Politico, c’était impossible. Nous n’avons rien écrit, j’en étais retourné. Jusqu’à ce qu’un journaliste de Politico réalise un diaporama de Michael Jackson posant avec d’anciens présidents américains, sans doute pour calmer mes nerfs.» A Politico, ce seul critère est roi: est-ce que l’info concerne ou impacte la vie politique américaine? Si oui, c’est un sujet pour Politico. Si non, passe ton chemin.

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Une rédaction, des lecteurs fanatiques

Au lancement de Politico, «nous étions une petite cinquantaine dans la rédaction, maintenant nous sommes près de 200», ajoute Bill Nichols. «Dès le début, nous avons fait attention à ne pas installer deux rédactions, l’une qui travaillerait pour le Web, et l’autre pour le print. Avoir deux catégories de personnel, c’est une idée désormais obsolète aux Etats-Unis, car ce n’est économiquement pas viable». Au final, l’équipe de Politico est mixte, composée à la fois de «créatures issues du du Web» et de journalistes politiques «old school», s’amuse le directeur de la rédaction. Sans oublier ceux qui s’occupent des réseaux sociaux, et du SEO. Part du trafic apporté par les réseaux sociaux sur Politico? Entre 10 et 15%. «Nos lecteurs sont des fanatiques, sourit Bill Nichols, conscient de son avantage. Ils viennent entre 5 et 12 fois par jour sur la page d’accueil pour y chercher du nouveau.»

C’est la rançon de leur «excellente couverture de la politique en temps réel», analyse Stephen Engelberg, directeur de la rédaction de ProPublica, un site indépendant, basé à New York, qui ne veut produire que de l’investigation. Alors le directeur de la rédaction de Politico ne lâche rien, surtout pas le matin, un moment aussi crucial pour les sites d’infos que le «prime time» à la télévision: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).

Stephen Engelberg se souvient: «A ses débuts, Politico.com était meilleur sur les informations minute par minute que sur les analyses, laissant celles-ci au Washington Post (également basé à Washington DC, et connu pour ses révélations sur le “Watergate”, ndlr) mais ils s’améliorent maintenant sur ce deuxième point». Le Washington Post (1) n’est pas un bleu en la matière: fondé en 1877, il est le 5e plus gros journal des Etats-Unis, avec une diffusion de 545.345 exemplaires en semaine, 764.666 le dimanche. Il vient en outre d’annoncer qu’il allait investir entre 5 et 10 millions de dollars pour lancer une plate-forme, gratuite, d’agrégation d’infos sur le Web.

Alice Antheaume

Aimeriez-vous voir naître un Politico version française? Dites-le dans les commentaires ci-dessous…

(1) Le Washington Post est actionnaire de Slate.com, lui même actionnaire de Slate.fr

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La novlangue des journalistes en ligne

Crédit: Flickr/CC/reedster

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Dans «Slang», un dictionnaire américain d’expressions populaires, l’auteur Paul Dickson consacre 11 pages au jargon journalistique des rédactions américaines. Or il y manque la substantifique moelle de ce qui constitue le quotidien des journalistes français sur le Web. Un mélange de néologismes, de franglais, de termes issus des logiciels, et d’expressions potaches. Complément de chapitre.

Actu (nom, féminin):
Abréviation du mot «actualité». Impératrice qui fait la pluie et le beau temps journalistique, la densité ou la platitude de l’activité des rédactions. Exemples: «C’est quoi, l’actu du jour?» ou «Y a zéro actu, là, qu’est-ce que l’on va pouvoir bien inventer comme sujets?»

Back office (nom, masculin):
Les coulisses d’un site Web, là où se trouve le système de publication, dont l’accès est réservé à ceux qui y produisent des contenus, comme les rédacteurs. Le «Back office» s’oppose au «Front office», la partie visible de ce même site, que les internautes voient. Là où cela se corse, c’est qu’il y a parfois une différence entre ce qu’est un article dans le «Back office» et ce à quoi ce même article ressemble sur le «Front office» (voir «Wysiwyg»).

