Deux ans après le rachat de Rue89 par Le Nouvel Observateur pour 7,5 millions d’euros, le torchon brûle entre le groupe et l’ancien pure-player. Lundi matin, vers 10h, la rédaction de Rue89 vote la grève pour 24 heures renouvelables, espérant obtenir des garanties sur son avenir. Conséquence: le site est gelé. L’équipe gréviste, qui a créé un compte Twitter pour l’occasion, @Rêve_89, a indiqué ses revendications dans un billet: «maintien de l’identité» de Rue89 et préservation de l’équipe pour les deux prochaines années.
Ce lundi après-midi, Claude Perdriel, président du directoire du groupe Nouvel Observateur, et Nathalie Collin, directrice générale, reçoivent des représentants de Rue89 pour entamer des discussions. Lundi soir, Claude Perdriel signe une mise au point dans laquelle il juge la réaction des journalistes de Rue89 «incompréhensible» car «assumer (notre partenariat, ndlr) ne menace en rien l’indépendance éditoriale de Rue89, au contraire». MISE A JOUR 10 décembre 2013, 11h: mardi matin, la grève à Rue89 est reconduite. MISE A JOUR 11 décembre 2013, 11h: la grève est stoppée et Rue89 reprend le travail, indiquant dans cet article avoir obtenu les garanties demandées.
Cherche nouvel actionnaire
Le moral est en berne des deux côtés. A Rue89, pour qui c’est la première grève depuis sa création en 2007. Et à l’Observateur, où, depuis septembre, les salariés proches de la retraite sont incités à partir, et leurs départs ne seront pas remplacés. L’actionnaire de toujours Claude Perdriel songe à passer la main et semble faire les yeux doux à Xavier Niel, le patron de Free et actionnaire du Monde, pour lui succéder. Dans les couloirs, on considère que les investissements réalisés sur le numérique ont saboté le vaisseau amiral. Le groupe a perdu environ 7 millions d’euros en 2013 dont 800.000 euros seraient imputables à Rue89. Claude Perdriel, ingénieur de formation, sait depuis longtemps comment fonctionne une rotative et a mis un point d’honneur à saisir aussi le fonctionnement du Web. Il ne regrette pas d’«avoir racheté Rue89 mais, financièrement, il est évident (qu’il n’a) pas fait une bonne affaire».
«Nous ne sommes pas les mauvais élèves du groupe»
A ces accusations, les grévistes de Rue89 répondent qu’ils ne sont pas «les mauvais élèves du groupe». «Nous faisons un quart de l’audience (2,4 millions de visiteurs uniques par mois, ndlr) de tout le groupe, alors que nous sommes une toute petite rédaction», m’expliquent-ils. «Nous ne sommes pas en train de négocier notre xième semaine de congés par an, nous demandons à ce que le site et son développement soient pérennisés.» Cela passerait sans doute par, entre autres, une meilleure monétisation des contenus. «Cela fait deux ans que personne ne s’occupe de la publicité sur Rue89, personne ne vend Rue89!», proteste l’équipe, pointant du doigt le dédain de la régie publicitaire, en charge de la commercialisation des espaces. Dans ces conditions, «il n’est pas étonnant qu’on ne gagne pas d’argent…».
Affichage en une
La grenade a été dégoupillée lorsque, jeudi dernier, la façade de Rue89 a changé. Sur les pages du site cohabitent désormais les logos du Nouvel Observateur, en haut, et de Rue89, précédé du mot «partenaire». En outre, l’URL de la page d’accueil – mais pas celle des pages articles – a été modifiée: à la place de Rue89.com, on trouve rue89.nouvelobs.com. Des changements qui, pour l’équipe, «rétrograd(e)nt Rue89 au rang “d’apporteur de contenus” et sacrifi(e)nt l’identité de notre Rue».
Ces modifications ne sont pas un caprice de l’Observateur. Elles correspondent au souci de se mettre en conformité avec les nouvelles directives de Médiamétrie, l’institut de mesure plébiscité par les annonceurs. Avec ce changement, c’en est fini du co-branding et des doubles marques comme par exemple Le Huffington Post et Lemonde.fr.
