Petit mobile deviendra grand

C’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.

Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.

  • 1. Les temps de consultation

Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.

  • 2. Les alertes

Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.

D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.

Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.

  • 3. Les interactions avec l’audience

“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.

Crédit: Monaco Mediax

Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.

  • 4. L’économie du mobile

Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.

Crédit: Monaco Mediax

  • 5. Trop d’applications tuent-elles l’application?

A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.

  • 6. Interface

“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.

Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.

  • 7. A quand une rédaction mobile?

Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.

Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”

(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.

Alice Antheaume

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2012: Etat des lieux des médias américains

Le futur du journalisme passera par les mastodontes de la technologie. C’est l’une des conclusions que tire le rapport annuel du Pew Project for Excellence in Journalism, The State of the News Media 2012.

Session de rattrapage pour ceux qui n’auraient pas encore eu le temps de parcourir cet état des lieux sur les médias aux Etats-Unis.

Crédit: stateofthemedia.org

1. Relations unilatérales entre éditeurs et entreprises de nouvelles technologies

Ceux qui mènent la danse s’appellent Amazon, Apple, Facebook et Google. Les rédactions, elles, cavalent derrière pour suivre le rythme.

Pour attirer de l’audience et pour diffuser des contenus, les médias (se) sont soumis aux règles des géants de la technologie. Une dépendance déjà annoncée dans le rapport de l’année dernière.

En 2012, la tendance se confirme. Certes, le Financial Times et le Boston Globe ont créé des applications en HTML 5 pour pouvoir les changer à leur guise sans devoir soumettre les mises à jour à la validation d’Apple. Mais ce type d’émancipation reste limité, estiment les auteurs du rapport, Amy Mitchell et Tom Rosenstiel.

Alors que Apple, Google, Amazon et Facebook tentent d’accompagner chaque seconde de nos vies numériques (terminaux, moteurs de recherche, navigateurs, réseaux sociaux, messageries, plates-formes de jeu et de commerce en ligne), vont-ils finir par s’offrir des médias? Possible, mais à condition qu’ils y “trouvent un intérêt”, reprennent les auteurs. Et qu’ils considèrent que ces médias puissent constituer l’un des ingrédients du “tout numérique” qu’ils entendent proposer aux utilisateurs…

2. La montée du mobile et une lecture plus “immersive”

“Plus de 4 adultes américains sur 10 possèdent aujourd’hui un smartphone, et 1 sur 5 une tablette. Les nouvelles voitures que l’on fabrique intègrent de l’Internet à bord.” En tout, plus d’un quart de la population américaine, soit 27%, s’informe maintenant via mobile.

Et c’est une bonne nouvelle pour les médias. Car la consommation d’informations en mobilité s’ajoute à celle via des supports plus “traditionnels”. “8 Américains sur 10 consomment des informations depuis leur mobile et s’informent aussi sur leurs ordinateurs”, en se tournant davantage vers des marques de presse historiques et en témoignant d’une immersion plus intense, précise le rapport.

Conséquence: l’émergence de nouveaux usages avec une lecture de l’information qui permet de faire une pause, de lire en différé, de surligner des idées importantes sur l’actualité. D’où la demande pour de longs formats journalistiques, ce que les intervenants du festival South by South West, à Austin, avaient aussi martelé.

Enfin – et c’est un phénomène nouveau – la montée du mobile a fait venir au numérique – et au journalisme numérique – une catégorie de la population américaine, plutôt rurale, qui avait raté l’étape de l’ordinateur.

3. L’impact relatif des réseaux sociaux sur la consommation d’infos

La population américaine, de plus en plus présente sur les réseaux sociaux (133 millions d’Américains sont inscrits sur Facebook, 25 millions sur Twitter), y passe en moyenne 7 heures par mois. Pourtant, cela n’a pas (“encore”, tempère le rapport) l’effet escompté sur l’apport d’audience pour les médias.

En effet, moins de 10% de internautes lisent “très souvent” des informations repérées grâce à la recommandation sociale de leur communauté sur Facebook ou Twitter, quand 36% vont “très souvent” consulter les actualités directement sur une application ou un site Web, 32% passent par une recherche avant de tomber sur une information et 29% se tournent vers des agrégateurs de contenus.

Pour Amy Mitchell et Tom Rosenstiel, ce n’est qu’une question de temps, les réseaux sociaux étant appelés à générer de plus en plus de trafic sur les éditeurs de contenus.

4. Le “modèle” de l’abonnement en ligne

Et si, d’ici 5 ans, les journaux n’imprimaient plus qu’un ou deux exemplaires par semaine, l’un porté à domicile le dimanche, et le deuxième un autre jour de la semaine, plutôt propice aux revenus publicitaires sur l’imprimé? Ce scénario n’est pas si fictif, écrit ce rapport, au vu de la crise continuelle subie par les journaux imprimés.