Balises (nom, féminin pluriel):
Ce sont des éléments du code html – le tissu osseux d’un site Web – qui permettent de définir la mise en page d’un texte, par exemple en mettant des caractères gras, italiques, soulignés, en sautant une ligne, etc. Leur particularité? Elles encadrent la partie du texte qu’il faut éditer, par une balise d’ouverture introduite par le caractère inférieur (<) et une balise de fermeture introduite par le caractère supérieur (>). Souvent, lorsque la mise en page présente des incohérences, c’est parce qu’il y a un problème de balises mal ouvertes ou mal fermées dans le code.

Bâtonner (verbe):
L’une des tâches les plus ingrates d’un journaliste. Il s’agit de réécrire une dépêche fournie par une agence (AFP, Reuters ou AP) en la remaniant à la marge, en retirant les répétitions, etc. Le bâtonnage serait le symbole de la paupérisation de la profession de journaliste, et, de surcroît, le chemin de croix des «forçats de l’info», ces soi-disant OS de l’Internet qui travaillent sur des sites de presse, des pure-players, mais aussi sur des plates-formes de contenus, comme Orange, Yahoo!News ou Dailymotion, ou pour des agences. On dit «bâtonner de la dépêche» ou «batônner» tout court.

Brévouille (nom, féminin):
Terme argotique signifiant brève, un format qui, comme son nom l’indique, ne comporte que quelques lignes de texte. Exemple: «Je fais la brévouille sur le nombre de morts sur les routes»

Burner (la HP) (se prononce beurné) (verbe):
Verbe issu du nom d’un bouton intitulé «burn», présent dans l’outil de gestion de 20minutes.fr. Cela signifie générer la page d’accueil pour y faire apparaître de nouveaux éléments (photos, titre, article, vidéo, pub). Une responsabilité qui demande de la dextérité, surtout quand tombe une information urgente qu’il faut publier aussi vite que possible. Exemple: «Tu as burné? Vite, burn, burn!».

«Ça ne marche que si je rentre dans le code»:
Expression de désespoir du journaliste souhaitant intégrer une vidéo/une image/des caractères gras à son texte, tandis que le système de publication ne veut prendre en compte ses indications. Le journaliste va alors dans le code html de son article pour insérer en langage technique l’élément requis.

«Ça ne marche pas mais c’est normal»:
Expression du service technique pour (tenter de) rassurer la rédaction quand un bug apparaît.

Capture (nom, féminin):
Abréviation de capture d’écran. Réflexe d’un bon journaliste Web lorsqu’il voit quelque chose en ligne (statut Facebook, tweet, erreur sur un site, etc.) qui risque d’être supprimé dans la minute. Il fait alors une capture de son écran qui servira de photo-preuve, au cas où… Car pas de capture, pas d’article.

Citasse (nom, féminin):
Terme argotique signifiant citation, c’est-à-dire des propos d’un interlocuteur recueillis par le journaliste et cités entre guillemets dans l’article. Exemple: «Il manque une ou deux citasses à ce papier, non?».

Cliquable (se prononce clikèbeule) (adjectif):
Equivalent pour le journalisme Web du mot «bankable». «Cliquable» désigne le potentiel d’un contenu (interview, vidéo, article, diaporama) en termes de clics – plus un article fait de clics, plus il est lu.

Cliquer (verbe)
Action, de la part d’un internaute, de se rendre sur un article, souvent grâce à un titre accrocheur. Le clic sert d’indice de popularité d’un contenu. Exemple: «Ce sujet, ça va cliquer à mort»

CMS (nom, masculin):
Acronyme de Content Management System. Sous ce nom sophistiqué se cache le système de publication des contenus produits par les journalistes. Il n’est pas rare que les journalistes de différentes rédactions se demandent, au détour d’un café, «sur quel CMS vous travaillez?». La discussion qui s’ensuit prend souvent l’allure d’un débat quasi politique entre les avantages d’un CMS et les défauts d’un autre.