Les règles de Médiamétrie expliquées
Quelles sont ces nouvelles règles en vigueur? Pour qu’un Nouvel Observateur puisse agglomérer l’audience de Rue89 avec celle de son titre, il faut soit faire passer Rue89 pour une déclinaison de la marque principale, soit considérer que Rue89 est un fournisseur de contenus.
Dans le premier cas, la nouvelle règlementation de Médiamétrie impose une imbrication des deux logos avec une visibilité plus grande accordée à celui de la maison mère. Il faut aussi que les deux marques appartiennent au même groupe et que la marque principale soit l’actionnaire principale de la marque déclinée.
Dans le second cas, Rue89 est «encapsulé» comme une rubrique dans l’environnement du Nouvel Observateur. Ici, non seulement le contenu fourni doit porter l’URL de la marque mais le logo du fournisseur (Rue89) doit être en-dessous du logo de la marque principale (Le Nouvel Observateur).
MISE A JOUR 10 décembre 2013, 12h10: Si la première option, la déclinaison d’une marque (par exemple Le Figaro et Madame Le Figaro ou ELLE et ELLE Déco), nécessite le vote de la Commission d’auto-régulation de Médiamétrie, qui se tient tous les mois, la deuxième option est acceptée automatiquement lorsque les règles sont respectées. C’est ce second cas de figure, la fourniture de contenus, qui concerne Rue89.
Sans la refonte, Rue89 verrait son audience de décembre comptabilisée à part de celle du Nouvel Observateur en ligne. Les deux perdraient plusieurs places.
Or si Claude Perdriel a racheté Rue89 en décembre 2011, c’était avant tout pour grimper sur les marches du podium et espérer dépasser Lemonde.fr et Lefigaro.fr, devant NouvelObs.com dans le classement Médiamétrie que consulte les publicitaires, pour qui plus on est gros, plus on est beau. Aucune chance, vu l’intention initiale qui a présidé à l’achat de Rue89, que le directoire accepte que le trafic de Rue89 soit comptabilisé d’un côté et celui de NouvelObs.com de l’autre. L’objectif, c’est d’intégrer l’un à l’autre pour cumuler les audiences.
Le Huffington Post et Le Monde ne changent rien
Le dilemme concerne aussi le Huffington Post et lemonde.fr. Aucun changement n’est prévu (ni en termes de logo ni en termes d’URL), même si cela devrait faire perdre, selon les estimations, environ 15% de l’audience du Monde.fr en décembre. Quand bien même le souhait aurait été d’intégrer l’un à l’autre, il n’est pas certain que cela serait possible car Le Monde ne détient que 34% du Huffington Post.
En revanche, Le Lab, lui, sera toujours compté dans l’audience d’Europe1.fr en tant que déclinaison de marque car, pour se conformer aux nouvelles règles de Médiamétrie, il a installé le changement de logos (avec Europe 1 plus gros que Le Lab) depuis novembre en ligne. Même si cela n’est pas requis pour faire valoir son site comme déclinaison d’une marque, son URL, lelab.europe1.fr, comporte, depuis sa naissance en décembre 2011, le nom de la maison mère, Europe 1. «C’est la spécificité du pure-player interne qui grandit… plutôt que le pure-player (externe) mal digéré lors de son rachat», proclame Antoine Bayet, rédacteur en chef de Le Lab.
