Petit mobile deviendra grand

C’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.

Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.

  • 1. Les temps de consultation

Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.

  • 2. Les alertes

Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.

D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.

Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.

  • 3. Les interactions avec l’audience

“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.

Crédit: Monaco Mediax

Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.

  • 4. L’économie du mobile

Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.

Crédit: Monaco Mediax

  • 5. Trop d’applications tuent-elles l’application?

A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.

  • 6. Interface

“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.

Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.

  • 7. A quand une rédaction mobile?

Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.

Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”

(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.

Alice Antheaume

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La pop-up, le retour…

On croyait la pop-up condamnée à rester un format publicitaire de la fin des années 90 sur le Web. Voici qu’elle revient, en 2012, sur des sites d’informations tels que Rue89, lemonde.fr, Business Insider ou le New York Times. Et, cette fois, elle a des ambitions journalistiques.

«La pop-up, c’est le sparadrap du capitaine Haddock. On croit qu’elle a disparu, mais non!», s’amuse Julien Laroche-Joubert, rédacteur en chef adjoint au Monde.fr, qui a oeuvré à la refonte de la maquette du site, sortie en mars 2012, où figure désormais, en bas à droite de l’écran, une pop-up à contenus éditoriaux appelée en interne le «toaster».

De la pub à l’info

Si la pop-up s’offre une autre vie dans l’univers de l’information en ligne, c’est parce qu’elle a gagné ses galons dans l’univers de la messagerie instantanée. Sur Gtalk et sur Facebook, lorsque des utilisateurs conversent en temps réel, leurs échanges s’affichent par défaut dans… une fenêtre en bas et à droite de l’écran. Un usage installé par des années de pratiques et devenu un code de lecture, et même d’interaction.

«Personne n’aime les modes d’emploi», estime Julien Laroche-Joubert. L’intérêt de reprendre un code existant, c’est que «les gens comprennent tout de suite que la pop-up en question sera un lieu de dialogue avec la rédaction.»

De fait, en se connectant sur la page d’accueil du Monde.fr, ce dimanche 10 juin 2012, jour de premier tour des élections législatives, apparaît dans la pop-up la question d’un lecteur à la rédaction – question sélectionnée par celle-ci avant publication: «Avez-vous les résultats pour Mme Rosso Debord (membre de la cellule riposte pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et candidate UMP dans la 2e circonspection de Nancy, ndlr)?». La réponse tombe aussitôt, visible également dans la pop-up: «@Reno : Avec 33,57 % des voix, Valérie Rosso-Debord (UMP) arrive en seconde position derrière le socialiste Hervé Feron (39,51 %)».

La vitrine du «live»

En réalité, plus qu’un espace d’interaction, cette pop-up sert un autre objectif pour lemonde.fr: montrer les «lives», ces formats qui permettent de raconter en direct un événement via mots, photos, vidéos et interactions avec l’audience, que les éditeurs français ont multiplié depuis les révolutions arabes, puis Fukushima, et a fortiori pendant la campagne présidentielle.

Or la réalisation d’un live nécessite des ressources journalistiques lourdes, comme expliqué dans un précédent WIP, «tous scotchés au live». Dans ces conditions, mieux vaut le mettre en majesté. Ce qui passe, sur lemonde.fr, par l’affichage dès la page d’accueil d’un aperçu du live dans une fenêtre ad hoc. Y remonte – c’est programmé par défaut – le message le plus récent posté dans le live qui se déroule au moment où l’utilisateur se connecte. «S’il n’y a pas de live en cours, il n’y a pas de pop-up. Et s’il y a deux lives en même temps, cela devient compliqué», reprend Julien Laroche-Joubert.

Clics et allergies

Un choix qui ne fait pas que des heureux. Certains utilisateurs râlent, estimant que les lives «ne sont que du bruit, et qu’ils n’ont rien à faire sur la page d’accueil du Monde.fr», une page qui, aujourd’hui encore sur ce site, concentre l’essentiel du trafic. D’autres s’énervent contre cette fenêtre jugée intrusive: «Moi qui suis vos lives avec grand intérêt, cette petite fenêtre persistante m’agace au plus haut point pendant la lecture et le choix des articles», peste une lectrice. En effet, cette pop-up, en bonne héritière de son ancêtre publicitaire, peut au mieux se réduire, mais pas se fermer, même lorsque l’on clique sur la croix.

Malgré les doléances, 70% des lecteurs qui rentrent sur un live le font par la pop-up de la page d’accueil, annoncent les équipes du Monde.fr. Le chiffre est d’autant plus signifiant que cette «pop-up éditoriale» n’est visible que depuis un ordinateur. Elle n’apparaît ni sur mobile ni sur les réseaux sociaux, lesquels devraient bientôt être les meilleurs pourvoyeurs d’affluence sur les sites d’informations.

Questions d’ergonomie

Entre tentative d’innovation et résistance au changement, le curseur est difficile à placer pour les éditeurs. Surtout quand il s’agit de s’attaquer à l’ergonomie des sacro-saintes pages d’accueil, symboles de la hiérarchie journalistique choisie par une rédaction.

Au festival South by South West 2012, à Austin, les professionnels ont rendu un diagnostic pessimiste: selon eux, non seulement l’interface de la majorité des sites d’informations n’a pas évolué depuis presque vingt ans, mais en plus les conventions journalistiques (titre, chapeau, etc.) freinent la création de nouvelles expériences.

Quant à la pop-up journalistique, elle a le mérite de bousculer un peu la façon de «rentrer» dans des contenus, mais cela reste une surcouche, posée par dessus le «rubriquage» traditionnel des informations.

Et… autres lectures recommandées

D’autres éditeurs ont aussi recyclé, dans un but éditorial, le format de la pop-up. Sur les sites du New York Times et Rue89, celle-ci vise à recommander des compléments de lectures, et ce, uniquement dans les pages articles – pas sur les pages d’accueil. Lorsque le lecteur arrive à la fin d’un contenu, surgit ainsi une fenêtre, toujours en bas à droite de l’écran, pour «rebondir» sur d’autres contenus de la même thématique que celle qui vient d’être consultée.

Si par exemple je parviens à la chute de l’article «Comment les députés gèrent leurs frais de représentation» sur Rue89, la pop-up me préconise ceci:

 

Si je lis un article sur le New York Times concernant Mitt Romney, ou Barack Obama, on me suggère de poursuivre en cliquant sur un autre article de la rubrique politique:

Les éditeurs en conviennent volontiers: copier le voisin pour récupérer ce qui marche constitue une recette éprouvée. Et reprendre, dans un but journalistique, un format installé par les géants de la technologie encore plus…

Alice Antheaume

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Journalisme et Tumblr, le réseau qui monte qui monte

Crédit: DR

Finie l’adolescence pour Tumblr. Issu du verbe «tumble» – «faire tourner» en français -, ce mélange entre plate-forme de blogs et réseau social, créé il y a déjà 5 ans, en 2007, compte aujourd’hui 90 millions de visiteurs uniques mensuels dans le monde. L’audience de Tumblr a surtout flambé aux Etats-Unis, avec une «hausse de 218%!» en un an, s’exclame Comscore qui conclut «qu’il est grand temps de s’y intéresser».

Et ce, d’autant que Barack Obama a lui aussi lancé à l’automne son propre Tumblr pour la campagne présidentielle américaine de 2012, suivi de François Hollande, promettant de donner à voir les «coulisses de la Web-campagne» française – Martine Aubry était la première à avoir son Tumblr dès la primaire socialiste.

Cadence de publication intense et public ultra-jeune

MISE A JOUR: Coïncidence du calendrier, Tumblr vient d’annoncer vouloir monter en gamme dans le domaine éditorial et cherche des utilisateurs aux compétences journalistiques afin de mieux rendre compte de ce qu’il se passe sur sa plate-forme.

Même si seulement 3.5% du public de Tumblr provient (pour l’instant) de France, ce réseau peut valoir le détour pour éditer et diffuser des contenus journalistiques… mais pas de la même façon que sur un site d’informations traditionnel. Car la double spécificité de Tumblr, c’est 1. l’omniprésence des photos et 2. la possibilité de «rebloguer» des posts aussi vite que lorsque l’on «retweete» (republie, en VF) un message sur Twitter. En un clic, donc.

«Les utilisateurs Tumblr publient en moyenne 14 billets originaux par mois et en rebloguent 3. La moitié de ces billets sont des photos», informent les équipes de Tumblr. «Le reste se partage entre textes, liens, citations, musiques, et vidéos.»

Autres particularités de Tumblr: une interface ultra simple, que facilite encore l’application mobile qui permet de rebloguer les posts des autres et de publier les photos prises avec son smartphone en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et une audience plus jeune qu’ailleurs. Selon ce graphique publié par Alexa.com, les 18-24 et les 25-34 y sont très présents.

Incarner une voix

«Lorsque je gérais le Tumblr du magazine Newsweek, j’avais deux objectifs», me raconte Mark Coatney, qui a, depuis, été embauché par Tumblr et est devenu leur «évangéliste des médias». «Le premier, c’était de présenter Newsweek, dont les lecteurs ont en moyenne 57 ans, à une audience qui ne le lisait pas. Le second objectif, c’était de casser les barrières entre la rédaction d’un côté et le lectorat de l’autre.»