Croper (une image) (verbe):
Recouper/recadrer une image, via l’outil «crop» du logiciel de retouches d’images Photoshop. Exemple: «Qui a cropé cette photo comme ça? Le cadrage, c’est n’importe quoi».

Débrouilloner (verbe):
Faire passer un article de l’état de brouillon (c’est-à-dire non visible par les internautes) à l’état de contenu publié (c’est-à-dire visible).

Engagement (nom):
Terme un peu fourre-tout, répété à l’envi, qui qualifie à la fois la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs, les types d’interactions de l’audience avec les contenus (commentaires, partages, clics, etc.), et leur mesure (taux de partage d’un article, nombre de vidéo vues).

Enquête pages jaunes (nom, féminin):
Témoignages recueillis par téléphone auprès de personnes trouvées grâce aux services des Pages jaunes. Exemple: une prise d’otages a lieu dans un supermarché de la banlieue parisienne. En attendant qu’un journaliste se rende sur place, un deuxième journaliste, à la rédaction, géolocalise l’adresse du supermarché, et cherche, sur le site Pages jaunes, tous les commerçants répertoriés aux alentours de cette adresse. Il les appelle et recueille les premiers témoignages via une interview téléphonique, qu’il retranscrit aussitôt dans un article en ligne.

Facebooker (verbe):
Publier sur Facebook une information. Exemple: «Tu l’as facebooké, ton article sur François Hollande et les vacances de ses ministres?».

Fail (nom, masculin):
Un raté. Par exemple une vidéo qui ne «clique» pas (voir plus haut) ou un article qui reste en bas des «stats» (voir plus bas), en somme un soufflé qui se dégonfle.

Fake (nom ou adjectif):
Faux. Cela peut concerner une fausse information, un faux compte Twitter, un photo montage… tout, sur le Web, peut être fabriqué. Et doit donc être pesé et vérifié avant de faire l’objet d’une information publiable. Exemple: «ça sent le fake, cette histoire».

Google friendly (adjectif):
Désigne un contenu qui a le potentiel (bon titre, mots-clés présents dans le texte, liens, etc., tout l’art du SEO) pour être référencé et visible dans le moteur de recherche américain, souvent gage d’une manne de clics.

HP (nom, féminin):
Non pas hôpital psychiatrique, mais «home page», la page d’accueil d’un site Web.

Lâcher/prendre le lock:
Puisque, dans le Back office (voir plus haut), deux rédacteurs ne peuvent pas éditer en même temps le même article – sinon le système ne saurait pas quelles modifications prendre en compte, le fait qu’un journaliste rajoute une ligne dans un article verrouille l’accès de celui-ci, toujours dans le Back office, à une autre personne susceptible de vouloir le modifier au même moment. Un cadenas indique alors que le contenu est en train d’être géré par quelqu’un d’autre. D’où cette question, récurrente dans une rédaction en ligne: «Tu lâches le lock? Je peux le prendre?»

«Laisse, le print est dessus»:
Injonction donnée à un journaliste en ligne, afin qu’il laisse tomber un sujet dont s’occupe la rédaction papier du groupe dans lequel il travaille. Cette phrase ne peut s’entendre que dans un média qui compte deux rédactions, une pour le Web, une pour l’imprimé, comme au Figaro, au Monde, à 20 Minutes, etc.

Liker (verbe):
Cliquer sur le bouton «like» de Facebook. Par extension, plébisciter un article, apprécier un lien, voire un élément de la vie quotidienne, comme un pizza partagée un dimanche entre les rédacteurs qui sont de garde. Exemple: «Tu as liké mon article sur Wikileaks?», demande un journaliste à son collègue.

Linker (verbe):
Mettre un lien hypertexte dans un article, pour conduire l’internaute vers une autre page Web offrant un supplément d’informations. Par extension, citer quelqu’un dans son article. Exemple: «Je suis linké dans Les Inrocks, la classe!»