Les atouts d’un pure-player
Outre gagner des places dans les mesures d’audience, l’autre raison qui peut pousser un groupe à acheter un pure-player, c’est que la rédaction de celle-ci est plus agile avec les nouvelles pratiques journalistiques et que l’innovation y est plus facile. Imaginez, au Nouvel Observateur, la lourdeur du processus industriel pour imprimer le journal chaque semaine et la difficulté de convertir les journalistes traditionnels au travail sur plusieurs supports, l’imprimé, le site Web, le mobile, la tablette. Rue89, une structure plus légère qui ne connaît pas ces contraintes, peut tenter des nouveaux formats éditoriaux. Autrement dit, la vie d’un pure-player, c’est d’abord de se lancer, démontrer qu’il y a un potentiel en expérimentant des formats et des rythmes différents, et parfois être racheté par un plus gros qui va financer le développement de ce potentiel. A condition d’avoir les reins solides…
Alice Antheaume
lire le billetA chaque conférence sur le journalisme, le mot «engagement» est répété à l’envi, que ce soit en français ou en anglais. Compter ses occurrences lors des tables rondes est un exercice éloquent. Dans les articles publiés sur ce blog, j’ai moi-même utilisé ce terme une bonne dizaine de fois. A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’un des cours, socle de la deuxième année de master, s’intitule «engagement avec l’audience». Or que signifie exactement le terme «engagement»? Sachant qu’à l’origine, en anglais, il désigne des fiançailles, qualifie-t-il la nouvelle relation entre journalistes et lecteurs? Ou les types d’interactions de l’audience avec les contenus? Leur mesure (taux de partage d’un article, nombre de vidéo vues)? Ou un peu de tout à la fois? Pour le savoir, j’ai posé la question à des professionnels des médias, en France, en Angleterre, en Belgique, et aux Etats-Unis.
Samantha Barry, journaliste et productrice à BBC News et BBC World News (Angleterre)
«L’engagement est central pour comprendre et servir l’audience. Il ne faut pas seulement se fier à ce qui est populaire ou ne compter que sur des utilisateurs numériquement avertis. Engagez-vous avec tout le monde, n’excluez personne. A l’ère où les rédactions ont des budgets très serrés, il faut bien réfléchir à ce que le retour sur investissement d’un bon engagement pourrait être. A mon avis, il est inestimable. Audience et engagement sont la clé de tout et m’occupent à chaque moment de la journée. En plus de mon rôle de journaliste et productrice à la BBC, je forme aussi des journalistes dans des pays en voie de développement et dans des zones de conflit et participe à une start-up de partage de vidéos pour les journalistes, appelée Vizibee. Améliorer notre engagement au sein de la rédaction veut dire que notre audience est entendue. Nous réajustons les informations que nous donnons et les sujets que nous couvrons en fonction des réactions de l’audience. Lors des formations, notamment en Birmanie et au Nigeria, nous développons des liens avec des audiences locales afin de comprendre leurs besoins médiatiques. Et enfin, avec Vizibee, l’interaction avec les utilisateurs a défini et redéfini ce qu’est devenue l’application depuis un an.»
Nick Wrenn, rédacteur en chef de CNN.com/international (Etats-Unis)
«A CNN, l’engagement regroupe plusieurs ingrédients de mesure de l’audience: le nombre de pages vues, le nombre de visiteurs uniques par mois, et le temps passé par visite. L’engagement se mesure aussi au taux de complétion observé sur les vidéos. Comme ailleurs, notre objectif est de réduire notre taux de rebond (cela concerne les internautes qui n’ont vu qu’une seule page du site et n’ont pas souhaité visiter d’autres pages, ndlr).»
David Cohn, fondateur de l’application Circa, qui permet de s’informer depuis un mobile (Etats-Unis)
«Je pense qu’il s’agit moins de la mesure des interactions (comment mesurer l’engagement et qu’est-ce que cela signifie?) que du sens éditorial de l’engagement (qu’est-ce que cela veut dire d’avoir une relation avec un lecteur?). Autrefois, c’était simple: nous produisions du contenu, le lecteur le consommait. Désormais, le nombre d’actions reliant le média à son audience s’est multiplié. Le lecteur peut partager, commenter et même contribuer à redéfinir le contenu. Toutes ces actions, déterminées par l’équipe rédactionnelle d’un média, sont des actes d’engagement. Une personne désengagée ne commente pas, ne partage pas, ne contribue pas. Ceci considéré, regardez comment, à l’inverse, il est excitant de voir des utilisateurs s’engager avec un média. Cela signifie que le contenu a, pour eux, de la valeur. Faire en sorte que son audience contribue, de quelque manière que ce soit, a plus de valeur que de n’avoir aucune réaction. C’est préférable pour le journalisme en tant que tel. Cela requiert d’être honnête intellectuellement, franc et transparent avec l’audience.»