Engluées dans la crise de la presse imprimée, un très grand nombre de publications pourraient ainsi se tourner vers le modèle par abonnement en ligne, sans doute influencées par le système payant du New York Times qui a récolté quelques 390.000 abonnés.

“Les journaux ont perdu tellement de leurs revenus publicitaires – plus de la moitié de leurs revenus depuis 2006, que, sans perfusion de revenus par abonnement en ligne, certains ne pourront pas survivre.”

5. Le retour de la télévision?

Même si la plus forte croissance se fait avant tout sur les sites d’informations, l’audience sur les chaînes de télévision qui font de l’information aurait augmenté de 4.5% en un an. Une “première depuis 10 ans” aux Etats-Unis, salue le rapport. Inattendue, cette percée profite à CNN, MSNBC, au détriment de Fox News, qui décline.

Difficile de savoir à quoi cette croissance est vraiment due. Est-ce la résultante de la Social TV, qui peut pousser à regarder des programmes télévisuels très commentés sur les réseaux sociaux? Ou le fait d’une riche actualité, faite des révolutions arabes notamment? Selon le rapport, “cette croissance peut être de courte durée et fonction d’actualités très visuelles plutôt qu’à un vrai changement d’habitudes”.

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Campagne présidentielle en cours de numérisation

Crédit: Flickr/CC/Marc Lagneau

Une élection politique peut-elle se gagner sur les réseaux sociaux? La question fait l’objet d’une étude aux Etats-Unis, et suscite, en France, beaucoup d’interrogations à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, ce dimanche 22 avril.

Et pour cause, les Français sont désormais connectés. 75% des Français sont des internautes, et 25 millions sont inscrits sur Facebook sur une population globale de 66 millions, dont 43 millions sont électeurs.

Problème: personne ne sait encore comment transformer un “like” sur Facebook en vote dans l’urne, a déclaré Fleur Pellerin, la responsable de l’économie numérique pour François Hollande, lors d’une conférence organisée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1).

>> Ce WIP a été publié en anglais sur CNN, lisez-le ici >>

Pourtant, cette campagne 2012 marque un tournant dans l’histoire politique française. Car c’est la première fois que les candidats – de Nicolas Sarkozy (UMP) à François Hollande (PS), en passant par Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche), Marine Le Pen (Front national) et Eva Joly (Europe Ecologie Les Verts) – ont intégré le Web et les réseaux sociaux à leur stratégie de campagne.

Des stratégies de campagne en ligne

Nicolas Sarkozy, le président sortant, mise sur Facebook, le réseau social le plus “populaire” en France, et a sorti en février une timeline remarquée pour conter, façon storytelling politique, sa stature de chef de l’Etat. Ses équipes de campagne ont aussi lancé une application sur smartphone reposant sur de l’open data pour proposer aux électeurs de découvrir le bilan du mandat de Nicolas Sarkozy, département par département.

Quant à François Hollande, favori des sondages, il possède le compte politique le plus suivi sur Twitter (224.000 abonnés au moment de rédiger cet article, 157.000 pour Nicolas Sarkozy).

L’humour en politique existe… sur le Web

Autre nouveauté de cette campagne: la production de Web séries et de sites, parfois drôles, pour tacler l’adversaire. C’est le cas du “kikadiquoi”, une série vidéo satirique réalisée par l’UMP qui tourne en dérision les mots de François Hollande et des socialistes. En guise de riposte, le PS a lancé un site, le Sarkolol, qui se présente comme le jeu Memory, pour rappeler, à chaque carte, les “affaires” de Nicolas Sarkozy.


Si ces candidats et leurs équipes de campagne se démènent pour être présents en ligne, c’est pour 1. y être visibles 2. mobiliser des sympathisants 3. court-circuiter les médias traditionnels.

Chacun devient un média à part entière”, a dit Nicolas Sarkozy lors de ses voeux à la presse, le 1er février 2012. Façon de dire que chaque politique est désormais, à l’ère numérique, un média qui peut diffuser sur les réseaux sociaux un message sans passer par le filtre des rédactions. Et d’ajouter: “L’année 2012 verront les réseaux sociaux s’emparer de la sphère médiatique, c’est une modification profonde des relations entre les médias, la politique et le citoyen”.

Le numérique et la télévision

Modification profonde, oui, mais encore en cours. La majorité des Français (74%) s’informent sur l’élection présidentielle d’abord via la télévision, tandis qu’Internet constitue la 2e source d’information pour 40% d’entre eux, selon une enquête réalisée par l’Institut CSA pour Orange et Terrafemina.