Liver (verbe):
Couvrir en direct, sur un site Web, un événement (discours politique, cérémonie des Oscars, matchs sportifs, émission de télé, etc.). «Liver» nécessite de raconter ce qu’il se passe et de le commenter en même temps, dans un format réactualisé minute par minute. Exemple: «Qui peut liver la cérémonie des voeux de Sarkozy à la presse

Liveur (nom, verbe):
Le rédacteur d’un «live», ce format qui exige, minute par minute, la couverture en temps en réel d’un événement. Est en passe de devenir une spécialité du journaliste Web.

Mème (nom, masculin):
Ni «même» ni «mémé», comme dirait mon confrère Vincent Glad, le mot «mème» est un terme scientifique qui désigne une unité culturelle reconnaissable, et pouvant faire l’objet de parodies à volonté, diffusées sur le Net par viralité. Ceux-ci constituent le ciment de la culture des journalistes en ligne, lesquels passent – c’est leur métier – un nombre conséquent d’heures à repérer sur le Web les nouveaux phénomènes. Exemples de mèmes, repértoriés sur le site Knowyourmeme.com: la tête de l’acteur Keanu Reeves, insérée partout; le bébé panda qui éternue, vu des milliards de fois; la vidéo du feu d’artifice provoqué soi-disant par des mentos plongés dans du coca; ou encore l’écureuil qui s’incruste jusqu’aux photos de vacances des couples présidentiels.

Modo (nom, masculin):
Abréviation de modérateur, celui ou celle qui, dans une rédaction en ligne, est chargé(e) de veiller à la bonne tenue des conversations des internautes sur le site dont il a la charge, ainsi que d’animer le débat sur les réseaux sociaux.

Nécro (nom, féminin):
Abréviation de nécrologie, un article publié à la mort d’une célébrité – et parfois réalisé des semaines ou des années avant le décès. Vraie richesse pour une rédaction en temps réel, laquelle n’a pas toujours la possibilité de réaliser, à la fois vite et bien, un portrait résumant la vie d’un homme, surtout lorsqu’il s’agit de Claude Lévi-Strauss.

Old (adjectif, invariable):
Terme anglais employé dans les rédactions en ligne pour qualifier une information jugée trop datée pour apparaître sur un site d’informations en temps réel.

Papier (nom, masculin):
Terme hérité du journalisme traditionnel, qui dénomme un article «un papier». Même si c’est paradoxal en ligne, c’est encore ce même mot qui est utilisé.

Push vocal (nom, masculin):
Signalement donné dans une rédaction, à l’oral, par un journaliste Web à ses collègues, lorsque survient une information urgente. Façon de donner l’alerte, comme le fait le système de «push» sur smartphone.

Le print (nom, masculin):
La rédaction d’un journal papier, par opposition à la rédaction Web, qui travaille en ligne.

«Quand j’ai compris»:
Expression signifiant que, enfin, le cerveau du journaliste en ligne a percuté, découvrant le sens d’un entremêlement de faits, d’une citation, ou d’une simple blague, dont la signification lui était jusqu’alors obscure. Cette expression est devenue un hashtag très populaire sur Twitter.

Q&A (se prononce kiewané):
Format journalistique fait de questions et réponses (questions and answers, en anglais). Peut aussi se dire Q/R. Exemple: ce Q&A sur le médicament Médiator.

«Refresh» (verbe à l’impératif):
Réactualiser sa page, en cliquant sur le bouton «actualiser» de son navigateur. Correspond à la touche F5 d’un PC.

Remonter la timeline:
Action de retrouver le long d’un compte Twitter ou Facebook les statuts, images, vidéos, postées il y a quelques heures, voire quelques jours. Bref, rétro-pédaler dans le flux.

Social TV (nom, féminin):
Télévision sociale, en français, c’est-à-dire regarder un programme sur un premier écran (l’écran télé) et utiliser un deuxième écran (ordinateur, tablette, mobile) pour réagir à ce même programme en allant le commenter sur les réseaux sociaux ou en cherchant, sur le Web, des informations complémentaires à l’émission visionnée.