MISE A JOUR Jack Sheper, directeur éditorial de Buzzfeed (Etats-Unis)
«A Buzzfeed, quand on parle d’engagement, on parle d’abord d’engagement émotionnel. On a découvert que provoquer une forte émotion – au sens positif – à la lecture d’une publication est de loin le moyen le plus efficace de s’assurer que celle-ci va être partagée. Créer du contenu qui “engage émotionnellement” l’audience, au point qu’elle va partager ce contenu (le tweeter, le poster sur Facebook, l’envoyer par email à des amis, etc.) est une forme d’art. C’est le coeur de ce que l’on fait, et on ne peut pas faire semblant. Recueillir un haut degré d’engagement signifie surtout que l’auteur du contenu a réussi à proposer une approche empathique du sujet – par exemple en anticipant la manière dont les lecteur vont réagir, plutôt que de se contenter de diffuser l’information, ce qui est une façon obsolète de faire de la distribution de contenus à l’ère de Facebook. Cela n’a plus de sens aujourd’hui. Dans cette optique, l’engagement est crucial pour qui s’efforce d’être un éditeur accompli à l’heure des réseaux sociaux.»
Thomas Doduik, éditeur du Figaro.fr (France)
«La notion d’engagement recouvre toutes les actions réalisées par un internaute au contact d’un média, d’un réseau social, d’une marque, lorsqu’il dépasse le stade de simple consommateur d’informations pour en devenir un acteur. Concrètement au Figaro, cela se traduit par la mise en oeuvre d’une stratégie dite “d’entonnoir”. Si la majorité de notre audience se contente d’une relation “passive” (consulter nos contenus), une partie a lien plus étroit avec Le Figaro et peut réaliser un acte d’engagement plus ou moins impliquant: s’abonner à une newsletter gratuite, participer à la conversation en déposant un commentaire, acheter une édition électronique du quotidien ou bien s’abonner à l’une de nos offres digitales. Toutes ces actions nécessitent la création d’un compte “Figaro Connect”. Après trois années d’existence, nous comptons 1,3 millions de membres.
Ce système est extrêmement vertueux pour trois raisons:
1. il renforce le lien entre la rédaction et son audience (au travers notamment des commentaires sélectionnés par les journalistes);
2. il augmente significativement la consultation de nos sites. Un membre Figaro Connect consulte en moyenne six fois plus de contenus qu’un internaute non identifié et passe trois fois plus de temps sur le site;
3. il nous permet de mieux connaitre nos internautes, via les données de surf que nous collectons. Nous sommes ainsi en mesure de leur apporter des informations et services autour de leurs thématiques favorites.»
Michaël Szadkowski, social media editor au Monde.fr (France)
«L’engagement de nos lecteurs recouvre tout ce qui dépasse la simple lecture d’un contenu du Monde.fr. Cela peut se faire de manière assez basique. Un lecteur qui “aime” un article sur Facebook ou Google+, retweete Le Monde.fr ou tweete un de nos articles, s’engage, dans la mesure où il diffuse notre travail d’information. L’engagement plus construit, et plus qualitatif, peut concerner les conversations liées à l’actualité, entre les lecteurs eux-mêmes, mais aussi entre les lecteurs et les journalistes. Il s’agit, à mon sens, d’un nouveau format journalistique, et ce sont les prises de paroles de nos lecteurs qui en est la source. Le lecteur “engagé” réagit au fait d’actualité en lui-même (“Je trouve ça scandaleux”, “Je trouve ça génial”, “Je fais une blague”, etc…), mais peut aussi nous poser des questions (sur notre traitement éditorial, ou sur un point qu’il n’a pas compris), et nous donner des précisions et informations supplémentaires (liens, expertise, etc). A nous, journalistes, de cultiver ensuite cet engagement en valorisant les meilleurs prises de paroles de l’audience, et en répondant aux questions et aux commentaires. Le format, tout comme la qualité, de cet engagement dépendent de l’endroit et des cadres dans lesquelles les conversations ont lieu.