Bilan des courses: sur le premier point, «cela a bien marché, le Tumblr a drainé une nouvelle génération de lecteurs qui considérait jusque là Newsweek comme une publication pour leurs grands-parents», reprend Mark Coatney. «Mais la vraie plus-value est venue du deuxième point. J’ai publié des choses sur le Tumblr de Newsweek comme si j’étais un individu, quelque chose avec lequel les gens pouvaient communiquer facilement. J’ai reblogué des posts, répondu aux questions, et ai rebondi sur ce que les gens disaient. Cela améliore le système de publication traditionnel, où, en ligne, on relègue dans un ghetto les commentaires de l’audience, ghetto où l’on sait que la rédaction ne va vraiment.»

Contenus visuels d’abord

Et puisque la moitié des quelques 25 millions de posts publiés chaque jour sur Tumblr sont visuels, les histoires qui se racontent en images y trouvent leur compte. Exemple de Tumblr très suivi aux Etats-Unis: celui qui s’appelle «nous sommes les 99% (à n’avoir rien quand 1% de la population a tout)», où des citoyens américains se prennent en photo avec une pancarte indiquant qu’ils sont au chômage, endettés, sans assurance maladie, etc.

Ce n’est donc pas un hasard si le New York Times y publie des photos de mode très grand format et en pleine page. Pas étonnant non plus que le magazine Life exploite le filon, éditant par exemple une photo d’appel sur Tumblr de John F. Kennedy et Jackie Bouvier en tenue de mariés, qui renvoie vers un diaporama publié sur Life.com intitulé «Le jour du mariage de JFK et Jackie».

Ne pas parler que de soi

Extraire d’un contenu publié sur un média une image, une citation, une vidéo, pour mettre celles-ci sur Tumblr est sans doute l’utilisation journalistique la plus facile à mettre en place. Veille journalistique, «curation», sélection des meilleures histoires du jour, telle est la mission que s’est fixé le Tumblr de Reuters, qui renvoie vers des contenus de sa propre agence mais aussi d’autres sources.

Pour Mark Coatney, ce qui fonctionne, c’est lorsque, sur Tumblr, une «voix» incarne de façon personnelle la publication. «Une voix qui dit des choses intéressantes, qui ne parle pas que d’elle-même, qui répond aux autres utilsateurs de Tumblr et qui pose des questions», insiste-t-il. Exemple avec le Tumblr sur les coulisses de l’émission d’Anderson Cooper sur CNN, où les membres de son équipe sont photographiés et interviewés, les invités aussi, les apéritifs et autres festivités sont racontés, et Anderson Cooper lui-même fait l’objet de quelques railleries, notamment lorsque qu’il est saisi sur le vif en train de grimacer au moment de goûter un aliment sur le plateau de télévision.

Ambiance potache

Gifs animés, légendes ajoutées à la va-vite sur des photos – par exemple pour indiquer l’humeur de l’acteur Louis Garrel en fonction de sa tête, archivage d’images rigolotes – comme ce Tumblr sur François Hollande… Les blagues potaches sont le cœur de Tumblr. Atlantic note que «c’est hilarant». Ecrans y voit le «nouveau bastion de la Web culture».

«Tumblr est un outil fantastique pour couvrir la culture numérique du Web», acquiesce Mark Coatney qui regrette de ne pas avoir vu cette possibilité-là du temps où il travaillait encore pour Newsweek. Ce qu’a bien compris la rédaction de CNN Money, qui a lancé un Tumblr sur les nouvelles technologies dont le slogan est «tout ce qui se trouve dans nos carnets, nos emails et nos messageries instantanées».

Car oui, Tumblr peut aussi faire office de vide-poche journalistique: citations ou chiffres laissés de côté au moment de rédiger un article au nombre de signes limité, extrait d’une vidéo, photos prises en coulisses… Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde, avait mis le doigt sur cette maximisation des ressources lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le 2 décembre 2011 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po: «Avant, lorsque je suivais un procès, je remplissais des carnets de notes et je ne publiais que 20% (dans le quotidien imprimé, ndlr). Avec mon blog Chroniques judiciaires, j’en publie maintenant entre 80 et 90%.»

Et demain, avec Tumblr, cela pourrait être 100% noté = 100% publié? A une condition: que la matière première recueillie par le journaliste soit, bien sûr, de premier choix.

Utilisez-vous Tumblr? Si vous avez aimé cet article, merci de le facebooker, le tweeter et/ou le tumbleriser !

Alice Antheaume

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Glued to liveblogging

The death of Mohammar Qadaffi. The G20 Summit in Cannes. Soccer matches. Political debates. How to keep on top of the latest information? Today, these breaking news stories are all being reported instantaneously via liveblogging. This cutting-edge digital publication format enables real-time reporting of an event, by mixing text, photos, videos, social media content, and audience interaction. And it is an incredible lure for readers.

According to estimates, it accounts for at least 30% of the traffic to a general news web site, a percentage which is increasing rapidly. Moreover, since web-users remain significantly longer on news sites using this format, liveblogging has also become an important factor in audience engagement.

>> Read this article in French >>

UPDATE. On Monday, November 14, France Televisions launched its continuous news platform, available on the Web and on mobile devices. (1) This project advances the concept of liveblogging to the extreme – for now. Effectively, it is based on a continuous live blog which disseminates, from 6 am to midnight (stories such as the strike at the Employment Department, the nomination of Mario Monti, the latest on DSK, the hostages liberated in Yemen, etc.), via video, photos, and written content. All this is created by livebloggers, a new breed of journalists who have become specialists in digital blogging, and who answer the audience’s questions and comments about the news in real time.

In terms of the editorial slots for importance of news, liveblogging follows this structure: if the news is of lesser importance, three written lines will suffice. If it’s a major news story, it will be the object of several entries, with various angles of development of the story, either included in that day’s live blog on the topic or covered in a different thread.


For Nico Pitney, executive editor of the Huffington Post, in an interview by the Nieman Lab, two out of three web users are attracted to liveblogging.  “We basically imagined three types of readers,” Pitney said. “One who just wanted the key facts from the story, a solid overview that’s basically a traditional news story. This person is not interested in the minute details and the live-blog coverage. Then there’s another type of user who already knows the overview and does want the key facts and live-blog coverage. And finally there’s a third kind of user — and we count this as a large percentage of our users — who wanted the overview, but then once they saw the live blog, it got them in deeper, and it made them more engaged in the story.”

And, of course, readers remain glued to their screens, caught in the spell of the live blog, a and the promise of instant updates on a big story as it unfolds.

Liveblogging: the new TV

Why are live blogs so endlessly appealing? This was the key question at a workshop organized last week at a Journalism Conference in Poitiers, France. (2)

“Readers feel as though they are creating the news,” explained Karine Broyer, Editor-in-Chief for Internet and New Medias at France 24. “During the events in Egypt, some people were asking questions on the live blog for our special correspondent, who was on location at Place Tahir in Cairo. They addressed him by his first name, Karim. And if the question was relevant, Karim Hakiki answered on the spot, perhaps giving readers the impression that their comments had played a part in the creation of the news.”

“During the televised debates of for the French Socialist Party Primary, we chose not to have a live blog on the site – too France-centric for an international media source like France 24. Perhaps we made a mistake; I don’t know. Our viewers ranted on Twitter, ‘Are you asleep or what? You have to liveblog this…’”

Types of comments on live blogs

“Internet users are participants,” notes Jonathan Parienté, a journalist covering the presidential elections at LeMonde.fr. He cites three basic forms of comments on live blogs:

1. Basic comments such as “I like, I don’t like/ It’s good, it’s not good”
2. Comments that are questions
3. Comments that add information to the story.

Whereas by default on lemonde.fr, no comment is published in a live blog until screened and approved by the editorial team, in general the rules are simple: a type 1 comment is kept if the reader expands a bit on his or her opinion; but to be honest, it doesn’t have much journalistic interest. Type 2 forms the bulk of the comments that are published in live blogs and are useful in articulating the editorial position, giving a visual sense of a dialogue between readers and editors, the latter remaining in an ultimate position of arbiters. Type 3, quite rare, is very useful from a journalistic point of view, and naturally requires verification and fact-checking before it can be published. But it can sometimes change the course of the story, since the information is coming from outside of the editorial department.

What are the successful elements of a great live blog?

It is first and foremost a question of the interest level of the story, according to Karine Broyer. “98% of the live blogs that we launch are based on breaking news.”

In addition to the compelling aspect of the news item, there are several factors key to the success of a live blog:

  • if the live blog is happening during the work day, which is considered prime time for readers on a news web site
  • if the news item of the live blog is an unfolding story, with if possible, new developments (the DSK affair, the Arab revolutions, and Fukushima are all textbook examples)
  • if the format contains several URLs: one URL to represent the entire live blog, and separate URLs for each live blog entry.

On a tool like “Cover It Live“, used by the majority of news sites in France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), the live blog has only one unique URL. Other sites developed internally, such as the Huffington Post, attribute one URL per blog post and thus increases the rate of sharing on social networks, allowing any user to cite the content of the live blog, a photo, an explanation or a quotation, as opposed to linking to a general title such at “live coverage of such-and-such event.”

At the Sciences Po Journalism School, learning to build liveblogging format has been a part of the curriculum since September 2010, on the same level as training for television reporting or a radio news flash. The ability to report happenings instantaneously, to give context to the news, put events into perspective, respond to readers’ questions, and to fact check, requires professional acumen and ability. And stamina, especially when the liveblogging on a particular topic goes on for days or weeks, as witnessed by Reuters sur Fukushima, from March 11 -26, which lasted 15 days and covered 298 pages.

Do too many live blogs kill the live blog?