Alors que la “Social TV” s’installe dans les usages, télévision et réseaux sociaux sont désormais complémentaires. Depuis la primaire socialiste, les émissions politiques à la télévision font l’objet de commentaires en très grand nombre sur Twitter, les téléspectateurs étant réunis sur un canapé virtuel géant pour disséquer les propos des politiques. La télévision diffuse les paroles des candidats, les réseaux sociaux hébergent les conversations autour de ces paroles de candidats. Et c’est là, sur les réseaux sociaux, qu’est jugée la crédibilité des candidats. Car leurs promesses et leurs chiffres sont “fact checkées” en live par des journalistes et des experts, faisant office de sous-titres éclairés lorsque les politiques déroulent leur discours.

Pour quel impact? Les candidats, se sachant scrutés, font davantage attention à ce qu’ils disent. “Mes propositions ont été commentées, chiffrées et diffusées par vous”, a confirmé François Hollande, lors de son meeting à Vincennes, le 15 avril 2012.

Mais rien ne permet de dire que les réseaux sociaux feraient changer d’avis les électeurs. Ceux-ci peuvent assister ou se livrer à des batailles d’arguments, mais restent le plus souvent confortés dans leur adoration ou leur détestation d’un candidat, dans une Webosphère où les militants sont avant tout à gauche, un peu à l’extrême droite, et moins nombreux à droite.

Le nom du prochain président sera d’abord écrit sur les réseaux sociaux

La réponse à la question initiale de cet article, “Une élection politique peut-elle se gagner sur les réseaux sociaux?”, est sans doute non en 2012, du moins en France. Mais la question “les réseaux sociaux peuvent-ils prédire le nom du prochain président de la République française?” appelle une réponse positive. Car la loi interdit aux médias de l’hexagone de donner les premières estimations de résultats avant 20h, heure à laquelle les derniers bureaux de vote des grandes villes ferment le jour du scrutin.

Sauf que, sur le Web, sur les réseaux sociaux, sur les médias non français mais francophones – et accessibles en un clic, donc, ces estimations vont fuiter dès 18h30, heure à laquelle les plus informés obtiennent les premières simulations issues des 100 premiers bulletins dépouillés dans des bureaux de vote ayant fermé à 18h. Loi oblige, les médias français vont donc s’empêcher de parler avant 20h du nom du prochain président de la République, alors que celui-ci sera déjà écrit depuis plus d’une heure sur les réseaux sociaux.

Alice Antheaume

(1) Conférence sur les enjeux de la campagne numérique, le 22 mars dernier, avec Fleur Pellerin, Nicolas Princen, responsable de la campagne Web et du programme numérique pour Nicolas Sarkozy, et Thierry Vedel, chercheur au CEVIPOF – conférence que j’ai animée.

(2) Enquête réalisée en ligne auprès de 1006 personnes âgées de 18 ans ou plus du 27 au 29 mars 2012.

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Les articles les plus partagés sur Facebook aux Etats-Unis

Avant l’arrivée du nouveau Facebook, la question était déjà sur toutes les lèvres des éditeurs: quels sont les critères d’un contenu facebookable?

A voir la liste des 40 articles les plus partagés au cours de l’année 2011 aux Etats-Unis, liste publiée sur le compte Facebook and Media, Yahoo! est le mieux placé en termes de taux de partage de ses contenus sur le réseau social, avec 11 articles parmi les 40 les plus partagés sur l’ensemble de l’année, suivi de CNN (10 articles sur 40) puis, ex-aequo, le New York Times et le Huffington Post avec 7 articles.

“La gamme des histoires va du mignon au cérébral et représente le type d’informations que les gens ont partagé et découvert entre amis en 2011”, écrivent les équipes de Facebook.

Voici le podium:

1. Photos par satellite du Japon, avant et après le passage du tremblement de terre et le tsunami (New York Times)

2. Ce que les profs voudraient vraiment dire aux parents d’élèves (CNN)

3. Non, votre signe astrologique n’a pas changé (CNN)

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Les médias à l’école DSK

Crédit: REUTERS/Allison Joyce

Il y a aura, dans les médias, un avant et un après Dominique Strauss-Kahn, accusé de «crime sexuel», de «tentative de viol» et de «séquestration» contre une femme de chambre de l’hôtel Sofitel à New York. Envergure planétaire, pics d’audience inégalés, questions juridiques inédites, et frontières du genre repoussées. Cet événement pousse les rédactions françaises à redéfinir les limites de leur exercice. Retour sur les éléments médiatiques clés nés par et autour de ce scandale.