Sur notre page Facebook, il s’agit par exemple des commentaires sous un de nos posts, ou des mails échangés sur la messagerie de la “fan page”. Sur Twitter, il s’agit des gens qui nous interpellent en mentionnant “@lemondefr”, et qui discutent avec nos journalistes sur tel ou tel fait d’actualité. Sur le site, nos lecteurs prennent particulièrement la parole au moment des “lives” et des chats (avec un volume très important de commentaires et de questions postés dans nos fenêtres Cover It Live), et des appels à témoignages (où ils racontent leurs expériences avec des textes, des photos, etc). Nous réfléchissons en ce moment à de nouveaux formats pour dynamiser, et enrichir, ce type d’engagement. Et ce, dans un souci d’enrichissement éditorial, pour nous et pour l’audience. Mais il ne faut pas se leurrer: cela sert aussi à ce que les lecteurs passent plus de temps sur le site, et restent en contact avec “Le Monde.fr” sous toutes ses formes.»
Erwann Gaucher, journaliste à France Télévisions (France)
«Je ferais une distinction entre engagement et interaction. L’interaction, c’est l’audience qui discute d’un sujet traité dans un média, ou d’une émission de télévision par exemple. L’engagement, c’est l’interaction active, poussée et fidélisée, avant, pendant et après la publication ou la diffusion d’un contenu. Cela résulte des mécanismes d’animation de communauté que l’on met en place, via des fonctionnalités et des rendez-vous complémentaires et parallèles aux émissions télévisées, afin que l’audience recommande, partage et agisse concrètement avec le média. Devant l’émission Envoyé Spécial sur France 2, par exemple, l’audience peut interroger, sur Twitter, les présentatrices Françoise Joly et Guilaine Chenu pendant la diffusion des reportages à l’antenne. Celles-ci leur répondent en direct. Capter une conversation pour en publier / passer à la télévision des extraits, c’est pour moi de l’interaction. Proposer à l’audience de sélectionner elle-même l’extrait de l’émission ou de l’événement sportif via un bouton de “snapshot” (les vidéos à la volée, ndlr) et de le partager avec son propre réseau, c’est de l’engagement.»
Damien Van Achter, développeur éditorial, fondateur de Lab.Davanac (Belgique)
«De ma perspective, l’engagement est la résultante d’une processus plus ou moins long d’insertion d’individus, de marques, de médias au sein de communautés d’intérêt. L’engagement se révèle quand des utilisateurs participent de manière pro-active à des processus de co-création de valeur ajoutée, partagent leurs idées, leur énergie et leur temps afin d’entretenir des liens sociaux et affectifs forts, voire à ouvrir leur porte-monnaie pour acquérir des produits ou des services devenus légitime et signes d’appartenance à une ou plusieurs de ces communautés d’intérêt. L’engagement n’est pas une fin en soi, mais aucun projet porté par un individu, une marque ou un média, n’a de chance de récolter un retour sur investissement sans qu’il y ait engagement des communautés auxquelles ils s’adressent.»