Let’s think about it: in the end, if all media liveblog the same topics at the same time, will it lose interest? “I’m not going to stop liveblogging simply because everyone else is doing it,” says Karine Broyer. Especially since — depending on the subject at hand, the sources, the links that are included, the tone and the tempo — no two live blogs are the same, according to Jonathan Parienté. So, not to worry: there’s room for all in this growing new medium. It is, after all, is still in the experimental phase. Florence Panoussian, who oversees Web and Mobile Editorial for AFP, looks at it this way: “Having multiple live blogs is like having multiple traditional media.”

(1) Bruno Patino, Director of Digital Strategy at France Télévisions, is also the Director of the School of Journalism at Sciences Po, where I work.
(2) Workshop which in which I was a presenter. Thanks to Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, and Florence Panoussian, for these pour ces échanges.

Alice Antheaume (translated by Polly Lyman)

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Mise à jour: Tous scotchés au live

Mort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes – un pourcentage qui peut augmenter très vite en fonction de paramètres décrits ci-dessous. 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.

>> Lire cet article en anglais >>

MISE A JOUR: Ce lundi 14 novembre, France Télévisions lance sa plate-forme d’informations en continu, disponible sur le Web et sur mobile (1). Le projet pousse la logique du «live» à son paroxysme. En effet, il repose sur un «live perpétuel» qui relate, de 6h du matin à minuit, l’ensemble des actualités du jour (la grève annoncée à Pôle Emploi, la nomination de Mario Monti, les derniers propos sur DSK, les otages libérés au Yémen, etc.) via vidéos, photos, textes… Le tout est réalisé par des «liveurs», c’est-à-dire des journalistes devenus des spécialistes du «live» numérique, qui répondent aux questions et réactions de l’audience sur l’actualité en temps réel.

Côté hiérarchie de l’info, la logique de ce «live permanent» est la suivante: si c’est une information secondaire, trois lignes suffisent, alors qu’une information essentielle fera l’objet de plusieurs entrées, voire plusieurs développements, dans et en dehors du «live» du jour.


Pour Nico Pitney, éditeur exécutif du the Huffington Post interrogé par le Nieman Lab, le «live» intéresse deux personnes sur trois. «Imaginons trois types de lecteurs», détaille-t-il. «Les premiers veulent les éléments-clés sur une information, une solide vue d’ensemble qui correspond à la lecture d’un article traditionnel. Cette catégorie n’est pas intéressée par le développement minute par minute ni par la couverture en “live”. La deuxième catégorie connaît déjà le résumé des informations mais veut aussi les éléments-clés et la couverture en “live”. Le troisième type de lecteurs – et nous considérons que c’est la majorité de nos utilisateurs – veut d’abord un aperçu de l’actu, mais une fois qu’ils ont vu le “live”, cela les plonge en profondeur dans l’histoire»…

Sous entendu, ils restent scotchés, pris dans les filets du «live», et de la promesse de ce format de leur délivrer les dernières informations disponibles sur l’événement «livé», au fur et à mesure que celui-ci se déroule.

Le live est la nouvelle télé

Pourquoi le «live» fascine-t-il tant, pour reprendre l’intitulé de l’un des ateliers organisés ce mardi aux Assises du journalisme à Poitiers (2)? En partie parce que ce dispositif permet aux utilisateurs de jouer un nouveau rôle, estiment la plupart des intervenants de cette conférence.

«Les internautes ont l’impression de faire l’info», explique l’une d’entre eux, Karine Broyer, rédactrice en chef Internet et nouveaux médias de France 24. «Lors des événements en Egypte, certains posaient dans le live une question pour notre envoyé spécial qui se trouvait alors Place Tahir au Caire, en l’interpellant par son prénom, Karim (Hakiki, ndlr)». Et, si la question était pertinente, Karim Hakiki leur répondait, donnant peut-être l’impression aux lecteurs d’avoir enfin leur mot à dire dans la construction de l’information…

«Lorsque ont eu lieu les débats télévisés des primaires socialistes, nous avons choisi de ne pas ouvrir de live sur le site – trop franco-français pour un média international comme France 24. Nous avons peut-être eu tort, je ne sais pas. Toujours est-il que nos utilisateurs nous ont hélés sur Twitter sur le mode “vous dormez ou quoi? Il faut vous mettre en live…”»

Typologie de réactions en live

«Les internautes sont acteurs», reprend Jonathan Parienté, journaliste de la cellule présidentielle du Monde.fr. Il note trois formes de commentaires lors des «lives»:

  1. Les commentaires basiques du type «j’aime, je n’aime pas/c’est bien, ce n’est pas bien»
  2. Les commentaires sous la forme de questions
  3. Les commentaires qui apportent des informations.

Alors que, par défaut sur lemonde.fr, aucun commentaire n’est publié dans un «live» avant validation par la rédaction, les règles du genre sont simples: le type de commentaire 1 est retenu si l’internaute développe un peu son jugement mais, pour être honnête, cela n’a pas d’intérêt journalistique. Le genre 2 constitue l’essentiel des réactions publiées dans les «lives» et sont utiles pour articuler le dispositif éditorial, en donnant une sensation visuelle de dialogue entre internautes et rédactions, lesquelles restent en position de magistère. Le genre 3, très rare, est très utile d’un point de vue journalistique, nécessite certes vérification avant publication mais renverse la vapeur (l’apport vient cette fois de l’extérieur de la rédaction).

Les ingrédients d’un «live» réussi? Cela tient avant tout à «l’intérêt de l’actualité», assure Karine Broyer. «98% des lives que nous lançons sont issus de breaking news», autrement dit traitant d’actualités non anticipées.

Les accélérateurs de «live»

Outre la force d’une actualité, il y a des facilitateurs de réussite:

  • si la rédaction bénéficie de matière première qui fera la différence avec la concurrence, comme la présence de sources sur le lieu de l’événement qui peuvent donner des informations de première main
  • si le «live» a lieu en journée, aux heures de bureau, heures de «pointe» de l’audience sur un site Web d’infos
  • si l’actualité traitée dans le «live» est feuilletonnée, avec si possible, des rebondissements (l’affaire DSK, les révolutions arabes, Fukushima sont des cas d’école)
  • si le format comporte plusieurs URL, une URL principale pour aboutir au «live» en intégralité, et des URL spécifiques pour chaque entrée du «live».

Sur un outil comme Cover It Live, utilisé par la majorité des sites d’informations en France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), le live n’a qu’une URL unique. Des outils développés en interne, comme celui du Huffington Post, attribue une URL par «post» et augmente le taux de partage sur les réseaux sociaux, chaque utilisateur pouvant citer l’un des contenus du live, une photo, un décryptage, une citation, plutôt que de pointer sur un titre très général du type «vivez en direct tel événement».

A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, la construction de «live» sur le Web fait partie de la formation des étudiants depuis septembre 2010, au même titre que l’apprentissage d’un reportage télévisuel, ou d’un flash radio. Car raconter en instantané ce qu’il se passe, en apportant du contexte aux informations, en les mettant en perspective, en répondant aux questions de l’audience sur le sujet, et en pratiquant le fact checking, cela demande de la rigueur. Et de l’endurance. Surtout lorsque le «live» dure des jours voire des semaines – celui de Reuters sur Fukushima, entre le 11 et le 26 mars, a duré 15 jours et comporte 298 pages.

Trop de lives tuent-ils le live?

Et après? Si tous les médias «livent» aux mêmes moments les mêmes informations, quel intérêt? «Je ne vais pas m’arrêter de faire du “live” parce que tout le monde le fait», tranche Karine Broyer. D’autant que, selon la matière dont on dispose, les sources, les liens qu’on y met, le ton et le tempo, aucun live ne ressemble à un autre, complète Jonathan Parienté. Pas d’inquiétude, donc, il y a de la place pour tous sur ce format encore expérimental: «la pluralité des lives est la même que la pluralité des médias», conclut Florence Panoussian, responsable des rédactions Web et mobiles de l’AFP.

(1) Bruno Patino, le directeur de la stratégie numérique de France Télévisions, est également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille.
(2) Atelier auquel j’ai participé en tant qu’animatrice. Merci à Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, et Florence Panoussian, pour ces échanges.

Alice Antheaume

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L’Egypte, un carton sur le Web, un bide au JT

Crédit: REUTERS/Dylan Martinez

Crédit: REUTERS/Dylan Martinez

Sur les JT des grandes chaînes d’information nationales françaises, les événements en Egypte ont été vite expédiés en début de semaine, démontre ce zapping. Une couverture éditoriale réduite, à l’opposée de celle adoptée par les sites Web d’infos français. Ceux-ci ont, au contraire, mis le paquet et couvrent, depuis le début de la crise, chaque minute du soulèvement égyptien.

Faux procès dressé contre les JT? TF1 a finalement mis en place, en fin de semaine, une édition spéciale sur l’Egypte, lors du 20 heures du 3 février. Certes, ce n’est qu’un «one shot», pas un suivi en continu, mais la promesse de TF1 n’est pas non de faire du CNN.

Les efforts de TF1 ne paient pas

Malgré ces efforts louables, le poisson ne mord pas. Seuls 6,9 millions de téléspectateurs ont suivi le journal consacré à l’Egypte de Laurence Ferrari, dont le créneau fait en moyenne 7,4 millions de téléspectateurs en janvier et est monté jusqu’à 8,9 millions le 8 décembre 2010, au moment des épisodes de neige en France. Un «petit score», donc, selon le site spécialisé Ozap, qui rappelle que «traditionnellement, le JT de TF1 est faible lorsque l’actualité internationale est forte». «Le fait que les sujets de proximité soient, à la télévision, davantage fédérateurs que les grands événements internationaux n’est pas nouveau, écrit Franck Nouchi, cité par Arrêt sur Images. “La Corrèze plutôt que le Zambèze”, avait théorisé il y a bien longtemps le journaliste Raymond Cartier.»