  • Premier scoop français sur une affaire «internationale»

Ce n’est pas une première dans l’histoire médiatique de Twitter, dont les premiers «breaking news» sont apparus aux Etats-Unis dès 2007, lors de la fusillade à l’université Virginia Tech, en Floride (1), mais pour la France, cela devrait rester dans les annales. En effet, c’est sur le réseau aux messages de 140 signes qu’apparaît la première mention de la future affaire DSK.

Ainsi, le samedi 14 mai à 22h59, heure de New York, un étudiant français, Jonathan Pinet, poste le tweet suivant:

Il est le premier à annoncer ce qui va être devenir un scoop, bien avant les agences de presse et autres rédactions. «Ce n’est pas mon tweet qui a déclenché l’emballement de Twitter autour de cette information, explique-t-il après coup sur son blog, mais bien l’article du New York Post à 0h33», toujours heure new-yorkaise. Un article qui n’est plus dans les archives.

  • Premiers signes de dépendance à Twitter

Lundi 16 mai 2011: l’ex-patron du FMI passe devant la juge américaine Melissa Jackson, qui lui refuse la liberté conditionnelle dans l’immédiat – elle lui sera accordée à l’audience du 20 mai, après quatre nuits de prison. Lors de ces audiences préliminaires, les rédactions françaises – télé, radio, Web – utilisent Twitter pour réaliser leur couverture en direct, en se servant des tweets envoyés par les journalistes – Français et étrangers – présents dans la salle d’audience.

«L’affaire DSK propulse Twitter au premier plan», annonce Le Figaro. «Twitter et ses “gazouillis” s’imposent dans les salles de rédaction», titre l’AFP.

Mais comment faire autrement? Comment relayer, en temps réel, ce huis clos partiel tel que celui du tribunal pénal de Manhattan, où seuls quelques journalistes peuvent pénétrer? Ceux-ci n’ont le droit ni de téléphoner ni de filmer pendant l’audience, mais peuvent envoyer SMS ou messages sur les réseaux sociaux. Depuis Paris, ceux qui animent des émissions, radio ou télé, en direct, ou des «lives» sur les sites d’infos, suivent donc chaque tweet, même lorsque ce tweet est écrit par un confrère d’une rédaction concurrente, abolissant ainsi des frontières longtemps en vigueur. «Heureusement qu’on a Twitter», confie cette journaliste d’iTélé, au moment de l’audience du 20 mai.

  • Première interdiction de tweeter

Quatre jours après l’arrestation de DSK, on apprend que la chaîne Canal+ interdit à ses journalistes de tweeter. Première fois, il me semble, qu’un média français prend une position «officielle» à propos de ce que ses journalistes publient ou pas sur Twitter. Conséquence: Laurence Haïm, correspondante à la Maison Blanche pour la chaîne cryptée, présente aux audiences de DSK au tribunal pénal de Manhattan, «réserve “ses” informations à (sa) rédaction» plutôt qu’au réseau social, explique Rodolphe Belmer, le patron de Canal+, pour qui «les journalistes professionnels doivent leurs infos à leur public» et «les grands médias ont tout intérêt à assurer les règles de contrôle de l’information (sans) (…) reprendre à son compte des tweets sensationnalistes quand ils ne sont pas erronés».

Laurence Haïm ne raconte donc pas en live, sur Twitter, comme son confrère Remi Sulmont de RTL, ce qu’elle entend et voit dans la salle d’audience, mais elle l’envoie par SMS aux journalistes d’iTélé (même groupe que Canal+) qui sont, au même moment à Paris, en direct en plateau. Et réalise ensuite des duplex, par exemple pour le Grand Journal de Michel Denisot.

Aux Etats-Unis et en Angleterre, déterminer via une charte rédactionnelle quel journaliste tweete et sur quel sujet est très répandu. En France, ces chartes existent mais elles évoquent avant tout la déontologie, les droits et les devoirs du journaliste, sans s’attaquer de façon frontale aux questions soulevées par l’utilisation journalistique de Twitter – sauf l’AFP qui s’est dotée en 2011 d’une charte ad hoc, focalisée pour l’instant sur la vérification des informations repérées sur les réseaux sociaux.

  • Décalage télévisuel

Dans le flux de messages postés sur Twitter et retweetés des dizaines de fois, il y a des infos et des rumeurs, du vrai et du faux. Les contraintes du direct imposent aux journalistes de les trier en quasi temps réel, afin de les commenter.

Or, lors des premières audiences de DSK au tribunal, les journalistes français ont peiné à suivre le fil Twitter tout en en parlant à l’antenne, laissant souvent passer de longues minutes entre l’apparition d’un tweet, visible par n’importe quel internaute, et son évocation en plateau. A l’heure où commenter sur Twitter ce que l’on voit à la télévision devient tendance, ce décalage peut-il être assumé? D’un côté, il peut être rassurant, si l’on estime que cet écart temporel permet à l’information vue sur Twitter d’être vérifiée avant d’être annoncée à la télévision. D’un autre, il met les journalistes dans une situation de réceptacle de l’information, en même temps qu’un internaute lambda. Quel est l’apport journalistique dans ce cas?