Aude Baron, rédactrice en chef du Plus au Nouvel Observateur (France)
«L’engagement est un terme que j’entends surtout dans la bouche des services marketing, pour désigner toutes les actions de l’internaute par rapport au contenu, qu’il s’agisse de lectures, commentaires, likes, partage sur les réseaux sociaux, envoi par mail… J’emploie rarement ce mot, qui reste un peu flou. Dans les faits, je fais attention à toutes les actions des lecteurs pour évaluer le succès, et surtout, la qualité de lecture d’un article, par ordre croissant: vu / lu / liké / partagé / envoyé / commenté. Ainsi, un article qui est beaucoup “vu” peut juste avoir été pris par Google Actu, ça ne voudra pas dire pour autant qu’il a été “lu”. Etre vu, c’est bien pour les stats, mais être lu, c’est quand même ce qu’on recherche. Le nombre de shares et commentaires permet d’évaluer la qualité de lecture avec un peu plus de précision. Ainsi je préfère voir un billet affichant 10.000 vues, 120 commentaires et 1K de partages Facebook, qu’un billet avec 150.000 vus mais 20 partages Facebook et 2 commentaires: la lecture n’aura pas du tout été qualitative.»
Propos recueillis par Alice Antheaume
lire le billetRas-le-bol de l’UMP? A entendre ce qui se dit dans les couloirs des rédactions françaises et à lire les réactions sur les réseaux sociaux, oui, l’usure se fait sentir – et ce n’est pas Olivier Mazerolle, fatigué de «commenter des inepties» sur le plateau de BFM-TV, qui dira le contraire. Pourtant, sur le Net, ce fiasco politique suscite des clics comme jamais. Si les journalistes, eux, se lassent, l’audience, elle, en redemande, encore et encore.
Au Plus du Nouvel Observateur, le sujet cartonne depuis le début de la crise, le dimanche 18 novembre, jour du vote pour élire le nouveau président de l’UMP. A cette date, on ne savait pas encore que ce serait le début d’une coda sans fin. «Depuis lors, dans notre top 20 des articles les plus lus figurent 9 articles sur l’UMP», me confie Aude Baron, rédactrice en chef du Plus. A Slate.fr – plate-forme sur laquelle ce blog est hébergé, l’article qui caracole en tête des statistiques depuis dix jours décrit le «feuilleton tragi-comique de l’UMP en GIFS animés».
Au même niveau que les affaires DSK et Mohamed Merah
Sur Lefigaro.fr, le live consacré aux rebondissements de la crise de l’UMP fait, en moyenne, 300.000 visites par jour. «C’est moins que le live pour l’élection présidentielle mais plus que celui pour la keynote Apple», évalue Thomas Doduik, éditeur au Figaro.fr. Le soir-même du vote, les contenus sur l’UMP ont même eu plus de succès que la rupture annoncée entre la journaliste Audrey Pulvar et du ministre Arnaud de Montebourg, ou l’agression des membres du mouvement féministe Femen en marge d’une manifestation contre le mariage homosexuel à Paris.
«Nous avons senti un réflexe “que dit Le Figaro sur l’UMP?”», poursuit Thomas Doduik. «Entre la semaine du 12 novembre et celle du 19 novembre, la rubrique politique (où sont tagués les sujets sur l’UMP, ndlr) a fait un bond de +126%». Le Figaro qui dézingue l’UMP, c’est rare, en effet, et cela suscite d’autant plus d’interêt. L’édito du directeur de la rédaction Alexis Brézet, “à rire et à pleurer”, qui crie à la “honte” et au “gâchis pour la droite”, a été mis exceptionnellement en libre accès quand, d’ordinaire, les éditoriaux du Figaro sont réservés à la zone payante.
Les ingrédients de la recette
Mais il n’y a pas que l’avis du Figaro qui explique l’appétence de l’audience pour ce sujet. Parmi les ingrédients-clés de la recette, citons:
Pour la plupart des rédactions en ligne, la crise de l’UMP se situe au même niveau que les affaires DSK ou Mohamed Merah. C’est-à-dire sur le podium des sujets très “clikables”, comme on dit dans le jargon. Autres indices relevés sur Le Figaro: l’UMP réalise de très bons scores aussi sur l’application iPhone (dans le top 5 des sujets les plus vus depuis le lancement de l’application) et sur l’iPad (LE sujet le plus vu).