Plus grave, les téléspectateurs de TF1 auraient envoyé pléthore de messages «racistes» à la chaîne sur le thème «on s’en fiche des sujets sur les Arabes, on veut d’autres sujets». C’était lors de la «révolution tunisienne», détaille lepoint.fr, qui révèle l’histoire.

Catherine Nayl, la directrice de l’information de TF1, s’en est expliqué dans l’émission Médias Le Mag, sur France 5: «Non, on ne reçoit pas de nombreux emails racistes» et oui, «la vie, pour un téléspectateur, ce n’est pas que l’actualité». Elle concède que, «pour un journaliste, les efforts que nous pouvons faire sur le terrain sont peu chèrement payés par nos téléspectateurs. Ils s’intéressent à l’actualité internationale, mais leurs préoccupations sont davantage tournées vers la pénurie d’essence et la météo». Un bon point néanmoins, selon Catherine Nayl: les téléspectateurs «venus regarder la “spéciale” (du 3 février, ndlr) sont restés jusqu’au bout, pendant 20 minutes. C’est une belle récompense».

Frénésie des lives

C’est tout le contraire sur le Web, où les internautes cliquent de façon frénétique sur tout ce qui touche de près ou de loin aux mouvements dans le monde arabe. Et notamment sur les «lives», ces formats qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur la révolte. De la déclaration du président égyptien Moubarak, estimant que «si (il) par(t), ce sera le chaos», aux images de ses partisans à dos de dromadaires, en passant par la démission du bureau exécutif, les pages des sites Web sont «rafraîchies» des milliers de fois et font ce que l’on appelle, dans le jargon, «du clic». C’est-à-dire du trafic. Et pas qu’un peu.

Sur lefigaro.fr, vendredi 4 février, l’article le plus lu du site s’intitule «Des milliers d’Egyptiens manifestent dans le pays» (son titre a été changé depuis, actualisation oblige). Se classent ensuite, au rang numéro 3 du top 5 des plus lus, «Laëtitia: Sarkozy veut sanctionner les magistrats» puis, en numéro 4, «Les rumeurs inquiètent les expatriés français en Egypte». Même tendance sur les sites concurrents: «cette semaine, il y a eu d’incroyables pics d’audience sur deux sujets, l’Egypte d’abord, et Laëtitia (la jeune fille retrouvée démembrée, ndlr) ensuite», me racontent Elodie Drouard, iconographe à 20minutes.fr, et Catherine Fournier, chef du service des informations générales du même site.

Point commun entre ces sujets? Les deux sont des histoires-feuilletons, qui comprennent des rebondissements quotidiens, et donnent l’occasion aux journalistes Web de produire plusieurs articles, via divers angles, au fur et à mesure que se déroule l’histoire – et l’Histoire. Les journalistes, pas plus que les lecteurs, ne connaissent la suite au moment où ils écrivent ce qu’ils savent, et pourtant, ces actualités fonctionnent comme des séries télévisées, avec un air de revenez-y, comme s’il était indiqué «à suivre» à la fin de chaque épisode. «Pour l’affaire Laëtitia, le prochain épisode aura lieu quand les policiers auront retrouvé son tronc, car si cette partie du corps peut être autopsiée, on saura alors si elle a été violée ou pas», décortique un connaisseur. Pour l’Egypte, c’est pareil. Le suspens dure concernant la position d’Hosni Moubarak: partira? Partira pas?

Le Web, international, et à la demande

Pourquoi, sur le Web, l’actualité égyptienne suscite l’intérêt alors que ce n’est visiblement pas le cas à la télé? Les publics sont-ils si différents selon le média? Les internautes seraient plus portés vers l’international, pas les téléspectateurs? «Les internautes qui suivent notre couverture en temps réel de l’Egypte en ont conscience: ils assistent, en direct, à un événement historique», estime Nabil Wakim, journaliste au Monde.fr.

Autre point d’explication: le format «live» qui, quel que soit le sujet, international ou pas, est presque toujours l’un des contenus les plus vus d’un site d’infos. D’abord parce qu’il constitue un appât pour les consommateurs d’infos, à qui l’on promet de faire vivre l’actualité comme s’ils y étaient, ensuite parce que ce type de format, très mobilisateur, bénéficie d’une visibilité importante en étant disposé tout en haut de la page d’accueil.

Enfin,et c’est la troisième piste: le journalisme en ligne est capable de répondre à des demandes, en traquant les requêtes les plus cherchées par les internautes sur les moteurs de recherche. Un baromètre devenu essentiel pour savoir où mettre le curseur entre trop et pas assez sur tel ou tel sujet.

Or la question demeure: quelle partie de cette audience sur les sites d’infos français vient d’Afrique? Lors des événements tunisiens, la Tunisie était le deuxième pays à fréquenter lemonde.fr, après La France. Pour l’Egypte, le scénario ne se répète pas, et c’est logique: l’accès à Internet a été coupé dans le pays, rendant toute connexion en ligne impossible. Néanmoins, sur lefigaro.fr, Thomas Doduik, directeur des opérations du site, constate une forte progression des visites issues des pays du Maghreb: x 2 pour celles venues d’Algérie, du Maroc et d’Egypte, et jusqu’à x 6 pour la Tunisie, au plus fort de la révolution de Jasmin.

De la télé dans le live sur le Web

«Nous avons même des internautes qui allument la télé pour regarder le JT, et commentent, sous le live du Monde.fr, ce qu’ils voient sur le petit écran», reprend Nabil Wakim. Et, surprise, ils chronomètrent, façon CSA en période électorale, la longueur des sujets télé consacrés à l’Egypte, en pestant – et en l’écrivant sur un site Web d’info – «quoi? C’est déjà fini sur TF1? Il n’est même pas 13h07».»

Regarder la télévision en réagissant en direct sur les réseaux sociaux, comme si l’on était en famille ou entre amis sur un canapé: le phénomène a déjà été observé lors d’émissions comme La Nouvelle Star ou même Paroles de Français. Cette fois, un cap a été franchi. Au lieu de rédiger des commentaires parfois potaches face à une émission de divertissement, une frange du public va plus loin et commente, sur Internet, jusqu’à la façon dont les télévisions s’emparent d’un sujet international.

Arrêter un live, mission difficile

Les sites d’infos ne s’en laissent pas compter. Et cravachent à qui mieux mieux, quand bien même l’actualité qui secoue l’Egypte, et avant, la Tunisie, s’avère chronophage. En effet, il faut au bas mot deux ou trois personnes pour animer un «live» sur un tel sujet pendant une journée entière, à la fois pour alimenter le flux de nouvelles informations, et surtout, pour les vérifier.

«Dimanche soir, je me suis demandé à quel moment fallait-il qu’on arrête de “liver” l’Egypte, avant de reprendre le lendemain matin, confie Nabil Wakim. Quand on a vu qu’il y avait 250.000 personnes connectées toute la journée, sur le direct, et encore 6.000 en soirée, on s’est dit qu’on allait continuer et rester au bureau une ou deux heures de plus.»

Alice Antheaume

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Nouvelles pratiques du journalisme: “Nous vivons un âge d’or”

Que retenir de la journée spéciale dédiée aux nouvelles pratiques du journalisme, organisée par l’Ecole de journalisme de Sciences Po et la Graduate school of Journalism de Columbia, le 10 décembre?

Voici les points clés de chaque intervention, d’Ariane Bernard, du nytimes.com, à Antoine Nazaret, de Dailymotion, en passant par Masha Rigin, du Dailybeast.com, Sarah Hinman Ryan, de Times Union, Nicolas Enault, du Monde.fr, Nicolas Kayser-Brill, d’Owni.fr, Michael Shapiro et David Klatell, de la Columbia, et Jean-François Fogel et Bruno Patino, de l’Ecole de journalisme de Sciences Po…

pdf Cliquez ici pour la lire synthèse de la journée en français

pdf Cliquez ici pour lire la synthèse de la journée en anglais

[Merci à tous les éditeurs de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes, live stream et tweets pendant cette journée marathon. Cet article a été rédigé d’après leurs notes et le “live”]

Ariane Bernard, home page producer, nytimes.com

Ariane Bernard, du NYT.com, le 10 décembre 2O10

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • 60 journalistes travaillent sur le site du nytimes.com, et 8 personnes (dont Ariane Bernard) s’occupent à plein temps de deux pages d’accueil, l’une internationale, et l’autre nationale. Hiérarchiser les informations, repérer des “urgents”, trouver le meilleur titre possible, sont quelques unes des tâches qui incombent au “home page producer”. Son terrain journalistique? Quelques pixels seulement, mais un vrai enjeu
  • Chaque mois, 33 millions de visiteurs uniques se rendent sur le site du New York Times
  • L’outil le plus utilisé en interne au nytimes.com? La messagerie instantanée, pour se coordonner, dit Ariane Bernard, en montrant à quoi ressemble son écran d’ordinateur à la fin de sa journée de travail. Un écran truffé de fenêtres de “chat” qui clignotent
  • Un conseil, dit Ariane Bernard, “gardez toujours un oeil sur la concurrence”. Ses collègues et elle-même surveillent ainsi, toutes les heures, les infos publiées sur la page d’accueil des sites concurrents
  • Plus une information devient importante, et aura des rebondissements, plus “vous cherchez à faire savoir à vos lecteurs que vous allez continuer à développer cette information”. Et qu’ils peuvent donc rester connectés
  • Difficile de savoir si une secousse sismique doit faire l’objet d’une “alerte”, confie Ariane Bernard. “Je ne suis pas géologue, il est complexe de savoir, dans la minute où il se produit, s’il s’agit d’un tremblement de terre important ou pas”. Pour Haïti, en l’occurrence, c’était d’une importance majeure, comme en témoigne le résultat en ligne