Les sportifs (nom, masculin pluriel):
Désigne le service de journalistes qui couvrent les actualités sportives. Qu’ils pratiquent eux-mêmes une activité sportive ou pas dans leur vie n’a pas d’impact sur cette appellation.

Les stats (nom, féminin pluriel):
Abréviation de statistiques, l’outil de mesure de l’audience en ligne. La drogue dure des journalistes Web…

La tech (nom, féminin):
Le groupe d’ingénieurs et de développeurs qui veillent aux problématiques techniques du site.

Troller (verbe):
Action de saboter la discussion qui se tient dans les commentaires sous un article, en alignant, au choix, arguments de mauvaise foi, théories du complot, et autres activités, dont j’ai déjà parlé dans ce W.I.P. Le journaliste est sensible au fait d’avoir des commentaires sous son article, signe de popularité, mais est souvent découragé d’y lire des réactions de trolls, ce qu’il prend le plus souvent personnellement. Exemple: «ça y est, je me fais troller».

Troll (nom, masculin):
Internaute qui trolle (voir ci-dessus) les discussions en ligne, vrai ennemi des modérateurs (voir «modo»).

Updater (son papier) (verbe):
Mettre à jour son article, en veillant à ce que les dernières informations y soient. Par exemple, s’il s’agit d’un article sur l’attentat du 24 janvier à l’aéroport de Moscou, le nombre de morts ou de blessés va évoluer au fil des heures, et il faut alors «updater» les chiffres.

«Vide ton cache»:
Action d’aller dans son navigateur pour aider son ordinateur à mieux «rafraîchir» ses pages, sans garder en mémoire les versions précédentes de ces pages. Utile quand on vient de changer un mot dans un article et qu’on veut voir, en ligne et dans la minute, si le changement a été pris en compte.

VU (nom, masculin):
Acronyme de Visiteur Unique. Comme expliqué précédemment, le visiteur unique (VU) n’est pas vraiment unique. Cette unité de mesure de l’audience, graal des sites Web pour le marché publicitaire, désigne un «individu qui a cliqué sur le contenu d’un site au moins une fois pendant la période mesurée (généralement un mois, ndlr)», explique Berit Block, analyste européen pour l’institut Comscore, qui évalue le trafic des sites Web.

Wysiwyg:
Acronyme de «What You See Is What You Get» (ce que tu vois est ce que tu auras, en VF). Cela signifie que l’article, le titre, l’image, tels que mis dans le Back office (voir plus haut), auront la même forme une fois publiés (même espace, même police, même mise en page).

Merci à tous ceux qui ont participé pour vos exemples, qui ont nourri cette liste. Si vous avez d’autres mots et expressions à ajouter, dites le dans les commentaires ci-dessous…

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«Sur le papier, une fois le journal achevé, on retourne à la vraie vie. Pas sur le Web»

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Alexandre Sulzer, journaliste à 20 Minutes, passé du Web au print. Ne pouvant répondre au questionnaire des travailleurs du Web, réservé à ceux-ci, il explique ses conditions de travail, et les différences entre ce qu’il a vécu en ligne et ce qu’il vit sur l’imprimé.

Pas mal de journalistes print ont abandonné leur ancien support au profit d’Internet, média plus moderne, Terre promise d’un avenir radieux où il n’est plus question de ringards coûts d’impression ou de distribution, où l’info est vécue vraiment live et où les contraintes de taille et de bouclage ont (presque) disparu. Peu de journalistes ont fait le chemin inverse. J’en fais partie.

Rédacteur généraliste sur le site 20minutes.fr, je travaille aujourd’hui pour la locale Grand Paris du journal papier 20 Minutes. Vétéran du Web, je peux donc comparer les conditions de travail entre les deux médias sur la base notamment des principaux points soulevés dans le fondateur article «Les forçats de l’info» du Monde. L’exercice est un poil périlleux dans la mesure où il risque d’être interprété comme un match de boxe entre deux médias rivaux, comme une compétition victimaire où celui qui sera le plus «Pakistanais de l’info» aura le dernier mot. Ce n’est évidemment pas le but. L’ambition ne va pas au-delà de la description de mon simple cas.