La difficulté éditoriale sur un tel sujet? Suivre le rythme sans être suiviste. En clair, ne pas se contenter de retranscrire l’échange de piques entre Jean-François Copé et François Fillon. Pour Aude Baron, «ce qui marche sur notre site, ce sont les avis tranchés, les vrais points de vue, ou bien les articles très pédagogiques» comme l’analyse des types de recours judiciaires auxquels peut aspirer François Fillon. Il y a ainsi une vraie prime aux articles très anglés et qui s’éloignent parfois de la politique. «Si on écrit un article juste pour dire que c’est le bazar à l’UMP, merci bien, mais pas la peine, l’audience avait compris!».
Suivez-vous toujours la crise UMP en ligne? Ou en avez-vous assez?
Alice Antheaume
lire le billetAu rayon journalistico-numérique, les paris sont ouverts sur les mutations qui vont marquer l’année à venir. Sur quoi miser?
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En France, le nombre de pure players – ces sites qui existent sans support imprimé – par habitant est plus élevé qu’ailleurs. C’est même une «exception française» dans le paysage médiatique européen. Depuis le début de l’année 2011 sont en effet apparus Atlantico, Le Plus, Newsring, Quoi.info, et bientôt, le Huffington Post français… Un rythme soutenu d’initiatives en ligne que précipite l’orée de la campagne présidentielle – mieux vaut se lancer dans une période d’actualité intense.
«Ce dynamisme français se voit sur trois niveaux», m’explique Nicola Bruno, journaliste qui co-rédige actuellement un travail de recherche sur les pure-players en France, Allemagne et Italie qui sera publié l’année prochaine par le Reuters Institute for the Study of Journalism. «Par 1. le nombre de pure-players en activité en France (j’en ai compté plus de 12 issus d’initiatives indépendantes), 2. leur maturité (la France est le pays où sont nés les premiers pure-players en Europe avec Agoravox dès 2005, puis Rue89, Médiapart et Slate.fr) 3. leur diversité, tant dans les choix éditoriaux (journalisme de données, journalisme d’investigation, marché de niche, site communautaire, etc.) que leurs modèles économiques (abonnements, gratuit, etc.)».
Trop d’acteurs sur un trop petit marché? Pour Julien Jacob, président de Newsring, «il va y avoir des morts». Selon Nicola Bruno, «il n’y a pas de réponse définitive à cette question. Actuellement, aucun pure-player en Europe ne semble en mesure d’atteindre un seuil de profitabilité, comme c’est le cas aux Etats-Unis avec le Huffington Post et Politico. Et ce, pour une raison simple: ni la France ni aucun autre pays européen n’a une audience aussi grande que les Etats-Unis. Pas plus qu’un marché publicitaire mature capable de soutenir des projets uniquement sur le Web.»
Peine perdue, alors? Pas tout à fait, reprend Nicola Bruno, «l’histoire a montré qu’être profitable n’est pas toujours le but de ces projets journalistiques». L’histoire a aussi montré que les petits se font parfois racheter par des plus gros, comme le Huffington Post par AOL, le Daily Beast par Newsweek, et… Rue 89 par Le Nouvel Observateur.
Quel contenu lit-on tout de suite? Lequel poste-t-on sur Twitter? Lequel partage-t-on sur Facebook? Lequel glisse-t-on dans ses favoris? Et lequel sauvegarde-t-on pour le lire plus tard via des outils comme Instapaper ou Read It Later? Les utilisateurs, devenus des algorithmes humains, passent leur temps à trier les contenus et les ranger dans des cases. Selon quels critères? Difficile à dire.
Lit-on «plus tard» des contenus longs, comme le suppose cette présentation? Pas forcément. Selon le classement établi par Read It Later et mentionné dans la Monday Note de Frédéric Filloux, la majorité des articles sauvegardés – éditos ou des contenus liés aux nouvelles technologies avant tout – font moins de 500 mots (environ 2.700 signes). «Preuve est faite que les gens trouvent ces outils utiles indépendamment de la longueur de l’article», reprend le Nieman Lab. Un usage qui peut changer la façon dont les journalistes produisent des informations, dans la mesure où un même article peut avoir deux vies. La première pour «consommer tout de suite», en temps réel. Et la seconde pour «déguster plus tard», lorsque le lecteur le peut.