Masha Rigin, spécialiste du référencement (SEO), thedailybeast.com

Masha Rigin, de thedailybeast, le 10 décembre 2010

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

  • Le rôle de Masha Rigin? Rendre plus visibles les contenus des journalistes de thedailybeast.com sur les moteurs de recherche. Cela s’appelle du SEO (Search Engine Optimization) ou référencement en français. “C’est du marketing très spécifique”, précise Masha Rigin
  • En tant que journaliste, il faut “anticiper ce que les utilisateurs vont chercher sur Google, et avec quels termes ils vont faire leurs requêtes, afin d’utiliser ces termes dans le titre de votre article”, conseille-t-elle. Précision: “nul besoin de faire de titres drôles ni spirituels”
  • Pour identifier les mots-clés les plus populaires, Masha Rigin préconise d’utiliser Google Trends
  • Dans le vocabulaire d’une spécialiste du référencement, figure cette drôle d’expression, “la densité des mots-clés”, ou “keyword density”. C’est-à-dire le nombre de fois qu’un mot-clé est mentionné dans l’article, comparé au nombre de mots constituant cet article. Conseil de Masha Rigin: “utilisez un mot-clé au moins une fois par paragraphe, et si possible, de façon rapprochée”. Cf ce W.I.P. Comment le SEO impacte-t-il l’écriture journalistique?
  • Les journalistes du numérique le savent bien: les articles doivent être truffés de liens, suppléments d’informations offerts aux lecteurs. A la fois de liens vers l’intérieur (vers d’autres articles du même média) et vers l’extérieur (vers des contenus de médias concurrents, vers des blogs, ou des vidéos, etc.) “La haute densité de liens, disposés sur des mots-clés ou des portions de phrases importantes, augmente le ranking de votre article”
  • Quant aux vidéos et aux photos, elles doivent être nommées une par une, avec le crédit et la légende (Qui est sur la photo/vidéo? Quand? Où? En quelles circonstances? Qui a saisi la scène?). “Sinon, elles n’existent pas pour Google. Et ce serait dommage car elles représentent une source de trafic de plus en plus importante”
  • “Le journalisme change sans cesse puisque l’algorithme de Google change sans cesse”

Nicolas Enault, coordinateur de l’audience, lemonde.fr

Nicolas Enault, du Monde.fr, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna
  • Pour Nicolas Enault, la journée de travail commence par de la “veille” sur ce que fait l’audience sur le site du Monde.fr. De la veille à la fois quantitative (volume et statistiques) et qualitative (qu’est-ce que les abonnés du Monde.fr disent?). Et c’est par ces sujets que s’ouvre, chaque jour, la conférence de rédaction de l’équipe Web
  • Environ 5.000 expressions d’abonnés par jour
  • 110.000 abonnés au Monde.fr
  • 1.300 commentaires par jour sous les articles du Monde.fr
  • La typologie des commentaires des abonnés? Il y a quatre catégories: 1. Les opinions, qui constituent la majorité des réactions 2. Les corrections des lecteurs (factuelles et orthographiques) 3. Les questions (sur le traitement de l’information et sur des points non compris) 4. Les travaux d’investigation des lecteurs
  • 8.000 blogs hébergés par lemonde.fr, dont 50 “stars” qui ont été démarchées par la rédaction Web et produisent le plus de trafic
  • Au quotidien, Nicolas Enault est aussi en liaison avec des journalistes du Monde imprimé. Ceux-ci ont parfois du mal à comprendre (ou accepter) que leurs articles cohabitent avec des chroniques produites par les abonnés, lesquelles ne devraient pas, selon eux, être confondues avec des contenus journalistiques
  • Parmi les questions les plus souvent posées par les journalistes du journal du soir à Nicolas Enault, celle-ci: comment fait la distinction entre Facebook et un blog?
  • Nicolas Enault livre un exemple d’interaction entre les abonnés et l’actualité via la création d’un livre d’or recensant les mots de soutien des internautes à Ingrid Betancourt après sa libération, le 3 juillet 2008. En tout, lemonde.fr a récolté plus de 7.000 mots. Et n’en a gardé que 2.500 après modération

Michael Shapiro, professeur de journalisme, cours de «city newsroom», Graduate School of journalism, Columbia

Michael Shapiro, professeur de journalisme de la Columbia, le 10 décembre 2O1O
Crédit photo: DR/Alexandre Marchand
  • “L’irruption du Web est une révolution, mais une révolution positive”, commence Michael Shapiro. Car de nouveaux postes sont créés sur le Web et aussi sur l’imprimé – Newsday, par exemple, est en train de recruter 33 journalistes. La presse ne doit pas être complètement morte”
  • Le nombre de journalistes continue de grandir aux Etats-Unis. “Or plus on embauche, plus la compétition entre journalistes a lieu. Or plus la compétition a lieu, meilleurs les journalistes sont”
  • Il faut apprendre à s’adapter, dit Michael Shapiro. Et surtout à s’adapter aux nouvelles technologies
  • Dans son cours de “city newsroom”, Michael Shapiro aide les étudiants de la Columbia à créer du contenu sur le blog Brooklyn Ink. Il s’agit d’y raconter des histoires de différentes façons, “c’est une plate-forme d’expérimentation journalistique”
  • Deux étudiants se chargent de l’édition de ce site, ils en sont responsables et doivent s’assurer que ce qui y est produit est bien publiable. Depuis trois ans que ce site existe, il n’y a eu aucune plainte pour diffamation, assure Michael Shapiro
  • Brooklyn Ink récolte 10.000 visiteurs uniques par semaine
  • “Nous vivons un âge d’or du journalisme. Mon métier, c’est de dire aux étudiants allez-y, expérimentez, mais ne faites pas d’erreur. Soyez professionnels et responsables de ce que vous faites”
  • Crédit vidéo: Daphnée Denis

David Klatell, professeur de journalisme, responsable de l’international, Graduate School of journalism, Columbia

  • Le journalisme a-t-il besoin d’innovation? Peut-être, mais David Klatell, professeur de journalisme à la Columbia, n’en est pas convaincu. Selon lui, “toutes les rédactions du monde se ressemblent: des journalistes, des écrans, des téléphones, des ordinateurs. Mais ils fabriquent tous un produit différent”
  • Et si l’innovation journalistique n’était qu’une réponse à la crise? “L’Argentine et le Brésil, par exemple, n’ont pas eu à faire face à la crise, donc ils n’ont pas cherché à y apporter de réponse. Alors que le Brésil souffre d’un système de distribution de journaux insatisfaisant, c’est à se demander s’il faut une crise pour innover”
  • L’innovation journalistique n’est-elle qu’une préoccupation occidentale? “Ici, c’est facile pour vous, reprend David Klatell. Il suffit d’un ordinateur portable, de la 3G, et vous êtes opérationnels. Dans d’autres pays, les jeunes générations doivent trouver d’autres solutions pour consommer (voire produire) des informations”

Crédit: DR/Hugo Passarello Luna

Crédit photo: DR/Hugo Passarello Luna

Sarah J. Hinman Ryan, directrice du pôle investigations et recherche d’informations, Times Union

  • A Times Union, un journal situé à Albany, à côté de New York, Sarah Hinman Ryan dirige le pôle de recherches et d’investigations. En clair, elle vérifie toutes les données et les faits avant publication
  • Non, son quotidien ne ressemble pas à celui d’une documentaliste. Elle fait du “fact checking” à grande échelle. Au bureau, elle travaille sur trois écrans à la fois: l’un pour Google, le deuxième pour Facebook, et le troisième pour “tout le reste”, y compris les bases de données américaines comme Nexis. Chercheuse d’infos, oui, journaliste, non
  • “Pour trouver et vérifier des données sur des personnes, je me sers des réseaux sociaux. C’est fou tout ce que les gens mettent en ligne sur eux-mêmes!” Mais ce serait trop simple. Pour bien enquêter sur des humains, “il faut comprendre leur façon de penser (et donc, d’avoir disséminer des infos, ndlr), c’est presque de la psychologie”, reprend Sarah Hinman Ryan
  • “Plus le nombre de sources et d’informations disponible augmente, plus celles-ci deviennent compliquées à traiter, et plus le besoin de faire des recherches et de vérifier les infos se fait sentir”, dit Sarah Hinman Ryan, pour qui l’algorithme de Google devrait créer des emplois: “Plus on a Google dans la vie, plus on a besoin de professionnels pour fact checker. Car on doit toujours douter de ce que l’on trouve en ligne. En outre, Google ne suffit pas car vous ne trouverez pas les 1.000 années d’histoire de France en un clic”
  • “Si vous ne trouvez pas une information sur le Web, ce n’est pas qu’elle n’existe pas, c’est que vous ne la voyez pas”
  • “S’il n’y avait ni crime ni meurtre, il n’y aurait pas (ou peu) besoin d’investigation”, insiste Sarah Hinman Ryan
  • Récemment, elle a contribué au projet Dead by mistake (mort par erreur en VF), et a notamment élaboré une base de données pour connaître le niveau de fiabilité de l’hôpital le plus proche de chez vous. Un résultat récompensé par le prix de la meilleure enquête, attribué par la Société américaine des journalistes professionnels (SPJ)

Madhav Chinnappa, directeur stratégique des partenariats, Google News, ex BBC News