De fait, il y a un deuxième problème, relevé par Benjamin Ferran dans son excellent article sur le sujet: l’interprétation, sur les télévisions françaises, parfois hasardeuse de tweets qui n’ont pas toujours vocation à être relayés. «Certains “tweets” rapportés n’avaient plus grand-chose à voir avec de l’information, écrit-il. “Le juge est en train de réfléchir, semble-t-il, si j’en crois ce que je lis sur Twitter”, a lâché un journaliste de BFM TV. “Il n’y a pas de tweet, on est dans un moment de flottement. Là c’est un peu la spéculation parce que je ne sais pas ce qui a pu se passer”, a-t-on pu entendre sur iTélé.»

A CNN, «la chaîne du live» par excellence, les animateurs de la matinale sont branchés en permanence sur le réseau social aux 140 signes. Même lorsqu’ils présentent les informations. Face à la caméra, ils pianotent sur le clavier d’un ordinateur portable disposé devant eux, consultent des tweets, et y répondent.

  • Questions autour de la diffusion d’images filmées dans un tribunal

En France, il est interdit – sauf autorisation spéciale comme pour le documentaire de Raymond Depardon sur la 10e chambre, ou certains grands procès «historiques» – de filmer les audiences en vertu de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui stipule que, «dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit».

Mais aux Etats-Unis, c’est permis – avec 15 minutes de différé. Les juges américains n’autorisent souvent qu’une seule caméra dans la salle d’audience, mais ils l’autorisent. Dans ce cas, les médias intéressés par ces images se constituent alors en «pool» et désignent la chaîne qui fera office de «pool caméra» pour l’événement, c’est-à-dire qu’elle filmera pour le compte de tous les autres les images, et les redistribuera à tous ceux qui les ont demandées. C’est ce qu’il s’est passé lors de l’audience du 6 juin, lorsque DSK a plaidé «non coupable». Et cette fois, c’était CNN qui filmait.

Que faire, quand on est une télévision française bardée de l’interdiction de filmer les procès, et que l’on voit les images filmées par CNN débarquer sur les sites d’infos français, sur les réseaux sociaux, bref, n’importe où sur le Web en un clic? Se mettre des oeillères pour respecter la loi? Ou prendre le risque de les diffuser, au nom du «droit» d’informer? «Il est impossible de cacher des images librement diffusées sur les télévisions du monde entier, a expliqué au Figaro Guillaume Dubois, directeur de l’information de BFM TV. À l’heure de l’audiovisuel planétaire, la notion de frontières médiatiques n’a plus de sens.»

Pour l’instant, cet article de loi n’a été modifié que pour faire apparaître le montant de l’amende en euros plutôt qu’en francs. Mais il y des autorisations spéciales qui se demandent, et s’obtiennent, comme cela vient d’être le cas pour le procès en appel d’AZF.

  • Première plainte pour diffamation contre un tweet français

Le 1er juin, Lepoint.fr annonce que Ramzi Khiroun, ex-conseiller de DSK, va déposer plusieurs plaintes pour diffamation, dont l’une contre Arnaud Dassier, actionnaire du site Atlantico, «en raison d’un message publié sur le réseau Twitter le 14 mai» sur les activités de Khiroun.

Aux Etats-Unis, des plaintes nées d’un tweet, il y en a déjà eu. Pour la chanteuse Courtney Love, qui a insulté une styliste sur Twitter, l’affaire s’est soldée par le versement de 430.000 dollars (300.550 euros), un accord trouvé afin d’éviter le procès.

Qu’avez-vous retenu, médiatiquement parlant, de l’affaire DSK?
Et… N’oubliez pas de liker cet article, merci!

Alice Antheaume

(1) Au palmarès de Twitter, prem’s sur son rôle d’alerte, on se souvient aussi d’un autre scoop historique, fait en 140 signes, en janvier 2009, lors de l’amerrissage miracle d’un avion sur l’Hudson, à New York. Le premier à évoquer l’accident est un citoyen américain, qui s’appelle Janis Krums. Présent à bord d’un ferry juste à côté de l’endroit où vient d’échouer l’avion, il publie aussitôt sur Twitter une photo de la scène en la qualifiant de «crazy». Première photo disponible sur cet événement, celle-ci est immédiatement reprise dans les médias du monde entier.