>> Lire le décryptage des résultats du questionnaire sur les travailleurs du Web >>

Le type de contrat: il n’a pas changé. Au Web comme au print, j’ai bénéficié d’un CDI.

Le salaire: il est supérieur depuis que je suis passé sur le papier. Mais l’ancienneté dans la boîte et le cap des 5 ans de carte de presse l’expliquent pour beaucoup. Les derniers «juniors» embauchés au print ne sont pas mieux rémunérés que sur le Web.

Les horaires et le rythme: au Web, différentes tranches horaires de travail dans une fourchette comprise entre 7h et 21h. Plus je travaillais tôt, plus j’avais tendance à faire des heures parce que j’avais du mal à décrocher. Mais je finissais rarement après 20h, sauf si je commençais à 13h. Comme il s’agit de couvrir en temps réel des évènements compris sur une plage horaire définie par avance, le rythme de travail est à la fois soutenu et régulier. Le work in progress, les infos qui se succèdent les unes aux autres indéfiniment sont abrutissants. Mais le fait d’avoir des horaires permet de laisser la main à des collègues sans souci. Sauf dans les cas, assez rares, où l’on est en reportage sur le terrain.

Sur le papier, la journée ne peut s’arrêter avant le bouclage. Aucun espoir de finir avant 20h-21h donc. Et ce, quelle que soit l’heure à laquelle on a commencé le matin. Paradoxalement, le fait d’avoir une heure de bouclage, et donc une heure de «fin» de travail, impose de travailler au moins jusqu’à cette heure en question. Et s’il est vraiment rare de commencer aussi tôt que sur le Web, la journée débute fréquemment par un rendez-vous (reportage, conférence de presse, petit-déjeuner…) en début de matinée.

Bref, sur le plan des horaires, le papier n’est absolument pas en peine. Quant au rythme, il est beaucoup plus irrégulier que sur le Web où la rédaction d’articles et leur réactualisation rapide occupe une grande partie du travail. Sur le papier, le temps de rédaction à proprement parler est assez réduit (surtout vu les formats de 20 Minutes). Les reportages quotidiens sur le terrain, les déplacements qu’ils occasionnent, la recherche de sujets locaux avec ce que cela suppose de contacts, d’entretiens de contacts, de diversification des sources sont une grosse partie du job. Là encore, la quantité de travail sur le print n’a rien à envier à son petit frère digital.

Les veilles et le week-end: je n’ai pas été affecté à des périodes de veille, ni au Web ni au print. Ce qui n’empêche pas de devoir parfois travailler les jours de repos lorsque l’actu l’impose. Je travaille plus souvent le dimanche depuis que je suis passé au papier.

La dépendance à un média: elle est plus forte en ligne où l’on est tenté de suivre le développement live de tel ou tel événement, de voir comment buzze tel ou tel article ou de lire les commentaires des internautes et d’y répondre. Sur le papier, une fois le journal achevé, on retourne plus facilement à la vraie vie. On a aussi moins l’impression de vivre en vase-clos dans le microcosme de ses friends-followers.

La maîtrise des outils: au Web, on me demandait d’écrire un article, de l’éditer (notamment faire des liens), de le mettre en ligne dans le backoffice, de choisir une photo et d’y associer des mots-clés. On m’a demandé, très rarement, de faire de la vidéo et du son. Sur le papier, depuis plusieurs mois, on me demande d’écrire bien sûr, d’éditer les articles mais aussi de penser aux maquettes les plus appropriées aux sujets et de les concevoir. Le choix de la photo revient à un iconographe mais le mieux est de s’y associer pour préciser l’angle, ce que l’on souhaite mettre en valeur dans la page. De façon exceptionnelle, je réalise les photos moi-même.