  • Madhav Chinnappa est désormais “le visage de Google News en Europe” depuis 4 mois, après avoir passé 9 ans à BBC, et quelques années aussi chez Associated Press. “Quand je travaillais à la BBC, je négociais avec Google News, maintenant, je suis de l’autre côté. Je comprends mieux.”
  • Google News a été créé en 2001 par des ingénieurs qui trouvaient qu’à l’époque “c’était trop dur de trouver des informations sur le Web en temps réel”
  • Google News rassemble plus de 50.000 sources et son algorithme repose sur plus de 100 critères
  • “Avant, nous ne parlions que de contenus. Maintenant, il s’agit de contenus + audience + technologie”, reprend Madhav Chinnappa
  • Comment Google peut-il inclure la sérendipité (les heureux hasards qui font que l’on trouve des pépites sur le Web) dans son algorithme? “Nous travaillons dessus”, assure Madhav Chinnappa. En effet, Google News est en train d’évoluer vers de nouvelles façons (humaines) de sélectionner des informations. Ainsi, pour l’application Fast Flip, qui présente une série d’articles sous forme d’une page de magazine et permet de les feuilleter comme sur un journal papier. En outre, aux Etats-Unis, Google a fait appel aux éditeurs de Slate.com pour choisir les informations susceptibles d’intéresser l’audience de Google News
  • L’industrie du journalisme n’a pas un problème de journalisme, mais un problème de modèle économique”, diagnostique Madhav Chinnappa. “Les journalistes ne doivent pas avoir peur de Google. Nous essayons d’être une force positive et voulons travailler avec les éditeurs pour essayer de résoudre les problèmes économiques des médias”

Nicolas Kayser Brill, journaliste de données, statisticien, Owni.fr

nkbCrédit photo: DR/Hannah Olivennes

  • Un journaliste de données (ou data journalist), c’est quoi? Au quotidien, Nicolas Kayser Brill tente de regrouper des données, souvent détenues par les collectivités locales – qui ne savent pas toujours comment ni pourquoi les partager – et les mettre en scène de la meilleure façon possible, afin que le résultat puisse être lu par le public
  • Pourtant, sur Owni, pas de pression liée aux statistiques: “Nous cherchons à diffuser nos projets (c’est-à-dire à vendre des applications créées par l’équipe d’Owni à d’autres médias) plutôt qu’à accroître notre audience sur notre propre site”
  • Parmi les autres fonctions quotidiennes de Nicolas Kayser Brill, figure l’aspect “évangélisation” des potentiels “clients”. Via des déjeuners et rendez-vous, il promeut la transparence des données (sur la population de telle ou telle localité, sur l’activité des députés, etc.) auprès d’hommes politiques et d’activistes. C’est la partie “lobbying” de son travail. “Ceux qui détiennent les données ont besoin d’être formés”
  • Et l’indépendance d’Owni? Y a-t-il conflit d’intérêts entre l’éditorial d’un côté et la réponse aux commandes des clients de l’autre (créations de sites Web, d’applications, etc.)? A cette question, Nicolas Kayser Brill répond qu’Owni est plus indépendant que les autres car il n’accueille aucune publicité, donc n’a pas besoin de répondre aux demandes des annonceurs. Et il est détaché de l’impératif de faire l’audience. Un autre poids en moins. Quant au partenariat entre Owni et Wikileaks, c’est un échange “non commercial”, rappelle Nicolas Kayser Brill
  • Owni veut toujours être le “ProPublica” à la française – cf ce W.I.P. intitulé Tentative d’identification d’Owni


Crédit vidéo: Diane Jeantet

Antoine Nazaret, éditeur des contenus vidéos «news», Dailymotion

  • “Personne n’a de carte de presse chez Dailymotion” et pourtant, la plate-forme française de vidéos a un service édition de contenus comme décrit dans ce W.I.P., un rédacteur en chef et même des conférences de rédaction hebdomadaires pour décider de quelle vidéo mettre en avant. Cependant, “les conférences de rédaction sont plus consensuelles à Dailymotion que dans un média”
  • La page d’accueil de Dailymotion repose sur une éditorialisation faite à la main. “Nous avons pris de le parti d’une intervention humaine pour sélectionner les contenus”. Pourquoi? Antoine Nazareth donne trois raisons: 1. Pour montrer la diversité des contenus présents sur le site 2. Pour ajouter de la valeur au site par une sélection humaine 3. Pour se différencier des concurrents (YouTube repose sur un algorithme automatique)
  • “Nous nous sommes beaucoup battus pour affirmer notre droit à une action éditoriale”, reprend Antoine Nazaret. Reste que Dailymotion n’est pas producteur de contenus. “Vous ne trouverez aucune caméra chez nous”
  • La page des vidéos “news” (actualités et politique) de Dailymotion est la deuxième chaîne la plus regardée du site, avec près de 3 millions de visites mensuels (chiffre Nielsen) – relire le compte-rendu de la master class de Martin Rogard, directeur de Dailymotion, fait par les étudiants de l’Ecole de journalisme
  • 500 vidéos de la chaîne “news” sont envoyées chaque jour par les internautes sur Dailymotion
  • L’éditing des vidéos compte: “Ce que l’on doit vraiment soigner dès le début, c’est la preview (image d’appel, ndlr) de la vidéo ainsi que son titre et sa description”, prévient Antoine Nazaret. La “preview”, c’est le “premier critère de clic” pour un internaute
  • L’audience, même sur Dailymotion, demande des rendez-vous réguliers sur les contenus. “Nous avons recréé une quasi grille de programmes”, dit Antoine Nazaret
  • A la question “quelle différence fait Dailymotion entre un média et un homme politique, qui envoient tous les deux du contenu sur Dailymotion?, Antoine Nazaret ne fait pas dans la dentelle: “Aucune différence, l’homme politique est un diffuseur de contenu comme un autre”

Jean-François Fogel, professeur associé à l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous vivons à une époque formidable. Toutes les générations de journalistes n’ont pas la chance de voir naître un média, le Web, et le journalisme qui y est associé”
  • Les mêmes tâches journalistiques sont là (chercher une information, la trouver, la vérifier, la publier), mais tout a été métamorphosé, à la fois dans les outils et dans les pratiques

Bruno Patino, directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po

  • “Nous réfléchissons au futur du journalisme, mais au présent aussi, pour mieux adapter notre formation aux étudiants”
  • Au final, “le journalisme s’adapte plus vite que l’industrie des médias”

AA

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La chasse aux trolls s’organise

Les commentaires les plus fréquents, sur un site d’informations généraliste à fort trafic? «Adieu l’artiste» (si une personnalité vient de mourir), «pauvre France» (pour les sujets de la rubrique société, également en politique), «OSEF», l’acronyme de «On S’En Fout» (pour tout type d’article). Sans compter les multiples «les journalistes devraient un peu plus chercher la petite bête avant de véhiculer au mieux des informations imprécises, au pire des manipulations….» et autres «pourquoi traiter de ce sujet stupide alors que des gens meurent en Indonésie/Somalie/Chine».

Ceux-ci côtoient, heureusement, d’excellentes réactions qui apportent un supplément d’information, voire pointent ce que le journaliste aurait pu rater.

A les lire, et, pire, à les modérer, je me demande, au fond, à quoi servent ces commentaires (1.300 sont soumis chaque jour sur lemonde.fr; plus de 2.000 commentaires sur Rue89; et près de 4.000 sur 20minutes.fr). D’où le dilemme: faut-il privilégier le volume, et laisser en ligne les commentaires cités ci-dessus, suivant l’idée que ces commentaires sont le reflet de ce que pensent les lecteurs, idiots ou pas? Ou faut-il supprimer les commentaires dont la rédaction juge qu’ils n’apportent ni fond, ni débat au sujet, voire qu’ils n’ont rien à voir avec le sujet du tout?

Crédit: Flickr/CC/zzathras777

Crédit: Flickr/CC/zzathras777

>> MISE EN GARDE Attention, loin de moi l’idée de retirer toute possibilité de commenter les productions journalistiques. Du journalisme sur le Web sans interaction avec l’audience, ce serait comme une profiterole sans chocolat fondu. Cela n’aurait aucun intérêt. La question, c’est comment organiser l’interaction entre journalistes et internautes pour que l’échange ne soit pas «plombé» par des commentaires incongrus, sur les réseaux sociaux comme sur les fils de commentaires internes des sites d’infos? >>

Cohabitation entre rédactions et trolls

Selon Antonio A. Casilli, auteur de Les Liaisons numériques (éd. du Seuil), les commentaires parasites ne sont pas l’exception, ils sont la règle. «Nous vivons avec les trolls», lâche-t-il, en plein milieu d’un débat organisé par le Spiil, le syndicat de la presse professionnelle en ligne. Un troll, c’est quelqu’un qui va poster des commentaires sans intérêt, sinon celui de casser la discussion de l’audience et de tuer le débat. Il le fait souvent exprès. Et c’est très irritant.

Yann Guégan, community manager de Rue89, veut être positif: «l’intérêt de cohabiter avec les trolls, c’est qu’il y a un côté difficulté intellectuelle, façon “L’Art de la guerre”, pour trouver comment les contrer.» «Les trolls font partie du jeu, confirme Michel Lévy-Provencal, ex-directeur du studio multimédia de France 24, et organisateur des conférences TEDx à Paris. Quand les journalistes s’exposent sur le Net, les “trolleurs” les prennent comme objets de discussion. C’est un grand classique.»