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Google, Facebook, Twitter, Yahoo!… Leçons d’innovation aux médias

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Ils bâtissent la Google TV, l’Apple TV, l’algorithme de Google News, le tri intelligent des courriers sur Gmail, le newsfeed et les pages profil de Facebook. Au royaume de la Silicon Valley, là où siègent les mastodontes du Web, les rois sont les… développeurs, ces experts en langage informatique qui «mangent du code» et sont au cœur des Google, Yahoo!, Twitter et Facebook.

Leur rêve: travailler pour l’entreprise la plus innovante au monde. D’après un classement mené en 2010 par l’institut Universum auprès de 130.000 étudiants, Google et Apple figurent toutes deux en bonne place parmi les entreprises considérées comme les plus attractives de la planète.

Du point de vue des développeurs, le critère d’attractivité d’une entreprise se résume à un qualificatif: celle-ci doit être «hot». Un terme qui désigne une technologie récente ET susceptible de révolutionner la vie (pas qu’en ligne) des utilisateurs. Fascinant, surtout pour les journalistes qui travaillent eux-mêmes sur des supports numériques, produisant des informations, et dont on attend de plus en plus qu’ils imaginent de nouveaux formats. Donc qu’ils soient capables d’inventer, façon ingénieur. Encore faut-il en avoir la tournure d’esprit. Un état d’esprit qui, en réalité, est «organisée» par… l’employeur.

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En effet, entre start-up et développeurs, il ne s’agit pas seulement d’une relation employeur/employé. Il s’agit d’un engagement total — presque frénétique — entre les deux parties. Avec des rêves d’absolu et de grandeur partagés, et un esprit commando savamment entretenu. Et ces compagnies ne s’en cachent pas: «Google attire les talents parce que, entre autres, nous donnons la possibilité à nos employés de changer le monde». «Entre autres», oui.

Pour s’arracher les meilleurs, très demandés, les sociétés de la «Valley» alignent les arguments et ont placé la culture geek — celle des développeurs donc — au cœur de leur organisation.

L’autre partie du succès tient à la méthode de travail: le cerveau des développeurs est sollicité en permanence, aux toilettes, pendant les repas ou les matchs de foot, dans un exercice permanent de cogitation. L’inverse des entreprises de presse qui convoquent de temps à autre une réunion spéciale nouvelle formule/ nouveau format/graphisme.

Or l’innovation ne se décrète pas pendant une réunion, elle se construit comme dans un laboratoire, chaque jour de l’année – coïncidence ou pas, l’un des bâtiments de Facebook est d’ailleurs un ancien labo de chimie dans lequel ils se sont installés quasiment sans rien y changer. «Les décisions se prennent dans les couloirs, dans les toilettes, raconte dans son livre «Inside Facebook» Karel M. Baloun, ingénieur du réseau social en 2005 et 2006. Pas besoin d’attendre que soit programmée une réunion pour que les choses se fassent».

Et si les médias s’en inspiraient? Pour comprendre comment s’entretient l’innovation permanente, voici quelques éléments de l’organisation des Facebook, Google, Twitter et Yahoo!, observés lors de mon voyage dans la Silicon Valley.

NB: L’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille, collabore avec Google.

1. Sans bureau fixe

Sur le «Googleplex», rares sont les quelques 8.000 «Googleurs» qui bénéficient d’un bureau individuel. Comme il y a du Wifi partout, les salariés travaillent sous les parasols, dans des canapés ou encore près du terrain de volley. «Nous avons pour priorité de leur fournir un environnement où ils sont récompensés pour leur contribution à la croissance de Google et à la création d’un monde meilleur», détaille la firme. Une liberté de mouvement, mais reliée à tout moment au réseau. Car les développeurs doivent produire, non des contenus comme des journalistes, mais du code. Et du code innovant, s’il vous plaît, pas un copié-collé de ce qui existe déjà. «Think outside the box», demande Google à ses développeurs. Une phrase qui n’est pas sans rappeler le slogan publicitaire d’Apple, en 1997, «Think different».

2. Le goût du challenge

«Ici, à Palo Alto, Moutain View et les environs, tous les hommes que tu vois prendre un café connectés à un ordinateur ont la même interrogation en tête, m’explique Adriano Farano, journaliste professionnel sélectionné pour effectuer une année de recherche à l’Université de Stanford. Quelle sera la prochaine start-up qui décollera?» Et donc, quel est «the place to be» pour ces ingénieurs, habitués à traquer les technologies révolutionnaires, sans quitter leur écran des yeux. Même s’ils ont déjà un boulot, «beaucoup ne cessent de collaborer, souvent bénévolement, avec des petites start-up en gestation, justement avec l’idée d’investir dans le(ur) futur», reprend Adriano Farano.