Quant à la question du mépris des journalistes print à l’égard des Web-rédacteurs, il n’existe que marginalement à 20 Minutes. Et en sens inverse, les vannes sur les dinosaures que seraient les salariés du papier, jamais très à la pointe sur Twitpic il faut bien le dire, existent également….

Alexandre Sulzer

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L’état d’esprit du papier

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Jean-François Fogel, consultant et Professeur associé à Sciences Po, en charge de l’enseignement du numérique à l’école de journalisme.

Sept questions, posées au terme d’une présentation d’Eric Scherer, en disent plus long qu’un discours sur les attentes des journalistes dans les groupes de presse produisant pour l’essentiel sur papier.

On connaît Eric Scherer, chargé de la stratégie à l’Agence France-Presse. Son blog, Mediawatch, scande les tourments de la presse au tournant du numérique. Son ton, lucide et donc préoccupé, est le même quand il parle, comme c’était le cas mercredi 3 février 2010, dans la réunion interne d’une trentaine de collaborateurs d’un groupe de journaux du sud de la France. “Context is king” explique Scherer et son auditoire lui répond avec sept questions, pas une de plus, qui résument les attentes actuelles des troupes de l’imprimé.

1. Résignation: “D’où est-ce qu’on saute?” (La réunion se déroule au troisième étage d’un bâtiment) – on est au creux de la vague et c’est forcément le moment le plus dur, répond l’orateur.

2. Résistance: “Pouvez-vous imaginer qu’il existe un socle dur où le journalisme imprimé pourra résister sans que le numérique emporte tout?” – réponse positive sous condition que le papier offre de la rareté.

3. Défense du statut: “Qu’est-ce qui définit l’identité du journaliste à l’ère de la participation de l’audience: son titre, son comportement, son activité, sa position professionnelle?” – on peut défendre le statut du journaliste, dit Scherer, si on combine l’humilité et la transparence dans la façon de se présenter à l’audience.

4. Quête du modèle économique: “Avez-vous des modèles de sites payants qui ont réussi?” – les niches, notamment économiques (Financial Times, Wall Street Journal), nourrissent une réponse où revient le mot “rareté”.

5. Messianisme technologique: “Dans combien de temps arriveront les tablettes couleur d’encre électronique, à la fois bon marché et peu coûteuses en énergie?” – deux ans, peut-être moins.

6. Foi dans le métier: “Pourra-t-on continuer à financer des enquêtes d’investigation qui sont le savoir-faire de notre métier?” – aux Etats-Unis, ce sont les ONG et les fondations qui fournissent de plus en plus les ressources de ce travail, même le New York Times est devenu leur client.

7. Doute: “Ce que l’on produit est-il toujours nécessaire, pour l’audience jeune notamment?” – oui, à condition de répondre à sa demande et non de lui imposer une offre dont, peut-être, elle ne veut pas.

J.-F.F.

Docent School voor de Journalistiek
Faculteit Communicatie en Journalistiek
Hogeschool Utrecht
gsm 06 21 833 785
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Liens du jour #6

Le journalisme des grands sujets internationaux peut-il survivre? (Charlie Beckett’s blog)

Les rédactions Web cherchent des journalistes avec une “expertise qui évolue” quand les rédactions traditionnelles recrutent des personnes aux “compétences techniques solides” (Hot topics in journalism and mass communication)

Le parcours d’un tweet en images (Next generation online)

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Liens du jour #2

– Facebook met en place son propre RT (ReTweet), comme sur Twitter (Mashable)

– La mesure de l’audience, une donnée qui ne veut pas dire la même chose pour les annonceurs et pour les éditeurs (Poynter)

– L’acteur Ricky Gervais trouve que Twitter est un outil pour ados, pas pour adultes (Ecrans)

– Un projet rédactionnel, web et print: une rédaction avec des reporters, des “curators”, et des chroniqueurs d’un côté, des secrétaires de rédaction et des “community managers” de l’autre (Demain tous journalistes?)

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