En effet, ajoute Thibaud Vuitton, journaliste au Monde.fr: «On connaît les papiers qui vont susciter des réactions: généralement il suffit qu’il y ait “Sarkozy” dans le titre pour que ça se déchaîne. On remarque aussi que les critiques sur les papiers sont plus acerbes à partir du moment où un article est signé par un journaliste. Les commentaires sont plus neutres quand c’est signé “lemonde.fr”.»

Thermomètre

Le phénomène est tel que les trolls servent au fond de baromètre de visibilité. Car au fond, il serait inquiétant qu’un site d’infos d’envergure ne soit pas «trollé». Cela signifierait que ses contenus ne suscitent pas – assez – de réactions et qu’ils ne sont pas assez populaires. Lemonde.fr est, à ce titre, un cas à part car seuls les abonnés peuvent commenter. «Du coup, ça limite – un peu – les trolls, juge Thibaud Vuitton. Mais ça favorise un autre type de réactions de lecteurs qui, parce qu’ils sont abonnés, parce qu’ils payent pour pouvoir commenter, sont en droit d’exiger quelque chose. Les commentaires du type “Le Monde n’est plus ce qu’il était” ou “Beuve-Mery se retourne dans sa tombe” sont les plus énervants. On peut parler de trolls car ils n’apportent pas grand chose au sujet traité.»

Exportation des trolls sur les réseaux sociaux

Or il n’y a pas que sur les sites Web d’infos que cela se passe. «Sur les réseaux sociaux aussi, il y a des trolls», reprend Michel Lévy-Provencal. Sur la page Facebook d’un site d’infos, et aussi sur Twitter, en réaction à un tweet par exemple. C’est d’autant plus compliqué à vivre, pour les rédactions, que cela signifie que l’interaction et «la modération doivent aussi s’effectuer en dehors du site d’origine.» C”est-à-dire sur tous les espaces où les communautés des sites d’infos s’exportent.

A dire vrai, les rédactions en ont assez des trolls. Surtout les trolls d’extrême droite, plus offensifs sur les sites d’infos, notent les journalistes en ligne, que ceux de l’extrême gauche. Ils ont été à la fête cet été lors des polémiques sur la sécurité, la déchéance de la nationalité et les Roms. Sur les sites d’infos, nombreux sont les articles qui ont été fermés aux commentaires «quelques minutes après qu’ils ont été mis en ligne, voire avant la mise en ligne», me raconte Mélissa Bounoua, l’une des community managers de 20minutes.fr. «Nous avons même pensé faire une journée sans commentaire (sur aucun article).»

«Comme partout, il y a des millions d’abrutis qui polluent les fils de discussion, reconnaît Duy Linh Tu, professeur de journalisme à l’école de la Columbia, à New York (1). Mais si vous prenez le temps de mettre en valeur les commentaires pertinents de ceux qui réfléchissent, vous connaîtrez mieux vos lecteurs, mieux aussi les sujets sur lesquels vous travaillez, et au final, vous améliorerez la valeur de la marque de votre site d’infos aux yeux de votre audience».

Explications: à chaque fois que quelqu’un commente, lit un commentaire ou réagit à un commentaire, l’article et la page de cet article fait un clic de plus. Si les commentaires sont bien modérés et que la rédaction répond elle-même, dans les commentaires, dans le fil Facebook, aux remarques des internautes, l’audience va développer un attachement plus grand pour le site en général. Si tout va pour le mieux, le public va alors davantage s’inscrire aux newsletters, s’abonner aux flux RSS, et se sentir partie prenante de l’information, estime Duy Linh Tu. Bonus non négligeables: les clics sur les commentaires font de la page vue, et aident au référencement du site dans les moteurs de recherche.

Des éloges? Rarement. Des colères? Tout le temps

Sauf que ce serait trop simple. «Les internautes ne commentent pas pour dire que telle ou telle info est chouette. S’ils trouvent l’article bien, soit ils se taisent, soit ils cliquent sur le bouton «I like», rappelle Charles Dufresne, community manager sur les sites d’infos depuis… 2005. Les seules fois où l’on note de l’empathie de la part de l’internaute dans les commentaires, c’est lorsqu’une personnalité meurt, et/ou lors d’un exploit sportif.»

Dans le même temps, les rédactions et les internautes ont commencé à distribuer des mauvais points aux trolls. L’un s’appelle le point Godwin, c’est le pire des mauvais points. Il repose sur le principe que «plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler» devient forte. En France, un autre mauvais point est apparu, et ce, dès le 14 janvier 2007, au congrès de l’UMP porte de Versailles, lorsque Nicolas Sarkozy annonce qu’il sera candidat à la présidence de la République.

«C’est à partir de cette date que l’on note l’apparition du point Sarkozy reprenant le principe du point Godwin», se souvient Charles Dufresne. Cette fois, «plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant Sarkozy et L’UMP» devient forte. Illustration par l’exemple via ce commentaire sous un article sur la menace terroriste de Ben Laden: «Ben Laden/Sarko, même combat». Heureusement, cela reste un phénomène «infinitésimal, reprend Yann Guégan, même si «l’on a de vrais cas psychiatriques, des trolls acharnés qui nous traitent de “bande de BIP de gauchistes” et font du harcèlement numérique. Ils changent de comptes, t’embrouillent la tête et montent les internautes les uns contre les autres. Jusqu’à ce que tu comprennes que c’est la même personne qui fait les questions et les réponses sous différentes identités.»

L’insulte par mimétisme

Autre phénomène récent: le mimétisme entre le ton relevé dans les propos de personnalités publiques et celui des commentaires des internautes. Avec les dérapages langagiers de Brice Hortefeux, de Jean-Paul Guerlain au JT, «l’internaute se dit qu’il peut faire pareil, et se met à paraphraser l’insulte, dans les commentaires», sur le site d’infos comme sur les réseaux sociaux.

L’insulte, la diffamation, le racisme, la xénophobie, l’homophobie, etc… tout cela doit être supprimé sans délai sur les sites d’info, qui sont, en tant qu’éditeurs, responsables devant la loi de la bonne tenue des débats.

Les trolls le savent bien, et, même s’ils accusent les modérateurs d’être des «censeurs», ils s’adaptent à la marge. Ainsi, ils se sont mis à faire du LOL, qui n’est pas modérable, note Charles Dufresne. Lors du chat avec Benjamin Lancar, porte-parole des jeunes populaires, l’un des 10 articles les plus commentés de toute l’histoire de 20minutes.fr, ont ainsi surgi des commentaires qui passent par l’humour plutôt que par l’insulte: «Hey Benji! Petite question indiscrète… Es-tu inscrit sur DroiteRencontre?»; «Benji, étais-tu celui qui, dans la classe, recevait les boulettes de papier dans la tête?»; «Pensez-vous adopter un lolcat pour améliorer votre popularité sur la toile du web 2.0?».

Pour Yann Guégan, il n’y a pas que les trolls qui ont mûri, les rédactions aussi. «Au fil de l’eau, on a appris une chose: ceux qui commentent le plus souvent ne sont pas les plus pertinents. Alors que quelqu’un qui n’aura rédigé qu’un seul commentaire peut s’avérer très brillant.»

Quatre organisations à la loupe

Face aux trolls et autres commentaires désarmants, voici quatre tentatives d’organisation des réactions de l’audience qui valent le coup d’oeil:

1.     Le tagage des commentaires, façon Gawker

Gawker, qui voit son flux de commentaires augmenter et cherche à ce que ceux-ci soient de qualité, a institué un nouveau système. Selon les explications données le 14 septembre dernier, les commentaires ineptes peuvent désormais être tagués individuellement, par les modérateurs, de mots-clés pas très charitables, tels que #horssujet ou #bancal. Ils sont alors sortis de l’article où ils ont été postés à l’origine, et deviennent visibles dans des pages taguées selon les catégories suivantes: «patrouille de trolls» (#trollpatroll); «fans de» (#fanboys) pour les «gens qui ont perdu tout sens critique au profit d’une marque ou d’une idée, et qui sont fermés à toute discussion»; «suspension de séance» (#timeout) pour ceux qui méritent d’être bannis; «zone fantôme» (#phantomzone) pour ceux qui ne savent pas écrire correctement deux phrases et font des remarques stupides; et «bruit» (#whitenoise) pour «ceux qui parlent de rideaux alors que l’article porte sur tout autre chose». En clair, cela revient à envoyer le troll au piquet, visible de tous, sur une page dédiée à sa bêtise. La correction par l’exposition publique au ridicule, donc, plutôt que par l’éviction.

2.     Le statut de commentateur VIP, façon Huffington Post et Reuters

Comme sur le Huffington Post, Reuters a institué un système selon lequel les commentateurs passent des niveaux, et obtiennent des «pouvoirs» au fur et à mesure de leur progression, comme dans un jeu vidéo. Au début, ils sont simples «nouveaux utilisateurs», leurs commentaires sont modérés a priori par la rédaction de Reuters. A chaque fois que l’un de leurs commentaires est validé, ils gagnent des points. Au bout d’un certain nombre de points, ils deviennent «utilisateurs reconnus», et là, leurs commentaires sont validés a priori – c’est-à-dire qu’ils sont publiés aussitôt qu’ils sont écrits, sans devoir attendre la validation du modérateur.