«Vous pouvez parler A votre téléphone plutôt que de parler DANS votre téléphone», a lancé Nikesh Arora, de Google, au Monaco Media Forum. Et pour Pete Cashmore, de Mashable, le contrôle des contenus par la voix devrait devenir incontournable en 2012.
C’est déjà le cas avec l’application Dragon Dictation, qui permet de dicter des SMS à votre portable, ou de prononcer un mot-clé dont votre téléphone comprend qu’il faut en tirer une requête sur Google. Siri, sur l’iPhone 4S, c’est aussi une sorte d’assistant qui obéit à vos ordres passés à l’oral. La suite? La voix humaine devrait bientôt servir de télécommande, sur la télévision d’Apple notamment.
Les téléphones portables sont la nouvelle malbouffe des ados, a titré le New York Times sur son blog consacré aux technologies. Aux Etats-Unis, ceux-ci passent de moins en moins de temps à parler au téléphone (en moyenne 572 minutes de voix par mois contre 685 minutes l’année précédente), et de plus en plus à envoyer des messages, SMS et MMS (les Américains de 13-17 ans reçoivent et envoient chaque mois 3.417 messages, environ 7 messages par heure en journée).
Même tendance en France, selon une étude du Pew Research, qui donne à voir les usages des utilisateurs de téléphone pays par pays. Vu la situation – encombrée sur le Web, et très prometteuse sur les téléphones – pour les éditeurs d’information, autant calibrer les contenus pour une consommation sur mobile.
Le volume de données digitales dans le monde devrait atteindre, en 2012, 2.7 zettabits. Pour ceux qui ne s’y repèrent pas entre les bits, les terabits, et les zettabits donc, c’est beaucoup, à en voir les ordres de grandeur ici.
La France n’est pas en reste dans la production de cette masse de données, avec le lancement par le gouvernement, début décembre 2011, du site de données publiques data.gouv.fr. Y figurent des tonnes d’informations chiffrées dont la lecture est indigeste, pour ne pas dire incompréhensible, pour le commun des mortels. Or le travail du journaliste de données, c’est de donner du sens à ces chiffres en les sortant de leur fichier Excel pour que «l’information vous saute aux yeux», comme écrit dans un précédent WIP. Tous les sujets journalistiques ne se racontent pas en chiffres, mais pour, par exemple, le budget de l’Etat en 2012 et la répartition des ressources en fonction des postes budgétaires, c’est efficace. La preuve, voici la «tête» du fichier téléchargé depuis data.gouv.fr.
Et voilà la visualisation de ce budget réalisée par Elsa Fayner, sur son blog intitulé «Et voilà le travail».
Mort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.
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Election présidentielle oblige, la plupart des rédactions françaises se mettent en ordre de bataille pour faire du «fact checking» en quasi temps réel, cette technique journalistique anglo-saxonne qui permet de jauger la crédibilité de la parole politique. L’un des modèles du genre, le site américain Politifact.com, qui a mis en place un outil appelé «truth-o-meter» (le véritomètre), et a été récompensé dès 2009 par le prix Pulitzer, le graal journalistique.
>> Lire ou relire ce WIP sur le fact checking >>
C’est le site journalism.co.uk qui le prédit dans sa liste des 10 choses qu’un journaliste devrait savoir en 2012: après la fermeture de News of the World et le scandale des écoutes illégales en Angleterre, l’heure serait à l’honnêteté intellectuelle. «Les journalistes doivent être certains que la fin justifie les moyens (légaux)», peut-on lire. «Ils doivent être plus transparents sur les sources, à condition que celles-ci ne soient pas compromises. Si un article naît d’un communiqué de presse, il faut le dire».
>> Lire ou relire ce WIP sur l’utilisation de sources anonymes >>
Et aussi:
Et vous, sur quoi misez-vous pour 2012? En attendant, bonnes fêtes à tous!
Alice Antheaume
lire le billet