Les ingénieurs aiment ce qui donne leur fil à retordre, «ils veulent des gros problèmes à résoudre», ajoute Burt Herman, co-fondateur de Storify, après avoir été reporter pendant douze ans à Associated Press. En cela, la culture ingénieure est très différente de celle des journalistes, qui «aiment rendre les choses simples, alors que les développeurs préfèrent qu’on leur dise à quel point le sujet est complexe».

Résoudre un problème, c’est, chez Facebook, «finalement secondaire par rapport à l’idée que le processus de création ait été marrant et stimulant», détaille Karel M. Baloun. Il va même plus loin dans son livre et décrit, non sans humour, en cinq points le processus de création de gros projets comme Facebook photos:

1. Trouvez un ingénieur de génie qui renoncera à manger et dormir pendant deux mois
2. Donnez-lui une vision
3. Donnez-lui un graphiste pour que a/ il n’ait pas besoin de se demander quelle tête auront les pages et rester ainsi concentré sur leur fonction et b/ il sache immédiatement comment vont marcher ses pages
4. Déguerpissez. S’il vous parle, il pourrait commencer à avoir faim ou sommeil
5. Lorsqu’il a terminé, bénissez-le et dites lui que c’est exactement ce que vous vouliez.

3. L’expérience de l’échec

«Pourquoi l’innovation technologique a lieu dans la Sillicon Valley? Quel est le secret des ingénieurs qui travaillent dans la baie de San Francisco? J’ai passé un an, quand j’étudiais en tant que journaliste professionnel à l’Université de Stanford, à me poser ces questions», reprend Burt Herman. «Le vrai secret est de ne pas avoir peur de rater. Il faut se planter plein de fois avant de créer quelque chose de formidable, il faut avoir la liberté de réaliser des expériences avant de trouver une innovation qui puisse cartonner».

«En France, on est paralysé par la peur de l’échec, décrypte Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce, responsable de la communication de Google France. A Moutain View, le mot d’ordre est allez-y, prenez des risques et plantez-vous». Résultat: les loupés ne sont pas un drame. «Si on n’a pas de temps en temps un gros plantage, c’est qu’on ne prend pas assez de risques», argue Larry Page, le co-fondateur du moteur de recherche, cité ici. Google Wave? Oui, cela n’a pas marché. «On a arrêté, on ne s’interdit jamais d’abandonner certains produits», reprend Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. En attendant, «plus de 200 projets sont élaborés en même temps dans le pôle recherche de Google», mais combien resteront?

4. Des salaires en béton armé

Les développeurs qui travaillent dans la Silicon Valley gagnent plus qu’ailleurs, à poste équivalent. Ils sont payés en moyenne environ 90.000 dollars par an, soit plus de 63.000 euros (93.250 dollars annuels à San Diego, 86.000 dollars à Sacramento), selon les chiffres de la fondation TechAmerica. D’autant que c’est moins l’expérience que la compétence qui est recherchée. Nous sommes aux Etats-Unis, la jeunesse constitue un atout plus qu’un handicap. C’est aussi tout un management, m’explique Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. «Lorsque l’on est innovant dans le management, on est innovant dans le produit».

5. Du temps de cerveau disponible

Les développeurs de la Silicon Valley qui n’ont pas l’habitude de compter leurs heures travaillent dans l’urgence et la rapidité pour faire fonctionner les interfaces. Dans le film The Social Network, le premier développeur de Facebook est d’ailleurs recruté sur un test de vitesse. Vous parlez de pression? C’est ce qui galvanise les geeks, et par extension, les développeurs. Les ingénieurs de Google peuvent consacrer 1 jour sur 5 à des activités personnelles – c’est comme cela qu’est né Google News, car, même pour leur jour dévolu au «privé», les ingénieurs conçoivent des algorithmes.

Pour libérer la tête des salariés des contraintes logistiques du quotidien (manger, se laver, se déplacer), ces entreprises ont mis en place toute une panoplie de services. Chez Google, les salariés peuvent donc emmener leurs chiens (– mais pas leur chat!), déposer leur linge sale. En outre, des transports, réservés aux salariés de Yahoo!, ou Google, font la navette entre Palo Alto, Moutain View, Sunnyvale, San Francisco, Santa Cruz, Berkeley, pour aller chercher les employés de leur domicile au bureau, et vice versa. Lesquels n’ont, du coup, pas besoin de voiture. A bord de ces «shuttles» (navettes, en VF), des sièges confortables et du Wifi bien sûr, toujours dans l’optique d’être connecté en permanence (voir point 1).