Cependant, met en garde Dean Wright, de Reuters, la rédaction regarde a posteriori les commentaires ainsi publiés. Si le commentaire est pertinent, l’utilisateur gagne d’autres points. En revanche, si le commentaire est malvenu, que la rédaction doit le supprimer après publication, l’utilisateur reperd des points. A l’issue de ce comptage, l’utilisateur reconnu peut accéder, au bout d’un certain nombre de points, au statut d’utilisateur VIP, expert, etc. «Ce système n’est pas parfait, glisse Dean Wright, mais nous pensons que c’est un début qui facilitera les échanges civiques et récompensera une discussion ouverte à toutes les franges de la société.» «La notion de badge, de réputation, fonctionne très bien, analyse Michel Lévy-Provencal. Car cela fait émerger des personnages clés issus du public, qui vont permettre l’auto-régulation des débats».

3.     Le classement des commentaires, façon The Daily Mail et Rue89

Le Daily Mail a organisé son flux de commentaires en quatre catégories: les plus récents, les plus vieux, les mieux notés, et les moins bien notés. Façon de gérer le flux et laisser les autres utilisateurs décider, en votant, de  la qualité des réactions. Rue89 le fait aussi, dans une moindre mesure: la rédaction sélectionne les commentaires les plus enrichissants sur un article, lesquels s’affichent par défaut sous le contenu, alors que les autres sont moins visibles, et les internautes peuvent voter pour un commentaire – mais une bonne évaluation ne provoque pas la remontée en tête du fil du dit commentaire, précise Yann Guégan.

4.     L’identification des commentateurs, façon Slate.com

A ceux qui s’arrachent les cheveux devant les commentaires anonymes de «lombric118», qui peut être banni puis revenir en s’inscrivant sous le pseudo «lombric128», Slate.com a choisi de ne pas publier de commentaires non identifiés. Or pour y parvenir en un clic, Slate.com demande à ses internautes de s’identifier via leur compte de leur choix (compte Facebook, Twitter, Google, Yahoo!, Friend Feed, etc.). Les identifiants et mots de passe sont donc ceux que l’internaute utilise déjà sur l’un de ces comptes. En outre, cela permet au débat de se faire avec des commentateurs plus engagés dans la mesure où ils sont définis par la page profil de leur réseau social. Avec leur photo, leur métier parfois, et leur vrai nom le plus souvent.

«Le jeu en vaut la chandelle, conclut Thibaud Vuitton. C’est quand même une des plus belles choses que le Web a apporté au journalisme: nous sommes en prise directe avec notre audience.»

(1) propos recueillis par chat

Et vous, comment faites-vous pour lutter contre les trolls et gérer le flux de commentaires?

Alice Antheaume

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La culture populaire à l’abordage des sites d’infos français

Crédit: M6

Crédit: M6

Avant, c’était simple. Ce qui faisait de l’audience sur les sites d’infos français, c’était le 11 septembre 2001, le duel Chirac-Le Pen en 2002, les attentats de Madrid en 2004, ceux de Londres en 2005, ou encore l’élection présidentielle de 2007. Maintenant, les sujets qui se révèlent être les meilleurs pourvoyeurs de trafic pour les sites généralistes s’appellent Super Nanny (la star d’un show télé), Filip Nikolic (l’ex-leader des 2be3, un boy’s band des années 90) et Jocelyn Quivrin (un acteur décédé en novembre 2009 dans un accident de voiture). Sans exagération aucune, le jour de la mort de Super Nanny, alias Cathy Sarraï, le 20 janvier 2010, a été un moment historique pour plusieurs sites d’infos français.

20minutes.fr a reçu 1 million de visites sur la seule journée du 20 janvier, soit presque deux fois le nombre de visites comptabilisées en moyenne chaque jour. Si l’article annonçant le décès de Super Nanny est le plus lu de toute l’histoire de 20minutes.fr, un site dont l’ADN est de mixer des sujets légers et sérieux, ni LeMonde.fr ni Libération.fr, moins attendus sur ces sujets, n’ont échappé à l’engouement des lecteurs. Alors que le site du quotidien du soir s’est contenté d’éditer une dépêche AFP intitulée «Super Nanny est morte», celle-ci a figuré pendant deux jours parmi les articles les plus envoyés par email. Idem à Liberation.fr qui a fait, ce jour-là, sa plus grosse audience depuis les élections européennes (637.000 visites le 20 janvier).

Accident de parcours ou vraie tendance?

«Ce jour-là m’a déprimé, j’ai eu envie de rendre ma carte de presse», soupire Ludovic Blecher, rédacteur Ln chef de liberation.fr. «D’autant que c’était un mois où il y avait de l’actu, avec le tremblement de terre en Haïti, et la polémique autour de Georges Frêche».

Mais les internautes en ont décidé autrement. Et contraint les sites d’infos à s’adapter. Néanmoins, cela été un vrai cas de conscience pour les rédactions de sites d’infos dits «sérieux»: que faire d’un sujet ultra populaire? 1. Le zapper, au risque de passer à côté d’un événement qui intéresse les lecteurs et de se priver de l’audience qui va avec. 2. Le traiter, mais du bout des doigts, pour ne pas faire le grand écart entre le nucléaire en Iran et la dernière frasque de Britney Spears. 3. L’assumer, en faisant autre chose que donner l’information, par exemple en livrant une enquête poussée sur Cathy Sarraï.

La plupart ont choisi l’option numéro deux. «On a traité l’information avec deux heures de retard, me raconte un journaliste du Monde.fr. Et on ne l’a pas monté tout en haut de la page d’accueil mais mis dans notre liste d’articles sans photo en bas de la page d’accueil.» Même réponse du côté de Libération.fr: «70% du trafic sur Super Nanny est venu du “search” (par exemple en tapant Super Nanny dans Google et en cliquant sur l’article de Libe.fr dans la page de résultats, ndlr). Cela veut dire que l’essentiel de l’audience sur ce sujet ne s’est pas connectée “directement” sur liberation.fr mais est arrivée par des agrégateurs externes. Du coup, il n’y avait pas besoin de mettre Super Nanny sur la page d’accueil pour avoir du trafic.»

Série de morts d’icônes populaires

Avant la mort de Super Nanny, il y a eu celle de Filip Nikolic, de Jocelyn Quivrin et celle de Michael Jackson. Mais aussi les humeurs de Laure Manaudou, en 2007. Les sites qui ont publié ces informations ont vu leur audience augmenter de façon spectaculaire. Comment expliquer cette poussée de trafic sur le people? D’abord parce que le «marché», en ligne, a évolué. Quand l’accès à Internet était surtout accessible depuis les bureaux privilégiés que chez monsieur tout le monde comme c’est le cas aujourd’hui, les sites d’infos traditionnels publiaient en majorité des articles parlant de politique ou de diplomatie. Laissant à d’autres les faits divers ou la culture dite populaire, comme la télé, les loisirs, la culture Internet, le people. L’arrivée de nouveaux venus comme lepost.fr et 20minutes.fr a tout changé, en s’engouffrant dans ces thématiques. Et obligeant les médias traditionnels à les suivre sur ce terrain.

L’infotainment en vigueur

La tendance n’est pas que française. Au Brésil, en Angleterre, en Inde, ou aux Etats-Unis grandit l’appétit pour «l’infotainment», un néologisme issu de la contraction entre information et entertainment (divertissement). En Inde, les éditeurs parlent du «règne des 3C» dans les médias, à savoir le crime, le cricket, et le cinéma, les trois domaines qui recueillent le plus de suffrages.

«Il faut savoir qui vous regarde, rappelle un journaliste de TF1. Super Nanny a échappé à beaucoup de journalistes. Personnellement, je n’avais même jamais regardé l’émission. Mais à l’occasion de son décès, cela méritait que je change de lunettes, même si Super Nanny était sur une chaîne concurrente (M6, ndlr)». Tous les journalistes interrogés le disent: ils n’avaient pas mesuré l’attachement des Français pour cette femme. Ce qui pose avec acuité le problème de la déconnexion entre les rédactions et leurs lecteurs/auditeurs. «Même si la rédaction de Libe.fr avait bien senti que le sujet montait sur le Web (Super Nanny a fait partie des dix sujets les plus évoqués sur Twitter pendant une heure, une première pour un thème franco-français), je n’aurais jamais imaginé l’ampleur que le phénomène allait avoir», reconnaît Ludovic Blecher.

L’émotion avant tout

Interloquée, la rédaction du Monde.fr a aussi regardé de près le comportement de ses lecteurs en ligne. «Les rares fois où nous faisons des sujets people, nos internautes sont assez agressifs, arguant que Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, doit se retourner dans sa tombe en lisant ça, que nous violons la ligne éditoriale du journal, etc. Mais cette fois, pour Super Nanny, les commentaires ont été plutôt positifs.» La raison? «Les sujets people sont le plus souvent bâtis sur des rumeurs, reprend ce journaliste du Monde.fr. Or dans le cas d’un décès, il s’agit d’un fait.» Inattaquable, donc.

Alors quoi? La ligne éditoriale des sites doit-elle être déterminée par les goûts des internautes? Ou faut-il que les journalistes choisissent leurs sujets indépendamment de ce que plébiscite l’audience? Tout est question de curseur, et d’angles. L’art étant de doser entre informations essentielles — mais qui n’intéressent peut-être pas le grand public — et des sujets à visée populaire. Le risque, à terme, c’est que s’installe un journalisme à deux vitesses. Un journalisme d’élite, d’un côté, et un journalisme populaire, de l’autre. Sans que les deux puissent se rencontrer?

Pas sûr. Si la ligne éditoriale d’un site d’infos et les goûts des internautes ne coïncident pas toujours, il y a au moins une chose qui fait l’unanimité. C’est gagné quand l’article véhicule ou suscite une émotion, comme le montre cette étude sur les articles les plus envoyés du New York Times. Et cela reste valable même si l’article parle de cosmologie.

Alice Antheaume

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