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La culture geek consiste aussi à manger devant son écran, pas à aller déjeuner pendant deux heures attablé dans un restaurant. Sur le campus Google, à Mountain View, la règle est simple: un salarié ne doit jamais avoir plus de 50 mètres à parcourir pour trouver de la nourriture… gratuite. Anthony Moor, éditeur des informations locales pour Yahoo!, basé à Sunnyvale, en Californie, n’en revient toujours pas. Longtemps journaliste dans des entreprises de presse, il ne travaille chez Yahoo! que depuis un an. «Tout ce que vous voyez là, la cafétéria (baptisée «Eat at URL’s», ndlr), les baby-foot, les jeux, les chewing-gums à volonté, les repas préparés, tout cela est conçu pour les développeurs, pas pour les rédacteurs de Yahoo! Actualités».

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6. Des techniciens à votre service

Chez Google, dans les «tech stop», des informaticiens réparent les disques durs et autres fonctionnalités défectueuses des ordinateurs des salariés. Jusque-là, rien de très différent d’un help desk traditionnel. Sauf que ces «tech stop» sont ouverts 24h/24. Chez Facebook, à Palo Alto, où travaillent environ 2.000 personnes, deux espaces servent aussi de «tech stop», l’un pour le personnel administratif, et l’autre pour les développeurs. Avec la cafétéria, c’est là le vrai rendez-vous de socialisation. Les salariés se rendent eux-mêmes au «tech stop» et sont pris en charge en quelques minutes. Efficacité redoutable et productivité maximum. Un vrai service VIP, et encore une façon, pour les entreprises, de montrer à leurs développeurs qu’on les soigne, eux et leur outil de «travail».

7. Le culte de la marque

L’idée, c’est de personnaliser tout ce qui peut l’être à la gloire du vaisseau amiral. Les développeurs «mangent», au propre comme au figuré, du Yahoo!, du Facebook, du Google, toute la journée. Et cela passe par un environnement de travail identitaire.

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Chez Yahoo!, tout est violet. Au Googleplex, la salle de gym s’appelle G-fit. Le vigile à l’entrée porte un bonnet de laine aux couleurs de Google, les vélos le sont aussi. Chez Facebook, même les Kit Kat sont estampés «Facebook». Les salles de réunion y portent des noms comme «Star Wars Kids», ou «lol cats», références à la culture geek. Une idée de Mark Zuckerberg, le fondateur, qui, pour être lui-même un tapeur de code n’omet aucun détail pour rappeler à ses ingénieurs qu’ils sont ici chez eux, dans leur monde.

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Chez Twitter, chaque salle de réunion et projet est baptisé d’un nom d’oiseau (au sens propre) afin de rester dans l’ambiance de la société – «twitter» désigne un gazouillis, et un oiseau bleu sert de logo. Le projet s’appelle «pigeon»? Pas grave, cela fait rire les développeurs.

8. Le vendredi pour parler

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Pour Google, Facebook et Yahoo!, le vendredi n’est pas le jour du «friday wear» (tenue plus décontractée que les autres jours) mais du discours du patron. Un moment fort. Et qui émule les troupes. En effet, toutes les semaines, «Zuck», comme ses employés appellent Mark Zuckerberg, se livre à un question/réponse dans la cafétéria face à ses employés. Une recette sans doute inspirée de Google, qui, chaque vendredi, voit l’un de ses dirigeants faire une intervention devant les salariés de Mountain View. Nom de l’événement: «TGIF», l’acronyme de «Thanks Google it’s friday» pour «célébrer l’arrivée du week-end». De quoi alimenter l’ambiance commando.

Cette organisation, c’est la clé de la réussite pour innover. Et cela ne concerne pas que les entreprises de nouvelles technologies. Dans les médias aussi, seules les rédactions qui ont pu réunir les ingrédients de cette recette (vie en réseau, rupture technologique, dépendance à son entreprise, rêve commun d’influence) ont pu imaginer de nouveaux formats et/ou de nouveaux usages. A elles de se réinventer sur ces modèles.

Alice Antheaume

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Liens du jour #24

Impossible de gagner de l’argent en produisant de l’information? (Gawker)

.com, trois lettres et un signe de ponctuation qui ont changé le monde (blog Reuters)

Twitter commence à vendre ses services aux médias (AFP Mediawatch)

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Liens du jour #17

Pourquoi les médias ne digèrent pas les excuses de Tiger Woods? (NPR)

Le secret de la formule du National Enquirer, un tabloïd anglais qui concourt pour le prix Pulitzer (Guardian)

Et si la publicité électorale dans les médias était réformée? (Le Figaro)

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Liens du jour #4

Les réseaux sociaux = le lieu de l’obscurantisme? Ou comment les réseaux sociaux ne sont plus vraiment sociaux (Wired)

Comment nous sommes tous devenus des agrégateurs de contenus humains  (Bits blog du New York Times)

ça s’appelle Reboot, c’est le programme de la FCC américaine (Federal Communications Commission) pour penser le futur des médias à l’ère numérique (SFNblog.com)

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